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Carol Maier et Françoise Massardier-Kenney, dir. (2010) : Literature in Translation : Teaching Issues and Reading Practices. Kent : Kent State University Press, 263 p.[Record]

  • Laurence Jay-Rayon

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  • Laurence Jay-Rayon
    Montclair State University, Montclair, États-Unis

Carol Maier et Françoise Massardier-Kenney ont réalisé un collectif en deux parties dont l’objectif est de sensibiliser les universitaires américains à la spécificité du texte littéraire traduit. Dans la première partie de ce collectif, l’accent est mis sur les principes généraux. Carol Maier propose une méthodologie permettant aux enseignants de sélectionner une traduction parmi d’autres. Elle leur recommande de prendre tout d’abord conscience de leurs préférences personnelles, puis de consulter l’ensemble des traductions existantes et leurs critiques, de repérer les projets de traduction, de replacer les traducteurs dans leur contexte traductif et éditorial, et enfin de sélectionner la version traduite en fonction du type de cours enseigné. La richesse de ces multiples versions permettra d’alimenter le débat sur l’empan interprétatif et de susciter, chez les étudiants, une prise de conscience du rôle et de la responsabilité du traducteur, ainsi que du statut qui lui est accordé (notamment à partir des indices éditoriaux). Rejoignant souvent les propositions de Carol Maier, Isabel Garayta suggère des stratégies visant à souligner l’extranéité du texte traduit. Selon elle, le texte poétique constitue le genre le plus à même d’exemplifier la multiplicité des axes traductifs auxquels les traducteurs se trouvent confrontés (style, temporalité, niveau de langue, toponymes…), incitant les étudiants à dépasser le stade du simple jugement de valeur. Françoise Massardier-Kenney se propose quant à elle d’expliquer l’alarmante situation de la littérature traduite aux États-Unis. Héritier d’un paradigme aujourd’hui désuet, voulant que le langage constitue l’expression d’idées préexistantes, l’acte traductif est encore trop souvent envisagé comme « simple » transfert. Une telle conception a permis l’avènement de binarités faciles, telles que celle opposant sourcisme à ciblisme. Par ailleurs, on oublie que les languescultures font – encore et toujours – partie de l’arsenal servant à définir zones dominantes et zones dominées. Les déséquilibres occasionnés par ces rapports de force se reflètent dans les flux de traduction et privent le « centre » de réflexions nées ailleurs. Paradoxalement, les textes issus de la périphérie n’accèdent à une certaine notoriété dans leur contexte d’origine qu’après avoir été traduits vers une culture centrale. Massardier-Kenney souligne encore que, si la culture d’une société donnée a longtemps été jaugée à l’aulne de sa littérature, celle-ci n’y joue plus qu’un rôle très marginal aux États-Unis, et la part de la littérature traduite est négligeable. En 2005, elle représentait moins de 4 % (contre plus de 40 % en France) une indigence qui se reflète tant dans le milieu universitaire que dans celui de l’édition. Fort de son expérience d’éditeur, Ronald Christ fait remarquer que la traduction ne constitue pas un frein à la publication, dont elle ne représente que 13 % à 30 % des coûts (pour les maisons d’édition Dalkey et Lumen, respectivement), les traducteurs ne percevant qu’un revenu de misère. Plutôt que de solliciter davantage de subventions à la traduction, Christ suggère de stimuler la demande, dont il explique l’extrême faiblesse par l’insuffisante consommation d’ouvrages de fiction, le manque de notoriété des auteurs étrangers et le fait que la littérature traduite soit considérée comme un pis-aller. Cette situation n’est pas sans rapport avec l’état alarmant de l’enseignement des langues et de la traduction. À leur tour, ces constats légitiment la discrimination économique et sociale dont souffrent les traducteurs littéraires. C’est en s’appuyant sur Borges, pour qui les concepts de texte définitif et d’auteur original sont aussi absurdes que fallacieux, que Sergio Waisman invite ses lecteurs à penser le texte traduit en dehors du paradigme de fidélité envers un original. Sur le plan pédagogique, la perspective borgésienne incite à comparer différentes versions sans référence au texte de départ. Les étudiants sont …