Recensions

Félicien Rousseau, C’est la misère qui juge le monde. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, xiv-462 p.[Record]

  • Pierre Gaudette

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  • Pierre Gaudette
    Université Laval, Québec

Le présent volume marque la cinquième étape d’une vaste recherche menée par l’auteur avec une ténacité exemplaire : elle vise à mieux cerner les traits du droit naturel tel que le conçoit Thomas d’Aquin en mettant en perspective toute la richesse de sa réflexion morale. Rousseau est ici au coeur de sa démarche puisqu’il aborde la vertu morale de justice et son objet, le droit. Dans un premier temps, il entreprend une présentation minutieuse du droit naturel classique tel qu’il apparaît dans les écrits de saint Thomas : des pages fort intéressantes marquent le rapport de Thomas à Aristote (chapitre VI). Une deuxième partie aborde le droit naturel moderne qui trouve son aboutissement dans le rationalisme juridique de la Modernité. La table est alors mise pour étudier la vertu morale de justice et marquer son rôle dans la construction d’une liberté authentique, véritablement « humaine ». Une thèse fort importante circule à travers cet ouvrage comme à travers toute la recherche de l’auteur : à la suite de Thomas, il faut valoriser ce qu’il y a de plus fondamental et de plus humble dans l’être humain, à savoir ce qui le rattache plus directement à la nature et constitue la matière du droit naturel au sens le plus strict. Ce faisant, Thomas s’élevait contre le triomphalisme chrétien du Moyen Âge préoccupé essentiellement de la relation théologale avec Dieu et peu ouvert à la consistance des réalités terrestres. Ce triomphalisme, largement décrit dans le volume précédent, continue de se manifester aujourd’hui dans certains courants de théologie morale et dans certains textes du Magistère. Mais cette valorisation de ce qu’il y a de plus humble et de plus « naturel » dans la personne se situe aussi à l’opposé du triomphalisme des Modernes qui se font une gloire d’arracher l’être humain à la Nature et de le définir uniquement par sa raison, une raison « technicienne » par laquelle il maîtrise cette même Nature et la transforme à son gré. C’est en ayant en tête cette entreprise de revalorisation de ce qui est humble et sans défense qu’on comprendra le titre énigmatique — et un peu racoleur — donné au volume : C’est la misère qui juge le monde. Mais l’auteur ne se contente pas de dénoncer. Se nourrissant des textes fondamentaux de saint Thomas qu’il rumine et rappelle fréquemment au lecteur, il entreprend une oeuvre de reconstruction, ou mieux, de « réconciliation » : il essaie en effet de dépasser des oppositions devenues traditionnelles et de réconcilier l’être humain avec lui-même, refaisant l’unité entre la nature et la liberté, les droits socio-économiques et les droits rationnels, la connaissance et l’affectivité. Pour ce qui est du rapport nature et liberté, Rousseau réagit contre une conception qui fait de la nature un bloc insécable que la liberté doit dominer par l’art et la technique, conception typique de la modernité comme le montrent à l’envi plusieurs citations de Descartes, Kant, Renaut et Ferry parmi d’autres. L’auteur nous introduit dans l’approche subtile de Thomas qui nous montre comment la determinatio ad unum, typique de la nature, s’infiltre dans les facultés humaines et devient la terre nourricière de la liberté. Au point de départ, c’est le désir du bonheur à propos duquel Pieper a cette phrase magnifique qui va revenir comme un refrain tout au long de l’ouvrage : « L’homme, comme être raisonnable, désire son bonheur exactement comme la pierre qui tombe cherche son lieu, comme la fleur se tourne vers le soleil, comme l’animal cherche sa proie » (p. 74). Mais de façon plus immédiate, ce sont aussi les inclinations naturelles de l’intelligence …

Appendices