Recensions

John R. Searle, Liberté et neurobiologie. Réflexions sur le libre arbitre, le langage et le pouvoir politique. Paris, Grasset (coll. « Nouveau collège de philosophie »), 2004, 110 p.[Record]

  • Yanick Farmer

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  • Yanick Farmer
    Université Laval, Québec

Ce texte de John R. Searle est en fait une transcription de conférences données à Paris, au début de 2001, à l’invitation de l’UFR de philosophie et de sociologie de l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Le livre est donc écrit dans le style simple et direct de la langue parlée, ce qui en facilite la lecture et la compréhension. Comme le titre et le sous-titre l’indiquent, l’A. aborde ici un thème séculaire de la philosophie — la liberté et le libre arbitre — en s’appuyant sur une conception de la relation corps-esprit qui s’inspire de la neurobiologie contemporaine. Dans la deuxième et dernière partie de l’ouvrage, l’A. s’attache à dessiner les contours d’une ontologie du pouvoir politique et à montrer quel est le rôle du langage dans la constitution de ce pouvoir. Selon l’A., la notion de libre arbitre provient de l’expérience que fait chaque individu de l’écart (gap) qui s’insère dans le processus de délibération conduisant à la prise de décision. Cette expérience de la liberté, demande-t-il, ne serait-elle qu’illusion ? Pour répondre à cette question, l’A. propose d’abord d’examiner la nature de l’action consciente sur le corps. Pour comprendre cette relation il faut, dit-il, se débarrasser du dualisme cartésien, et considérer que les états mentaux sont entièrement liés au comportement des neurones. Cependant, poursuit-il, la conscience n’est pas un épiphénomène créé par la structure neuronale ; son ontologie en première personne n’est pas réductible à une ontologie en troisième personne. Il suffit pour le concevoir de s’imaginer une roue qui dévale une colline. La roue est entièrement faite de molécules, mais sa trajectoire est déterminée par sa solidité, et celle-ci n’est pas une propriété qui s’ajoute aux molécules. Ainsi, « de même que le comportement des molécules est constitutif de la solidité, le comportement des neurones est constitutif de la conscience » (p. 28). Ayant démontré que l’abandon du dualisme n’entraîne pas nécessairement une forme stricte de réductionnisme, l’A. s’intéresse ensuite à la structure logique des événements faisant intervenir une prise de décision libre et rationnelle. Contrairement aux explications causales déterministes, où un événement A est la cause d’un événement B, l’explication d’un comportement libre se fait sur la base d’une raison qui requiert l’existence d’un moi produisant l’écart qui s’installe dans le processus de délibération. L’A. cherche ensuite à savoir comment nous pouvons traiter le libre arbitre en tant que problème neurobiologique. Si l’on envisage la conscience d’un point de vue déterministe, alors dans le processus de délibération, l’état total du cerveau à l’instant t1 est causalement suffisant pour déterminer l’état total du cerveau à l’instant t2, et les raisonnements qui sont produits dans l’intervalle n’ont aucune influence sur l’issue du processus. Toutefois, si l’état t1 n’est pas causalement suffisant pour déterminer l’état t2, c’est qu’alors le sujet dispose d’un libre arbitre qui influence la délibération. L’A. conclut sa réflexion sur le libre arbitre en estimant que, même si le déterminisme et l’épiphénoménisme sont des hypothèses plausibles et apparemment compatibles avec la causalité des phénomènes naturels, elles vont à l’encontre de notre expérience et d’une vision de l’évolution où la survie de l’organisme dépend de sa capacité à agir librement. Dans l’espoir de comprendre la nature de la réalité politique, l’A. se demande d’abord en quoi celle-ci se distingue de la réalité sociale. Les faits sociaux sont une capacité biologique que l’homme partage avec les autres animaux, et qui dépend de l’intentionnalité collective. Celle-ci suffit à créer toute forme simple de réalité sociale. Pour que la réalité sociale devienne institutionnelle, il faut ajouter à l’intentionnalité collective …