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Introduction

Dans toutes les disciplines, le doctorat est de plus en plus considéré comme le moyen de former des chercheurs scientifiques qualifiés, puisqu’au terme de leur formation, les doctorants diplômés assument généralement des rôles professionnels comme scientifiques, que ce soit dans le milieu universitaire, dans l’industrie ou au sein du gouvernement (Holley, 2009). Par ailleurs, un nombre croissant de recherches portent sur le sentiment de communauté scientifique chez les doctorants, concept défini comme la perception d’adhérer à la communauté scientifique non seulement en en faisant partie, mais aussi en bénéficiant de son soutien et en y apportant une certaine contribution (Stubb, 2012). Le sentiment de communauté scientifique des doctorants représente ainsi leur bien-être social, lequel fait référence à un fonctionnement positif qui implique un sentiment d’intégration, de contribution, de cohérence, d’actualisation et d’acceptation au sein d’une société (Keyes, 2014). Les données disponibles, majoritairement issues d’études qualitatives, suggèrent que le fait de se sentir intégré à la communauté scientifique est essentiel dans le parcours doctoral, tant pour la persévérance en recherche que pour le bien-être psychologique des doctorants (Cornér et al., 2017 ; Pyhältö & Keskinen, 2012). Dans le même sens, l’étude quantitative de Sverdlik et al. (2020) a révélé que le niveau perçu d’appartenance à la communauté scientifique, l’une des composantes du sentiment de communauté scientifique, prédit négativement les symptômes de dépression, de stress et de maladie chez les doctorants. Ces résultats sont préoccupants, considérant le fait que la détérioration de la santé mentale est un important facteur de risque de l’intention d’abandonner le doctorat (González-Betancor & Dorta-González, 2020 ; Litalien & Guay, 2015), affectant ainsi le progrès scientifique et, ultimement, la société entière (Gallea et al., 2021).

Si ces données révèlent que les chercheurs reconnaissent l’importance du sentiment de communauté scientifique, il est frappant de constater l’absence de mesure directe de ce construit à l’aide d’un instrument susceptible d’en capter les différentes composantes. La présente étude entendait combler cette lacune en oeuvrant au développement et à la validation d’un nouvel outil de mesure du sentiment de communauté scientifique spécialement adapté au contexte doctoral.

Contexte théorique

La conceptualisation et la mesure de la communauté scientifique

Une communauté se définit comme un regroupement de personnes partageant un engagement envers des normes et des valeurs spécifiques (Bucchi, 2014). Un tel regroupement marqué par une homogénéité interne peut se former dans différents contextes : géographique (Talò et al., 2014), professionnel (Boyd & Nowell, 2013) ou académique (Boyd et al., 2022).

La communauté scientifique

Plus spécifiquement, en contexte académique, la communauté scientifique est l’entité complexe qui regroupe l’ensemble des personnes qui font de la recherche scientifique dans une discipline donnée (McAlpine & Norton, 2006). Selon les travaux de Merton (1973) et les écrits subséquents quant à l’évolution de la communauté scientifique (Bucchi, 2014), les normes et les valeurs des chercheurs sont de faire progresser les connaissances scientifiques et d’adhérer à des pratiques rigoureuses pour obtenir un niveau suffisant de preuves avant de tirer des conclusions définitives à propos d’un résultat de recherche.

Figure 1

La communauté scientifique pour les doctorants

La communauté scientifique pour les doctorants

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La communauté scientifique constitue le principal environnement des doctorants (Stubb, 2012), comprenant diverses sous-communautés académiques comme le superviseur de thèse, le laboratoire/groupe de recherche de ce dernier, le département (incluant les membres du corps professoral et les étudiants de leur programme doctoral), l’université et la discipline. La figure 1, inspirée de White et Nonnamaker (2008, p. 358), illustre ces relations.

Le sentiment de communauté scientifique

Les recherches de McMillan et Chavis (1986) sur le concept de sentiment de communauté (sense of community) en contexte de voisinage sont considérées comme une contribution majeure à la compréhension de ce concept. Ces chercheurs ont défini le sentiment de communauté comme un sentiment d’intégration à un regroupement. Selon leur modèle, le sentiment de communauté est déterminé par quatre composantes, soit l’appartenance, l’influence, la satisfaction des besoins et la connexion émotionnelle. Chavis et d’autres collaborateurs ont ensuite développé un questionnaire pour mesurer ce construit, soit le Sense of Community Index 2 (Chavis et al., 2008). Cet outil comprend 24 items prévus pour refléter les quatre composantes, et ce, à l’aide d’une échelle de Likert allant de 1 = pas du tout à 4 = complètement. Les travaux de McMillan et Chavis ont été largement cités dans la littérature et ont influencé de nombreuses recherches ultérieures sur le sentiment de communauté de divers groupes sociaux.

En s’inspirant de la définition du sentiment de communauté de McMillan et Chavis (1986), il est possible d’inférer que, si la communauté scientifique désigne l’entité qui regroupe l’ensemble des scientifiques, le sentiment de communauté scientifique, quant à lui, réfère au sentiment d’identification envers ce regroupement. Vu la popularité des travaux de McMillan et Chavis, leur théorie en quatre composantes et l’outil en découlant sont susceptibles de guider l’élaboration d’un outil de mesure du sentiment de communauté scientifique chez les doctorants.

L’appartenance

Le premier élément permettant de définir le sentiment de communauté est l’appartenance, c’est-à-dire le sentiment d’être intégré au groupe et de s’identifier aux membres (membership, McMillan & Chavis, 1986). Pour éprouver un sentiment de communauté scientifique, les doctorants doivent donc percevoir qu’ils font partie intégrante de la communauté scientifique (belongingness, White & Nonnamaker, 2008). Grâce à un processus de socialisation à la recherche, ils doivent notamment ressentir qu’ils adhèrent (relatedness), fièrement et pour longtemps, à la culture dominante de la communauté scientifique, que ce soit sur le plan des valeurs, des priorités, des besoins ou des objectifs (Boyd & Nowell, 2013 ; Holley, 2009). Sur le plan de la mesure, l’appartenance perçue à la communauté scientifique a été évaluée par Sverdlik et al. (2020) à l’aide d’une échelle autorapportée de six items (Perceived scholarly belongingness ; α = 0,89 ; 1 = pas du tout d’accord à 6 = tout à fait d’accord). Des exemples d’items (traduits en français par les auteures) sont : « J’ai l’impression d’être un membre de cette communauté scientifique. » et « Je partage des caractéristiques avec d›autres membres de cette communauté scientifique. ».

L’influence

Le deuxième élément définissant le sentiment de communauté est l’influence, soit le sentiment d’être important, de faire une différence pour le groupe par son investissement personnel (influence, McMillan & Chavis, 1986). Ainsi, en contexte doctoral, les étudiants doivent croire qu’ils ont une certaine influence au sein de la communauté scientifique, grâce à leur participation et à leur implication dans divers contextes (Vekkaila et al., 2013). C’est notamment en s’engageant dans leurs sous-communautés scientifiques (par exemple, des groupes de recherche) que les doctorants peuvent trouver leur rôle unique au sein de ces sous-communautés et, plus largement, au sein de la communauté scientifique (McAlpine & Amundsen, 2009). Dans leur étude auprès de 669 doctorants, Pyhältö et Keskinen (2012) ont mesuré le sentiment d’implication relationnelle des doctorants dans leur communauté universitaire à l’aide de l’échelle Sense of Relational Agency in Their Scholarly Communities. Bien qu’aucun item ne soit rapporté, les auteurs décrivent le construit comme la perception que les doctorants ont de leur rôle en tant que membres importants de la communauté scientifique et, plus précisément, en tant qu’agents actifs dont les idées et les contributions sont importantes.

La satisfaction des besoins

Le troisième élément nécessaire au sentiment de communauté est la satisfaction des besoins (integration and fulfillment of needs). En effet, selon McMillan et Chavis (1986), le sentiment de communauté sera accru si une personne perçoit que les membres de sa communauté peuvent répondre à ses besoins, grâce à leurs compétences. En ce sens, les doctorants bénéficient de plusieurs types d’activités de supervision, et ce, de la part de différents acteurs de la communauté scientifique (Cornér et al., 2017) qui peuvent combler les besoins de formation, de sécurité et de reconnaissance (Boyd & Nowell, 2013). Considérant le fait que les besoins des doctorants se rapportent plus spécifiquement au soutien offert pour mener à bien leur recherche et pour se développer sur le plan professionnel, Overall et al. (2011) ont développé une échelle mesurant la perception du soutien académique des doctorants. Cette échelle comporte 16 items (α = 0,94  ; 1 = fortement en désaccord, 4 = ni d’accord ni en désaccord, 7 = fortement d’accord) qui évaluent dans quelle mesure un superviseur se rend disponible, offre du soutien, fournit de la rétroaction, propose des conseils et contribue au succès professionnel du doctorant de façon générale. Comme elle est fondée sur la définition de la communauté scientifique proposée par White et Nonnamaker (2008), la satisfaction des besoins des doctorants irait toutefois au-delà du superviseur doctoral pour inclure également l’influence du contexte provenant du groupe de recherche, du département, de la discipline, etc.

La connexion émotionnelle

Le dernier élément du sentiment de communauté selon McMillan et Chavis (1986) est la connexion émotionnelle (shared emotional connection), soit la perception des membres de passer du temps ensemble dans des lieux communs et de développer des liens d’amitié et une confiance mutuelle (Boyd & Nowell, 2013). Cette composante s’applique bien à une communauté de voisinage ou à d’autres formes de communautés proximales. Dans le contexte doctoral, ce concept a fait l’objet d’un développement de mesure par Terrell et al. (2009), auteurs d’une échelle de 17 items ayant pour but d’évaluer le niveau perçu de connexion des doctorants au corps étudiant et professoral de leur département universitaire (Doctoral Student’ Connectedness Scale, α = 0,87 ; 1 = pas du tout d’accord à 5 = tout à fait d’accord). Des exemples d’items (traduits en français par les auteures) sont : « Je me sens connecté aux autres doctorants. » et « Je sens que je peux faire confiance aux professeurs pendant que je travaille sur ma thèse. ». La connexion émotionnelle peut donc être évaluée dans une sous-communauté scientifique proximale comme le département. Il reste cependant à examiner si cette composante trouve sa place dans le sentiment de communauté scientifique, entité possiblement trop distante pour y développer des liens intimes signifiants (Terrell et al., 2009 ; Vallières et al., 2022).

En s’appuyant sur le contexte théorique tout juste exposé, l’objectif de la présente étude était de procéder au développement et à la validation empirique de l’Échelle du sentiment de communauté scientifique (ÉSCS) auprès d’un échantillon de doctorants.

Méthodologie

Cette section expose le processus de développement de l’ÉSCS fondé sur les étapes proposées par DeVellis et Thorpe (2021). Puis, les informations relatives aux participants, à la procédure de collecte de données et aux analyses qui ont été menées sont fournies.

La procédure de développement du questionnaire

La clarification du construit à mesurer, la génération du bassin d’items et la sélection d’un format de mesure

Conformément à la structure en quatre composantes du sentiment de communauté, les items de l’ÉSCS ont été élaborés pour former quatre sous-échelles. Pour ce faire, les items des échelles disponibles (rapportées dans le contexte théorique) ont été consignés, traduits en français et adaptés au contexte de la communauté scientifique chez les doctorants. Pour traduire l’ensemble des items, la méthode double traduction (Vallerand, 1989) a été utilisée par deux traductrices, en anglais et en français. La première auteure de cet article a traduit les items de l’anglais au français. La deuxième traductrice, n’ayant pas eu accès aux échelles originales, a ensuite retraduit les items du français vers l’anglais. Les deux traductions ont ensuite été comparées afin de repérer s’il y avait des différences entre les items initiaux et ceux qui ont été rétrotraduits. Le cas échéant, des modifications ont été apportées pour assurer l’équivalence sémantique et conceptuelle des items traduits. De plus, les recommandations de DeVellis et Thorpe (2021) quant à la formulation des items ont été suivies, notamment afin de s’assurer que plusieurs items couvrent les contenus mesurés et que l’ensemble des items soit formulés à l’aide du pronom « je ». Tout comme pour l’échelle de Terrell et al. (2009), l’ÉSCS propose une échelle de Likert unipolaire en cinq points, soit 1 = pas du tout, 2 = légèrement, 3 = moyennement, 4 = largement et 5 = complètement. La consigne de départ de l’ÉSCS a été adaptée de Chavis et al. (2008), afin de cerner le sentiment de communauté spécifique au contexte scientifique : « À quel point chacune des affirmations suivantes représente-t-elle ce que vous ressentez à l’égard de la communauté scientifique ? ». Comme l’ont soulevé Pyhältö et Keskinen (2012), les doctorants peuvent interpréter de façon différente la définition de la communauté scientifique, allant du superviseur de thèse à la grande communauté scientifique. C’est pourquoi, sous la consigne, la définition suivante était fournie :

La communauté scientifique désigne, dans un sens large, l’ensemble des chercheurs, y compris les apprentis (doctorants), qui mènent des travaux de recherche scientifique. Dans ce qui suit, nous vous invitons donc à vous référer à l’ensemble des groupes scientifiques auxquels vous appartenez, p. ex. : votre comité de supervision de thèse, votre laboratoire ou groupe de recherche, votre cohorte de programme, les associations de recherche dans votre discipline, etc.

La révision du bassin d’items par un comité d’experts et l’administration d’entrevues cognitives

Suivant les recommandations de DeVellis et Thorpe (2021), cinq chercheuses détenant une expertise concernant l’aspect psychosocial de l’enseignement supérieur ont examiné tous les items afin de s’assurer que ceux-ci couvrent l’ensemble du construit en fonction des sous-concepts visés dans l’ÉSCS (validité de contenu). L’ÉSCS a ensuite été pilotée auprès de 10 doctorants issus de diverses disciplines et universités (entrevues dites cognitives par DeVellis et Thorpe, 2021). À titre de répondants potentiels de l’étude, ces participants ont offert de la rétroaction sur la façon dont ils interprétaient et comprenaient les items. Cela a permis d’apporter des modifications finales à quelques items qu’il fallait clarifier.

L’inclusion d’indices supplémentaires de validation

DeVellis et Thorpe (2021) suggèrent d’inclure dans le sondage d’autres échelles afin d’examiner la validité prédictive, qui se traduit par la capacité du nouvel instrument à prédire un construit différent, ainsi que la validité concourante, qui consiste en l’association entre le nouvel instrument et un autre instrument validé mesurant un construit similaire. Deux échelles validées en contexte québécois ont donc été ajoutées au sondage. Pour examiner la validité prédictive de l’ÉSCS, l’Échelle de santé psychologique au doctorat (8 items, ω = 0,91 ; Vincent et al., soumis) a été jointe au sondage étant donné qu’il s’agit d’une mesure de l’anxiété, de la dépression et du bien-être psychologique au doctorat. Des exemples d’items sont « Je me sens préoccupé, anxieux » (item inversé) et « Je me sens équilibré émotivement ». Puis, pour évaluer la validité concourante de l’ÉSCS, l’Échelle d’acceptation sociale (5 items, α =0 ,89  ; Richer & Vallerand, 1998) a été retenue, vu sa grande popularité pour examiner le sentiment d’appartenance à une communauté. La consigne « Dans mes relations avec d’autres chercheurs, y compris les doctorants, je me sens… » précédait les cinq termes suivants : « appuyé », « estimé », « en confiance », « écouté » et « compris ».

DeVellis et Thorpe (2021) suggèrent aussi d’examiner la stabilité des réponses des participants en examinant la fidélité test-retest de l’instrument. Ces mêmes auteurs recommandent d’examiner la stabilité temporelle de la structure de l’instrument selon une caractéristique des participants susceptible de procurer une compréhension différente du construit mesuré. Ainsi, les participants ont rempli deux fois le questionnaire, à trois semaines d’intervalle. De plus, une question a été ajoutée pour mesurer le degré d’avancement au doctorat, une variable qui pourrait non seulement influencer le sentiment de communauté scientifique, mais aussi la structure de l’ÉSCS.

L’administration du questionnaire

En accord avec le Comité d’éthique de la recherche pour les projets étudiants impliquant des êtres humains (certificat éthique numéro 2022-3687), nous avons transmis l’affiche de recrutement, ainsi que l’hyperlien vers le questionnaire par courriel ou via les réseaux sociaux à de nombreuses associations étudiantes de cycles supérieurs et à une diversité de programmes doctoraux d’universités situées principalement au Québec, mais également en Ontario. Suivant les recommandations de DeVellis et Thorpe (2021), nous visions un échantillon d’au moins 300 répondants.

La plateforme LimeSurvey a été utilisée pour administrer le questionnaire en ligne entre le 20 juillet et le 30 septembre 2022. Il comprenait le formulaire de consentement, des questions sociodémographiques (âge, genre, etc.) et académiques (date d’entrée au doctorat, université d’attache, discipline, etc.), ainsi que les instruments susmentionnés, soit l’ÉSCS, l’Échelle d’acceptation sociale et l’Échelle de santé psychologique au doctorat. À la fin du sondage, les participants devaient laisser leur courriel pour pouvoir être contactés trois semaines après le temps 1 avec un nouveau lien vers le questionnaire du temps 2.

Les participants

Dans l’ensemble, 318 participants ont pris part au premier temps de mesure. Aucune donnée manquante n’a été relevée puisque les participants devaient répondre à tous les items pour pouvoir passer à la prochaine section du questionnaire. Leurs caractéristiques sociodémographiques sont rapportées dans le tableau 1. Parmi ces participants, 265 (83,33 %) d’entre eux ont complété le questionnaire du temps 2 ayant pour but d’évaluer la fidélité test-retest.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des participants (N = 318)

Caractéristiques sociodémographiques des participants (N = 318)
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Le tableau 1 révèle que la proportion la plus grande des participants à l’étude était composée de personnes qui s’identifient comme femme et qui étudient en SACHES, rejoignant les observations de Statistique Canada (2017) selon lesquelles les femmes étudient en plus grand nombre que les hommes dans ces domaines. Également, au vu des proportions de personnes appartenant à des groupes minoritaires, l’échantillon apparaît bien diversifié. L’âge moyen des participants était de 32,12 ans (écart-type de 7,27).

Les analyses

Nous avons examiné cinq formes de la validité de construit et trois formes de fidélité de l’ÉCSC.

La validité de construit

Premièrement, des analyses descriptives, incluant la moyenne, les écarts-types, l’asymétrie, l’aplatissement et les corrélations entre les items ont permis d’examiner la performance des items.

Deuxièmement, la validité factorielle a été étudiée au moyen d’une analyse factorielle exploratoire (AFE). En amont, pour s’assurer que les conditions d’utilisation de l’AFE étaient respectées, le test de sphéricité de Bartlett et l’examen de l’indice de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) ont été réalisés. Un test de sphéricité de Bartlett statistiquement significatif indique qu’il existe des corrélations suffisantes entre les items pour poursuivre. L’indice de qualité d’échantillonnage des variables KMO permet quant à lui d’estimer dans quelle mesure les dimensions présentes dans les données sont appuyées sur plus de deux items. L’indice minimal recommandé est 0,6 (Achim, 2020). L’AFE a été utilisée en appliquant une rotation Oblimin, tel que suggéré lorsque les facteurs sont corrélés entre eux (Hair et al., 2019) comme le sont les dimensions du sentiment de communauté (Chavis et al., 2008). Dans cette AFE, une méthode d’extraction des facteurs par factorisation en axes principaux (Achim, 2020) a été utilisée, puisqu’elle permet de déterminer le nombre et la nature des facteurs expliquant le réseau de corrélations parmi l’ensemble des items à l’étude. Ainsi, dans la présente étude, l’AFE visait à examiner la structure de l’ÉSCS en plusieurs sous-échelles représentant les composantes théoriques du sentiment de communauté scientifique. Tel que suggéré par Hair et al. (2019), dans chaque sous-échelle, seuls les items procurant un coefficient de saturation supérieur au seuil de 0,40 ont été conservés. De plus, les items qui procuraient une saturation dans plus d’un facteur ont été retirés, puisqu’ils sont considérés comme étant problématiques. L’élimination d’items est encouragée lorsqu’elle permet d’obtenir une structure cohérente et interprétable d’un point de vue conceptuel (Hair et al., 2019). Puis, une analyse factorielle confirmatoire (AFC) de second ordre a été réalisée afin de valider la structure multidimensionnelle de l’ÉSCS, c’est-à-dire pour confirmer que les sous-échelles identifiées représentent bien les composantes du sentiment de communauté scientifique, tout en tenant compte de la variance non expliquée par les items (Hair et al., 2019). Le cas échéant, l’instrument revêt une utilité supplémentaire puisqu’un score total peut être dérivé de l’ensemble des items retenus. Pour interpréter l’AFC, l’ajustement du modèle aux données a été évalué à l’aide du khi carré (χ²), de l’indice d’ajustement comparatif (comparative fit index - CFI), de la valeur moyenne quadratique pondérée (standardized root mean square - SRMR) et de l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (root mean square error of approximation - RMSEA). Selon Hair et al. (2019), dans le cas d’un échantillon supérieur à 250 participants et d’un modèle comprenant entre 12 et 30 variables (items ou variables latentes), un bon ajustement du modèle aux données se traduit par un khi carré (χ²) significatif, un CFI ou TLI > 0,94, un SRMR < 0,08 et un RMSEA < 0,07.

Troisièmement, pour s’assurer que les sous-échelles de l’ÉSCS mesuraient bien des composantes distinctes du sentiment de communauté scientifique, la validité discriminante a été examinée à l’aide de la moyenne de la variance extraite (average variance extracted - AVE), soit la part de la variance des indicateurs qui peut être expliquée par sa composante (Fornell & Larcker, 1981). Ainsi, l’AVE de chaque sous-échelle doit être plus grande que sa corrélation avec les autres sous-échelles pour fournir une preuve empirique de leur validité discriminante (Hair et al., 2019).

Quatrièmement, une matrice de corrélations a été générée entre les sous-échelles de l’ÉSCS, l’Échelle de santé psychologique au doctorat et l’Échelle d’acceptation sociale. L’objectif était double : 1) examiner la validité prédictive et 2) examiner la validité concourante (DeVellis & Thorpe, 2021). D’une part, à l’instar du processus adopté par Cabot et Facchin (2021), nous souhaitions vérifier si l’ÉSCS pouvait prédire une bonne santé psychologique au doctorat, tel que Sverdlik et al. (2020) l’ont rapporté à l’aide d’une corrélation modérée (r = 0,26) entre la santé mentale et le sentiment d’appartenance au doctorat. D’autre part, à l’instar du processus réalisé par Kindelberger et Picherit (2016), nous souhaitions vérifier si l’ÉSCS et l’Échelle d’acceptation sociale, deux échelles mesurant des construits similaires, étaient significativement corrélées. Pour indiquer une validité concourante satisfaisante, nous recherchions un coefficient de Pearson d’une valeur supérieure à 0,40 (DeVellis & Thorpe, 2021).

La fidélité

Cinquièmement, la cohérence interne de chacune des sous-échelles a été évaluée à l’aide de l’indice de fidélité oméga (ω) de McDonald (Hayes & Coutts, 2020) recommandant, comme pour l’alpha de Cronbach, un seuil de 0,70 pour indiquer une bonne fidélité (Hair et al., 2019).

Sixièmement, suivant la même procédure que Kindelberger et Picherit (2016), la fidélité test-retest à trois semaines d’intervalle a été évaluée en mesurant la corrélation à l’aide du coefficient de Pearson (r) entre les scores à l’ÉSCS aux deux temps d’administration. Puisqu’un instrument psychométrique fidèle doit produire les mêmes résultats chez une même personne à deux moments rapprochés dans le temps, il était attendu que les scores obtenus par chaque participant dans un intervalle rapproché procureraient des coefficients de corrélation supérieurs à 0,70 (DeVellis & Thorpe, 2021).

Finalement, pour examiner la stabilité temporelle de l’ÉSCS et s’assurer que ses items avaient la même signification pour les doctorants en période de scolarité que pour les doctorants en période de rédaction, une analyse d’invariance a été réalisée selon l’avancement au doctorat (variable binaire). Les modèles d’invariance configurale, métrique, scalaire et stricte ont été testés en évaluant l’ajustement global du modèle à l’aide du χ2, du CFI, du RMSEA et de la SRMR. Par ailleurs, comme l’ont suggéré Putnick et Bornstein (2016), les modèles d’invariance métrique, scalaire et stricte doivent faire l’objet d’une comparaison des niveaux consécutifs d’invariance. Pour accepter l’hypothèse d’invariance, le ΔCFI ne doit pas diminuer de plus de 0,01, le ΔRMSEA ne doit pas augmenter de plus de 0,02 et le ΔSRMR ne doit pas augmenter de plus de 0,03 pour l’invariance métrique et de 0,015 pour l’invariance scalaire.

Toutes les analyses ont été réalisées au moyen du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS), version 28 (IBM®, 2021-2022), hormis l’AFC et l’analyse d’invariance de l’ÉSCS selon la variable « niveau d’avancement au doctorat », lesquelles ont été menées à l’aide du logiciel Mplus, version 8.8.

Résultats

Cette section expose les qualités psychométriques de l’ÉSCS.

Examen des items : comment se comporte chaque item ?

En premier lieu, les analyses descriptives ont été menées. Le tableau 2 ci-dessous fait état de la moyenne (μ) sur 5, de l’écart-type (σ), de l’asymétrie et de l’aplatissement de chaque item.

Tableau 2

Moyennes (μ), écarts-types(σ), coefficients d’asymétrie et d’aplatissement

Moyennes (μ), écarts-types(σ), coefficients d’asymétrie et d’aplatissement

Tableau 2 (continuation)

Moyennes (μ), écarts-types(σ), coefficients d’asymétrie et d’aplatissement
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Les résultats indiquent que les moyennes se situaient près du centre de l’échelle de Likert, ce qui est souhaitable pour démontrer une bonne discrimination (DeVellis & Thorpe, 2021). Quant à l’asymétrie et à l’aplatissement de chaque item, les valeurs se situaient entre -1 et 1, donc à l’intérieur des limites suggérées par Hair et al. (2019).

Le tableau 3, en annexe, expose la matrice de corrélations entre items. Trois items présentaient de très fortes corrélations entre eux, précisément, l’item 16 avec l’item 17 (r = 0,90) et avec l’item 19 (r = 0,80). Compte tenu de la grande similarité de ces trois items, les items 17 et 19 ont été supprimés pour éviter la redondance dans l’ÉSCS. Les autres corrélations étaient comprises entre 0,28 à 0,78.

La validité factorielle : la structure de l’ÉSCS est-elle conforme à la théorie ?

Pour répondre à cette question, la validité factorielle exploratoire et la validité factorielle confirmatoire ont été examinées.

La structure factorielle exploratoire

Les résultats du test de sphéricité de Bartlett ( p < 0,000) et l’examen de l’indice de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO = 0,929) ont révélé des résultats satisfaisants, justifiant la réalisation de l’AFE. La matrice des patrons de projections factorielles a suggéré quatre facteurs, comme l’indique le tableau 4. Seuls les coefficients de saturation supérieurs à 0,40 sont présentés pour alléger la présentation. En outre, les coefficients liés à la composante théoriquement attendue sont en gras et rapportés même s’ils sont sous le seuil attendu.

Comme le montre le tableau 4, le premier facteur, Influencer, comprenait sept items comportant un coefficient de saturation supérieur au seuil recherché de 0,40 (Hair et al., 2019). Toutefois, il était attendu que l’item 18 se retrouve plutôt dans le facteur Appartenir. Le deuxième facteur, Bénéficier, comportait huit items possédant tous un coefficient supérieur à 0,40. Or, les deux derniers items (items 11 et 6) présentaient également une inadéquation théorique avec ce facteur, correspondant plutôt à la connexion émotionnelle, dans lequel une cosaturation a été observée. Le troisième facteur possédait six items avec des coefficients de saturation supérieurs à 0,40. Finalement, étant donné la dispersion de ses items dans les autres facteurs, le quatrième facteur, Connecter, n’était composé que de deux items (items 2 et 20) qui procuraient également des indices de saturation dans un autre facteur.

Pour améliorer la structure factorielle, les items problématiques (items 2, 6, 11, 18 et 20) ont été supprimés un à un, en relançant systématiquement une AFE. Les mêmes problèmes d’inadéquation ressurgissaient constamment, jusqu’à ce que tous lesdits items aient été supprimés. Les résultats de l’AFE finale, exposés dans le tableau 5, ont révélé une structure à trois facteurs (Influencer, Bénéficier et Appartenir) comportant chacun six items cohérents avec la théorie.

Tableau 4

Résultats de la matrice des patrons de projections factorielles après rotation de l’analyse factorielle exploratoire initiale

Résultats de la matrice des patrons de projections factorielles après rotation de l’analyse factorielle exploratoire initiale

Tableau 4 (continuation)

Résultats de la matrice des patrons de projections factorielles après rotation de l’analyse factorielle exploratoire initiale
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Tableau 5

Résultats de la matrice des patrons de projections factorielles après rotation de l’analyse factorielle exploratoire finale

Résultats de la matrice des patrons de projections factorielles après rotation de l’analyse factorielle exploratoire finale
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Comme prévu, après avoir supprimé les items problématiques, les résultats ont montré que chaque item procurait un coefficient de saturation élevé uniquement dans le facteur attendu (entre 0,56 et 0,84). De plus, les trois facteurs ont permis d’expliquer respectivement 47,92 %, 8,44 % et 6,04 % de la variance partagée des données, pour un total de 62,41 %.

La structure factorielle confirmatoire

Afin d’examiner la validité empirique de la structure tridimensionnelle de l’ÉSCS, une AFC de second ordre a été menée. Ces données sont exposées dans la figure 2 ci-dessous.

La figure 2 révèle que les charges factorielles étaient toutes assez élevées (< 0,62), ce qui se reproche du seuil recherché de 0,70 (Hair et al., 2019). Quant à l’ajustement du modèle aux données, tous les indices se sont révélés satisfaisants (CFI = 0,94 ; SRMR = 0,05, RMSEA = 0,07 [0,067-0,085], χ² (132) = 371,77, p < 0,001). Ces résultats permettent de confirmer que les trois sous-échelles représentent bien les composantes du sentiment de communauté scientifique, lequel peut donc faire l’objet d’un score composite calculé en combinant l’ensemble des items retenus.

Figure 2

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire de second ordre

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire de second ordre

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La validité discriminante : les sous-échelles de l’ÉSCS mesurent-elles vraiment trois composantes distinctes du sentiment de communauté scientifique ?

Les AVE des sous-échelles Appartenir (0,52), Influencer (0,62) et Bénéficier (0,67) se sont toutes révélées supérieures à la corrélation au carré avec les autres sous-échelles (r2Appartenir-Influencer = 0,41, p < 0,001 ; r2Appartenir-Bénéficier = 0,39, p < 0,001 et r2Influencer-Bénéficier = 0,37, p < 0,001). Ces résultats suggèrent que les sous-échelles de l’ÉSCS expliquaient chacune une plus grande part de la variance associée à leur propre construit que de celle d’autres construits latents, témoignant de la validité discriminante de l’outil (Fornell & Larcker, 1981).

La validité prédictive et concourante : quelles sont les relations entre l’ÉSCS et d’autres construits ?

Le tableau 6 suivant fait état de la matrice de corrélations entre les sous-échelles de l’ÉSCS, l’Échelle de santé psychologique au doctorat (Vincent et al., soumis), ainsi que l’Acceptation sociale (Richer & Vallerand, 1998).

Tableau 6

Score moyen aux échelles, écart-type et matrice de corrélations entre échelles

Score moyen aux échelles, écart-type et matrice de corrélations entre échelles

Note : Toutes les corrélations sont significatives au seuil de p < 0,001.

Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Comme attendu, les trois sous-échelles de l’ÉSCS sont positivement corrélées avec l’Échelle de santé psychologique au doctorat, soutenant leur validité prédictive. De plus, comme prévu, les corrélations sont plus élevées entre les sous-échelles de l’ÉSCS et l’Échelle d’acceptation sociale, un construit théoriquement similaire au sentiment de communauté. Ces derniers résultats apportent donc une preuve de la validité concourante des sous-échelles de l’ÉSCS. Il y a également lieu de constater que les corrélations entre les trois sous-échelles de l’ÉSCS sont positivement corrélées entre elles (> 0,59). Ce résultat implique que plus la perception de bénéficier de soutien dans la communauté scientifique est élevée, plus le sont également la perception d’appartenir à cette entité et la perception d’influencer les autres membres.

La fidélité (cohérence interne) : les items de chaque sous-échelle de l’ÉSCS mesurent-ils tous le même construit de façon cohérente ?

Les indices de fidélité oméga (ω) de McDonald (Hayes & Coutts, 2020) sont élevés, avec des valeurs de ω = 0,91 pour le facteur Influencer, ω = 0,92 pour le facteur Bénéficier, ω = 0,87 pour le facteur Appartenir, ainsi que ω = 0,94 pour l’ensemble des items reflétant le sentiment de communauté scientifique. La cohérence interne est donc satisfaisante pour chaque sous-échelle et pour l’échelle globale.

La fidélité test-retest : les scores aux sous-échelles de l’ÉSCS demeurent-ils stables à trois semaines d’intervalle ?

L’examen des scores à trois semaines d’intervalle a révélé des corrélations élevées, comme attendu. Premièrement, le score d’Influencer au T1 avec le score d’Influencer au T2 a procuré une corrélation de r = 0,81 p < 0,001. Deuxièmement, le score de Bénéficier au T1 est fortement associé au score au T2 de la même échelle (r = 0,77, p < 0,001). Troisièmement, le score d’Appartenir au T1 avec le score d’Appartenir au T2 a révélé une corrélation de r = 0,81, p < 0,001. Finalement, le score total à l’ÉSCS au T1 et au T2 a produit une corrélation de r = 0,84, p < 0,001. Dans l’ensemble, ces données révèlent une bonne fidélité test-retest de l’ÉSCS.

La fidélité temporelle : l’ÉSCS a-t-elle la même structure selon l’avancement au doctorat ?

Les résultats de l’analyse d’invariance réalisée en utilisant l’avancement au doctorat comme variable binaire (période de scolarité vs période de rédaction) sont rapportés dans le tableau 7 ci-bas.

Tableau 7

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSCS selon l’avancement au doctorat

Résultats des tests d’invariance de l’ÉSCS selon l’avancement au doctorat
Source : Ce tableau a été élaboré par les auteures

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Comme le rapporte le tableau 7, l’invariance est respectée pour l’ensemble des modèles, ce qui signifie que la structure tridimensionnelle de l’ÉSCS ne diffère pas significativement selon le niveau d’avancement des doctorants (Hair et al., 2019).

Discussion

Cet article a mis en lumière le processus de développement d’un outil pour mesurer le sentiment de communauté scientifique. Pour ce faire, la définition et les caractéristiques du sentiment de communauté scientifique ont d’abord été cernées à l’aide des écrits disponibles portant sur le contexte doctoral. L’établissement de ce cadre théorique a permis le développement de l’ÉSCS en suivant les étapes de Devellis et Thorpe (2021). À l’aide d’un échantillon de 318 doctorants, l’objectif de la présente étude était ensuite d’examiner les qualités psychométriques de l’échelle.

Dans l’ensemble, les résultats ont montré que l’ÉSCS présentait des qualités psychométriques satisfaisantes. En effet, les données issues de l’AFE et de l’AFC ont montré que l’ÉSCS comportait une structure à trois facteurs possédant chacun six items et procurant une bonne cohérence interne. Par ailleurs, les données ont permis de soutenir la validité prédictive du nouvel outil avec la santé psychologique au doctorat (Vincent et al., soumis), ainsi que sa validité concourante avec l’acceptation sociale (Richer & Vallerand, 1998). De plus, la corrélation élevée entre les scores de l’ÉSCS obtenus à trois semaines d’intervalle a témoigné de la fidélité test-retest de l’instrument. Quant à la stabilité temporelle de sa structure, elle s’est également révélée satisfaisante. Ainsi, peu importe le niveau d’avancement au doctorat, la structure de l’ÉSCS est demeurée invariable. La validité discriminante a aussi été considérée comme satisfaisante, les sous-échelles de l’ÉSCS expliquaient chacune une plus grande part de la variance associée à leur propre construit que de celle d’autres construits latents.

Compte tenu de ces données, il s’avère que le sentiment de communauté scientifique se traduit par trois sous-composantes interreliées, soit : 1) la perception d’appartenir, autrement dit, d’adhérer à la culture universitaire, de ressembler et de s’identifier aux autres scientifiques, ainsi que d’être fier d’appartenir à la communauté scientifique ; 2) la perception d’influencer, soit d’avoir un rôle de leader, de contribuer, d’aider d’autres membres, d’être utile et d’être reconnu au sein de la communauté scientifique et 3) la perception de bénéficier de soutien, d’attention et de conseils de la part d’autres membres pour alimenter son propre succès professionnel. De plus, l’ÉSCS apparaît complète en ralliant les trois aspects socioprofessionnels importants du doctorat qui avaient jusqu’alors été étudiés séparément, soit 1) l’appartenance (Sverdlik et al., 2020) ou l’adéquation identitaire à la communauté scientifique (Emmioğlu et al., 2017 ; Gardner, 2008) ; 2) l’implication (Gardner & Barnes, 2007, McAlpine & Amundsen, 2009 ; Pyhältö & Keskinen, 2012) ou l’engagement dans la communauté scientifique (Vekkaila et al., 2013) et finalement, 3) la supervision (Cornér et al., 2017), les conseils d’orientation (guidance, Overall et al., 2011) et le soutien académique dans la communauté scientifique (van Rooij et al., 2019).

Par ailleurs, les trois sous-échelles de l’ÉSCS ont permis de prédire, de façon modérée, l’état de santé psychologique au doctorat, répliquant ainsi les résultats de Sverdlik et al. (2020). De surcroît, notre étude contribue à l’avancement des connaissances quant à l’association entre les différentes composantes du sentiment de communauté scientifique et la santé psychologique au doctorat. Premièrement, les données de la présente étude sont en cohérence avec la recherche de Cornér et al. (2017) établissant un lien entre le sentiment d’appartenance à la communauté scientifique et le bien-être psychologique éprouvé durant l’expérience doctorale. Deuxièmement, nos résultats reproduisent la relation négative entre le sentiment d’implication (influencer) et les symptômes anxieux et dépressifs des doctorants, rapportée par Pyhältö et Keskinen (2012). Troisièmement, les résultats répliquent l’association positive entre le soutien perçu de la part des membres de la communauté scientifique (bénéficier), en particulier les superviseurs et les pairs des doctorants, et leur santé psychologique (Jackman et al., 2022).

Malgré la conformité entre les trois facteurs de l’ÉSCS et les écrits entourant le sentiment de communauté scientifique au doctorat, le construit de connexion émotionnelle, une composante incluse dans la théorie initiale de McMillan et Chavis (1986), s’est révélée problématique. En effet, les items mesurant ce construit ont présenté une cosaturation élevée dans les autres facteurs, un problème psychométrique justifiant leur suppression. Même si ces résultats peuvent paraître surprenants au premier abord, ils pourraient s’expliquer par les particularités du contexte scientifique, qui ne repose pas forcément sur des relations d’amitié. Plus spécifiquement chez les doctorants, la qualité du sentiment de communauté scientifique ne dépendrait pas des liens d’amitié qu’ils perçoivent, un constat cohérent avec la nature solitaire du travail doctoral. En effet, étant appelés à travailler seuls sur leur thèse (Chao et al., 2015), les doctorants sont limités dans la possibilité de développer des liens d’amitié avec les autres membres de la communauté scientifique (Terrell et al., 2009 ; Vallières et al., 2022). Qui plus est, même lorsqu’il est réalisé en collaboration, le travail scientifique ne requiert pas nécessairement de relations d’amitié, mais plutôt des relations professionnelles de bonne qualité. En outre, de telles relations positives reposent davantage sur le soutien perçu des membres de la communauté, un aspect qui est déjà capté par la composante Bénéficier de l’ÉSCS. Cette interprétation est d’ailleurs cohérente avec le fait que deux items de la composante de connexion émotionnelle (soit les items 6 et 11) saturaient justement dans le facteur Bénéficier. Cela souligne le chevauchement conceptuel entre ces deux composantes en contexte de communauté scientifique perçu par les doctorants. Ainsi, même s’il y a lieu de penser qu’il est important de développer des relations d’amitié au doctorat, ces données suggèrent que la connexion émotionnelle n’est pas inhérente au sentiment de communauté scientifique.

Dans l’ensemble, ces résultats soulignent l’importance de tenir compte du contexte dans la mesure du sentiment de communauté. En effet, la théorie de McMillan et Chavis (1986) s’appuyait sur la communauté entre les membres d’un voisinage, un contexte dans lequel les amitiés entre les personnes sont déterminantes. En contrepartie, d’autres contextes, incluant les contextes professionnels, n’impliquent pas nécessairement de telles relations amicales pour générer un sentiment de communauté. Cela étant dit, il est intéressant de constater que les trois autres composantes semblent davantage généralisables à différents contextes. En ce sens, tout comme le sentiment de communauté entre les membres d’un même quartier, le sentiment de communauté scientifique se définit par le regroupement de personnes (appartenir) pouvant y contribuer (influencer) et y obtenir du soutien (bénéficier).

Les limites

Il convient de souligner que l’ensemble des mesures utilisées dans cette étude se fondaient sur des données autorapportées, ce qui risque d’augmenter artificiellement la force des relations entre les variables (Navarro-González et al., 2016). Notamment, il est possible que les participants aient eu des conceptions erronées de leur niveau d’influence dans la communauté scientifique. Pour contourner ce biais, une piste de recherche intéressante serait de vérifier la contribution au groupe de recherche perçue par les autres membres de la communauté scientifique (p. ex., la direction de recherche ou les collègues du groupe de recherche). Le même constat s’applique à l’état de santé psychologique perçu au doctorat. Dans ce cas, il serait possible d’examiner dans quelle mesure l’ÉSCS permet de prédire des construits plus objectifs, comme un marqueur physiologique des troubles de santé mentale tel que le taux de cortisol dans le sang. Une autre limite concerne l’utilisation d’un seul échantillon pour mener à la fois des analyses exploratoires et confirmatoires. Idéalement, les analyses exploratoires sont menées sur un premier échantillon et les analyses confirmatoires sur un second échantillon indépendant (DeVellis & Thorpe, 2021). Ainsi, pour s’assurer de la généralisabilité des résultats, d’autres recherches incluant des échantillons variés seront nécessaires.

Conclusion

Pour conclure sur l’usage de l’ÉSCS et sur l’interprétation des résultats qu’elle procure, l’échelle à 18 items s’avère rapide à compléter. Elle peut permettre de mesurer la perception des participants quant aux trois dimensions du sentiment de communauté scientifique ou la perception globale du sentiment de communauté scientifique en combinant les 18 items pour obtenir un score composite. Qui plus est, il est possible d’utiliser l’ÉSCS afin d’évaluer l’adhésion à la communauté scientifique dans son ensemble tout comme à une sous-communauté scientifique. Dans le premier cas, il suffit d’inviter les participants, à l’aide d’une consigne, à garder en tête que la communauté scientifique désigne l’ensemble des chercheurs qui mènent des travaux de recherche scientifique, comme nous l’avons fait dans cette étude. Dans le second cas, les chercheurs diffusant le questionnaire peuvent inviter les répondants à cibler une sous-communauté scientifique spécifique comme leur programme doctoral, leur département ou leur faculté, une équipe de recherche spécifique, etc.

Peu importe le contexte de communauté scientifique ciblé, le recours à l’ÉSCS peut permettre de brosser un portrait de la situation et, au besoin, de mettre en place des améliorations répondant aux aspects problématiques qui pourraient surgir. Les chercheurs peuvent aussi utiliser l’échelle pour explorer les relations entre les différentes composantes de l’ÉSCS et d’autres indicateurs de réussite doctorale, comme la persévérance dans le programme ou la participation à des activités scientifiques. L’ÉCSC pourrait aussi être utile pour mesurer les effets d’une intervention sur le sentiment de communauté scientifique des doctorants. Par exemple, la participation à une retraite de rédaction, reconnue pour créer un sentiment de communauté entre doctorants (Tremblay-Wragg et al., 2021), pourrait être évaluée en comparant le changement de scores aux sous-échelles de l’ÉSCS avant et après l’intervention, afin d’examiner si elle améliore le sentiment de communauté scientifique. De plus, au-delà des doctorants, l’ÉSCS peut facilement être adaptée aux étudiants d’autres niveaux d’études, tout comme aux professeurs-chercheurs déjà en emploi. Des recherches futures pourraient tester empiriquement l’ÉSCS dans différents contextes et auprès de populations diversifiées. Ultimement, mieux comprendre le rôle de la communauté scientifique est susceptible de profiter à l’ensemble de ses membres pour ainsi favoriser un bien-être social accru dans la profession de chercheur.