Recensions

Pierre Gendron, La Modernité religieuse dans la pensée sociologique. Ernst Troeltsch et Max Weber. Préface par Guy Rocher. Québec, Les Presses de l’Université Laval (coll. « Pensée allemande et européenne »), 2006, xi-107 p.[Record]

  • Alfred Dumais

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  • Alfred Dumais
    Université Laval, Québec

Ce livre aborde un sujet très complexe, celui du rapport entre religion et modernité. Dans la préface, Guy Rocher résume bien le problème qui est ici posé : « La modernité a-t-elle vraiment balayé la question religieuse en Occident ? » (p. x). Les mouvements en faveur de la laïcité sont-ils parvenus à exclure le religieux de l’espace public ? Les termes de religion et de modernité ne seraient-ils pas, en un certain sens, incompatibles ? Voilà autant de questions auxquelles l’étude de Gendron veut répondre, même si ce ne sera, dit-il, que « d’une manière […] partielle, plurielle et provisoire » (p. 5). Sa position est claire : il essaie de démontrer que l’idée d’une modernité religieuse est pensable. Il reconnaît qu’il existe là une tension et, pour certains, un enjeu fondamental. C’est non seulement le religieux qui est en cause, mais aussi le politique. L’auteur fonde sa démarche sur la pensée sociologique de Max Weber (1864-1920) et d’Ernst Troeltsch (1865-1923). Il découvre, chez ces deux intellectuels allemands, une similitude de projet, l’exemple d’un combat « pour faire reconnaître l’existence d’une véritable modernité religieuse » (p. 101). Leurs travaux s’inscrivent dans la modernité de l’époque qu’ils concevaient comme une nouvelle conscience historique et une révolution scientifique et industrielle (p. 23). Mais Gendron retient surtout de leur analyse les notions de désenchantement du monde et de sécularisation, deux processus connus qui marquent encore notre contexte culturel. Sur le désenchantement du monde, il propose, avec justesse, de revenir au sens premier de l’expression Die Entzauberung der Welt qu’on devrait traduire par un monde qui « a fini par se sortir de la magie » (p. 55). On éviterait ainsi de lui attribuer une connotation péjorative ou l’idée d’« une société hors religion » (p. 50), telle que le suggère Gauchet, pour souligner l’effet plus positif de faire disparaître les formes magiques qui pourraient subjuguer autant sa foi religieuse que le monde en général. Sur la sécularisation maintenant, Gendron montre que l’usage qui en a été fait demeure ambigu. On l’a rendue responsable du remplacement des « valeurs religieuses par des valeurs laïques » (p. 59) et on comprend pourquoi elle ait soulevé autant de polémiques qui opposaient le séculier au religieux (p. 60). Or ce n’est pas la conception que s’en faisait Troeltsch. Il croyait au contraire « que jamais n’aura lieu la résorption du monde religieux dans le monde séculier, que la “sécularisation”, précisément, ne sera jamais ni effective, ni achevée » (p. 28). Autre signe de sécularisation, c’est celui de « la privatisation du religieux » (p. 64), une sorte de subjectivation, à haute échelle, de la religion. L’analyse de Troeltsch est, sur ce point encore, plus nuancée. Il appréhende la religion comme étant à la fois privée et publique, et, malgré qu’elle soit au fond individuelle, elle cherche à se réconforter à travers le culte et la vie communautaire. Dans un contexte plus large, il se disait « incapable d’envisager une société sans religion » (p. 99). Cette attitude, ajoute Gendron, se trouve confirmée par la situation actuelle où l’on assisterait à une déprivation du religieux : « À travers le monde, les religions réintègrent l’espace public et reviennent sur la scène politique, non seulement pour défendre leurs propres intérêts, comme elles l’ont fait dans le passé, mais pour se joindre à certaines formes de contestation de l’ordre établi » (p. 64). Troeltsch aurait donc eu raison de « laisser ouverte la question du sens de la “sécularisation” » (p. 27), de ne pas la réduire à la « disparition progressive de toute religion » (p. 98), …