Recensions

Shenwen Li, dir., Mozi. Texte intégral traduit, annoté et commenté par Anna Ghiglione. Québec, Les Presses de l’Université Laval (coll. « Études d’histoire et de culture chinoises »), 2018, 624 p.[Record]

  • Raphaël Van Daele

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  • Raphaël Van Daele
    Université Libre de Bruxelles - École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris

Le Mozi 墨子, le livre de Maître Mo, est un corpus étonnant. Composés entre le ve et le iiie siècle AEC, les textes compilés sous le nom de Mo Di 墨翟 (ve-ive AEC) se révèlent d’une grande lucidité et d’une richesse philosophique indéniable, et ce bien qu’ils puissent aussi être tantôt rébarbatifs en raison de leur style sec, souvent répétitifs et parfois mécaniques, tantôt frustrants du fait de leur argumentation occasionnellement sophistique ou de leurs considérations strictement pragmatiques. Soucieux de fournir et de légitimer les axes du bon gouvernement, le Mozi critique sévèrement les comportements dissolus et belliqueux des souverains et des hommes de pouvoir, attaque les confucéens en dénonçant la sophistication excessive et superfétatoire de leurs rites, discute les croyances et les comportements religieux en vigueur dans la société de son temps, tout en jetant les bases d’une théorie de la connaissance et d’une pensée logique sans équivalent en Chine ancienne. Capables de résonner en toute clarté avec d’autres textes mieux connus de l’Antiquité chinoise, les textes du Mozi se font à l’occasion les exégètes des Classiques et les interprètes de la haute Antiquité et des mythes fondateurs de la civilisation chinoise. C’est la textualité complexe de cet ouvrage capital pour l’histoire de la pensée chinoise ancienne que la traduction d’A. Ghiglione rend pour la première fois intégralement accessible au lectorat francophone. L’ouvrage consiste en une traduction de l’ensemble du Mozi tel qu’il nous est parvenu. La table des matières placée en tête de l’ouvrage liste les 71 chapitres supposés avoir composé le corpus moïste, indiquant ceux qui ont été perdus. La traduction des 53 chapitres restants est précédée d’une introduction et d’une chronologie générale de l’histoire chinoise jusqu’à la fondation de la République populaire de Chine (p. 1-44). La traduction du corpus moïste occupe la majeure partie de l’ouvrage (p. 47-549). Chaque chapitre est précédé d’un commentaire succinct, qui en présente le thème, les enjeux, la structure ainsi que, le cas échéant, les problèmes d’ordre philologique. La traduction est suivie d’une bibliographie substantielle (22 p.), reprenant les éditions du texte chinois, les traductions antérieures (souvent partielles) du Mozi en langues occidentales, les ouvrages de référence sur le corpus moïste, ainsi que de nombreuses études, en chinois et en langues occidentales, sur le Mozi et la pensée moïste. À cela s’ajoute un index des noms propres. L’introduction est divisée en deux parties : la première présente la figure de Mozi et le contexte dans lequel furent composés les textes qui lui sont associés. Y sont présentés les éléments biographiques et prosopographiques relatifs à Maître Mo, ainsi que les difficultés que soulève l’établissement d’une chronologie assurée. La seconde partie présente le corpus moïste. Dans ce contexte, l’A. prend soin de rappeler les principaux éléments relatifs à la nature et à la vie des textes en Chine ancienne : le fait qu’ils soient alors écrits sur des lattes de bambou, tenues ensemble par des liens relativement lâches, faisait des textes des ensembles ouverts et malléables, qu’il était facile de réorganiser et auxquels il était aisé d’ajouter ou de soustraire des parties. Ainsi, à l’instar de nombreux textes chinois anciens, le Mozi n’est pas l’oeuvre d’un seul homme et sa composition ne répond pas à « des intentions structurelles cohérentes et à un plan de travail précis » (p. 21). Après un exposé synthétique de l’histoire de la transmission du texte à partir des Han 漢 (202 AEC-220 EC), l’A. présente le contenu de l’ouvrage en adoptant la division établie du corpus en cinq parties : 1) « Les mélanges doctrinaux » (chap. 1-7) ; …