Note critique

Rhétorique, esthétique littéraire et théologieDialogue avec Marcel Viau[Record]

  • Pierre-Marie Beaude

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  • Pierre-Marie Beaude
    UFR Sciences Humaines et Arts
    Université de Metz

Dans le domaine de la théologie systématique, l’esthétique demeure relativement peu honorée. Il y a bien sûr l’oeuvre monumentale de Hans Urs von Balthasar. Mais un seul théologien ne fait pas le printemps. C’est pourquoi il faut saluer le travail assidu de Marcel Viau qui, depuis bientôt dix ans, en trois ouvrages, cherche à préciser la dimension esthétique de la théologie. Son dernier ouvrage, L’univers esthétique de la théologie est, sous bien des aspects, suggestif et innovant ; il ne peut que susciter la réflexion dans un domaine qui n’est pas sans urgence pour la théologie, celui du rapport avec l’objet artistique, particulièrement sous sa forme littéraire : les débats de naguère sur la théologie narrative en témoignent. Les lignes qui suivent proposent moins une recension « classique » de l’ouvrage qu’une réflexion suscitée par sa lecture, un début de dialogue, en somme, de la part de quelqu’un qui pour avoir oublié depuis longtemps la théologie systématique, peut cependant se prévaloir de sa compétence d’exégète intéressé par la chose littéraire, tant à cause du corpus biblique que de sa réinscription dans la littérature occidentale. L’esthétique, MV la définit, avec Baumgarten, comme « la science de la connaissance du sensible » (p. 15). Quant au mot « rhétorique », il lui donne une extension large pour désigner les règles de composition qui régissent l’univers de tout « objet ouvré » (p. 17). Cette utilisation ample du concept, légitime en soi, pose des questions par rapport à une compréhension plus restreinte, à savoir la rhétorique comme art du discours persuasif. On y reviendra. L’objet esthétique est abordé dans ce livre sous le biais de ses capacités à devenir artefact théologique. « Artefact » renvoie à l’aspect ouvragé du produit, mais aussi à la mise en situation ou « mise en problème » de l’objet qui ne devient véritablement artefact que dans un processus de reconnaissance, d’investigation, d’expérience et de vie d’un allocutaire faisant preuve d’une réception active. Dans la notion d’artefact théologique, le mot « théologique » n’est pas spécialement défini. On retire de son utilisation dans le livre qu’il touche à la capacité à faire naître de la croyance ou de la foi. L’objet esthétique auquel il est lié touche au domaine du religieux si l’on en croit les exemples fournis par l’auteur : église, abbaye, fresque biblique, sculpture de chapiteau… Peut-être l’auteur aurait-il gagné à préciser la façon dont il construit le théologique par rapport à d’autres notions comme le religieux ou le sacré. Le travail de MV est nourri de sa fréquentation des théoriciens nord-américains à laquelle s’ajoute une connaissance très pertinente des arts poétiques anciens et modernes. Les conceptualisations acquises dans Le Dieu du Verbe sont reprises ici et confirmées (p. 72-76 et tout le chapitre 3). On différencie et on articule l’objet esthétique et l’artefact, artefact qui implique, comme on vient de le dire, une mise en problème et une interaction : « Chaque fois qu’un objet esthétique apparaît dans une expérience, et donc chaque fois qu’il se transforme en interaction véritable, nous appelons cet objet un artefact » (p. 73). MV insiste beaucoup sur le fait qu’on ne transmet pas l’artefact comme une substance inscrite dans l’architecture, la peinture ou le texte. C’est dans le présent qu’il trouve son statut, dans cette réception active qui naîtra dans l’allocutaire. Un artefact théologique n’a ni passé, ni présent. Il se pose dans sa mise actuelle en problème (p. 15). L’objet fut construit selon les règles de l’art (les constructeurs n’avaient pas le transcendant devant eux, mais des pierres) ; reçu du passé il ne se fait artefact que …

Appendices