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1. Introduction

Un passager arrivant en Europe dans un aéroport international d’une capitale européenne, sans savoir s’il est à Berlin, à Londres, à Madrid, à Paris ou à Rome, pourrait bien, s’il ne disposait que de la publicité affichée sur les panneaux et les murs, hésiter un moment avant de pouvoir déterminer le pays dans lequel il se trouve. En effet, les publicités qui inondent les aéroports, les espaces publics ainsi que les médias de nombreux pays d’Europe, utilisent une espèce de « publilecte » qui combine abondamment plusieurs langues européennes. Différents auteurs, comme Bathia (1992), Cheshire et Moser (1994), Piller (2001) et Kelly-Holmes (2005), se sont déjà penchés sur la présence de termes et d’expressions en langue étrangère, les xénismes, dans la publicité. Aucun n’a cependant ressenti le besoin de forger un terme et un concept nouveaux. Nous proposons alioculturème, afin de mieux circonscrire le phénomène observé.

Bathia (1992) étudie la présence d’anglicismes dans la publicité des pays suivants : l’Inde, le Japon, la France, l’Espagne et l’Italie. Il classe les langues en deux catégories : celles qui admettent les xénismes et celles qui les rejettent. Il emploie le terme mixing pour décrire le phénomène qui consiste à utiliser plusieurs langues étrangères dans un même texte et, enfin, distingue les xénismes des emprunts linguistiques. Cheshire et Moser (1994) étudient l’emploi de l’anglais dans la publicité en Suisse francophone. Ils constatent que l’anglais y est utilisé à deux niveaux différents : d’une part, comme langue de communication, d’autre part, comme langue symbolique. En Suisse, l’anglais est aussi utilisé dans d’autres domaines comme langue de communication entre les communautés linguistiques francophones, germanophones et italophones. Les Suisses ont adopté la lingua franca internationale, l’anglais, comme lingua franca nationale, phénomène qui saute aux yeux dans la publicité. Piller (2001), qui étudie la publicité d’expression allemande, tire à peu près la même conclusion que Cheshire et Moser. D’ailleurs, d’après lui, en Allemagne, l’anglais est de plus en plus perçu comme une deuxième langue plutôt que comme une langue étrangère. Par ailleurs, l’étude de Piller ne se limite pas à la présence d’anglicismes, elle s’occupe de tous les xénismes, et de fait, il y est question de publicité multilingue. Kelly-Holmes (2005), quant à elle, étudie le multilinguisme dans la publicité actuelle en Europe, particulièrement en Irlande, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Elle considère qu’un transfert, tel que le définit Newmark (1988 : 22), « The process of transferring a source language (SL) word to a target language (TL) text », peut être une stratégie de traduction et elle souligne qu’il n’est pas facile de définir le terme xénisme, car ce n’est pas un terme univoque ; il peut, en effet, renvoyer tantôt à un emprunt, tantôt à un terme international, tantôt à un mot étranger assimilé.

The attribute ‘foreign’ is used here with inverted commas to attest to the disputed nature of the concept and the fact that definition or categorization of a word as foreign is not a straightforward process. […] Whether a word is a loan word, an internationalism, or a domesticated foreign word depends on a great number of factors. […] Usage, spelling, phonology and other factors all combine to make a word more or less ‘foreign’.

Kelly-Holmes 2005 : 14

La question posée en ces termes est au coeur même de ce que nous nous sommes proposée de faire, c’est-à-dire étudier la nature des expressions et des mots étrangers présents dans la publicité et établir les caractères spécifiques, les traits distinctifs par lesquels ils s’opposent à d’autres concepts que recouvre également le mot xénisme. La recherche a trois objectifs :

  1. Justifier la création d’un terme nouveau, alioculturème, pour expliquer la nature de ces expressions étrangères dont la présence est frappante et abondante dans la publicité de différents pays européens.

  2. Établir un lien entre la nature du discours publicitaire et cette tendance très nette à l’emploi d’alioculturèmes.

  3. Établir quelles sont les raisons de ce recours aux alioculturèmes en publicité et dans quelle mesure l’identité culturelle du public visé est un facteur déterminant de ce choix.

2. Corpus

Il y a déjà une dizaine d’années que nous avons entrepris d’étudier ce phénomène qui, loin de décliner, ne fait que croître. Pour ce faire, nous avons constitué un corpus comprenant des publicités internationales insérées dans de prestigieux magazines de cinq pays d’Europe : l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Nous l’avons divisé en deux parties, A et B. Le corpus A est formé de magazines, publiés du 1er novembre au 31 décembre 2001, qui s’adressent à un public majoritairement masculin, alors que le corpus B est formé de magazines, publiés du 1er novembre au 31 décembre 2003, qui s’adressent à un public majoritairement féminin.

Corpus A :

  • corpus allemand : Stern, Focus, Der Spiegel ;

  • corpus anglais : The Economist, Time, Newsweek ;

  • corpus français : L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Figaro, Sciences et Avenir, Le Point ;

  • corpus italien : L’Espresso, Panorama ;

  • corpus espagnol : Muy Interesante, Tiempo, El siglo, Cambio 16, Época.

Corpus B :

  • corpus allemand : Elle, Cosmopolitan, Brigitte ;

  • corpus anglais : Elle, Marie Claire, Hello ;

  • corpus français : Elle, Cosmopolitan, Marie Claire ;

  • corpus espagnol : Elle, Cosmopolitan, Marie Claire, Hola ;

  • corpus italien : Elle, Grazia, Gioia.

Notre choix a tenu compte du critère de représentativité et a porté sur des magazines internationaux lus par de nombreux lecteurs.

3. Méthodologie

Nous nous sommes procuré pendant la période indiquée plus haut un exemplaire de chaque numéro des magazines mensuels et hebdomadaires. Nous avons relevé dans chaque publication le nombre total de publicités et le nombre de celles qui contiennent des alioculturèmes tels qu’ils sont définis à la section 4, puis nous avons calculé les pourcentages correspondants. Nous avons également classé les publicités contenant des alioculturèmes en fonction des produits annoncés : nouvelles technologies, produits financiers, mode, etc.

Dans le cas des publicités contenant des alioculturèmes, nous avons établi la culture d’origine à laquelle correspondaient les alioculturèmes. Nous avons ainsi constaté, par exemple, que les alioculturèmes présents dans le corpus A allemand sont d’origine anglo-saxonne, française, italienne, espagnole, mixte (deux des cultures citées) ou autre. Les données ont été regroupées dans des tableaux organisés sur les modèles des tableaux 1, 2 et 3 ci-dessous.

Sur les 2668 annonces des deux corpus A et B, 1186 (44,45 %) présentent des alioculturèmes et sur 1186 annonces contenant des alioculturèmes, 552 alioculturèmes (46,54 %) sont d’origine anglo-saxonne, 248 (20,91 %) d’origine française, 74 (6,24 %) d’origine italienne, 28 (2,36 %) d’origine espagnole, 19 (1,60 %) d’origine allemande, 249 (20,99 %) d’origine mixte, par exemple d’origine française et d’origine anglaise, 16 (1,35 %) d’origine autre, par exemple d’origine japonaise (dernières lignes du tableau 3).

Tableau 1

Alioculturèmes dans les publicités : tableau récapitulatif pour Focus (magazine allemand)

Alioculturèmes dans les publicités : tableau récapitulatif pour Focus (magazine allemand)

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Tableau 2

Alioculturèmes : tableau récapitulatif pour les magazines allemands dans le corpus A

Alioculturèmes : tableau récapitulatif pour les magazines allemands dans le corpus A

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Tableau 3

Alioculturèmes dans les magazines des corpus A et B : tableau récapitulatif

Alioculturèmes dans les magazines des corpus A et B : tableau récapitulatif

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L’analyse de ces données nous a permis d’établir le degré de réceptivité aux alioculturèmes en fonction : a) des produits annoncés ; b) du genre des lecteurs ; c) de leur identité culturelle.

4. Le concept d’alioculturème

Le style publicitaire est une des manifestations de la culture, au même titre que le langage verbal ou iconique employé en publicité. Tout traducteur, et plus particulièrement celui qui s’occupe de publicité, joue un rôle de médiateur entre deux cultures, il adapte le produit d’une culture A à une culture B ; mais quand le terme, l’expression ou la phrase ne sont pas traduits, il n’y a plus d’adaptation culturelle, il y a simplement un transfert de la culture A à la culture B, notamment des valeurs culturelles, au moyen de signes les véhiculant.

Nous proposons d’appeler ces signes des alioculturèmes, car nous pensons que xénisme, le terme traditionnellement utilisé pour rendre compte de ce phénomène, est un terme trop général et purement linguistique qui ne met pas en valeur la charge culturelle présente dans ces signes, ce que reflètent bien les définitions proposées, d’une part, par le dictionnaire Robert (1994), « [f]orme lexicale [mot, tournure] provenant d’une langue et utilisée dans une autre langue, sans y être assimilée [comme le sont les autres emprunts] » et, d’autre part, par le dictionnaire de l’Académie royale de la langue espagnole (2001), « [v]oz, frase o giro que un idioma toma de otro extranjero ».

Il existe d’autres termes proches qui renvoient à des notions distinctes : les emprunts et les culturèmes. La fonction d’un emprunt (borrowing) est de combler une lacune linguistique dans une langue : « Borrowing is the appropriation of words from another language in order to fill a lexical gap or extend meaning where a word or phrase in the original language will not serve » (Eastman et Stein 1993 : 189). Quant à culturème (cultureme), il désigne dans la langue A une réalité qu’il est difficile de traduire dans la langue B du fait de l’absence de terme équivalent. Nord (1997) le définit de la manière suivante : « Cultural features have been termed “culturemes”. A cultureme is a social phenomenon of a culture X that is regarded as relevant by members of this culture and, when compared with a corresponding social phenomenon in a culture Y, is found to be specific to culture X » (Nord 1997 : 34).

À l’encontre des emprunts et des culturèmes, l’alioculturème ne comble aucune lacune linguistique ; ce n’est pas non plus un élément culturel qu’on aurait du mal à faire passer dans une autre culture. C’est certes un élément d’une autre culture, mais il n’est pas propre à cette culture et il est délibérément transposé de manière directe, c’est-à-dire sans être traduit, dans d’autres cultures, dans lesquelles il peut exister un élément équivalent qui recouvre plus ou moins le même champ sémantique. L’alioculturème est un nouvel élément communicatif dans la culture d’accueil, mais il conserve les valeurs culturelles qui lui sont associées dans la culture étrangère.

Un alioculturème est, comme son nom l’indique, un élément culturel étranger à la culture dans laquelle il a été introduit. Il a un signifié et un signifiant – au moins phonétiquement – différents de ceux qu’il avait dans la culture d’origine, car au contact du nouveau système culturel, l’élément culturel change de nature et devient autre : la valeur et le sens ultime d’un alioculturème dépendent de la culture d’accueil. Cela permet d’ailleurs de comprendre que le sens d’un alioculturème varie d’une culture à l’autre.

Voyons quelques exemples tirés de notre corpus. Les expressions parfum, fond de teint et lingerie de femme que l’on trouve dans les messages publicitaires espagnols signifient, dans la culture espagnole, quelque chose de plus que perfume, fondo de maquillaje ou lencería : un produit présenté sous le nom de fond de teint est différent et meilleur qu’un simple fondo de maquillaje. Fond de teint, parfum, lingerie de femme sont porteurs de valeurs que la culture espagnole attribue à la culture française, par exemple le raffinement et la sophistication.

La valeur symbolique des alioculturèmes, qui provient des attributs que la culture d’accueil attribue à la culture d’origine, prime sur la valeur référentielle :

The appearance of a German or French word or phrase is not really telling the individual addressee anything in German or French – at least that is not the intention – it is instead telling him/her something about German or French. […] About the characteristics and symbols summoned up by those languages in individual’s own sociolinguistic environment. […] Its symbolic nature takes precedence over its referential or informative nature.

Kelly-Holmes 2005 : 21

Ce processus de fétichisation (fetishization), terme utilisé par Kelly-Holmes (2004 : 68), est plus important dans le cas de certaines langues (l’anglais, par exemple), mais il les affecte toutes dans la mesure où les alioculturèmes sont employés dans un contexte et une situation où ce qui est important n’est pas ce qu’ils dénotent (à la limite, peu importe même que le dénoté ne soit pas compris), mais bien leur valeur symbolique.

La valeur symbolique des langues dans les sociétés mondialisées dépend de celle des cultures qu’elles véhiculent et dont elles sont une manifestation. La valeur symbolique des alioculturèmes dépend donc de la valeur symbolique de la langue dont ils proviennent et elle peut varier en fonction de la vision que la culture d’accueil a de la culture d’origine. Or, il est clair que la vision que l’on a d’une autre culture est généralement stéréotypée. Quand nous apprenons quelque chose de nouveau, nous le comparons avec ce que nous connaissons déjà, c’est-à-dire avec notre propre culture ou avec ce que nous connaissons de la culture étrangère.

Le même phénomène se produit dans le cas des alioculturèmes (qu’ils soient verbaux, iconiques ou d’un autre type) : le nouveau milieu culturel les déchiffre, les comprend et les interprète à partir de ses propres paramètres culturels, linguistiques (phonologiques, grammaticaux, sémantiques, etc.), cognitifs, philosophiques ou sociaux, si bien que la valeur sémantique d’un alioculturème et même sa valeur référentielle peuvent varier d’une culture à l’autre. Saussure (1995) affirme que la langue est un système dans lequel la valeur de chaque élément dépend de ses relations avec l’ensemble du système : par conséquent, si un élément change ou si le système incorpore un nouvel élément, la position et donc la valeur des autres éléments changent aussi. Si des éléments provenant d’une autre culture, comme parfum ou fragrance, entrent dans le système linguistique et culturel espagnol, des termes comme perfume ou fragancia finissent par avoir une valeur distincte de celle qui était la leur avant l’introduction de ces alioculturèmes.

According to Bakthin, borrowed words lose the ‘quality of the closed sociolinguistic system ; they are deformed and in fact cease to be that which they had been’. However if they preserve their ‘other languagedness’, they then affect the borrowing-language, ‘it too ceases to be that which it had been, a closed socio-linguistic system’. What results is not a single language, but a dialogue of languages.

Kelly-Holmes 2005 : 20

Jusqu’ici, nous avons établi que les principales caractéristiques de l’alioculturème sont les suivantes : il s’agit d’un xénisme délibéré – ce n’est ni un emprunt, ni un culturème – dont la valeur symbolique prime sur la valeur référentielle. Mais il faut ajouter à cela que les alioculturèmes confèrent, d’une certaine façon, à ceux qui les utilisent, une nouvelle identité culturelle et sociale. Cette fonction, tout aussi primordiale, est décrite par la littérature spécialisée comme exhibition linguistique (language display) : « Language display is a language use strategy whereby members of one group lay claims to attributes associated with another, conveying messages of social, professional, and ethnic identity » (Eastman et Stein 1993 : 187).

En effet, la relation étroite qui existe entre langue et culture implique que l’utilisation de la langue d’un autre peuple va de pair avec l’appropriation d’attributs culturels associés à ses membres. L’intensification des communications et la connaissance de différentes cultures provoquent le désir de s’identifier avec certains de leurs traits culturels et, dans ce but, rien de tel que l’emploi d’expressions étrangères.

Increased communication across social boundaries leads naturally to wider horizons which in turn, lead to desires to confirm new possibilities of identity. As communication increases, so too does accesss to associated languages which lend themselves nicely to purposes of display. The person who last year routinely ate noodles, this year demands pasta. Et voilà ! The provincial has become sophisticated via linguistic associations evocative of the continent.

Eastman et Stein 1993 : 188

Eastman et Stein (1993) font remarquer que d’autres auteurs nomment borrowing (emprunt) ou code-switching (alternance codique) ce qu’elles appellent language display. Mais elles différencient clairement le phénomène de contact entre langues qu’elles étudient de celui des emprunts, dans la mesure où l’emprunt se manifeste lorsque, dans une des langues en contact, il manque un terme pour désigner une réalité que l’on veut nommer, ce qui n’est absolument pas le cas ici : « The material of language display originates in other languages. What distinguishes display from other types of borrowing is its function-making claims to identity rather than elaborating the lexicon » (Eastman et Stein 1993 : 189).

À notre avis, qu’il s’agisse de la communication publicitaire ou d’autres types de situations, l’utilisation d’alioculturèmes est due à la volonté du locuteur de démontrer qu’il connaît et partage des attributs propres à d’autres cultures (exhibition linguistique), ce qui en fait un personnage cosmopolite et moderne et lui confère une identité sociale différente. Dans le cas de la publicité, cette nouvelle identité affecte tant l’émetteur que la cible (target) du message. Avant de voir dans quelle mesure la nature du discours publicitaire conditionne la présence d’alioculturèmes, voici une définition qui résume les caractéristiques des alioculturèmes :

  1. L’alioculturème est un xénisme délibéré ; il ne s’agit ni d’un emprunt, ni d’un culturème.

  2. Il a une valeur symbolique : celle que la culture d’accueil (stéréotypisation ; stereotypification) perçoit dans la culture d’origine (fétichisation ; fetishization).

  3. Sa valeur symbolique prime sur sa valeur référentielle.

  4. Il confère une nouvelle identité culturelle et sociale à celui qui l’emploie (language display).

5. La nature du discours publicitaire

La publicité provoque des attitudes et des sentiments très divers ; à un extrême, certains en font l’art du xxie siècle, à l’autre, d’autres la tiennent pour un instrument au service du capitalisme le plus inhumain. Le trait le plus négatif de la publicité est son caractère commercial. Le fait qu’elle soit au service d’intérêts économiques en fait un genre mineur, dépourvu des titres de noblesse de la littérature.

Pourtant le caractère littéraire, presque poétique, de la publicité est indéniable. Personne ne peut échapper à son envoûtement. Qui n’a en tête une publicité qui ne le fasse sourire ou ne l’émeuve ? « Advertising copywriters regularly produce texts which are as highly wrought as any piece of literature, using fully resources of language and inviting creative and subtle reading from their users » (Goddard 2002 : 3). La publicité aime jouer avec les mots et avec les images d’autres univers de discours : « Ads use fictions, word play, compressed story-telling, stylized acting, photography, cartoons, puns and rhythms in ways which are often memorable, enjoyable and amusing » (Cook 2001 : 3).

Pour Kelly-Holmes (2005), le langage de la publicité est un dialecte fonctionnel (functional dialect). C’est un dialecte, parce que c’est une variété d’un parler de référence et il est fonctionnel parce que cette variante a une fonction déterminée :

The language of advertising has been described as a ‘functional dialect’, a term that describes the product of a process whereby language is chosen and used for a particular purpose (hence, ‘functional’), and consequently becomes a variety (hence, ‘dialect’) of its own because it becomes associated with this particular function.

Kelly-Holmes 2005 : 8

Une autre caractéristique du langage publicitaire est le pouvoir magique de créer des mondes virtuels et de rendre réel tout ce qu’il nomme. « It is often assumed, usually without much question, that semantic representations of meaning also have psychological reality » (Cook 2001 : 103). Autrement dit, les mondes créés par la publicité deviennent, dans notre imagination, aussi réels que notre réalité quotidienne. Cependant, ils diffèrent d’une personne à l’autre, car les mots et les images n’ont pas le même sens pour tout le monde.

Yet a word has many aspects for its user other than its denotation, which supposedly persists across different contexts, and its pragmatic function, which supposedly varies systematically across contexts. These aspects of a word are so many and so vast that knowledge of them will vary considerably from user to user. A word has an etymology, a diachronic history, connotations, collocations, translation equivalents, personal associations, metonymic and metaphorical uses, homonyms, associations with certain genres, with images, with encyclopedic knowledge, and meanings which derive from the patterns it forms with the words around it.

Cook 2001 : 103

De plus, pour compliquer davantage les choses, la publicité a une forte tendance à estomper les limites sémantiques entre les mots. « It is the less determinate, less rule-bound types of meaning which are most frequently exploited in advertising. […] For advertising does not seek to steady the ground of meaning beneath our feet, but to make it sway » (Cook 2001 : 105). En outre, la publicité adore ajouter aux mots de nouvelles significations qui diffèrent de celles qui sont normalement admises.

Advertisers have a predilection for strategies which distract from or add to the literal meaning of language. This may be effected at the graphic level through deviant spelling : Beanz Meanz Heinz ; at syllable level : Linnvestment Linn Motor Group ; at word level : Secs Machine (for an Accurist watch).

Cook 2001 : 105

Les alioculturèmes de la publicité, par leur propre nature, facilitent énormément ce jeu de l’ambigüité sémantique. Notre corpus nous en offre des exemples : Armani Mania, le nom d’un parfum pour homme de Giorgio Armani, Diamonds Luxuria, pour annoncer une montre de luxe présentée par une femme voluptueuse ou Diwine Creature, texte qui accompagne une femme nue qui surgit d’un grain de raisin, pour une crème à base de vin.

Par ailleurs, le langage publicitaire imite la langue orale pour créer l’impression qu’un dialogue personnel a été établi entre le personnage de l’annonce qui parle, qu’il figure ou non dans l’annonce, et le destinataire de la publicité. Pour obtenir cet effet, les publicitaires ont recours à des stratégies très variées, par exemple l’ellipse d’un simple fait ou d’une partie de l’information, phénomène fréquent dans la conversation courante. Cet emploi stylistique de l’ellipse est très rentable, car il a de nombreux effets positifs pour la communication publicitaire. Cook l’explique ainsi :

Besides economizing with words, ellipsis has other important effects, resulting from its association with particular genres, situations and relationships. Firstly, it frequently occurs in conversation and other face-to-face interaction. Secondly, it is associated with interaction in a situation which is mutually manifest to addresser and addressee. Thirdly, it is indicative of shared knowledge and interests. Fourthly, it suggests a trusting relationship, in which people assume a desire to understand on the part of their interlocutor. So its use can imply co-operation, informality, shared knowledge and intimacy.

Cook 2001 : 108

Ce trait du discours publicitaire le rend apte à l’emploi d’alioculturèmes, car il implique la complicité de l’interlocuteur et sa disposition à comprendre le message bien qu’il soit rendu difficile par l’utilisation de signes auxquels il n’est pas habitué ; malgré tout, la communication se produit, comme avec un ami étranger, ce que représente, d’une certaine façon pour le destinataire, la personne qui s’adresse à lui dans l’annonce.

En ce sens, on peut dire que la communication publicitaire présente des traits caractéristiques de la communication féminine. Ce langage métaphorique, intuitif, associatif, hyperbolique, suggestif, réceptif, indirect, sinueux et persuasif répond au désir de parler à l’inconscient masculin et féminin, dans le but de rendre les messages publicitaires plus persuasifs, il cherche à créer un sentiment de proximité, de compréhension et de complicité entre les interlocuteurs. Tannen parle de rapport-talk (discours relationnel), par opposition au report-talk (discours objectif) plus typique de la communication masculine : « For most women, the language of conversation is primarily a language of rapport : a way of establishing connections and negotiating relationships » (Tannen 1992 : 77).

L’objectif du travail n’étant pas une étude approfondie du discours publicitaire ni de la publicité, nous avons commenté dans cette partie certains aspects du discours publicitaire qui peuvent aider à comprendre le fonctionnement de la publicité et du phénomène qui fait l’objet de cette étude : l’emploi d’alioculturèmes dans la publicité européenne actuelle. Nous allons conclure cette partie par deux phrases de Cook qui, comme le reste de son travail, nous paraissent très judicieuses :

Ads, the world they portray, and the world in which they exist, have indeed replaced other kinds of genres, situations, communities, relationships or meanings, and this may be a cause for regret. But that is to say that the economic, political or social system of the present is undesirable, not that it is unnatural or unreal. […] Whatever ads may be (good or bad) they are viewed as something quite separate from paintings, poems, songs, novels and films. Perhaps the real change in the artistic landscape of the 2000s is not in the attitude of art to advertising, but of some erosion of the boundary between genres.

Cook 2001 : 213

La publicité, toujours soucieuse d’innover, de surprendre, d’amuser et de ne pas tomber dans l’oubli, traverse et renverse de nombreuses frontières. La publicité est actuellement l’univers de discours le plus transgresseur et le plus créateur. Aucun autre discours ne présente un tel mélange de genres, de styles et de cultures, ce qui en fait un terrain favorable à l’emploi d’alioculturèmes.

6. L’usage d’alioculturèmes en publicité

L’usage d’alioculturèmes en publicité peut résulter soit d’une stratégie de non-traduction, soit d’une intention délibérée de les inclure dans le texte publicitaire, quelle que soit la stratégie de traduction utilisée. Avant de nous pencher sur le discours publicitaire multiculturel, nous allons aborder d’autres cas de multiculturalité, car leur étude peut grandement nous aider à comprendre cet aspect de la publicité actuelle en Europe.

Kelly-Holmes évoque le phénomène nommé crossing (croisement) dans le domaine de la linguistique et de la culture. Il s’agit de l’utilisation pure et simple, dans le discours courant, quotidien, d’expressions ou de termes provenant d’autres cultures en fonction des connaissances et de l’humeur du locuteur.

The concept of ‘crossing’ (cf. Rampton 1999) is a very useful way of analysing situations where individuals are free to pick and choose from various identities without being stuck in a straitjacket. Instead, they can simply play with elements from other languages in their particular repertoire, which may be known to a greater extent by the particular individual, repeating them as they would a favourite tune. In such a scheme, this repertoire of borrowed words forms part of the soundtrack of individual lives.

Kelly-Holmes 2005 : 12

Elle utilise également l’alternance codique (code-switching), fondée sur l’analyse de situations de communication orale dans lesquelles le changement de code linguistique est constant, par exemple dans des familles ou dans des régions bilingues (Catalogne, Québec, etc.), ou encore entre personnes de langues et de cultures différentes, qui pour des motifs professionnels ou personnels partagent un même espace ou les mêmes activités. C’est un phénomène fréquent dans le cadre des échanges entre les institutions européennes (Parlement, commissions ou écoles européennes) ou dans les universités européennes inscrites au programme Erasmus.

L’exhibition linguistique (language display), déjà évoquée, est un autre exemple d’utilisation de langues étrangères. Dans ce cas, quelqu’un fait étalage de sa maîtrise d’une langue étrangère – et de la culture qui lui est associée. La multiculturalité est alors un phénomène individuel et non de groupe comme dans le cas précédent. Kelly-Holmes (2005) signale d’ailleurs que cette attitude est plus ou moins bien acceptée par les interlocuteurs, selon qu’ils partagent ou non ces connaissances.

Eastman et Stein (1993) développent ce concept d’exhibition linguistique en l’appliquant à l’étude de la publicité : « To display is to make a statement of self. It is an attempt to inform others of who one is, or would like to be in the world » (Eastman et Stein 1993 : 187). Le langage utilisé, comme la façon de s’habiller, est une manière de dire qui nous sommes et qui nous voulons être. Si l’intention du locuteur, lorsqu’il change de code, est de paraître une personne cultivée, raffinée et cosmopolite, c’est un cas d’exhibition linguistique. Elles rappellent, elles aussi, que cet emploi des langues étrangères n’est pas toujours bien reçu par les interlocuteurs. Pour qu’il fonctionne, il faut que soient réunies un certain nombre de circonstances, par exemple que les interlocuteurs aient la même opinion sur les attributs des cultures étrangères concernées et qu’ils reconnaissent les langues qui leur sont associées comme des expressions symboliques d’identité sociale. « Language display requires a context in which people share beliefs about desirable foreign attributes and recognise associated languages as symbolic expressions of social identity » (Eastman et Stein 1993 : 189). Les auteurs citent le cas du Japon où les moyens de communication et la publicité utilisent abondamment les langues étrangères pour s’octroyer les qualités associées à ces cultures.

The use of foreign words and phrases in the Japanese media illustrates a case of language display in which territory is secure and interpretation and intention correspond. In Japan, language display provides a way for Japanese people to claim an affinity for certain desirable attributes of, and associations with, speakers of other languages while at the same time posing no threat to their own language and culture. Using English or French in this context is not an attempt to say ‘I can speak English, I can speak French’ […] but, instead represents the assertion that ‘I am sophisticated, cosmopolitan, modern…’.

Eastman et Stein 1993 : 197

C’est un cas patent d’exhibition linguistique, que l’on rencontre surtout dans la publicité et la promotion de produits nouveaux.

Il existe d’autres raisons pour lesquelles les publicitaires utilisent les alioculturèmes dans leurs annonces. L’une d’elles est qu’ils doivent capter l’attention du récepteur, ce qui n’est pas simple, car les personnes qui allument la télévision ou feuillettent un magazine sont exposées à un volume considérable de stimuli et d’informations. Les annonceurs doivent être originaux et capables de surprendre, d’où l’emploi d’alioculturèmes qui, comme tout écart par rapport au code accepté dans une culture déterminée, appelle l’attention du récepteur sur le message publicitaire.

Bhatia appelle mixing (mélange) cette utilisation de plusieurs langues dans un même texte et, parlant de la publicité, il affirme : « In advertising media, mixing with one or even more than one language is used to satisfy the creative and innovative needs of the advertising industry » (Bathia 1992 : 213). De la Cruz Cabanillas et Díez Prados abondent dans le même sens :

The language of advertising can be considered one of the most creative, as there is a need to draw the audience’s attention. […] The need for getting across to the audience imposes on renewing publicity methods and creativeness is a must to achieve goals. This creativeness manifests itself at the lexical level specially. One way of catching people’s attention is manipulating the language, so it departs from the rule. We consider one of the reasons for choosing English words within Spanish advertisements in our corpus is the necessity to include a striking element in the text, so that the message gets to the addressee.

De la Cruz Cabanillas et Díez Prados 1998 : 72

En outre, quand le récepteur de la publicité est exposé à une annonce contenant des alioculturèmes, il doit faire un effort de compréhension plus grand que de coutume pour essayer de déchiffrer le message ; cet effort supplémentaire permet de penser qu’il s’en souviendra mieux, ce qui, le cas échéant, peut déboucher sur l’achat du produit annoncé.

Finalement, un autre facteur qui détermine la présence d’alioculturèmes en publicité est le degré de tolérance des langues et des cultures envers ce qui est étranger. D’après Bathia (1992) et Kelly-Holmes (2005), il existe des langues tolérantes et ouvertes aux alioculturèmes, et des langues fermées et intransigeantes.

Only those languages which are historically receptive to the phenomenon of linguistic borrowing/foreignism are likely to permit mixing from English. I will call these languages ‘open’ languages. On the other hand, the languages which exhibit a history resistance to linguistic borrowing are viewed as guardians of linguistic purity (which I will term ‘closed’ languages) and will not tolerate mixing from English.

Bathia 1992 : 195

Plutôt que de parler de cultures plus ou moins ouvertes à ce qui est étranger, nous préférons parler de styles publicitaires différents en fonction de l’identité culturelle impliquée.

D’après de Mooij (2004), il existe différents styles de publicité liés aux paramètres culturels les plus connus :

  1. l’individualisme (IDV), par opposition au collectivisme (COL) ;

  2. la distance sociale, plus ou moins grande (PDI : Power Distance Index) ;

  3. le degré de tolérance par rapport à l’incertitude et l’ambigüité (UAI : Uncertainty Avoidance Index) ;

  4. le style communicatif direct et explicite, dans le cas où l’information est dans le texte (LCC : Low Context Communication), par opposition à un style indirect et implicite, dans le cas où l’information est dans le contexte (HCC : High Context Communication).

Le style publicitaire allemand (De Mooij, 2004 : 194) reflète la tendance de la culture allemande à l’individualisme (IDV), à la hiérarchie (+PDI) et à l’ordre (+UAI). De plus, comme c’est le propre d’une culture LCC, le style publicitaire allemand est direct, explicite et personnel, comme au Royaume-Uni et aux États-Unis ; mais il est plus sérieux et structuré. « The execution of the visuals will be detailed, often including demonstration of how the product works » (De Mooij 2004 : 195).

Au Royaume-Uni, le style publicitaire reflète une société individualiste (IDV), égalitaire (-PDI) et flexible (-UAI). C’est un style plus personnel que le style allemand, plus empreint d’humour. « The uniqueness of the person or the brand, and the importance of identity and personality are reflected in this style. […] Ads are carefully directed to focus on the personality of the endorser » (De Mooij 2004 : 194). Il ne faut pas oublier que ces deux cultures, l’allemande et l’anglaise, sont de type LCC, par opposition aux cultures française, espagnole et italienne, qui, elles, sont HCC. En effet, Katan (1999/2004), s’appuyant sur Hall et Hall (1990), établit une échelle sur laquelle les cultures sont classées des plus LCC (suisse-allemande et allemande), aux moins LCC (japonaise). Le centre de cette échelle, soit neuf cultures, est occupé par les cultures anglaise, française et italienne, dans cet ordre. Katan ne parle pas de la culture espagnole, que nous situerions entre les cultures italienne et hispano-américaine.

Les styles publicitaires d’Espagne, de France et d’Italie partagent plusieurs traits : ils sont de type IDV/COL, +PDI, +UAI et, en outre, du point de vue communicatif, ils sont indirects et implicites, c’est-à-dire HCC, bien que dans le cas de la France apparaisse une tendance au style direct (LCC).

France and Belgium show a mix of direct and indirect implicit communication styles that express both uniqueness and inaccessibility. Inaccessibility is recognized in the frequent references in advertising to other forms of communication such as films, art or even advertising by others.

De Mooij 2004 : 195

Le style indirect et implicite centre le contenu du message sur le contexte et cherche à plaire au public cible plus qu’à le persuader : « Visual metaphor and symbols are used to create context and to position the product or brand in its proper place, as one would expect in large power distance cultures » (De Mooij 2004 : 195). La publicité de ces trois pays accentue le côté sensuel et iconique, laissant à un second plan le texte et l’information :

Image and the stress on the sensual, is more important than the facts in business advertisements as well. French advertisements tend to be attention-getting. They concentrate on creating a mood or a response instead of informing.

Gannon, Brown et al. 2001 : 64

Il est clair que les différences entre cultures HCC et LCC entraînent des styles publicitaires très distincts. Les styles publicitaires des cultures HCC n’offrent aucune résistance à la présence d’alioculturèmes, puisque l’information n’est pas dans le texte. Ajoutons qu’il est important de ne pas oublier que dans les cultures HCC, la communication – la publicité est une façon de communiquer – sert surtout à mettre en valeur la place occupée par les interlocuteurs dans la société (High Power Distance), leur appartenance à un groupe social, en un mot leur statut. Les alioculturèmes permettent d’affirmer un statut, car ils permettent à une personne de s’identifier à un groupe social cultivé, dominant les langues et cosmopolite. C’est précisément la fonction de l’exhibition linguistique que nous avons exposée plus haut.

Au contraire, dans les cultures LCC, qui correspondent à des sociétés plus égalitaires (Low Power Distance), le besoin d’utiliser des alioculturèmes dans la communication publicitaire pour souligner les différences sociales ou le statut est moindre. Par ailleurs, comme c’est le texte qui est porteur d’information, l’usage d’alioculturèmes ne semble pas conseillé, à moins que le récepteur ne possède une connaissance suffisante de la langue et de la culture étrangères en question. Nous considérons donc que les cultures LCC font preuve d’une prédisposition moindre à l’usage des alioculturèmes dans la communication publicitaire.

Nous allons voir maintenant si cette hypothèse est confirmée par les résultats de l’analyse de notre corpus. Commençons par la publicité s’adressant à un public espagnol. C’est celle qui présente le plus d’alioculturèmes (74,82 % ; tableau 3), suivie des publicités italiennes (57,77 %), allemandes (52,66 %), françaises (31,58 %) et anglaises (21,09 %). N’oublions pas que la culture espagnole, comme sa publicité, est de type HCC, ce qui signifie qu’elle exige moins d’informations et qu’elle est basée sur la reconnaissance du nom de la marque ou du produit, car souvent l’acheteur les connaît déjà. Cette situation est donc propice à l’existence d’alioculturèmes, qu’il n’est pas nécessaire de traduire, car l’annonce ne cherche pas à informer. De plus, la société espagnole est hiérarchisée (HPD) et cultive les distances sociales. Les Espagnols, les publicitaires comme le public visé, utilisent et acceptent les alioculturèmes pour leur valeur symbolique. C’est pour eux un moyen de s’approprier les valeurs positives des autres cultures (exhibition linguistique), de se montrer aux yeux des autres comme des Européens cultivés et cosmopolites et d’améliorer leur statut social.

Les conclusions auxquelles nous amènent les résultats de l’analyse du corpus espagnol sont que les Espagnols utilisent sans problèmes les alioculturèmes quelle qu’en soit la provenance : anglo-saxonne, française, italienne ou mixte. Cependant, le code linguistique culturel le plus représenté dans la publicité espagnole est le code anglo-saxon, à tel point qu’il est utilisé pour annoncer des produits espagnols (Lois), français (Renault) ou italiens (Lotto). Les alioculturèmes d’origine anglo-saxonne envahissent tous les domaines de la publicité espagnole : même les parfums français n’y échappent pas, ce qui donne lieu à une publicité hybride. Cela est dû à la valeur symbolique de l’anglais comme langue internationale (symbolic internationalization ; internationalisation symbolique), car l’usage d’alioculturèmes d’origine anglo-saxonne confère à l’annonce une touche de modernité et d’avant-gardisme.

La publicité italienne présente presque autant d’alioculturèmes que la publicité espagnole. Ce n’est pas en vain qu’il s’agit des cultures les plus HCC du corpus. Dans la publicité italienne, la première place est occupée par les alioculturèmes d’origine anglo-saxonne (56,33 %) ; le nombre d’alioculturème d’origine française est nettement inférieur (23,73 %). Les Italiens sont des esthètes et sont anglophiles par esthétisme : ils utilisent l’anglais parce que « ça fait bien, ça pose et ça vend ». Tout comme les Espagnols, ils utilisent les alioculturèmes comme moyen d’identification sociale avec les classes supérieures, qui à leur tour les utilisent pour faire étalage de leur raffinement et de leur cosmopolitisme (exhibition linguistique).

Dans le cas de la publicité allemande, les résultats sont semblables à ceux de la publicité italienne. Le pourcentage d’annonces qui présentent des alioculturèmes est très élevé (52,66 %). Ceux-ci sont en majorité d’origine anglo-saxonne, mais les causes sont en partie distinctes. La publicité allemande, tout comme la culture, est de type LCC et comprend beaucoup d’informations, ce qui n’empêche pas que les alioculturèmes d’origine anglo-saxonne abondent dans les annonces, plus précisément dans les slogans. Les publicitaires allemands n’éprouvent pas le besoin de traduire ces slogans, ni même d’offrir une traduction parallèle. Plusieurs raisons expliquent cela. La première, la plus simple, est que presque tous les Allemands, et surtout les lecteurs des magazines sélectionnés, en raison de la politique éducative traditionnelle d’enseignement des langues étrangères, ont des connaissances suffisantes en anglais pour comprendre les alioculturèmes ; la deuxième, comme dans les autres cultures, est une question d’exhibition linguistique : les Allemands, un peuple caractérisé par un degré élevé de hiérarchisation (HPD), aiment bien marquer les distances et être considérés comme des personnes cosmopolites. La dernière, peut-être la plus importante, est la valeur symbolique des alioculturèmes d’origine anglo-saxonne (internationalisation symbolique). Certaines annonces de produits allemands, tant dans le domaine des nouvelles technologies que dans les autres secteurs, présentent un alioculturème – slogan, mot clé, nom du produit – en anglais parce que l’anglais les rend compétitifs sur le plan international.

Quant à la publicité française, le nombre d’annonces qui utilisent des alioculturèmes y est deux fois plus réduit que dans le cas de la publicité italienne ou allemande. La culture française est à cheval sur les cultures HCC et les cultures LCC, ce qui expliquerait que la publicité n’est ni aussi textuelle que la publicité allemande, ni aussi visuelle que la publicité italienne. Ce qui explique le pourcentage relativement bas d’annonces comprenant des alioculturèmes est, d’un côté, la politique de protection culturelle du gouvernement français – l’exception culturelle – et, de l’autre, le fait que le français, comme l’anglais, est une langue dominante de la culture européenne et qu’il jouit d’un statut spécial – par exemple au sein de l’Union européenne où il est le rival de l’anglais – qu’il ne veut pas perdre.

Cette rivalité entre l’anglais et le français est perceptible dans la publicité française. Les Français sont convaincus que « la qualité de la langue contribue à la qualité de la vie » (Mattelart 1989 : 50) et, par conséquent, essaient de la protéger des alioculturèmes, concrètement ceux d’origine anglo-saxonne, les seuls qui menacent la pureté linguistique du français. Mais comme nous l’avons déjà signalé, il est impossible de lutter contre l’esprit du temps. Les jeunes Français aiment les produits nord-américains, les trouvent cool et en conséquence l’anglais vend (exhibition linguistique). Pour ces raisons et pour d’autres (internalisation symbolique), le fait est que les alioculturèmes d’origine anglo-saxonne se glissent même dans les annonces des meilleures maisons françaises : Renault, Paco Rabanne, etc. Pour atténuer dans la mesure du possible les dégâts causés par cette invasion anglo-saxonne, les Français offrent une traduction des slogans en pied de page (cf. Loi Toubon de 1994).

Finalement, la publicité anglaise se montre la plus pauvre en alioculturèmes. Rien de surprenant, car, comme nous l’avons observé, c’est la culture anglo-saxonne et surtout la langue anglaise qui dominent dans le monde de la communication, et la publicité ne constitue pas, dans ce cas, une exception. En outre, la culture anglaise éprouve une certaine répulsion face aux alioculturèmes. Kelly-Holmes (2005 : 17) est explicite à cet égard : « In the anglophone world, people do not even want to know that a text is a translation, such is the level of resistance to foreign words ». Les rares alioculturèmes que nous trouvons dans la publicité anglaise ne sont là que pour mettre en valeur le made in prestigieux du produit ; c’est le cas du champagne et du cognac français, des montres suisses et de la mode italienne.

Quelques précisions s’imposent sur les résultats de l’analyse des deux parties du corpus, étant donné les différences existantes. La publicité s’adressant à un public féminin (corpus B) présente un nombre d’annonces contenant des alioculturèmes nettement supérieur (58,94 %) à celui de la publicité du corpus A (27,96 %). Une des explications plausibles fait intervenir le type de produits annoncés. Seul le corpus italien présente des pourcentages proches dans le corpus A et le corpus B : 52,41 % et 60,56 %. Cela est facile à comprendre, car, dans la publicité du corpus A, le pourcentage d’annonces dédiées à la mode et au soin du corps est élevé : or, il s’agit des secteurs où les alioculturèmes sont les plus nombreux. Une des raisons, sans doute la plus importante, qui explique une différence aussi claire dans l’usage d’alioculturèmes entre la publicité masculine et la publicité féminine réside dans le type de produits annoncés ; les parfums, les cosmétiques et les articles de mode sont les produits les plus annoncés dans la publicité féminine, et les publicitaires ont recours à un langage métaphorique, chargé de connotations et truffé d’alioculturèmes de provenances diverses, qui n’a pas besoin du dénoté pour être compris. La publicité des produits les plus annoncés dans le corpus A, c’est‑à‑dire les nouvelles technologies et les produits financiers, a recours à l’anglais ou, comme dans le cas des voitures, à la langue vernaculaire du pays récepteur. Le résultat est une publicité masculine non seulement plus pauvre en alioculturèmes, mais encore monoculturelle (ici angloculturelle), tant sur le plan national – les valeurs associées sont celles du Royaume-Uni et des États-Unis – que sur le plan international.

Par ailleurs, il se peut que la présence accrue d’alioculturèmes dans le corpus B s’explique par ce que Tannen (1992) appelle genderlect, c’est-à-dire un style de communication différencié par genre. Le style féminin favorise davantage les alioculturèmes ; en effet, ce qui compte, tant dans la communication féminine que dans la publicité, ce n’est pas la transmission d’une information, mais la création d’une complicité. S’il existe un registre masculin et un registre féminin, il semble logique que des différences existent dans la publicité masculine et la féminine et une de ces différences est clairement la présence d’alioculturèmes.

7. Quelques exemples d’alioculturèmes dans la communication publicitaire

Avant de passer aux conclusions, nous présenterons quelques exemples d’annonces contenant des alioculturèmes qui permettront d’apprécier les types d’alioculturèmes présents, ainsi que leur importance numérique et qualitative (tableau 3). En voici quelques exemples sur le plan textuel :

  1. Longines, la marque suisse de montres publie dans le magazine Stern de novembre 2001 une annonce qui contient trois alioculturèmes d’origines distinctes : française (L’élégance du temps depuis 1832), italienne (Longines dolce vita) et anglaise (Elegance is an attitude).

  2. L’annonce des montres suisses Mido dans un magazine allemand offre un exemple d’alioculturèmes verbaux d’origine espagnole (En las Vegas no existe el tiempo) ainsi que d’alioculturèmes d’origine anglaise (Reflecting on time / Mido, Swiss watches since 1918) (Der Spiegel, novembre 2001).

  3. Un magazine italien, l’Espresso, de novembre 2001, publie une annonce de chaussures pour femmes dont le nom de marque est allemand (Frau). Elle contient un slogan en anglais (High performance shoes).

  4. Une entité financière française, le Crédit Agricole, a choisi un slogan en anglais (Asset management you can relay on) pour une annonce publiée dans une revue espagnole, Época (23-29 novembre 2001).

Les exemples suivants d’alioculturèmes sur les plans lexical ou syntagmatique paraissent particulièrement frappants :

  1. Nivea : Das Double Action Waschgel. Vitalisierendes Gesichts-peeling. (Stern, novembre 2001).

  2. Renault : Avantime. Créateur d’automobiles. (Stern, novembre 2001).

  3. Teuco : Aqua pleasure. (annonce de douche équipée de système d’hydro-massage ; Muy interesante, novembre 2001).

  4. Ayer : Anti-Aging Pflege auch für hochsensible Haut. Sensitive. Soin confort. (Cosmopolitan, décembre 2003, édition allemande).

  5. Gard : Der neue Gard Look. Professional styling wie von Profi. (Brigitte, novembre 2003).

  6. Lancôme. Paris : Das Anti-Falten Make-up mit Lifting Effekt. Teint Rénergie Lift. (Brigitte, novembre 2003).

  7. Givenchy : Very Irresistible Givenchy, le nouveau parfum. “Very élégante, very fun, very you”. (Cosmopolitan, décembre 2003, édition espagnole).

  8. Fiat : New Punto. Even more Spirito. (MarieClaire, décembre 2003, édition anglaise).

  9. Peugeot : Nuova Peugeot 206 SW. Il 20 % di enfant terrible in piú. (Elle, décembre 2003, édition italienne).

  10. Lancôme. Paris : Il colore wet look, finalmente catturato. Juicy rouge. (Grazia, décembre 2003).

La liste pourrait être plus longue, mais cet échantillon paraît suffisant pour illustrer la nature et l’importance des alioculturèmes.

8. Conclusion

Le principal objectif de la recherche était de justifier le besoin de créer un nouveau terme, alioculturème, pour désigner les expressions étrangères introduites dans la publicité, de le définir en soulignant ce qui le distingue des emprunts et des culturèmes et ce, après avoir établi clairement que ces expressions étrangères sont délibérément non traduites, avec leur charge symbolique et culturelle, de telle sorte que leur usage et leur acceptation modifient l’identité sociale.

Le deuxième objectif était de déterminer si la publicité, par sa nature et ses méthodes, favorisait l’existence d’alioculturèmes et si ces derniers apportaient réellement ce que la publicité attendait d’eux. La publicité nous paraît clairement être une forme d’expression et de communication très créative, portée à la transgression, qui ressent le besoin de s’éloigner des formes de communication établies et d’inventer de nouveaux codes. Les alioculturèmes réunissent ces deux composantes, la transgression et l’innovation, ce sont les alliés naturels de la publicité. L’emploi d’alioculturèmes est une des stratégies les plus belles et les plus efficaces dont disposent les publicitaires et les traducteurs pour capter l’attention du public cible, c’est‑à‑dire du récepteur, pour éveiller son intérêt et faire en sorte qu’il se souvienne avec plaisir d’une annonce. Les alioculturèmes présentent un avantage supplémentaire pour la publicité : ils permettent au publicitaire et au lecteur d’afficher une nouvelle identité, plus attrayante et plus universelle (exhibition linguistique), ce qui accroît l’intérêt du produit annoncé.

Le troisième objectif était de confirmer que certains facteurs déterminants dans l’usage d’alioculturèmes en publicité étaient d’ordre culturel, voire que l’identité du public ciblé jouait sur la présence d’alioculturèmes dans la publicité en Europe. L’identité culturelle du public visé par la publicité (au même titre que le produit annoncé et le genre des lecteurs, par exemple) semble clairement influer sur la présence d’alioculturèmes dans les annonces publicitaires.

La culture espagnole et la culture italienne paraissent les plus propices aux alioculturèmes, car la communication y est basée sur le contexte et les distances sociales y sont très marquées. La culture française, comme la culture espagnole et la culture italienne, tend aussi à utiliser un mode de communication fondé sur le contexte et la hiérarchisation, terrain favorable à l’emploi d’alioculturèmes, mais elle constitue une exception que semble expliquer sa politique linguistique et culturelle, d’où un nombre moins élevé d’alioculturèmes dans la publicité.

La culture allemande, plutôt de type LCC et avide d’information, semblerait devoir employer moins d’alioculturèmes en publicité, bien que le caractère hiérarchisé de cette société la pousse à privilégier leur présence. L’importance accordée à l’anglais dans la culture allemande y contribue aussi. Finalement, en ce qui concerne la culture anglaise, le modèle de communication accordant plus d’importance au texte (culture de type LCC) qu’au contexte et la société étant moins favorable à la hiérarchisation et plus portée à l’égalitarisme, elle est moins propice à l’emploi d’alioculturèmes, comme le corroborent les données du corpus.

Pour finir, un souhait et une hypothèse : on pourrait poser, à la suite de Goffin (1994), la question de l’existence d’un eurolecte publicitaire, c’est‑à‑dire d’un dialecte formé de plusieurs langues européennes. Mais pour l’instant, une seule langue, l’anglais, prédomine clairement. Pour pouvoir songer à l’existence d’un eurolecte publicitaire, il faudrait que toutes les langues européennes, ou au moins celles des pays européens les plus importants, pèsent du même poids, afin d’avoir affaire à un eurolecte plus équilibré dans lequel les alioculturèmes espagnols, italiens, allemands et autres perdraient, le temps aidant, leur étiquette d’alioculturèmes pour devenir des euroculturèmes. De cette façon, cet hypothétique eurolecte publicitaire pourrait fonctionner comme moteur de changement vers le multilinguisme et la multiculturalité, vers une nouvelle identité européenne qui deviendrait, c’est ce que nous souhaitons, le projet commun de nos peuples pour le xxie siècle.