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Ce numéro spécial sur l’histoire de la traduction, sous la direction de Georges Bastin, n’est pas le premier numéro sur ce thème. En fait, il prolonge et amplifie le volume 49-3 (septembre 2004) qui en est d’une certaine façon le complément apportant d’autres aspects. Ce numéro avait d’ailleurs le même pilote.

Même si l’on peut spontanément admettre que l’histoire de la traduction s’inscrit tout naturellement dans les études de traductologie, il n’en demeure pas moins que l’on est en droit de se demander ce que des études historiques peuvent bien apporter aux théories et aux processus traductionnels. Si la phrase de Joseph Rovan (1999 : 10) lorsqu’il écrit : « Car si l’avenir se nourrit de l’histoire, c’est l’avenir seul qui confie à l’histoire son véritable sens » reste vraie pour l’histoire générale des divers pays, son affirmation demeure, sans nul doute, aussi éminemment valable pour l’histoire de la traduction.

L’histoire de la traduction est un magnifique témoin universel de l’évolution des idées, et du parcours des hommes et des pays. En effet, l’histoire de la traduction documente l’évolution des connaissances, les variations des normes politiques, sociales, culturelles et linguistiques et tous les changements des cheminements réflexifs qui affectent la pensée et les habitudes de l’esprit. Elle montre ce qui a fait surgir les divers facteurs responsables de nouvelles interprétations, de d’autres orientations ou encore de la pose différente des problèmes liés à l’existence. Elle témoigne encore de l’évolution qui se dégage au cours des ans des structures formelles, des mantiques, des fidéismes, des absolutismes et des normes, pour arriver à des significations qui s’élaborent par le passé et le présent, par l’évolution du vécu et la présence du vivant, et qui prouvent bien qu’il n’y a pas de réalités sans expériences et sans souvenirs. Tous les modèles théoriques changent au cours des ans et entraînent un éclairage différent, d’autres explicitations et d’autres systèmes de référence. Toute théorisation, inhérente par ailleurs à toute activité, est construite sur un modèle, même inconscient, qui regroupe un maximum d’entités ou de faits appuyés sur un nombre limité d’hypothèses et de généralisations. La pensée est d’abord concept avant de se développer !

On sait qu’aucun pays ne se suffit à lui-même, ni qu’aucune langue d’ailleurs ne se développe en vase entièrement clos. Les contacts et les relations entre pays, personnes et langues différentes apportent, dans un sens et dans l’autre, d’importants compléments d’idées et d’intéressantes évolutions des habitudes de vie, tout comme d’utiles possibilités d’enrichissements et d’emprunts salutaires à divers niveaux, y compris linguistiques, comme les histoires des langues le prouvent d’ailleurs. En effet, l’histoire de la traduction est un complément éclairant de l’histoire d’un pays. On l’a reconnu depuis fort longtemps dans le secteur de la littérature comparée, mais on peine encore à le marquer dans les autres domaines ; et pourtant elle peut apporter quantité de renseignements neufs tout comme d’indispensables points de vue qui complètent la prise en compte de l’espace, du temps et des autres activités humaines, et atteste de l’évolution des idées. Elle peut expliquer également et mettre en relief un certain nombre de traits pertinents qui procurent des éclaircissements souverains et qui facilitent la compréhension de l’évolution du cadre de vie, tant économique que scientifique ou industriel que politique, social ou culturel. L’histoire de la traduction complète l’histoire générale, l’histoire des idées et des moeurs. On sait, par exemple, que les Romains s’inspirèrent des travaux grecs qui servirent également aux traducteurs syriaques, et que le syriaque a été une des langues source pour des traductions en arabe lors du califat des Abbassides (705-1258). Ce sont encore les traducteurs des acquis arabes d’Espagne et levantins qui, peut-on dire, permirent à l’Europe de quitter le lourd manteau du Moyen Âge et de découvrir ainsi peu à peu, vers la fin du xviiie siècle, que « l’avenir comme objectif de l’activité humaine […] émancipe l’homme en émancipant le futur » (Joseph Rovan 1999 : 227).

Toute traduction se déroule dans un cadre qui reflète les dimensions historiques, sociales, économiques, politiques et culturelles, c’est-à-dire de tout un ensemble idéologique, tout comme la langue d’ailleurs qui en est elle-même déjà imprégnée ou du moins associée et qui en véhicule le souvenir et la vie.

Georges Bastin est le pilote de ce numéro spécial, un « mordu » de ce domaine qui nourrit sans cesse, avec la passion et le savoir-faire qu’on lui connaît, son site Internet <www.histal.umontreal.ca>. Il était donc l’exégète rêvé pour diriger cet excellent troisième numéro anniversaire. Il l’a fait avec ardeur, compétence et disponibilité en réussissant à y associer les excellentes contributions des meilleurs spécialistes du domaine. Qu’il trouve ici, ainsi que ses collaborateurs, tous nos remerciements, notre estime et notre reconnaissance. META a été bien servie !