Notes critiques

Enseigner Nietzsche au xxie siècle[Record]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Université d’Ottawa

À propos des ouvrages suivants : Céline Denat, Patrick Wotling, Dictionnaire Nietzsche, Paris, Ellipses (coll. « Dictionnaire »), 2013, 307 p. ; Carol Diethe, Historical Dictionary of Nietzscheanism, 2e éd., Lanham, Rowman & Littlefield ; Plymouth, Scarecrow Press (coll. « Historical Dictionaries of Religions, Philosophies, and Movements », 75), 2007, lviii-357 p. ; Robert Pippin, dir., Introductions to Nietzsche, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, x-292 p.

Sans doute malgré lui, Friedrich Nietzsche (1844-1900) fait partie de ces penseurs dignes de légende dont la personnalité et le destin — ajoutés à une oeuvre philosophique considérable — ont créé une sorte d’engouement dépassant largement le monde des idées. Similairement, les écrits sur Nietzsche ont débordé du cercle immédiat de la philosophie et des philosophes ; même le magazine français Le Point lui a récemment consacré un numéro hors-série d’une centaine de pages touchant à la fois l’oeuvre mais aussi le personnage et la légende. Tout comme Michel Foucault ou Gilles Deleuze, les écrits de ces philosophes célèbres donnent souvent lieu à de multiples interprétations et prolongements ; en outre, leurs personnalités hors du commun continuent de fasciner chaque nouvelle génération d’étudiants, comme le prouvent la multitude d’études et de biographies leur étant consacrées. Friedrich Nietzsche ne fait pas exception à cette longue suite de parcours incomparables, dont le destin tragique s’ajoute à une oeuvre largement commentée et souvent controversée. D’ailleurs, Robert Pippin utilise d’emblée la formule « The Nietzsche Phenomenon » au début de son livre Introductions to Nietzsche (p. 1). De cette abondante production autour de Nietzsche, trois ouvrages de référence ont été retenus et seront brièvement présentés ci-dessous. Outre leur indéniable volonté pédagogique, chacun à sa manière propose une porte d’entrée ou du moins un accompagnement pour l’enseignement de la pensée nietzschéenne. Ces trois titres sont le Dictionnaire Nietzsche de Céline Denat et Patrick Wotling, le Historical Dictionary of Nietzscheanism de Carol Diethe, et le collectif Introductions to Nietzsche sous la direction de Robert Pippin. Le Dictionnaire Nietzsche paru aux Éditions Ellipses permet à Céline Denat et Patrick Wotling (de l’Université de Reims) d’articuler la pensée nietzschéenne à partir d’une cinquantaine d’articles thématiques dont le format variant entre deux et neuf pages apporte un approfondissement appréciable d’une idée philosophique générale scrutée à partir des écrits de Nietzsche. Parmi les nombreux sujets abordés, retenons pour commencer le concept de « Culture », que Nietzsche conçoit selon la tradition allemande de « civilisation », comme l’expliquent Céline Denat et Patrick Wotling : « […] la culture recouvre donc la série des interprétations en vigueur dans une communauté humaine donnée, à un stade précis de son histoire (la Grèce de l’époque tragique, la Grèce classique, l’Italie de la Renaissance, la France de l’Ancien Régime, l’Allemagne contemporaine, par exemple) » (p. 95). Dans cet exposé détaillé et riche en citations judicieusement choisies, Céline Denat et Patrick Wotling mentionnent dans une note en bas de page que pour se rapprocher de l’usage français, « Nietzsche choisit systématiquement d’utiliser la graphie Cultur, et non celle de Kultur, que privilégie l’usage allemand » (voir p. 95, n. 1). Citant fort à propos des extraits de plusieurs ouvrages et recueils de Nietzsche (des Considérations inactuelles aux Fragments posthumes), les coresponsables précisent en outre que « la notion de culture représente ainsi le centre organisateur de la réflexion de Nietzsche, qui en souligne avec insistance le statut fondateur » (p. 95). Concept nietzschéen par excellence, l’Éternel retour est ici conçu par Nietzsche (cité dans Ecce Homo) comme le « mouvement cyclique absolu et infiniment répété de toutes choses — cette doctrine de Zarathoustra pourrait, tout compte fait, avoir déjà été enseignée par Héraclite » (cité p. 125). Sur le plan conceptuel, Céline Denat et Patrick Wotling signalent que Nietzsche concevait « presque toujours » l’Éternel retour comme « une doctrine » (p. 120), et non comme « une théorie » (p. 120). Plus loin, la notion de morale selon Nietzsche est introduite par Denat et Wotling comme « une interprétation adossée …

Appendices