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Introduction

En 5e année du primaire au Québec, les élèves (10-11 ans) sont initiés à un genre de texte argumentatif, la lettre d’opinion, qui les incite à recourir à des stratégies d’écriture efficaces pour convaincre leur destinataire. Ces stratégies d’écriture ont été décrites et testées dans de nombreux travaux américains (Calkins & Boland Hohne, 2019 ; Graham & Harris, 2005 ; Harris et al., 2012 ; McKeown et al., 2019), notamment à travers l’enseignement explicite. Nous avons entrepris en 2020-2021 une étude sur l’impact de l’enseignement explicite de stratégies d’écriture argumentative sur les capacités en écriture et sur les capacités d’autorégulation dans des classes de 5e année du primaire au Québec[1]. Nous avons comparé des groupes témoins, sans accompagnement, et des groupes expérimentaux qui étaient accompagnés sous deux modalités différentes : toutes les enseignantes de ces groupes ont mis en oeuvre une séquence d’enseignement explicite, avec ou sans rétroaction par les pairs.

L’objectif de cette contribution est de montrer en quoi un devis mixte séquentiel explicatif, qui repose sur deux ensembles de données distincts et complémentaires (Creswell & Plano Clark, 2017), permet d’éclairer, à l’aide de données qualitatives, des résultats statistiques portant sur la progression des élèves. Pour ce faire, nous recourons à des données quantitatives sur la progression de la performance en écriture et de la perception d’efficacité personnelle des élèves ; puis à des données qualitatives issues d’entretiens métascripturaux afin de recueillir des traces de leur activité d’autorégulation. Pour étayer ce devis, nous présentons d’abord quelques éléments de la problématique et du cadre théorique, le modèle d’enseignement et la méthode de recherche mis en oeuvre dans les volets quantitatifs et qualitatifs. Les résultats sont présentés en deux temps : d’abord, le volet quantitatif, puis le volet qualitatif. Ces deux volets seront ensuite mis en écho afin d’enrichir les réponses apportées à nos objectifs de recherche.

Problématique

Écrire est un processus complexe qui requiert la mobilisation constante de nombreux savoirs et savoir-faire de divers ordres (recours à des connaissances linguistiques, textuelles, encyclopédiques, génériques, graphiques, utilisation de stratégies de planification, de rédaction, de révision-correction, etc.). L’apprentissage de l’écriture repose non seulement sur ces savoirs et savoir-faire, mais aussi sur des variables psychosociales, comme la perception d’efficacité personnelle (Bandura, 2005), la motivation (Guay et al., 2020), la capacité de conduire une réflexion métacognitive sur ses propres textes et la capacité d’autorégulation (Graham & Harris, 2005). L’apprentissage du langage écrit, lequel est considéré comme une fonction psychique supérieure et non comme le prolongement du langage oral (Vygotski, 1985/1934) et dont l’importance pour l’épanouissement social n’est plus à démontrer, nécessite donc du temps, de l’énergie et surtout, un enseignement systématique de l’école primaire jusqu’aux études postsecondaires. Qu’en est-il en réalité ? Au Québec, il existe très peu de données sur les pratiques déclarées et observées d’enseignement de l’écriture. Une vaste étude menée entre 2008 et 2012 à l’école secondaire québécoise a montré que, bien que les enseignants considèrent l’écriture comme l’activité la plus importante de la classe de français, seulement le tiers des enseignants sondés font écrire les élèves au moins une fois par semaine (Chartrand & Lord, 2013). De plus, les pratiques observées et analysées dans cette recherche montrent que l’enseignement de la production textuelle se limite la plupart du temps à de l’aide à la planification du texte avant la production. Il ne s’agit donc pas nécessairement d’un enseignement structuré et systématique de l’écriture.

Ces données sur l’enseignement de l’écriture mettent en lumière un paradoxe, car une synthèse de Morin et al. (2009) ainsi que les travaux de Graham et al. (2013) ou de Gillespie et Graham (2014) montrent bien l’ampleur des difficultés des élèves du primaire en écriture, notamment par rapport à la maitrise des stratégies à mobiliser dans chaque phase du processus d’écriture. Morin et al. (2009) recensent de nombreuses études qui expérimentent des variantes de l’enseignement explicite et qui montrent l’efficacité d’un enseignement systématique des stratégies d’écriture et d’autorégulation. Toutefois, on ne sait pas si ces pratiques sont implantées dans les classes. À notre connaissance, il n’existe aucune étude à grande échelle portant sur les pratiques déclarées et observées d’enseignement de l’écriture à l’école primaire québécoise. Nous ne pouvons donc présumer de lacunes dans l’enseignement de l’écriture à cet ordre, d’autant plus que le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) n’a promu aucune méthode d’enseignement de l’écriture jusqu’à la publication du référentiel pour l’enseignement de l’écriture qui valorise clairement les approches explicites (MEES, 2017). Mais comme ce document est récent, ses effets n’ont pas encore été mesurés.

À cet effet, au cours des 30 dernières années, des chercheurs comme Graham et Harris (2005) ont testé un modèle d’enseignement de stratégies de l’écriture qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde. Puisqu’aucune recherche de la sorte n’a été menée dans le contexte québécois francophone pour l’enseignement et l’apprentissage de l’écriture à l’école primaire, nous avons décidé d’expérimenter un tel modèle sur la base des travaux de Graham et Harris (2005) et de ceux de De Smedt et Van Keer (2018b).

Cadre théorique

L’enseignement explicite de stratégies d’écriture et d’autorégulation pour améliorer les performances à l’écrit

Comme nous l’avons brièvement esquissé dans la problématique, l’écriture recouvre tant les aspects linguistiques, textuels que discursifs. Dans notre étude, nous avons mis de côté les enjeux grammaticaux pour nous concentrer sur les questions textuelles et discursives qui sont au coeur du genre de la lettre d’opinion : prise en compte du destinataire, cohérence de l’argumentation (progression des idées et développement des idées), structure de la lettre, vocabulaire riche et varié, utilisation de phrases variées.

Pour l’enseignement de ces contenus complexes, Graham, Harris et leur équipe ont développé et expérimenté dans les années 1980 et 1990 le Self Regulated Strategy Development (SRSD), qui repose sur l’enseignement explicite de stratégies d’écriture et d’autorégulation, méthode dont l’efficacité a été largement démontrée dans de nombreuses méta-analyses (Gillespie et Graham, 2014 ; Grace Kim et al., 2021 ; Graham et al., 2013 ; Graham et al., 2016 ; Graham et Harris, 2017 ; Harris et al., 2012). Le SRSD déploie des routines ayant pour objectif le développement de l’autorégulation dans une phase donnée du processus d’écriture, pour un genre de texte précis[2]. Dans le SRSD, les élèves sont ainsi entrainés à se donner par eux-mêmes des buts d’apprentissage, à porter un jugement sur leur performance et sur leur utilisation des stratégies, à se poser les bonnes questions, à mémoriser et à s’approprier des démarches efficaces pour mettre en oeuvre les stratégies d’écriture enseignées, puis à devenir capables de se motiver par eux-mêmes en appréciant leurs progrès et leurs réussites.

Pour transposer l’enseignement explicite de l’écriture dans la culture francophone du Québec, nous avons adapté le modèle d’enseignement explicite du SRSD de Graham et Harris (2005). Notre approche interactionniste, suivant celle de De Smedt et Van Keer (2018a et b), repose davantage sur la verbalisation par les élèves de l’utilisation des stratégies que sur la mémorisation de démarches stratégiques comme dans le SRSD. À l’instar de De Smedt et Van Keer, nous recourons à des supports visuels, que nous nommons tableaux d’ancrage, et qui présentent la procédure d’utilisation de la stratégie. Notre modèle comporte cinq phases itératives : 1) présentation de la stratégie (démarche à apprendre, utilité, outils d’aide à la mémorisation) ; 2) modelage de la démarche stratégique ; 3) pratique guidée coopérative, dans laquelle les élèves mettent en pratique la stratégie en se donnant de la rétroaction sur la façon dont ils l’utilisent, avec le soutien de l’enseignant ; 4) pratique autonome, dans une variété de contextes et 5) réinvestissement, qui doit être soutenu par l’enseignant, afin de rappeler le travail fait antérieurement sur la même stratégie. Le questionnement métacognitif effectué par l’enseignant dans ces différentes phases et la rétroaction qu’il donne aux élèves constituent deux pratiques incontournables pour que l’intervention soit ajustée au degré de maitrise des stratégies par les élèves. Pour ce faire, le questionnement doit porter davantage sur le processus, sur la façon dont les élèves mobilisent la stratégie et le contrôle qu’ils en ont que sur le produit attendu (pour une description plus détaillée, voir Falardeau, 2021). Contrairement aux ateliers d’écriture de Calkins et Boland Hohne (2019), nous focalisons l’apprentissage sur un nombre limité de stratégies qui sont toutes travaillées dans de multiples tâches. Nous amenons aussi les élèves à s’exercer dans des tâches complètes afin qu’ils ne perdent pas de vue leur intention d’écriture et la tâche globale, écueil qui survient dans les ateliers qui fractionnent les situations d’écriture en de multiples ateliers. Enfin, le questionnement métacognitif est au coeur de notre démarche alors qu’il apparait de façon occasionnelle dans les ateliers de Calkins et Boland Hohne.

Le rôle de l’autorégulation et de la perception d’efficacité personnelle dans l’apprentissage

Évoquant les travaux fondateurs de Allal, Mottier-Lopez définit l’autorégulation comme un « processus cognitif ou métacognitif qui a pour finalité d’assurer le contrôle et l’ajustement des activités cognitives, affectives et sociales qui contribuent à la transformation des connaissances et compétences de l’apprenant » (2012, p. 7). L’élève qui s’autorégule utilise de façon intentionnelle des connaissances et des stratégies, réfléchit à la façon dont il les utilise et à leur efficacité. Il nourrit sa motivation et sa perception d’efficacité personnelle (PEP), soit la croyance d’un individu en sa capacité à atteindre des buts d’apprentissage (Bandura, 1977). Un élève qui a une forte PEP se sentira davantage confiant de réussir une tâche d’écriture et sera plus enclin à exercer du contrôle sur son activité parce qu’il aura confiance que ce travail d’autorégulation améliorera ses résultats (MacArthur & Graham, 2016). Ainsi, la PEP prédirait non seulement les capacités d’autorégulation des élèves mais aussi leurs performances en écriture (Zimmerman & Risemberg, 1997).

Pour que le travail d’autorégulation soit possible, Cosnefroy (2010) pose quatre conditions : 1) une motivation initiale suffisante, parce que « l’apprentissage autorégulé est un processus coûteux en temps et en effort » (p. 14) et que l’on ne s’y investit que si l’on se sent capable de réussir ; 2) la définition d’un but à atteindre « qui fonctionne comme critère servant de point de comparaison » (p. 14) pour décider si l’on poursuit ou s’il faut modifier sa façon de travailler ; 3) un répertoire de stratégies d’autorégulation, pour favoriser le contrôle de l’apprentissage et 4) l’observation de soi, pour porter un regard critique sur son activité d’apprentissage afin de décider si l’on doit ou non modifier la façon d’atteindre le but identifié. La mise en oeuvre de ces quatre conditions en écriture permet le déploiement de ce que Zimmerman et Risemberg appellent boucle de rétroaction (feedback loop) :

Cette boucle est composée d’un processus cyclique dans lequel les scripteurs contrôlent l’efficacité de leurs stratégies d’autorégulation et réagissent au retour d’information qui en découle de différentes manières, par exemple, en poursuivant l’utilisation de la stratégie si elle est efficace et en la modifiant ou en la changeant si elle ne l’est pas

traduction libre, 1997, p. 77

Le processus d’autorégulation s’incarnerait dans des stratégies d’autorégulation que Zimmerman (2002) décline ainsi : identifier des buts proximaux et spécifiques ; adopter des stratégies efficaces pour atteindre ces buts ; « monitorer » sa performance pour détecter des signes de progrès ou de difficulté ; organiser son environnement physique pour favoriser l’atteinte des buts ; organiser son temps efficacement ; évaluer ses méthodes de travail ; attribuer ses résultats à son travail ; adapter ses méthodes pour des tâches à venir.

Citant Vygotsky dans Pensée et langage, Cartier et Mottiez-Lopez (2017) insistent sur l’importance du travail d’internalisation des connaissances à travers les médiations du maitre :

 La perspective vygotskienne amène à penser le processus d’autorégulation cognitive et affective dans un « processus d’intériorisation de régulations élaborées d’abord sur un plan inter-psychologique, à travers des interactions avec autrui et l’appropriation des outils socioculturels et de leurs usages »

Cartier & Mottier Lopez, 2017, p. 8

Nous avons donc mis en oeuvre dans notre étude une modalité de travail qui favorise ce mouvement de verbalisation puis d’internalisation à travers la rétroaction par les pairs, pour engager davantage les élèves dans les activités d’apprentissage.

La rétroaction par les pairs dans l’enseignement explicite

L’élève qui est en interaction avec son environnement (enseignant et pairs) recevra des rétroactions qui faciliteront le monitorage de son travail d’écriture afin de faire un usage plus efficace des stratégies apprises (De Smedt et Van Keer, 2018b). La rétroaction peut être entendue comme une information destinée à l’élève à propos de buts d’apprentissage (Brookhart, 2018), mais aussi sur la performance, le produit, l’utilisation des stratégies, etc. Elle doit l’aider à améliorer son texte à partir de critères partagés. Elle peut aussi partir de l’élève vers l’enseignant, quand l’élève explicite sa compréhension ou sa mécompréhension des processus à l’étude, pour permettre à l’enseignant d’ajuster son intervention (Brookhart, 2018).

La rétroaction par les pairs constitue une pratique réputée efficace pour améliorer les faibles capacités de révision des élèves (Bruning & Kauffman, 2016 ; Graham et al., 2015 ; Wigglesworth & Storch, 2012). Elle aide surtout les élèves qui apprennent à donner la rétroaction, car elle contribue à l’apprentissage des contenus commentés qui doivent être internalisés pour être traduits en discours et en commentaires sur les textes des pairs (Boscolo & Ascorti, 2004 ; Crinon, 2012 ; Lundstrom & Baker, 2009). Cet effet se ferait sentir même chez les élèves les plus faibles (Crinon & Marin, 2010). De plus, l’enseignement explicite conjugué à la rétroaction par les pairs devrait procurer aux élèves plus d’occasions de discuter des stratégies, d’évaluer la maitrise qu’ils en ont, de renforcer leurs capacités d’autorégulation, d’autant plus qu’ils partagent le même langage (Panadero et al., 2018). En définitive, nous postulons que les élèves recevant de la rétroaction sur des buts précis d’apprentissage aiguiseraient en retour leur regard critique par rapport à ces mêmes buts d’apprentissage dans des textes qui ne sont pas les leurs, donc plus aisés à mettre à distance.

Les objectifs de recherche

Mesurer la progression des capacités en écriture et en autorégulation des élèves présente une grande complexité étant donné la diversité des variables et des facteurs à considérer. Nous avons donc eu recours à un devis mixte séquentiel explicatif pour éclairer à l’aide de données qualitatives des résultats statistiques portant sur la progression des élèves. Nous poursuivons trois sous-objectifs liés aux deux types de données colligées :

  1. Comparer la performance en écriture de lettres d’opinion et la perception d’efficacité personnelle (PEP) d’élèves de 5e année avant et après intervention avec trois modalités d’expérimentation : enseignement explicite et rétroaction par les pairs, enseignement explicite sans rétroaction, groupe témoin sans accompagnement (données quantitatives) ;

  2. Décrire les capacités d’autorégulation des élèves à travers leurs verbalisations quant à leur utilisation des stratégies travaillées (données qualitatives) ;

  3. Éclairer et enrichir les statistiques comparatives sur les capacités en écriture et la PEP des élèves à l’aide de données qualitatives issues d’entretiens métascripturaux.

À ces trois sous-objectifs de recherche sont liées deux hypothèses :

  1. Les capacités en écriture et la PEP des élèves des deux groupes expérimentaux ayant suivi un enseignement explicite progresseront davantage que celles des élèves du groupe témoin ;

  2. Les capacités en écriture et la PEP des élèves du groupe avec rétroaction par les pairs progresseront davantage que celles des élèves des deux autres groupes.

Méthodologie

L’intérêt des devis mixtes séquentiels explicatifs

Pour mieux comprendre le développement des capacités d’autorégulation des élèves, nous adoptons un devis mixte séquentiel explicatif (Creswell & Plano Clark, 2017). Ce type de recherche mixte repose d’abord sur une collecte de données quantitatives pour étudier un phénomène à l’aide d’un échantillon suffisamment important afin de dégager des interactions significatives. Des régularités peuvent ensuite être observées et les résultats généralisés à une population plus vaste. Cette première phase est suivie d’une seconde, qualitative, qui jettera un éclairage différent sur les données statistiques pour expliquer des données non significatives ou des écarts inattendus. Les données qualitatives recueillies au moyen d’entretiens métascripturaux après chaque production de textes, au prétest et au post-test, ont permis d’analyser, à travers les verbalisations des élèves sur leur processus d’écriture, le contrôle qu’ils avaient sur les stratégies enseignées – leur autorégulation. Le tableau 1 présente l’organisation de notre devis séquentiel explicatif.

Tableau 1

Représentation des phases de notre étude mixte

Représentation des phases de notre étude mixte

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Le recrutement et l’organisation de l’échantillon et des trois groupes de l’enquête

Nous avons recruté des enseignantes de 5e année du primaire par désignation volontaire via les réseaux sociaux, les associations professionnelles et les conseillères pédagogiques de différents centres de services scolaires du Québec. Cet engagement volontaire accroit de façon importante l’engagement des enseignantes dans la recherche, leur persévérance et la fidélité de l’implantation du devis expérimental (McKeown et al., 2014). Pour éviter un effet de contamination (Rhoads, 2011), ce sont les écoles, et non les enseignantes, qui ont été assignées de façon aléatoire aux trois groupes. Ce mode de regroupement a pour fonction d’éviter que les enseignantes d’une même école soient assignées à des groupes différents et que celles des groupes expérimentaux communiquent à celles du groupe témoin les outils et les démarches qu’elles utilisent. Ceci aurait pu compromettre la validité interne de la recherche. L’annexe A2 présente le profil socioéconomique des écoles (IMSÉ) ayant participé à la recherche. Les deux GE présentent un indice moyen de défavorisation plus élevé que le GT (un IMSÉ moyen de 4,67 pour le GT par rapport à 6,33 pour le groupe EEÉ et à 7,25 pour le groupe EEÉ+RP). Le GT est donc socioéconomiquement plus favorisé que les deux GE.

Dans cette étude quasi-expérimentale, le premier groupe (EEÉ+RP) était composé des élèves de huit enseignantes réparties dans sept écoles ; le deuxième groupe (EEÉ) était composé d’élèves de huit enseignantes de trois écoles et le groupe témoin était composé d’élèves de neuf enseignantes de cinq écoles.

Ce sont les enseignantes qui ont mis en oeuvre la démarche associée à leur groupe, avec le soutien continu du chercheur principal pour les deux groupes expérimentaux (GE). Les 25 enseignantes des trois groupes ont terminé le projet de recherche. 483 élèves ont participé au volet quantitatif de l’enquête et 21 élèves, au volet qualitatif. L’annexe A1 présente les caractéristiques des élèves des trois groupes. Dans l’ensemble, leurs caractéristiques sont assez similaires, à l’exception du groupe EEÉ+RP qui est légèrement plus jeune que les deux autres groupes. Dans les trois groupes, une proportion similaire d’élèves a le français comme première langue (88 % dans le groupe EEÉ+PR, 89 % dans le groupe EEÉ, 85 % dans le GT).

Le groupe expérimental avec enseignement explicite et rétroaction par les pairs (EEÉ+RP)

Les huit enseignantes de ce groupe mettaient en oeuvre l’enseignement explicite et la rétroaction par les pairs dans chaque activité de pratique guidée[3]. Le scénario de chaque leçon, écrit par notre équipe de recherche, adoptait le plan de notre modèle d’enseignement explicite[4] : la présentation des stratégies, le modelage, les consignes d’activités, les questions axées sur le processus à poser aux élèves étaient tous explicitement formulés dans le scénario. L’année précédant l’expérimentation, notre équipe de recherche a construit une séquence d’enseignement explicite de 15 leçons d’environ 90 minutes s’étendant sur une période de six à huit semaines, selon la planification adoptée par les enseignantes participantes. Ce travail d’ingénierie didactique s’est effectué en collaboration avec des enseignantes de 5e année et des conseillères pédagogiques qui avaient déjà participé à nos travaux mais qui n’ont pas pris part à cette expérimentation. Avec ce comité d’élaboration, nous avons focalisé l’enseignement sur cinq stratégies directement liées à l’écriture d’une lettre d’opinion selon le Programme de formation de l’école québécoise (MEQ, 2006) :

  1. analyser les caractéristiques du destinataire pour construire des arguments convaincants et l’interpeler directement ;

  2. assurer la cohérence de l’argumentation entre le thème, l’opinion défendue, les arguments et les justifications ;

  3. structurer la lettre d’opinion ;

  4. employer un vocabulaire riche et varié ;

  5. utiliser des phrases exclamatives, interrogatives et impératives pour créer un effet sur le destinataire.

Chacune de ces cinq stratégies devait être travaillée à au moins trois reprises dans des conditions différentes, de complexité croissante (progression spiralaire). Les stratégies devaient d’abord être enseignées de façon isolée pour que les élèves se concentrent sur un aspect à la fois, puis de plus en plus articulées les unes aux autres au fur et à mesure que les élèves renforçaient leur maitrise des stratégies.

Les élèves n’ont pas écrit leurs textes de façon collaborative. Chacun écrivait ses propres textes d’opinion et apprenait à les planifier et à les réviser à l’aide de ses pairs. Au cours de la séquence, trois textes auront été écrits et réécrits en tout ou en partie par les élèves : le prétest a été retravaillé en classe pour chacune des stratégies enseignées ; une autre lettre a été écrite en cours de séquence et a été réécrite avec l’aide des pairs à la lumière des stratégies enseignées ; une troisième lettre a servi de post-test pour évaluer la progression des capacités des élèves en écriture.

Nous avons construit des tableaux d’ancrage sur le modèle de ceux proposés par Calkins (Martinelli & Mraz, 2017) pour expliciter aux élèves la démarche d’utilisation de chaque stratégie – voir annexe C pour un exemple. Les enseignantes amenaient les élèves à se référer constamment à ces tableaux pendant les pratiques guidées pour qu’ils verbalisent avec leurs pairs la façon dont ils recouraient à la stratégie, afin de développer leur autorégulation. Les enseignantes invitaient les élèves à interagir davantage sur leur utilisation de la stratégie que sur la bonne correction à apporter. De cette façon, elles veillaient à ce que les élèves qui donnent ou qui reçoivent la rétroaction développent un meilleur contrôle dans leur utilisation de la stratégie. L’analyse des interactions réalisées dans des trios d’élèves montre à cet égard que les interventions des enseignantes jouent un rôle clé de catalyseur dans la capacité des élèves à discuter des stratégies employées, de façon métacognitive (voir Falardeau et al., à paraitre).

Plusieurs séances de la séquence concernaient la rétroaction par les pairs, toujours associée à l’une des stratégies à l’étude, pour que les rétroactions portent sur des contenus précis. Un tableau d’ancrage spécifique à la rétroaction présentait les attitudes à adopter pour en donner et en recevoir : formuler d’abord un commentaire positif, cibler un élément précis du texte à commenter et fournir des pistes de solution. L’enseignement de cette habileté se faisait suivant les phases de l’enseignement explicite : présentation de la stratégie, modelage, modelage collaboratif avec un groupe d’élèves se donnant de la rétroaction devant la classe, soutenus par l’enseignante qui les aidait à formuler de bonnes rétroactions – modèle de l’aquarium (Montésinot-Gelet et al., 2022), pratique guidée collaborative de la rétroaction avec questionnement de l’enseignante portant non pas sur le contenu rédigé, mais sur la façon dont les élèves formulent leurs rétroactions suivant le tableau d’ancrage.

Le groupe expérimental avec enseignement explicite et sans rétroaction (EEÉ)

Dans le deuxième groupe expérimental, la démarche d’enseignement explicite et l’accompagnement offert aux huit enseignantes étaient identiques à ceux du premier groupe, excepté que les élèves ne travaillaient jamais en collaboration avec leurs pairs. Les activités de pratique guidée étaient réalisées individuellement, mais avec le soutien de l’enseignante.

Le groupe témoin (GT)

Les neuf enseignantes du groupe témoin ont enseigné la lettre d’opinion selon leurs méthodes habituelles. Toutes avaient reçu la liste des cinq stratégies que nous leur proposions d’enseigner autour de la lettre d’opinion, mais sans aucune indication quant aux méthodes d’enseignement à privilégier. En laissant ainsi les enseignantes du groupe témoin libres de recourir aux méthodes d’enseignement de leur choix, sans leur imposer un nombre d’heures d’enseignement, nous souhaitions comparer l’efficacité de la démarche que nous avions conçue par rapport aux méthodes courantes et variées d’enseignantes volontaires pour participer à une recherche sur l’enseignement de la lettre d’opinion. Certaines n’ont enseigné que la structure de la lettre. D’autres ont puisé dans les ateliers de Calkins et ses collaborateurs (2019), mais aussi dans d’autres manuels et ont ainsi eu recours à des bribes d’enseignement explicite, de travail entre pairs, de méthodes inductives ou déductives[5]. Notre étude permet alors de comparer l’efficacité de ces méthodes composites par rapport à la méthode structurée que nous proposons[6] : un temps imposé par rapport à des durées variables ; une progression spiralaire où les mêmes stratégies sont travaillées plusieurs fois dans une complexité croissante et dans des contextes variés par rapport à des progressions variables ; un enseignement explicite systématique par rapport à un enseignement qui guide plus ou moins les élèves ; un questionnement métacognitif systématique en cours de pratique guidée par rapport à un accompagnement qui insiste peu sur la maitrise des stratégies.

L’analyse des données quantitatives

Nous avons effectué une analyse de covariance (ANCOVA) avec la procédure PROC MIXED de SAS® (version 9.4) pour tester nos hypothèses de recherche. L’interaction temps*groupes est fondamentale pour chaque hypothèse et nous nous attendions à ce qu’elle soit significative. Lorsque le terme d’interaction temps*groupes était significatif, les effets simples ont été calculés. La structure multiniveaux des données a été prise en compte, les élèves étant imbriqués dans leur classe. Les analyses ont porté sur les variables dépendantes suivantes : la perception d’efficacité personnelle (PEP), le score global en écriture et les critères qui composent ce score. Les covariables de chacune de ces analyses sont le sexe et l’âge de l’élève. Les analyses ont toutes été effectuées avec des imputations multiples pour traiter les valeurs manquantes.

La production des données quantitatives

Les élèves qui n’ont répondu qu’au T1 ou qui n’ont été évalués qu’une seule fois (T1 ou T2) par leur enseignante ont des scores similaires à ceux des élèves pour lesquels nous disposons de données aux deux moments. Par ailleurs, les tests de Little pour MCAR (Missing completely at random) ne sont pas significatifs pour les variables de PEP (X2(116) = 109,32 ; p = 0,66) ni pour les critères d’évaluation (X2(12) = 10,79 ; p = 0,55). Les données sont donc MCAR. Même si les valeurs manquantes ne représentent pas un biais potentiel pour la précision des estimations statistiques, nous avons utilisé des imputations multiples avec 20 échantillons estimés générés pour garder un degré suffisant de puissance statistique avec la méthode de Monte-Carlo par chaînes de Markov (Markov chain Monte Carlo) (MCMC). Par conséquent, les analyses ont été effectuées 20 fois, soit pour chacun des échantillons générés. Une fois ces analyses effectuées, la fonction MIANALYSE synthétise les résultats obtenus avec chacun des 20 échantillons imputés en un seul résultat. Cette procédure permet de calculer des paramètres statistiques tels que les moyennes ajustées et les différences entre les groupes et le temps avec leur valeur de p (p-value). Lorsque le terme d’interaction temps*groupes était significatif (p ≤ 0,05), nous avons comparé les résultats entre les groupes pour T1 et T2, ainsi que les résultats entre les deux temps pour chaque groupe. Sur les huit variables dépendantes présentées dans le tableau de l’annexe B, seules les deux variables relatives à la cohérence (progression de l’information et non-contradiction, pertinence et développement des idées) ne présentent pas de terme d’interaction significatif. Ci-dessous, nous avons basé nos interprétations substantielles uniquement sur les termes d’interaction significatifs. Les effets principaux ne sont pas interprétés. Les d de Cohen ont été calculés pour mesurer l’ampleur de l’effet. Plus précisément, selon Cohen (1992), un d de 0,2 correspond à un effet faible, 0,5 à un effet moyen et 0,8 à un effet fort.

L’évaluation de la performance en écriture

Nous avons mesuré la performance en écriture des élèves avant et après l’enseignement de la lettre d’opinion. Les élèves des trois groupes ont fait le même prétest en septembre, en choisissant l’une des six consignes qui portaient sur des thèmes ancrés dans leur culture et dans leur environnement, par exemple : Ton école veut rendre le port de l’uniforme obligatoire. Es-tu d’accord ? Écris à ta direction d’école pour la convaincre de ton opinion. Le besoin d’autonomie étant un facteur clé de l’engagement dans l’écriture (Guay et al., 2020), nous avons voulu renforcer leur motivation en leur offrant un vaste choix de textes à écrire. La tâche d’écriture ne requérait aucune lecture préalable afin que les capacités en lecture des élèves ne viennent pas brouiller la mesure de leurs capacités en écriture. Toutes les consignes avaient le même destinataire (leur direction d’école) et présentaient du même coup le même niveau de difficulté quant à l’analyse de la situation de communication. L’équivalence du niveau de difficulté entre les six consignes du prétest et les six du post-test a été validée par un panel de chercheurs et d’enseignantes de 5e année. Toutes présentaient le même niveau de difficulté, en raison de l’identité unique du destinataire visé et de l’ancrage de tous les thèmes dans l’univers référentiel des élèves. Aucune indication de durée ou de temps d’écriture n’a été donnée aux élèves et aucun soutien n’a été autorisé, pour leur permettre d’écrire la lettre d’opinion qu’ils pensaient la meilleure en fonction de l’enseignement reçu. La plupart l’ont produite en deux ou trois heures. Les assistants de recherche ont corrigé les lettres des élèves des trois groupes afin d’assurer la cohérence de l’application des critères. Contrairement aux autres études sur le SRSD qui construisent une note globale sur la qualité et la structure du texte (voir p. ex., De Smedt et Van Keer, 2018 a et b ; McKeown et al., 2016 et 2019 ;), nous avons découpé notre correction selon des critères basés sur les stratégies enseignées[7].

La perception d’efficacité personnelle (PEP) envers l’écriture

Les items utilisés pour mesurer la PEP sont tirés de Bruning et al. (2013). Des 12 items utilisés, deux se centrent sur la prise en compte du destinataire, deux sur la cohérence, trois sur la structure de la lettre, trois sur l’utilisation de phrases variées et deux sur le vocabulaire, selon les cinq stratégies enseignées. Nous avons utilisé l’échelle de Likert allant de 0 (Pas du tout confiant) à 100 (Tout à fait confiant) recommandée par Bandura (2005) pour les questionnaires sur la PEP, même pour les élèves du primaire. Voici des exemples d’énoncés :

Présentement, à quel point suis-je confiant de…

  • Varier mon vocabulaire pour exprimer mes idées ?

  • Trouver des raisons (arguments) convaincantes qui appuient mon opinion ?

  • Penser à mon lecteur, à ses idées, à son âge pour le convaincre de mon opinion ?

Le coefficient oméga est de 0,92 pour chacun des deux temps de mesure lorsque nous regroupons les items concernant les six stratégies.

La production des données qualitatives

Nous avons mené, avec un élève par classe, un entretien métascriptural après le prétest et après le post-test. Cet entretien construit sur le modèle des entretiens métagraphiques (Jaffré & David, 1999 ; Morin, 2005) ne se limite pas aux accès grammaticaux, mais embrasse l’ensemble du processus d’écriture – d’où le choix de l’adjectif métascriptural. Il amène les élèves à réfléchir à la façon dont ils ont écrit leur lettre d’opinion. Comme les entretiens devaient être tenus dans un temps proche de l’écriture de la lettre (+/- une semaine), pour que l’élève ait encore en mémoire ce qu’il avait écrit et comment il s’y était pris, nous avons demandé aux enseignantes de choisir un élève au hasard, car nous n’avons pu attendre d’avoir corrigé tous les textes pour effectuer un échantillonnage par grappes (p. ex., un échantillon d’élèves faibles, moyens et forts). Une seule assistante de notre équipe, sous la supervision du chercheur principal, a réalisé toutes les entrevues. Ils ont construit à deux des canevas à questions ouvertes visant à soutenir les élèves dans leur réflexion et dans l’explication de leurs choix d’écriture. Les canevas ont été créés à la suite d’une analyse des productions de chacun des élèves choisis, en regard des faiblesses, des forces et des particularités détectées, et ce, pour chacune des stratégies enseignées. Chaque entretien est donc spécifique au texte écrit par l’élève interrogé et les questions posées l’invitent à réfléchir à son propre texte, à ses choix d’écriture et à la façon dont il s’y est pris pour planifier, mettre en texte ou réviser sa lettre. Les entretiens ont été réalisés sur Zoom et ont été enregistrés ; l’élève interrogé pouvait consulter sa lettre en partage d’écran.

Pour raffiner l’analyse des propos des élèves, nous avons décliné les cinq stratégies en onze critères qui permettent de prendre en compte les sous-dimensions des stratégies enseignées :

  1. la prise en compte des caractéristiques du destinataire (stratégie 1 Destinataire) ;

  2. l’interpellation du destinataire (stratégie 1 Destinataire) ;

  3. la structure de l’introduction (stratégie 2 Structure) ;

  4. la structure des paragraphes de développement (stratégie 2 Structure) ;

  5. la structure de la conclusion (stratégie 2 Structure) ;

  6. la planification de la lettre (stratégie 3 Cohérence) ;

  7. la cohérence des raisons avec l’opinion défendue (stratégie 3 Cohérence) ;

  8. la cohérence et la force des justifications en lien avec les raisons (stratégie 3 Cohérence) ;

  9. la variété du vocabulaire (stratégie 4 Vocabulaire) ;

  10. la précision et la richesse du vocabulaire (stratégie 4 Vocabulaire) ;

  11. l’utilisation de phrases interrogatives, impératives et exclamatives pour créer de l’effet (stratégie 5 Phrases variées).

Par exemple, lorsqu’un élève avait intégré une interrogation dans sa lettre, nous lui demandions ce qui l’avait amené à formuler une question (« Pourquoi as-tu écrit une phrase sous forme de question ? »). Nous l’interrogions également sur l’ajout d’autres questions ou de phrases avec points d’exclamation, à savoir si en ajouter apporterait quelque chose à sa lettre. En l’absence de phrases variées, nous posions cette question : « Si tu employais des phrases avec des points d’exclamation ou si tu posais des questions à ton destinataire, est-ce que ça pourrait apporter quelque chose à ta lettre ? » Quand les élèves ne savaient pas expliquer la pertinence ou l’effet des phrases, nous pouvions alors interpréter qu’il n’y avait pas d’autorégulation de la stratégie. Il est aussi entendu que certaines stratégies n’ont pas été abordées dans certaines entrevues, parce qu’aucun passage n’y référait et parce que nous tenions à ce que les entrevues se déroulent dans une période maximale de trente minutes.

L’élaboration de grilles d’analyse des entretiens métascripturaux

Pour chacun des 11 critères définis pour les entretiens métascripturaux, nous avons établi une échelle descriptive de cinq niveaux pour évaluer le niveau de maitrise manifesté par les élèves : pas du tout (0), un peu (1), assez (2), très bien (3), excellent (4). Pour établir ces niveaux, nous avons d’abord visionné l’ensemble des entretiens pour avoir une vision globale des capacités d’autorégulation des élèves. Ensuite, dans une démarche itérative et inductive, nous avons précisé chaque niveau en indiquant des indicateurs qui reposaient sur des exemples tirés d’entretiens – voir l’annexe G pour des exemples d’indicateurs.

Après avoir rempli les grilles d’analyse des entretiens, nous avons effectué un accord interjuges entre l’assistante ayant réalisé les entrevues et une professeure membre de l’équipe pour réduire au maximum les biais subjectifs. Chaque entretien a ainsi été double codé séparément par les deux analystes qui ont ensuite mis en commun leurs analyses pour atteindre un consensus pour l’analyse de chaque entretien. Nous avons ensuite effectué une analyse comparative des réponses au prétest et au post-test. Pour évaluer la progression des élèves dans les entretiens métascripturaux, nous avons créé les catégories qui suivent selon le niveau de maitrise au prétest et au post-test.

Tableau 2

Description des progressions de l’autorégulation entre le prétest et le post-test

Description des progressions de l’autorégulation entre le prétest et le post-test

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L’analyse mixte

Les données statistiques issues des lettres écrites par les élèves au prétest et au post-test nous renseignent certes sur la progression de leur performance avant et après intervention, mais elles laissent dans l’ombre le développement de leurs capacités d’autorégulation sur les cinq stratégies travaillées pendant les activités de la séquence. L’étude des verbalisations des élèves obtenues au cours des entretiens quant à leur utilisation de stratégies à partir de passages ciblés dans leurs deux lettres peut éclairer les écarts statistiques obtenus – ou non. Nous recourons aux données qualitatives issues des entretiens métascripturaux pour dégager des traces d’une progression de l’activité d’autorégulation des élèves entre le prétest, avant intervention, et le post-test, après qu’ils eurent suivi ou non un enseignement explicite et fourni ou non de la rétroaction à leurs pairs. Nous pouvons alors vérifier si les données qualitatives, qui sont liées au processus de contrôle et d’autoévaluation (autorégulation), permettent d’éclairer les performances en écriture et la perception d’efficacité personnelle.

Résultats

Les données quantitatives pour le score en écriture

Pour le score global, les trois groupes présentent une taille d’effet forte entre le prétest au Temps 1 (T1) et le post-test au Temps 2 (T2) (EEÉ+RP[8] = 1,33 ; EEÉ = 1,12 ; GT = 0,89[9]). Les trois groupes se sont donc améliorés de façon importante au cours de l’étude, mais les deux groupes expérimentaux se sont améliorés davantage. La comparaison entre les groupes au T2 – les trois groupes étant égaux au T1 selon les données présentées dans l’annexe B – indique une interaction entre les deux groupes expérimentaux et le groupe témoin. Toutefois, nous n’avons obtenu aucune interaction entre les deux GE, ce qui signifie que la rétroaction par les pairs n’a aucun effet statistique sur la performance en écriture (d de Cohen pour EEÉ+RP vs GT = 0,56 ; EEÉ vs GT = 0,40). En somme, seul l’enseignement explicite a eu un effet significatif faible ou modéré entre les groupes.

Lorsque nous considérons les critères pris isolément, nous observons un effet significatif de l’enseignement explicite pour trois d’entre eux. Pour le vocabulaire, nous n’obtenons aucune interaction entre les groupes au T2, ce qui signifie que ni l’enseignement explicite ni la rétroaction par les pairs n’ont d’effet sur le vocabulaire après intervention.

Pour la prise en compte du destinataire, la comparaison des deux groupes expérimentaux avec le groupe témoin révèle un effet modéré au T2 (d de Cohen pour EEÉ+RP vs GT = 0,56 ; EEÉ vs GT = 0,52). Pour l’utilisation de phrases variées afin de créer un effet sur le destinataire, nous obtenons les mêmes effets : la comparaison des deux groupes expérimentaux avec le groupe témoin révèle un effet modéré ou faible au T2 (d de Cohen pour EEÉ vs GT = 0,47 ; EEÉ vs GT = 0,33). Pour ces deux critères, l’enseignement explicite a un effet mais pas la rétroaction par les pairs.

Pour la structure de la lettre, les deux groupes expérimentaux ont obtenu un effet fort entre le T1 et le T2 alors qu’il est modéré pour le groupe témoin (d de Cohen pour EEÉ = 1,10 ; EEÉ = 0,92 ; GT = 0,54). Lorsqu’on compare les groupes au T2, seule la comparaison entre les groupes EEÉ+RP et GT révèle un effet modéré (d de Cohen = 0,49). Si nous obtenons pour ce critère un effet de l’enseignement explicite, c’est le seul pour lequel nous observons un effet de la rétroaction par les pairs comparé à l’écriture individuelle. La rétroaction par les pairs semble aider les élèves à améliorer leur maitrise de la structure du texte à produire.

Pour les deux critères de cohérence (développement des idées et progression des idées), il n’y a pas d’interaction, ni entre le T1 et le T2 ni entre les groupes.

Pour la perception d’efficacité personnelle, nous avons observé une augmentation entre le T1 et le T2 pour les deux groupes expérimentaux avec un d de Cohen de 0,43 pour l’EEÉ+RP et de 0,30 pour l’EEÉ. Pour le groupe témoin, l’augmentation est quasi nulle avec un d de Cohen de 0,07. De façon surprenante, ces différences intra-sujet ne se traduisent pas par des différences significatives entre les trois groupes au T2. Sur la base de ces résultats, nous pouvons conclure que les deux groupes expérimentaux ont produit, dans une certaine mesure, une augmentation des scores de perception d’efficacité personnelle des élèves, ce qui n’est pas le cas du groupe témoin. Comme la PEP est liée aux capacités d’autorégulation des élèves, il nous apparait pertinent de voir si les données issues des entretiens métascripturaux jettent un éclairage supplémentaire sur ces données statistiques.

Les données qualitatives issues des entretiens métascripturaux : récapitulatif des progressions en écriture

Pour classer les élèves interrogés en fonction de la progression de leur autorégulation, nous avons compté le nombre de critères pour lesquels il y avait une forte amélioration selon les indicateurs définis dans le tableau 2. Dans le tableau 3, une progression marquée signifie que l’élève s’est fortement amélioré sur au moins six des onze critères ; une progression moyenne, entre trois et cinq critères et une faible progression, sur deux critères ou moins.

Tableau 3

Scores des élèves interviewés dans leurs lettres pré et post tests

Scores des élèves interviewés dans leurs lettres pré et post tests

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Aucune faible progression n’est observable dans les groupes expérimentaux, qui sont ex aequo, mais ces deux groupes comptent deux fois plus de progressions marquées que le GT.

Des exemples d’autorégulation

Karim[10], dans le GE collaboratif, présente une amélioration en autorégulation dans plusieurs critères (progression marquée). Dans sa lettre du prétest, il demande à sa directrice de réduire les heures des cours d’anglais pour augmenter celles dédiées à l’éducation physique ou à la musique :

Même si l’anglais est la langue la plus parlée, avec un ou 2 cours d’anglais en moins, nous pourrons avoir un cours de musique en plus, car personnellement j’aime bien l’art ou le sport car j’adore me dépenser entre deux cours et je pense que je ne suis pas le seul.

La prise en compte des caractéristiques de la destinataire (critère 1) n’est pas maitrisée par l’élève, qui reste centré sur ses propres intérêts. Il donne une raison qui risque même de dissuader sa destinataire d’accéder à sa requête : si l’anglais est la langue la plus parlée, la directrice considérera que les heures du cours de langue ne doivent pas être réduites. Lors de son entretien prétest, il affirme que sa raison est bonne pour convaincre sa directrice : « peut-être minimum la faire changer d’idée, ben penser d’une autre manière, quelque chose comme ça […] parce qu’elle va penser à la majorité ». Karim n’a donc pas conscience que les raisons et les justifications ne tiennent pas compte des intérêts de sa directrice et qu’elles relèvent davantage de ses gouts à lui.

Toutefois, lors de l’entretien post-test, Karim exprime clairement son but d’écriture, convaincre sa directrice (« il faut convaincre le lecteur ou la lectrice »), et il reste, cette fois-ci, attentif aux intérêts de sa destinataire, car il affirme avoir « pensé aux critères qui intéresseraient la directrice, le budget, l’éducation et l’amusement des élèves ». En nommant dans sa lettre des centres d’intérêt d’une directrice d’école, en plus de son objectif, l’élève témoigne de son autorégulation dans la prise en compte des caractéristiques de son destinataire, ce qui transparait dans sa lettre parce qu›il défend qu›un voyage à Niagara Falls est une bonne idée et qu›il trouve des solutions pour boucler le budget :

Pour ma première raison, je vais vous parler du budget. Je sais que vous ne pouvez pas dépenser comme vous voulez, donc je vous propose que les élèves fassent des ventes de style recette en pot. Mme l’adjointe je peux vous rappeler que les ventes de l’année dernière on atteint plus de 2000 $ ! Ne pensez-vous pas que si on recommence, on pourrait ramasser une belle somme ? Je pense que si on refait la même chose pour Noël et Halloween, vous aurez surement assez d’argent.

Dans cet extrait, Karim évoque l’importance du budget pour une directrice d’école. Le développement de l’autorégulation se traduit donc dans ses performances, son score augmentant de 23 points au post-test[11] (45 à 68/75, soit une amélioration de 51 %). De plus, il dit comprendre l’importance de l’interpeler pour mieux l’intéresser (critère 2). Il y a donc une forte progression de l’autorégulation pour deux critères interreliés, la prise en compte et l’interpellation du destinataire.

Théo est un autre exemple d’élève qui parvient à autoréguler certaines stratégies (amélioration moyenne), notamment les critères 9 et 10 centrés sur la variété et la richesse du vocabulaire. Lors de l’entretien prétest, même s’il est conscient qu’il a écrit dans sa lettre « éducation physique » trois fois en quelques mots et qu’il a répété les mêmes termes en une seule phrase (« je pense qu’il y a plus que mes amis qui sont plus concentrés en revenant de l’éducation physique sont plus concentrés »), il dit seulement ne pas avoir pensé à varier son vocabulaire. Il n’y a donc pas d’autorégulation, puisqu’il n’y a pas de remédiation du problème observé.

Lors de l’entretien post-test, il exprime avoir cherché des termes de remplacement et des mots riches dans le dictionnaire des synonymes en se demandant « ce qui serait le mieux pour la directrice » :

je me suis dit, si je la vouvoie, je vais aussi essayer d’utiliser des mots riches, fait que j’ai essayé de mettre des mots riches […] j’ai cherché dans le dictionnaire des mots qui, ben des mots que je cherchais pis après j’allais chercher dans le dictionnaire des synonymes, pis je cherchais des mots riches pour mettre dans mon texte.

Il a donc adopté des stratégies efficaces pour atteindre ses buts, soit de varier son vocabulaire, de le rendre plus riche et d’interpeller sa directrice (critère 2) dans un vocabulaire varié. Pour parler de ses mots, il mentionne plusieurs stratégies par lui-même. Il est maintenant conscient qu’il est important de varier le vocabulaire et il déploie des stratégies pour y arriver. De plus, Théo est un exemple d’élève pour qui le travail en trio a été bénéfique. En effet, il précise que ses coéquipiers l’ont aidé avec les mots qu’il écrivait et qu’ils ont contribué à trouver des synonymes d’interpellation. Il affirme aussi clairement qu’il a pensé aux mots riches grâce aux procéduriers et aux tableaux d’ancrage utilisés en classe lors des séances d’enseignement. Il a donc utilisé les stratégies et leur application porte manifestement fruit parce que son vocabulaire est effectivement plus varié, riche et précis. À titre d’illustration, il soutient avoir cherché dans le dictionnaire pour apprendre la signification de « cordialement » ; quand il a compris qu’il s’agissait d’une salutation, il l’a écrit. Sa lettre reflète les efforts qu’il affirme avoir déployés, son score augmentant de 16 points (35 à 51/75, soit une amélioration de 48 %). Théo est non seulement conscient de l’importance d’utiliser un bon vocabulaire afin de s’adresser à sa directrice, mais il contrôle également les étapes de la stratégie : « je lis mon texte, je surligne, je corrige, pis après je relis, j’ai fait ça deux fois ou trois je pense ». Il parvient à nommer les étapes, sans même que les procéduriers soient devant lui. Nous pouvons alors soutenir qu’il y a une autorégulation de la stratégie.

D’autres analyses sont ajoutées en annexe H afin de montrer d’autres cas d’élèves. Notons tout de même que la moitié des élèves présentent une progression moyenne (voir tableau 3), ce qui ne doit pas être interprété comme un résultat négatif, au contraire. Les critères sur lesquels ces élèves se sont améliorés sont seulement moins nombreux. La brièveté de l’intervention est aussi à considérer : six à huit semaines d’enseignement explicite ne suffisent probablement pas pour permettre à tous les élèves de 10 ou 11 ans de raffermir leurs capacités d’autorégulation pour l’ensemble des stratégies travaillées, comme le montrent Turgeon et al. (2020).

Discussion et explications des écarts statistiques

Les analyses quantitatives menées ont permis de comparer la progression des trois groupes entre le prétest et le post-test, ces deux temps étant séparés par l’enseignement de la lettre d’opinion. Ainsi, nous observons un effet de l’enseignement explicite entre les deux GE et le GT (d de Cohen de 0,56 pour le groupe EEÉ+RP et de 0,40 pour le groupe EEÉ), ce qui confirme notre hypothèse 1. Mais, comme nous n’observons aucun écart significatif entre les deux GE, nous ne pouvons affirmer que la rétroaction par les pairs entraine un effet positif comparé au travail d’écriture sans soutien des pairs. Ainsi, d’un point de vue statistique, l’hypothèse 2 selon laquelle la rétroaction par les pairs aurait un effet sur les apprentissages des élèves ne peut être prouvée alors que l’efficacité de l’enseignement explicite peut être soutenue avec des tailles d’effet modérées. La PEP des élèves des deux groupes expérimentaux s’est également accrue par rapport au groupe témoin entre le T1 et le T2, avec de d de Cohen de 0,20 pour le groupe expérimental avec écriture collaborative et de 0,14 pour le groupe expérimental avec écriture individuelle.

Ces écarts statistiques laissent toutefois dans l’ombre une retombée documentée de l’enseignement explicite (Graham & Harris, 2017) : le renforcement des capacités d’autorégulation des élèves. Ce sont les études de cas fines, réalisées au moyen d’entretiens métascripturaux, qui nous ont permis de comprendre si l’intervention a généré une amélioration des capacités d’autorégulation, elles-mêmes fortement liées à la performance en écriture (MacArthur & Graham, 2016 ; Zimmerman & Risemberg, 1997). Les verbalisations des élèves portent les traces de leur activité de monitorage, de la conscience qu’ils ont des stratégies utilisées et des questions qu’ils se posent pour vérifier la qualité de leur travail. Cette relation est aussi cohérente théoriquement avec les modèles d’enseignement explicite comme le SRSD qui sont couplés aux stratégies d’autorégulation et dont l’efficacité s’avère plus élevée que celle des modèles d’intervention ne prenant pas en compte les stratégies d’autorégulation (De Smedt & Van Keer, 2018b ; Graham & Harris, 2017).

Si les tailles d’effet pour la performance en écriture ne permettent pas de percevoir cette activité autorégulatrice, les entretiens la mettent en lumière et montrent une progression après l’enseignement explicite. C’est à cet égard que notre devis mixte nous permet de jeter un éclairage plus riche sur les données quantitatives – la progression des performances en écriture et de la PEP des élèves – à l’aide de données qualitatives. Celles-ci nous servent alors d’exemples, analysées dans le détail à l’aide de critères qui découpent les stratégies enseignées, pour comprendre comment l’autorégulation se déploie derrière les grandes tendances statistiques dégagées dans notre échantillon de 483 élèves. Ainsi, si les tailles d’effet masquent les individualités, les entretiens permettent de donner une voix aux élèves pour comprendre comment ils réfléchissent leur activité d’écriture.

C’est là une originalité de notre étude. Les chercheurs ayant recouru aux entretiens métagraphiques se sont intéressés à la conscience qu’avaient de jeunes élèves de l’orthographe (voir p. ex., Jaffré & David, 1999 ; Morin, 2005). L’utilisation de la méthode de la pensée à voix haute (Think aloud protocol) en écriture vise surtout à étudier la maitrise qu’ont les élèves des différentes phases du processus d’écriture (Roussel, 2017). Les capacités d’autorégulation sont en fait peu étudiées au moyen d’entrevues : par exemple, McKeown et al. (2016) recourent à un devis mixte pour étudier l’effet du SRSD, mais les capacités d’autorégulation ne sont pas étudiées. Ce sont les textes des élèves qui sont analysés pour comprendre les composantes de l’écriture qui se sont améliorées ou, dans d’autres cas, les pratiques efficaces des enseignants (voir Graham et al., 2016 pour une recension). Les entretiens nous permettent d’obtenir des informations plus fines que des questionnaires sur la maitrise des stratégies d’autorégulation (voir p. ex., Feng Teng et al., 2022) et de comprendre le niveau d’autorégulation atteint par les élèves, avec des exemples tirés de leur discours.

Enfin, la légère hausse de la perception d’efficacité personnelle (PEP) observée dans les deux GE par rapport au GT est cohérente avec la progression observée dans les capacités d’autorégulation des élèves : un élève qui exerce plus de contrôle sur son activité d’écriture sera plus enclin à se croire capable de réussir (MacArthur & Graham, 2016). Si, globalement, les élèves des deux GE améliorent leur PEP davantage que ceux du GT, les exemples d’autorégulation tirés des entretiens appuient le lien abondamment documenté entre performance en écriture et PEP (Zimmerman & Risemberg, 1997). Nous n’aurions pu soutenir cette relation sans les données contrastées issues de notre devis mixte.

Précisons enfin que les élèves du GT se sont aussi améliorés quant à leurs capacités d’autorégulation. S’ils sont moins nombreux que les élèves des deux GE à avoir connu de bonnes progressions, ils se sont néanmoins améliorés. Il ne s’agit pas là à notre avis d’une donnée aberrante, en ce sens où la progression moyenne en écriture des élèves du GT est très forte (d de Cohen de 0,89 entre le T1 et le T2). C’est donc dire que les enseignantes du groupe témoin ont été en général très efficaces dans leur enseignement, car leurs élèves ont fortement progressé – moins toutefois que ceux des deux GE –, d’autant plus que les classes du GT sont en moyenne plus favorisées que celles des deux GE. Il n’est donc pas surprenant que certains élèves du groupe témoin aient développé des capacités d’autorégulation. Seulement, notre étude montre que l’enseignement explicite tel que l’ont implanté les enseignantes des deux GE est plus efficace que les interventions des enseignantes du GT – d de Cohen de 0,56 et de 0,40 au T2 lorsque chacun des GE est comparé avec le GT. Aussi, plus d’élèves des deux GE connaissent des progressions marquées de leurs capacités d’autorégulation par rapport à ceux du GT.

Les limites de notre étude

Le genre même de l’entretien métascriptural présente certaines limites, parce que les élèves sont amenés à pratiquer un genre de discours auquel ils ne sont pas accoutumés (Roussel, 2017). Ils ne savent pas trop quoi verbaliser devant certaines questions de l’intervieweuse qui portent sur des enjeux d’écriture qui échappent probablement à leur contrôle ou à propos desquels ils n’ont jamais été amenés à réfléchir (Falardeau et al., 2014) – quoique cet effet s’estompe au post-test alors que les élèves ont déjà eu une pratique au prétest. De plus, certains élèves se sont peut-être référés, dans leurs verbalisations, à des pratiques d’écriture générales qui ne sont pas nécessairement celles qu’ils ont utilisées lors de la tâche commentée (Roussel, 2017). Aussi, certains élèves étaient peut-être moins enclins à partager leurs idées avec un étranger.

Un autre écueil réside dans le risque de se focaliser, dans l’analyse des données qualitatives, sur les améliorations des groupes expérimentaux qui valideraient les résultats statistiques. C’est pourquoi nous avons rapporté un tableau global qui montre que les élèves du GT se sont aussi améliorés, même si nous observons un déplacement entre le GT et le GE collaboratif en ce qui concerne le nombre de critères à propos desquels les élèves interrogés ont progressé. Il ne faut pas oublier à cet égard que les performances des groupes du GT se sont fortement améliorées entre le T1 et le T2 parce que les enseignantes ont recouru à des pratiques d’enseignement efficaces, souvent apparentées aux ateliers d’écriture, et qu’elles enseignent dans des milieux plus favorisés.

Conclusion

L’objectif de cette contribution était de montrer en quoi un devis mixte séquentiel explicatif permet d’éclairer, à l’aide de données qualitatives, des résultats statistiques portant sur la progression de la performance en écriture des élèves, de leur perception d’efficacité personnelle et de leurs capacités d’autorégulation, selon qu’ils aient suivi ou non un enseignement explicite et qu’ils aient été accompagnés ou non pour apprendre à fournir de la rétroaction à leurs pairs. Pour ce faire, nous avons croisé des résultats quantitatifs, qui visent à mesurer la progression de la performance en écriture des élèves ainsi que leur perception d’efficacité personnelle (PEP), et des données qualitatives, issues d’entretiens métascripturaux, qui visent à recueillir des traces de l’activité d’autorégulation des élèves avant et après intervention. Malgré les limites que nous avons énoncées quant à la conduite de nos entretiens, nous pensons que ces derniers parviennent à jeter un éclairage plus riche sur les retombées du modèle d’enseignement explicite que nous avons expérimenté, avec ou sans rétroaction par les pairs. D’une part, les données statistiques montrent un effet net de l’enseignement explicite, sans toutefois dégager d’effet de la rétroaction par les pairs. D’autre part, les entretiens avec les élèves permettent de dégager des traces claires de leur activité d’autorégulation et de la progression de cette dernière au terme de l’intervention – tout en gardant à l’esprit que les élèves des groupes témoins se sont eux aussi améliorés sur ce plan, mais dans une moindre mesure selon les chiffres rapportés dans le tableau 3.

En définitive, pour parvenir à mesurer les effets d’interventions enseignantes sur les capacités en écriture des élèves, en travaillant avec des échantillons conséquents qui permettent une certaine généralisation, nous devons mener à la fois des études statistiques et des études de cas pour comprendre finement l’activité scripturale des élèves. Car seul le discours des élèves peut nous informer sur leur activité d’autorégulation, parole complexe et subtile qui requiert une relance des questions, une analyse de discours minutieuse, des contraintes qui se prêtent mal à une enquête à large échelle. C’est pourquoi nous jugeons qu’un devis mixte comme celui que nous avons utilisé dans cette étude contribue à une meilleure compréhension des effets de l’enseignement explicite que le recours à une seule analyse statistique ; cette dernière ne nous informe que sur la progression des élèves quant à leur performance en écriture entre un T1 et un T2, écartant du portrait toute la densité de leur activité réflexive, qui est au coeur des apprentissages visés.