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Paru en 2001 aux Éditions Mouton de Gruyter dans la collection « Text, Translation, Computational Processing », l’ouvrage dirigé par Erich Steiner et Colin Yallop regroupe neuf articles qui s’interrogent sur la traduction multilingue, l’enseignement de la traduction, les outils informatiques d’aide aux langagiers et les rapports qu’entretiennent la linguistique et la traduction. Dans un texte d’introduction fouillé et méthodique, les deux directeurs de l’ouvrage justifient d’abord la pertinence du livre, publié dans cette collection et chez cet éditeur en particulier en raison de la filiation méthodologique qui les unit ; en effet, l’éditeur et les directeurs s’intéressent aux modèles linguistiques actuels et insistent sur les développements récents en recherche traductionnelle. Steiner et Yallop présentent ensuite l’approche privilégiée, résolument tournée vers la réalité de la traduction, autrement dit « la vraie vie » des traducteurs et des traductologues, le souci de la profession étant au coeur de leurs préoccupations. Enfin, ils mettent l’accent sur l’originalité du format (nous y reviendrons en conclusion).

Il importe de préciser que cet ouvrage traite principalement de la notion de sens, par opposition à celle de contenu. Les directeurs et les collaborateurs du livre souhaitent dépasser la notion de contenu en ce qu’elle constitue une barrière à l’appréhension du sens dans une perspective multidimensionnelle et stratifiée. En outre, la théorie fonctionnelle du langage de Michael Halliday – figure centrale du livre, comme le précisent Steiner et Yallop en introduction – sera reprise et analysée, non seulement par Halliday lui-même, mais par d’autres collaborateurs de l’ouvrage, une initiative qui montre la cohérence interne de ce collectif.

L’ouvrage est divisé en trois parties de longueurs inégales, intitulées respectivement : « Theoritical Orientation », « Modeling Translation » et « Working with Translation and Multilingual Texts : Computational and Didactic Projects », qui constitue la partie la plus courte (78 pages au total, contre 125 pages en moyenne pour chacune des deux autres). Toutefois, la valeur ne résidant pas dans la quantité mais dans la qualité, cette dernière partie, malgré sa minceur, est tout aussi chargée que les deux premières. Mais revenons à la première qui comporte trois articles aux visées théoriques. Celui de Michael Halliday interroge la qualité ou encore la valeur d’une traduction dépendant si on l’observe d’un point de vue linguistique ou traductionnel. L’article qui suit, signé par Michael Gregory et intitulé « What can Linguistics Learn from Translation ? », présente d’abord la traduction en tant qu’activité humaine, donc possible. L’auteur s’appuie sur la traduction biblique afin de montrer le rôle important assumé par la mise en contexte et la formulation dans la réception d’un texte traduit. Enfin, Christian Matthiessen, dans « The Environments of Translation » aborde la traduction dans une perspective multilingue. Il montre d’ailleurs d’entrée de jeu qu’il baigne littéralement dans la traduction depuis l’enfance, car le suédois, l’anglais et l’allemand sont les trois langues principales parlées par les membres proches et éloignés de sa famille. Son approche a pour but d’établir la nature foncièrement transformatrice et créatrice de la traduction.

La seconde partie de l’ouvrage compte quatre articles. Celui de Juliane House, intitulé « How Do We Know when a Translation is Good ? », reprend une thématique soulevée par Halliday concernant la valeur d’une traduction. Après avoir décrit les différentes traditions dans lesquelles la traduction est définie comme bonne ou mauvaise, House propose une étude détaillée de la traduction allemande d’un livre pour enfants dont le texte original était rédigé en anglais. Erich Steiner, l’un des deux directeurs du collectif, s’intéresse aux caractéristiques des versions interlinguales et intralinguales de textes publicitaires. Tout comme House, Elke Teich, dans un article ayant pour titre « Towards a Model for the Description of Cross-linguistic Divergence and Commonality in Translation », reprend la théorie fonctionnelle de Halliday en établissant un modèle axé sur une approche comparative des catégories traductionnelles. Enfin, l’article de Colin Yallop (codirecteur de l’ouvrage) clôt cette seconde partie. À partir d’une traduction d’Alice in Wonderland de Lewis Carroll faite par Nancy Sheppard en pitjantjatjara (un dialecte australien), l’auteur questionne les notions d’équivalence et d’adaptation. Il montre, par exemple, que le remplacement du lapin blanc dans le texte de départ, par un kangourou blanc dans le texte d’arrivée, ne porte pas atteinte à la signifiance de l’oeuvre et constitue, en contexte, une équivalence à proprement parler. On pourrait toutefois faire objection à cette interprétation en arguant que la symbolique intertextuelle dont est chargé le lapin blanc est neutralisée si on remplace le lapin par un autre animal. En effet, qu’on pense aux diverses allusions cinématographiques, théâtrales, littéraires, télévisuelles ou même publicitaires qui y réfèrent.

L’article de Susanna Shore, « Teaching Translation », ouvre la troisième et dernière section de l’ouvrage qui s’intéresse plus particulièrement aux outils informatiques et aux stratégies pédagogiques. Shore met l’accent sur la nécessité de donner à traduire aux étudiants de véritables textes, c’est-à-dire des textes comportant un public cible bien défini et devant répondre à des impératifs langagiers précis. L’auteure déplore le recours à des textes traduits, écrit-elle, « in a vaccuum », complètement déconnectés d’une réalité professionnelle unique. Le second article de cette section est signé par deux auteurs, Chris Taylor et Anthony Baldry, qui ont mis au point un logiciel de traduction interactif permettant aux étudiants (ou usagers) de traduire un texte et d’obtenir un feed-back immédiat sur leurs choix de traduction. Enfin, Tony Hartley et Cécile Paris, dans leur texte s’intéressant aux thèmes « Translation, Controlled Languages, Generation », décrivent les différents principes qui régissent la rédaction en contexte professionnel.

L’une des questions abordées dans l’introduction du livre touchait la cohérence et la logique interne du collectif. Dans une large mesure, nous pouvons affirmer que le pari est tenu, les différents articles du livre réussissant à s’interpeller les uns les autres et à établir des liens à la fois pertinents et intéressants entre diverses approches et théories de la traduction. Nous ne déplorerons que l’absence de nombreux auteurs francophones (traduits ou non en anglais). Tandis que les travaux de théoriciens comme Eugene Nida, Douglas Robinson, George Steiner, Charles Taber, Gideon Toury et Lawrence Venuti apparaissent dans la liste des références de plusieurs articles (et bien sûr dans l’index des auteurs), Antoine Berman, Annie Brisset, Barbara Folkart, Gillian Lane-Mercier, Henri Meschonnic, Alexis Nouss ou Sherry Simon ne sont pas cités dans la bibliographie d’articles traitant, par exemple, du caractère transformateur du processus traductionnel, de la traduction biblique, ou des concepts d’équivalence, de fidélité ou d’adaptation en traduction. Enfin, on pourra également souligner le fait que le lecteur n’est aucunement renseigné sur l’institution d’attache des douze collaborateurs de l’ouvrage, ce qui rend plutôt difficile la possibilité d’écrire à l’un d’entre eux si l’on souhaite avoir accès à certaines contributions et technologies décrites dans l’ouvrage, comme le mentionnent en introduction Steiner et Yallop. Ces lacunes demeurent toutefois minimes compte tenu de la qualité de l’ensemble des textes réunis dans cet ouvrage.