Recensions

Laurence Devillairs, Fénelon. Une philosophie infinie. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Philosophie & Théologie »), 2007, 256 p.[Record]

  • Nestor Turcotte

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  • Nestor Turcotte
    Matane

La philosophie de Fénelon se présente sous la forme d’un éclectisme. Celui-ci n’est pas le signe d’un défaut de systématicité ou d’originalité. Il s’explique par la fonction que Fénelon attribue à la philosophie : faire aimer le Dieu dont elle donne distinctement à connaître l’infinité. D’ailleurs, l’A. fait remarquer, dès le début de son ouvrage, que la connaissance philosophique, celle que nous avons par les lumières de notre seule raison, permet d’assurer la conversion de l’homme à Dieu, l’union du fini avec l’infini. Les faux infinis qui sont libertinage d’esprit, goût des passions, laissent un vide. Pour Fénelon, la métaphysique représente les prolégomènes les plus efficaces à la religion : connaître un être infini et par soi, dont tous les autres êtres dépendent, constitue le principe à partir duquel il est possible de déduire la vérité du christianisme. Les preuves de l’existence de Dieu, par exemple, doivent s’adresser tout autant à l’esprit qu’à la volonté et provoquer non seulement la certitude mais la conversion. En cela, l’archevêque de Cambrai suit ici fidèlement Descartes qui place la méditation comme la condition à la compréhension des notions premières. L’homme doit méditer les vérités abstraites de la métaphysique afin de l’amener à se centrer, non sur lui-même, mais sur Dieu. La connaissance prépare à la foi et à l’amour. Qui connaît clairement et distinctement Dieu, qui en médite l’idée, ne peut que vouloir croire en lui et agir en conséquence, c’est-à-dire l’aimer de préférence à tout. Bien penser équivaut à bien croire. C’est en Dieu que l’homme existe authentiquement. Le moi est un être dénaturé. Il est cependant un rien qui peut connaître l’infini. C’est ce qui est étonnant et incompréhensible. Ce moi, faible, borné, défectueux, demeure capable de concevoir l’infini. Influencé par Descartes, Fénelon accorde une réalité objective infinie à l’idée d’infini. Mais il ne retient pas tant la thèse cartésienne d’un Dieu qui inscrit son idée dans l’homme, comme la marque de l’ouvrier sur son ouvrage. Il retient surtout, tout comme le pense saint Augustin, la notion d’un Dieu qui parle à l’homme comme un maître, pour l’instruire et le guider. Du Dieu cause de son idée en nous, l’homme peut passer ainsi à Dieu cause de son être. Il y a donc une parfaite circularité entre la notion de maître intérieur et l’idée d’infini. La métaphysique de Fénelon fait donc coexister la définition augustinienne de Dieu comme Vérité et sa dénomination cartésienne comme infini. La philosophie de Fénelon permet de conjoindre en un même passage les notions de Vérité et d’infini afin d’élever jusqu’à l’oxymore, ce paradoxe d’un Dieu incompréhensible qui fait tout comprendre. Laurence Devillairs oppose, en terminant ce premier chapitre, Fénelon et Pascal. Pour ce dernier, l’intériorité n’est pas porteuse de vérité : la vérité est ailleurs, « au-dehors », en Jésus-Christ, dans les Écritures, dans les espèces de l’eucharistie. Fénelon, tout au contraire, l’intériorité se retrouve dans le retour à soi pour y trouver Dieu. Le moi n’est jamais vide de la présence de Dieu. Il est l’infini contenu dans le fini. Pour Pascal, l’homme est marqué d’une absence, d’un Dieu qui se cache, d’une misère que l’on masque, d’une grandeur que l’on a perdue. L’exaltation fénelonienne de l’infini s’accompagne, à l’opposé, d’une insistance sur la proximité et la perpétuelle action de Dieu en l’homme. Pour lui, il est impossible d’avoir une certitude absolue concernant notre raison et la vérité de nos idées claires et distinctes tant qu’on n’a pas élucidé la question de l’origine de notre être. Cette origine, il la place en Dieu, créateur tout-puissant, qui a mis en tout homme l’idée d’infini. « …