Recensions

Pierre-Marie Morel, Aristote : une philosophie de l’activité. Paris, Éditions Flammarion, 2003, 306 p.[Record]

  • Frédéric Tremblay

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  • Frédéric Tremblay
    SUNY at Buffalo

Le nom d’Aristote est souvent cité comme étendard des ontologies substantialistes. Les philosophes partisans du substantialisme se réclament de lui alors que les tenants du processualisme prétendent lui faire opposition. Néanmoins, Aristote est paradoxalement le premier philosophe à interroger de façon étendue les entités processuelles. De plus, l’antagoniste véritable de la perspective processuelle niche probablement de préférence dans les hauteurs immuables des entités mathématiques plutôt que dans le limon des entités substantielles. Ceci dit, le travail accompli par les savants aristotélisants sur les questions touchant l’activité, le changement et le mouvement est aujourd’hui précieux pour nourrir la discussion entre la pensée d’Aristote et les différentes tendances philosophiques néo-bergsoniennes et néo-whiteheadiennes orientées sur les entités dynamiques. Or, le nouveau livre de Morel, croyons-nous, fournit un tel lieu de rencontre et de discussion. L’auteur ne s’adresse pas exclusivement au lecteur spécialisé. Son ambition oscille entre l’exposition d’une introduction générale à Aristote et la présentation d’une interprétation processuelle de sa philosophie. En tant qu’introduction, le livre présente une esquisse des thèmes centraux du corpus aristotélicien, soit, dans l’ordre mentionné, ceux de la philosophie naturelle ; de la méthode ; de la philosophie première ; de l’âme et du corps ; du mouvement des animaux ; du bonheur et de l’action ; de la vie politique et du bonheur commun. En tant qu’interprétation processuelle, l’auteur s’intéresse essentiellement, à travers les thèmes mentionnés, à tirer sur le fil dynamique pour mettre à jour ce qu’il appelle la « philosophie de l’activité » d’Aristote. « Activité » traduit ici energeia, mot spécialement introduit par Aristote pour servir de solution au problème grec de l’unité du réel auquel Platon dans sa doctrine de la participation ne répondait pas de façon satisfaisante. Platon ne rendait pas compte de la sensation selon laquelle le réel ne nous paraît pas « comme une diversité de “choses”, mais comme une multiplicité dynamique d’actes, de puissances et de mouvements » (p. 11). Aristote forgea donc le concept d’energeia pour engager la forme dans l’être ou, comme le formule l’auteur, en faire la « modalité éminente » de l’être. De cette façon, la forme n’est plus séparée de l’être mais devient plutôt ce que l’être fait. En somme, Morel cherche à rendre justice à cet aspect négligé de la philosophie d’Aristote, pour qui « [u]nifier le réel, ce n’est […] pas dénombrer et classer une somme d’entités statiques, mais examiner comment les individus parviennent à l’unité dynamique que leur confère leur activité et comment s’organisent — ou ne s’organisent pas — les multiples activités du monde » (p. 11). Après l’examen de l’activité en général, le premier chapitre s’intéresse à ses espèces les plus importantes. Celles-ci sont la metabolè (changement) et la kinèsis (mouvement). De ces deux genres dérivent toutes les espèces de processus sublunaires. Ensuite, puisque la metabolè et la kinèsis fondent les diverses espèces de processus, l’auteur entreprend un examen du projet aristotélicien de « fonder la philosophie naturelle » dans son ensemble. Il donne un aperçu sommaire de la taxinomie des processus naturels, soit les Schématisons ce passage (la relation de la taxinomie est de genre à espèce) : Or, l’auteur perpétue une confusion en omettant de mentionner qu’il faut entendre deux sens à kinèsis et metabolè. En effet, il y a pour chacun un emploi large et un emploi strict. La kinèsis au sens large et la metabolè au sens large sont synonymes et renvoient alors à toute energeia imparfaite. Ils sont cependant tout à fait distincts quant à leur sens strict. La première raison de ces glissements de sens est le caractère souvent probatoire …

Appendices