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Ce dossier rassemble quelques communications du symposium du RRENAB (Réseau de recherche en narratologie et Bible) qui s’est déroulé à l’Université Laval en juin 2017. Cette rencontre avait pour objectif d’explorer les liens entre narrativité et politique en interprétation biblique. Nous profitons de la publication de ce dossier pour souligner la carrière du professeur Robert Hurley à l’occasion de sa prise de retraite. L’étude des effets des textes bibliques sur ses lecteurs est un pôle majeur de ses recherches. Dans l’argumentaire du symposium, Hurley précise justement l’importance de la prise en compte de la subjectivité des exégètes.

Le lecteur des récits bibliques, qu’il approche son sujet avec science ou foi, n’est pas neutre devant le texte. Certes, l’intérêt pour l’unique monde du récit tend à donner aux narratologues bibliques l’impression d’une certaine objectivité par rapport à sa lecture. Or les approches de la réception nous ont rendus conscients que cette « objectivité » n’est, au fond, qu’un leurre. Tout exégète, tout lecteur est historiquement situé : son lieu d’origine, son époque, sa classe économique, sa culture, son sexe, etc., tous ces lieux d’inscription font en sorte qu’il reçoit différemment le récit à l’étude. En bref, un même récit donne lieu à des lectures différentes créant une plurivocité, une polysémie.

Cette polysémie ouvre au regard sur l’aspect politique de l’herméneutique. Quelle interprétation est jugée valable ? Qui a l’autorité pour évaluer les interprétations proposées ? Sur ces questions, Hurley réfère aux communautés interprétatives telles que théorisées par Stanley Fish. L’oeuvre majeure du professeur Hurley, La Bible du lecteur. Théorie et pratique de la stylistique affective en études bibliques, permet d’asseoir un cadre théorique inspiré de Fish et des exemples d’application biblique de cette approche[1].

L’interprétation biblique est pour Hurley un geste engagé et engageant : « L’analyse politisée interprète le texte biblique à partir des conditions matérielles de la vie quotidienne de ses lecteurs, exposant les façons dont on s’est servi et dont on se sert encore du texte biblique pour justifier des injustices ou, inversement, pour suggérer d’autres modèles sociaux qui favorisent la conscientisation et le changement[2]. »

Le symposium s’est intéressé à l’étude de l’influence exercée par les divers lecteurs sur la compréhension des récits bibliques, et à l’apport de ces récits sur la construction du monde du lecteur, par leurs ressorts narratifs et les effets qu’ils produisent sur le lecteur. Trois des contributions de ce dossier empruntent cette direction par une application sur des textes néotestamentaires. Sébastien Doane étudie la caractérisation de ces personnages royaux en Mt 1-2 pour souligner les aspects politiques de ce récit des origines de Jésus. Il souligne comment ce récit prépare ses lecteurs aux renversements de la fin de l’évangile. Steeve Bélanger présente la lettre comme instrument narratif d’autorité par l’étude de lettres insérées dans le récit des Actes des apôtres. Elian Cuvillier explore les effets théologiques, anthropologiques et politiques de la construction de la temporalité et de l’espace dans des passages de l’Apocalypse de Jean.

Pour sa part, la contribution de Robert Hurley est plutôt d’ordre méthodologique. Alors que les Empire Studies regroupent surtout des recherches historiques sur les contextes impériaux, cet article reprend ce champ d’études par le biais de l’effet des récits sur ces lecteurs. Pour Hurley, les récits néotestamentaires sont des outils de persuasion capables d’engager les lecteurs qui, par le contact avec les valeurs et les croyances véhiculées du monde narré, sont invités à transformer le monde qu’ils habitent.

L’ensemble de ce dossier relève le défi de parler politique à partir d’un point de vue narratif. Ce regard ouvre un chemin novateur puisque l’intérêt pour l’aspect politique des textes bibliques génère habituellement des études caractéristiques des méthodologies ancrées dans un paradigme historique. Nous regrettons l’absence d’articles sur la Bible hébraïque ainsi que l’absence d’autrices de ce dossier. Espérons que d’autres verront à poursuivre les pistes développées ici sur d’autres corpus, ainsi qu’à partir d’autres lieux interprétatifs.

Professeur Hurley, nous vous souhaitons une belle retraite auprès des vôtres. Sachez que vos contributions aux études bibliques et catéchétiques continuent de susciter la réflexion des étudiants et des professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.