Recensions

Ulrich Rudolph, La philosophie islamique. Des commencements à nos jours. Traduction et notes par Véronique Decaix. Paris, Librairie philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie »), 2014, 172 p.[Record]

  • Babette Chabout-Combaz

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  • Babette Chabout-Combaz
    Université de Montréal

Dix ans après sa parution en Allemagne, Islamische Philosophie, l’ouvrage d’Ulrich Rudolph, professeur en sciences islamiques à l’Université de Zurich, a été traduit et est paru chez Vrin en fin d’année 2014. L’événement se doit d’être souligné, et ce pour au moins trois raisons. La première est que les textes synthétiques sur l’histoire de la philosophie islamique sont rares en français, les imposantes synthèses des chercheurs anglophones et germanophones étant rarement traduites en français et les oeuvres plus courtes étant plus souvent des monographies. La seconde est que le livre est à la fois facile à lire et financièrement abordable, ce qui, espérons-le, contribuera à sa diffusion. Enfin, le petit texte permet de se faire une idée de l’oeuvre à venir de l’auteur, Philosophie in der islamischen Welt (coll. « Grundriss der Geschichte der Philosophie »), dont le premier tome est sorti en 2012 et n’a pas (encore) été traduit en français. L’oeuvre est succincte, moins de deux cents pages, et l’ambition est plus modeste que ne le suggère son sous-titre (Von den Anfängen bis zur Gegenwart). Il ne s’agit pourtant pas d’un panorama, au sens, si je puis dire, phénoménologique du terme, puisque le texte ne frôle pas la surface d’une vaste étendue mais tente plutôt de montrer, par de brèves incursions dans le corps de certains problèmes philosophiques, la richesse insoupçonnée que recèle sa profondeur. Sa méthode ? Montrer que la philosophie est « toujours comprise comme une science rationnelle, centrée autour de la question de la structure et des rapports universels entre la pensée, l’être et l’action » (p. 11). Cette définition lui sert alors de fil conducteur pour mettre en lumière les « projets » des différents philosophes, leurs problèmes centraux et leurs pensées fondatrices, qui dans la logique, qui dans la métaphysique et qui dans l’éthique ou la politique. C’est ainsi que sont présentés la philosophie originelle d’al-Kindî et son De l’intellect à l’immense postérité (ch. 2), les principes de l’être et la théorie de l’intellect « personnel » d’Abû Bakr al-Râzî, dont la postérité par ses détracteurs (principalement Abû âtim al-Râzî qui n’est pourtant pas cité) rend difficile l’intelligibilité de l’ensemble de sa pensée (ch. 3), la systématicité d’al-Fârâbî et les perspectives logiques, génétiques et politiques de sa philosophie de la connaissance (ch. 4), l’érudition des Frères de la pureté (ch. 5), la métaphysique de ‘Ibn Sînâ, avec sa distinction ontologique entre essence et existence et entre « l’être subsistant » et « l’être des créatures », mais aussi sa psychologie basée sur une intuition intellectuelle (avec le célèbre argument dit de « l’homme volant ») et sa théorie de la connaissance (ch. 6), l’exhortation à la scientificité de la théologie d’al-Ghazâlî et sa critique des erreurs des philosophes (ch. 7), la position fondamentale (quoique peu développée) de ‘Ibn Bâjja (ch. 8), la théorie génétique de la psychologie et du politique dans le roman de ‘Ibn Tufayl (ch. 9), l’affirmation de la nécessité de philosopher et la réhabilitation de la philosophie (critiquant al-Ghazâlî et ‘Ibn Sînâ) ainsi que la classification des versets (en tant qu’énoncés) en fonction de leur herméneutique propre et la thèse de l’unicité de l’intellect possible universel de ‘Ibn Rushd (ch. 10), la philosophie politique de Suhrawardî, qui s’oppose au gouvernement du philosophe, et sa recherche des voies de la connaissance, qui privilégie l’intuition à la syllogistique aristotélicienne et critique les fondements de cette dernière, notamment le principe de non-contradiction et l’universalité des propositions (ch. 11), la revalorisation de la discursivité et les trois niveaux du temps de Mîr Dâmâd, ainsi que les conséquences épistémologiques de la …