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Introduction

L’alimentation, en France, reste un marqueur fort des inégalités sociales, avec, notamment, une consommation moindre de fruits et de légumes par les personnes à revenus bas ou modestes (Laisney, 2013). La crise de la COVID-19 qui a éclaté au printemps 2020 a confirmé ces inégalités[1] (Accardo, Brun et Lellouch, 2022), tout en donnant plus de visibilité aux initiatives visant à faciliter l’accès des familles les plus modestes à une alimentation de qualité, en s’appuyant notamment sur les circuits courts et l’alimentation locale (Chiffoleau, Darrot et Maréchal, 2020). Depuis quelques années, ces initiatives de solidarité alimentaire se multiplient en effet, à l’initiative de citoyens ou sous l’impulsion de politiques alimentaires locales (Rouillé d’Orfeuil, Blino et Dupraz, 2018). Objets de premières documentations et analyses (Chiffoleau et Paturel, 2016 ; Darrot et Noël, 2018 ; Damhuis, Serré et Rosenzweig, 2020), elles restent à approfondir, dans leur dimension économique et leurs relations avec les politiques publiques en particulier. Dans cet article, nous souhaitons continuer à défricher le champ de ces initiatives, que nous proposons tout d’abord de repenser en tant qu’économies concrètes encastrées, ancrées dans un territoire et participatives, potentiellement renforcées par les politiques locales et nationales. Sur cette base, nous décrivons les principales stratégies observées au sein d’une large gamme d’initiatives recensées en France, en soulignant les difficultés associées. Si combiner certaines stratégies peut aider à toucher plus de personnes précaires, nous montrons que les initiatives de solidarité alimentaire n’ont pas la capacité de permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité. Nous concluons alors sur la perspective universaliste ouverte par le projet de sécurité sociale de l’alimentation, qui fédère une diversité d’acteurs et d’initiatives, tout en pointant les débats qui émergent autour de ce projet, à l’échelle nationale et à travers des expérimentations locales.

Dans une première partie, nous commençons par présenter les deux grandes approches de l’alimentation pour tous identifiées dans la littérature, en lien avec les circuits courts. Nous développons ensuite notre cadre d’analyse interdisciplinaire et précisons les démarches de recueil des données que nous avons traitées pour cet article. En seconde partie, nous décrivons les principales stratégies identifiées dans l’ensemble des initiatives de solidarité alimentaire recensées, en pointant leurs relations avec les politiques publiques. Dans une troisième partie, nous discutons du projet de sécurité sociale de l’alimentation, en tant que récit politique à la fois fédérateur et source de débats.

1. Faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité en s’appuyant sur des circuits courts : revue de travaux et cadre d’analyse

1.1. Deux principales approches dans la littérature scientifique

L’accès de tous à une alimentation de qualité, en lien avec les circuits courts, est abordé dans la littérature scientifique suivant deux principales approches. La première s’appuie sur la notion de justice alimentaire (food justice), centrée sur la critique (spatiale) des déserts alimentaires et de la délocalisation des approvisionnements (Páez et al., 2010), ainsi que sur la promotion (sociale) d’habitants « invisibilisés », à travers des modes de résistance émanant en particulier du champ des agricultures urbaines (Paddeu, 2012 ; McClintock et Soulard, 2018). Ces travaux se sont en effet focalisés au départ sur l’accessibilité à une alimentation de qualité (sanitaire, nutritionnelle…) pour les consommateurs urbains défavorisés et les minorités (sociales, ethniques/raciales, genrées…) les plus vulnérables, en particulier dans les pays anglo-saxons (Cadieux et Slocum, 2015). Ils ont été enrichis dans la période récente par l’apport de recherches qui ont souligné l’importance de mieux prendre en compte, au côté des questions identitaires, la dimension économique (reconnaissance du travail, mobilisation des ressources foncières et agricoles…), politique (participation des habitants, développement du pouvoir d’agir citoyen…) et géographique (échelles d’ancrage, lieux d’implantation, politiques et outils d’aménagement) (Hochedez et Le Gall, 2016 ; Darrot et Noël, 2018 ; Hochedez et al., 2022).

La deuxième approche s’inscrit dans un autre champ de recherche, celui de la démocratie alimentaire (food democracy), où l’accent est mis sur la participation des citoyens aux processus de décision concernant l’accès et la durabilité des produits, en tant que condition permettant d’améliorer la sécurité alimentaire pour tous (Lang, 1998). Un premier ensemble de travaux porte sur les conditions d’émergence d’un droit international à l’alimentation (Collart-Dutilleul et Bréger, 2014), et plus récemment d’un droit spécifique au contexte français (Ndiaye et Paturel, 2020 ; Ramel, 2022). Un second ensemble cible les initiatives citoyennes, soulignant comment celles-ci non seulement visent l’accès de tous à une alimentation locale de qualité, mais aussi permettent de développer des valeurs civiques et des perspectives critiques, et d’augmenter les niveaux de connaissances et de compétences des consommateurs, lesquels deviennent ainsi des citoyens alimentaires (Hassanein, 2003 ; Booth et Coveney, 2015). En France, cette approche a été mobilisée notamment pour montrer en quoi et à quelles conditions l’approvisionnement des dispositifs de l’aide alimentaire auprès de producteurs locaux peut favoriser des apprentissages collectifs vecteurs de citoyenneté (Carimentrand et Paturel, 2018).

L’analyse à travers les enjeux de justice ou de démocratie prend néanmoins peu en compte la dimension économique des initiatives : celle-ci est, au mieux, décrite à travers les ressources mobilisées, mais les mécanismes qui sous-tendent leur fonctionnement économique en situation réelle ne sont pas étudiés. Ce constat appelle un cadre d’analyse permettant d’examiner les initiatives de solidarité alimentaire en tant qu’activités économiques concrètes, tout en englobant les dimensions considérées dans les deux grandes approches présentées précédemment.

1.2. Repenser et analyser les initiatives en tant qu’économies concrètes encastrées, ancrées et participatives

En rupture avec la théorie économique standard, la sociologie économique s’intéresse à l’économie telle qu’elle est mise en oeuvre par les acteurs, dans leurs conditions réelles d’existence. Cette approche nous permet d’approfondir la dimension économique des initiatives de solidarité alimentaire, en considérant celles-ci comme des activités économiques concrètes, encastrées dans des structures sociales, en particulier des relations sociales, qui contribuent à façonner leurs stratégies et en conditionnent les effets (Granovetter, 1985). Appuyées en partie sur des circuits courts, ces initiatives sont à même d’illustrer l’encastrement relationnel quasi identitaire qui caractérise ces circuits, à savoir leur insertion dans des relations interpersonnelles entre acheteurs et producteurs basées sur la confiance et le respect mutuel (Sage, 2003). Parallèlement, le développement des politiques alimentaires locales à travers le monde, et en France en particulier, induit des liens plus forts entre les initiatives liées aux circuits courts et les politiques publiques (Fouilleux et Michel, 2020). Nous proposons alors d’examiner comment les stratégies des initiatives en matière d’accessibilité économique des produits sont influencées par leurs relations avec les producteurs et les politiques publiques d’une part, et en quoi ces stratégies répondent à l’objectif de permettre à tous d’accéder à une alimentation de qualité d’autre part.

Dans cette perspective, les lectures au prisme des notions de justice ou de démocratie alimentaire invitent à élargir l’analyse des relations en jeu, et à proposer un cadre d’analyse interdisciplinaire des initiatives de solidarité alimentaire, en articulant les apports de la sociologie économique, de la géographie sociale et des sciences de gestion. L’éclairage de la justice alimentaire par la géographie sociale amène en effet à interroger l’ancrage territorial de ces économies concrètes, à savoir, tout d’abord, leur localisation dans l’espace. Il conduit aussi à se questionner sur le rôle joué par les autres acteurs (sociaux, agricoles, associatifs…) du territoire dans la mise en oeuvre de stratégies visant à faciliter l’accès à l’alimentation de qualité. En complément, l’éclairage par la démocratie alimentaire, par les sciences de gestion en particulier, renvoie aux problématiques de gouvernance et de participation sociale. L’idée est alors d’analyser les modalités de participation des personnes précaires à la gouvernance des économies concrètes que forment les initiatives, pour voir dans quelle mesure ces modalités favorisent des apprentissages soutenant une participation critique (Friedberg, 1972), appuyée sur une connaissance du fonctionnement des systèmes alimentaires et des enjeux associés aux différents modèles agricoles et alimentaires.

Nous proposons donc ici d’intégrer ces éclairages pour rendre compte des initiatives de solidarité alimentaire qui se développent aujourd’hui en France. Il s’agit de décrire leurs stratégies en matière d’accessibilité économique des produits, d’ancrage territorial et de gouvernance, en montrant de quelle façon celles-ci construisent des économies concrètes et contribuent à atteindre l’objectif de permettre l’accès de tous à une alimentation de qualité.

Pour ce faire, nous avons traité des données recueillies sur ces initiatives dans différents cadres : i) à partir d’une recherche documentaire (articles, rapports, sites Internet…) appuyée sur le croisement de différents mots clés[2], nous avons identifié plus de 200 initiatives de solidarité alimentaire en 2020. Nous avons ensuite décrit plus précisément 55 d’entre elles, représentatives d’une diversité de porteurs et de stratégies affichées, et approfondi 15 cas à travers des entretiens semi-directifs avec les porteurs des initiatives[3] ; ii) dans le cadre de deux autres recherches participatives, dont l’une a commencé en 2010, nous avons produit des données sur une trentaine d’initiatives suivies dans la durée, et impliquant des personnes en situation de précarité. Ces données ont permis de compléter la description des 55 initiatives recensées, dont certaines se revendiquent aujourd’hui du projet de sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ; iii) l’un·e d’entre nous participe aux débats au sein du collectif d’organisations constitué sur ce thème, et deux d’entre nous suivent certaines expérimentations locales de SSA.

2. Une lecture interdisciplinaire des initiatives de solidarité alimentaire

Les initiatives identifiées lors du recensement[4] concernent des activités liées à la production agricole professionnelle ou amateur (jardins privés ou collectifs) et/ou à la distribution de produits alimentaires, sous forme de groupements d’achat, d’épiceries sociales, de distributions de paniers de fruits et légumes (y compris en AMAP[5]), de magasins participatifs ou de sites de vente en ligne[6]. Au sein des 55 cas décrits au départ, la moitié a été créée dans le but de rendre accessibles des produits de qualité aux personnes en situation de précarité (29/55). Les autres initiatives ont initialement souhaité construire un modèle universel accessible à tous (15/55) ou bien un modèle visant des personnes souhaitant consommer de manière engagée (11/55). Dans ce cas, le soutien était d’abord dirigé vers les producteurs locaux, et le dispositif d’accessibilité pour les personnes précaires a été mis en place dans un second temps. Dans une démarche interdisciplinaire, nous examinons ici les stratégies à l’oeuvre dans ces initiatives, à travers trois entrées tout d’abord, puis en intégrant les connaissances pour rendre compte des économies concrètes encastrées qui se dessinent autour de la solidarité alimentaire.

2.1. Des relations avec les producteurs et fournisseurs qui influencent fortement les stratégies d’accessibilité économique

Cherchant à s’éloigner des formes traditionnelles de l’aide alimentaire, les porteurs des initiatives étudiées s’approvisionnent en produits de qualité, locaux et/ou bio auprès d’acteurs économiques (producteurs, grossistes, PME de l’industrie agroalimentaire). Les denrées sont généralement achetées à un prix fixé suivant des mécanismes de marché (en fonction des prix des concurrents ou des coûts de production). Pourtant, la majorité de ces transactions s’extraient d’une logique purement comptable : rares sont les porteurs d’initiatives qui procèdent à des études de marché pour trouver des fournisseurs ayant le meilleur rapport qualité-prix (hormis certains groupements d’achat installés dans des Quartiers prioritaires de la politique de la Ville [QPV]) ; encore plus rares sont ceux qui négocient les prix avec les fournisseurs (hormis quelques magasins sur les produits bio transformés). La majorité des transactions entre les porteurs d’initiatives et leurs fournisseurs apparaissent comme fortement encastrées dans des relations d’interconnaissance, reliées à des enjeux de solidarité dans le cas d’une relation avec un producteur ou d’un fonctionnement en confiance dans le cas d’un grossiste, au détriment parfois de l’optimisation du rapport qualité-prix. Dans quelques cas s’ajoute une stratégie de réduction du coût d’approvisionnement en produits de qualité, à travers deux démarches observées, parfois couplées : la mobilisation de dons et l’autoproduction. Les dons viennent parfois des fournisseurs, directement ou lors d’opérations de glanage et/ou de récupération d’invendus chez les producteurs, auxquelles participent les personnes en situation de précarité (c’est le cas de certains dispositifs étudiants notamment), ou bien encore à travers des tournées antigaspillage dans les restaurants scolaires, opérés dans certains projets alimentaires territoriaux (PAT[7]). L’autre démarche observée consiste à développer une production agricole, de légumes surtout, en impliquant parfois les bénéficiaires (c’est le cas des jardins solidaires, de certaines épiceries sociales et participatives). Dans la grande majorité des initiatives toutefois, l’approvisionnement en produits de qualité passe par des relations avec les producteurs ou fournisseurs qui s’inscrivent dans des échanges marchands où les prix ne sont pas négociés. Par conséquent, les porteurs d’initiatives doivent trouver des solutions pour réduire les prix de vente des produits afin de favoriser leur accessibilité économique. Trois stratégies ont été observées, parfois combinées au sein d’une même initiative.

La première stratégie consiste à proposer un prix moins élevé que les « prix du marché » par une baisse des coûts de transaction. Visant tous les consommateurs et pas seulement les plus précaires, cette stratégie est adoptée par certaines initiatives commerciales de distribution de produits bio. Celles-ci optimisent la logistique et les frais de structure pour baisser leurs prix de vente, notamment à l’aide du numérique, au risque toutefois de diminuer les relations entre producteurs et acheteurs. Au sein d’autres structures, telles que les supermarchés coopératifs, c’est le temps de travail fourni bénévolement par leurs adhérents (3 h par mois) qui soutient une partie des coûts de transaction. Les ressources fournies par ces relations avec les adhérents permettent d’appliquer une marge fixe de seulement 20 % à 25 % sur les produits de qualité, et ainsi d’atteindre des prix inférieurs à ceux de la concurrence sur certaines gammes de produits. Les porteurs d’ÉPI[8], de coopératives alimentaires autogérées, de groupements d’achat et d’AMAP s’appuient davantage encore sur les adhérents, en mobilisant exclusivement du travail bénévole, pour proposer un prix « brut » ou « coûtant » qui ne comprend aucune marge sur la revente des produits. Ces derniers sont achetés à des fournisseurs, en particulier à des producteurs locaux, et sont distribués au prix d’achat. Certaines initiatives s’appuient aussi sur les ressources de leurs adhérents (véhicules, locaux, matériels) pour réduire encore leurs frais, ainsi que sur d’autres acteurs du territoire avec lesquels leurs porteurs sont en lien ou le deviennent, pour mutualiser des coûts (locaux partagés). Certains groupements d’achat font également ou davantage appel à des ressources issues de liens tissés avec les politiques publiques, pour le prêt ou le subventionnement de locaux par exemple, mais aussi à travers des emplois subventionnés, en particulier par l’intermédiaire du dispositif de service civique. Nous reviendrons sur ces liens qui tendent à diviser les porteurs d’initiatives.

La deuxième stratégie consiste à pratiquer des prix différenciés selon les caractéristiques socioéconomiques des consommateurs. Il s’agit alors de définir des critères d’identification de la situation précaire des personnes, afin de les faire bénéficier d’un droit de réduction sur le prix de vente ou sur le coût de la cotisation annuelle. La définition de ces critères interroge souvent les porteurs des initiatives, qui hésitent entre la délégation de cette tâche à un partenaire, une objectivation de la pauvreté de la personne par des justificatifs, ou bien une autodéfinition. Les pratiques sont ainsi très diverses, même si la stratégie consiste finalement le plus souvent à utiliser ou à développer l’ancrage territorial de l’initiative pour s’appuyer sur une relation de délégation, en particulier avec un acteur de l’aide alimentaire ou de la solidarité tel que les Centres communaux d’action sociale (CCAS). La mise en place de prix différenciés fait émerger deux grandes catégories de consommateurs : les « solidaires », qui paient le prix courant, auquel s’ajoute une marge de 20 % à 30 % ; les « précaires », qui sont parfois subdivisés entre plusieurs tranches et paient leurs produits avec une réduction allant de 30 % à 90 % par rapport au prix courant, se retrouvant ainsi dans une relation de dépendance vis-à-vis des « solidaires ». Dans le modèle des paniers solidaires développé par certaines AMAP, la réduction du coût est uniquement portée par les consommateurs solidaires, ce qui limite le nombre de paniers. Dans d’autres cas de paniers hors AMAP, la réduction du coût s’appuie sur des financements publics ou privés, ce qui crée une forte dépendance du modèle à des ressources extérieures.

La troisième stratégie repose sur des dons organisés en interne, avec une distribution au sein de l’initiative ou déléguée à un tiers. Certaines épiceries participatives installent un espace pour des produits « suspendus » ou organisent des collectes de parts sociales « suspendues[9] », misant sur les relations de solidarité de leurs adhérents ; des AMAP donnent ainsi des légumes « moches » en plus de paniers au prix bas. Certains groupements d’achats d’agrumes prélèvent une part des produits qu’ils achètent pour les donner à des associations d’aide alimentaire. La plupart des supermarchés coopératifs acceptent que des associations d’aide alimentaire mettent en place des collectes quelques jours dans l’année. La stratégie qui consiste à déléguer la distribution de produits de qualité aux personnes précaires à d’autres acteurs locaux appelle à mieux examiner l’ancrage territorial des initiatives.

2.2. Des ancrages territoriaux différenciés suivant les relations avec les producteurs locaux et les politiques publiques

La stratégie de la localisation à proximité des populations précaires est très souvent mise en oeuvre au sein de l’échantillon étudié (cas des supermarchés coopératifs, des groupements d’achat et/ou de certains systèmes de paniers), avec une implantation dans des quartiers dits « mixtes » ou prioritaires de la politique de la ville, ou bien à l’intérieur de centres sociaux. Pour autant, de l’avis même de leurs porteurs, ces stratégies d’implantation ne permettent pas à elles seules de toucher les populations précaires : il est nécessaire de tisser et d’entretenir des relations avec les habitants de ces quartiers, à la fois pour faire connaître l’initiative, mais aussi faire valoir qu’elle n’est pas réservée à un public de consommateurs aisés et/ou engagés. Ces relations sont toutefois difficiles à développer, du fait, notamment, de la différence de statut social entre les porteurs d’initiatives et les habitants, point sur lequel nous reviendrons. La recherche participative a ainsi appuyé certaines initiatives pour réfléchir à ce sujet. Dans certains cas, néanmoins, localiser l’initiative dans un QPV apparaît davantage motivé par la possibilité d’accéder à un loyer faible et à des soutiens publics que par la volonté de tisser des liens avec l’environnement. D’autres initiatives proposent des dispositifs itinérants dans le but de se rendre physiquement accessibles, mais rencontrent les mêmes difficultés pour nouer des contacts pérennes avec les habitants.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’intégration dans le territoire repose par contre souvent sur la mise en place de partenariats avec les acteurs locaux chargés de la question de la précarité. Des liens avec des acteurs de l’aide alimentaire sont ainsi activés afin de toucher ces publics en difficulté. Dans ces cas de solidarité indirecte, le partenariat permet la délégation à la fois du jugement quant à la situation précaire des personnes et de la démarche visant à les atteindre.

Si les relations entre les habitants des quartiers et les acteurs locaux de la solidarité distinguent peu les initiatives, les liens avec les producteurs et les politiques publiques de leur territoire, par contre, tendent à les différencier : les AMAP, notamment, ne fonctionnent qu’avec des producteurs locaux de leurs territoires, tandis les groupements d’achat de produits bio visent moins à relocaliser l’alimentation qu’à développer des relations de confiance avec des fournisseurs situés dans différents lieux. Parallèlement, certains groupements d’achat et épiceries participatives, notamment ceux localisés dans les QPV, cherchent à tisser des liens étroits avec les politiques locales pour bénéficier de subventions ou de ressources. D’autres initiatives telles que les AMAP, les coopératives alimentaires, certains supermarchés coopératifs et groupements d’achat se développent en revanche sans financement public. S’il s’agit dans certains cas de préserver leur indépendance vis-à-vis des acteurs politiques locaux, ces non-relations révèlent aussi parfois un manque de forces vives ou de connaissances pour engager des demandes de financement.

2.3. Une participation limitée des bénéficiaires qui confirme la difficulté à tisser des liens

L’entrée par la gouvernance et la participation permet de compléter notre analyse, en confirmant notamment la difficulté de nombreux porteurs à tisser des relations avec les personnes en situation de précarité. L’implication des bénéficiaires dans l’élaboration de l’initiative et la prise de décisions est une des stratégies mises en avant dans la littérature pour accroître l’inclusion en réduisant les phénomènes d’autoexclusion, mais aussi redonner du pouvoir d’agir aux personnes en ce qui concerne le choix de leur alimentation. Toutefois, comme nous l’avons indiqué précédemment, la moitié des initiatives étudiées ont d’abord poursuivi l’objectif de permettre la consommation de produits durables, en soutenant les producteurs locaux, avant de finalement mettre en place des dispositifs spécifiques visant à s’ouvrir aux personnes en précarité. Par conséquent, ces initiatives sont aux prises avec des problèmes d’adaptabilité de leur modèle aux attentes, aux capacités et aux ressources des potentiels bénéficiaires. En revanche, toutes les initiatives ou presque promeuvent la participation des personnes en situation de précarité. Trois stratégies ont à ce titre été identifiées. La première consiste à ajuster l’initiative en s’appuyant sur les résultats de sondages visant à comprendre les attentes des futurs bénéficiaires. Certaines épiceries sociales ont par exemple mis en place un comité consultatif composé d’adhérents bénéficiaires, qui se réunit plusieurs fois par an. Une seconde stratégie consiste à mobiliser des structures du territoire qui sont déjà en lien avec des personnes précaires (centres sociaux, structures d’insertion…) afin d’impliquer ces dernières dans la phase d’élaboration du projet. Enfin, une troisième cherche à s’appuyer sur des bénévoles-bénéficiaires dans les tâches logistiques (ensachage, mise en rayon, organisation…). Étudiée dans la durée au sein d’un supermarché coopératif, cette dernière stratégie présente l’intérêt de favoriser des relations d’apprentissage autour de la qualité des produits et de l’alimentation durable (Chiffoleau et Akermann, 2022), condition nécessaire à l’exercice d’une participation critique. Les supermarchés coopératifs captent toutefois peu de personnes en situation de précarité – nous y reviendrons –, l’analyse reste donc à approfondir mais aussi à élargir aux autres types d’initiatives.

L’implication des bénéficiaires dans la gouvernance elle-même reste un objectif que souhaitent atteindre de nombreuses initiatives, sans pour autant réussir à trouver les leviers pour y parvenir de façon non seulement massive mais aussi critique, avec des bénéficiaires ayant eu accès à des connaissances suffisantes pour comprendre les enjeux liés aux décisions. Dans les faits, de l’avis des porteurs des initiatives eux-mêmes, les salariés, les services civiques, les participants aux organes de gestion sont souvent des personnes situées à des positions plus élevées que les bénéficiaires sur l’échelle sociale. Ainsi, bien que l’on sache que faire porter les projets par les bénéficiaires eux-mêmes est un levier pour réduire le risque de construire des dispositifs qui ne seront pas utilisés, l’effectivité de leur implication dans la gouvernance reste soumise à des freins persistants, notamment des barrières culturelles liées à la différence de statut social entre les porteurs des initiatives et les personnes visées.

2.4. Une combinaison de stratégies qui ne touche qu’un public limité et soulève des questions éthiques

Quelles que soient les stratégies adoptées en matière d’accessibilité économique, et malgré la recherche de proximité géographique avec les personnes visées, la plupart des initiatives étudiées ne touchent qu’un nombre limité de personnes en situation de précarité. Les dispositifs qui visent à réduire de manière importante le prix des produits sont souvent coûteux, nécessitant une large communauté de donateurs pour trouver un équilibre financier, ou bien des financements publics et/ou privés pérennes. Dans les AMAP, qui s’appuient sur le financement interne de la communauté d’adhérents, les paniers à prix réduit représentent ainsi moins de 10 % des volumes[10] ; plus largement, la part des paniers « solidaires » reste marginale dans les initiatives qui en proposent[11]. De leur côté, les supermarchés coopératifs, groupements d’achat ou épiceries participatives qui visent une réduction des prix de vente pour tous par la contribution bénévole aux tâches logistiques attirent également peu de personnes en situation de précarité[12]. De plus, d’après leurs porteurs eux-mêmes, lorsque les initiatives touchent des personnes en situation de précarité, celles-ci ont un niveau d’éducation assez élevé, en particulier dans les AMAP et les supermarchés coopératifs, qui attirent d’abord des étudiants et de jeunes diplômé·e·s en situation de précarité transitoire.

En dehors des épiceries sociales réservées aux personnes bénéficiant des minimas sociaux, les initiatives qui touchent le plus de personnes précaires (certains groupements d’achat et épiceries participatives) sont celles qui à la fois réduisent les coûts de transaction à leur strict minimum, sont implantées dans des quartiers populaires et mettent en place des formes de gouvernance qui impliquent les bénéficiaires. En outre, celles qui y parviennent le plus impliquent dès l’origine du projet les publics en situation de précarité, ce qui nécessite des besoins très importants en personnel pour construire des liens, expliciter le projet et aller vers ces personnes. Par conséquent, ces initiatives sont très dépendantes des financements publics ou privés, ainsi que des emplois subventionnés ; elles restent donc très fragiles, tout en soutenant des emplois souvent précaires, ce qui est source de questionnements éthiques. On observe par exemple dans certains groupements d’achat et épiceries participatives une utilisation de dispositifs en cascade : des services civiques sont recrutés pour préparer les missions de futurs services civiques. Dans ces cas, les services civiques et les salariés sont en général des personnes diplômées. Dans d’autres cas, la relation avec les politiques publiques est plutôt investie afin de soutenir l’insertion par l’économique de personnes précaires, qui peuvent alors se professionnaliser à travers l’initiative. Par ailleurs, sur le plan éthique, le recours massif aux bénévoles, observé dans la majorité des cas étudiés, est remis en question par certains porteurs d’initiatives qui craignent une possible dérive vers l’exploitation d’un travail gratuit, surtout quand les bénévoles mobilisés sont des personnes en situation de précarité (Simonet, 2018).

Les initiatives de solidarité alimentaire observées forment ainsi des économies concrètes qui s’appuient sur des ressources de différentes natures (bénéfices liés à la vente de produits, bénévolat, subventions…) et sont avant tout fortement encastrées dans des relations d’interconnaissance, de solidarité et de confiance avec les producteurs et fournisseurs, relations qui conditionnent leur fonctionnement économique et l’accessibilité économique des produits en particulier. L’analyse des stratégies qui s’inventent vient enrichir les travaux sur le développement d’une économie plurielle (Aznar et al., 1997), même si elle confirme la difficulté de ces stratégies, bien que combinées, à toucher et à impliquer en grand nombre les personnes en situation de précarité, notamment les moins éduquées. Malgré ces limites, les avancées permises par les initiatives appuyées sur les circuits courts ont ainsi contribué à accélérer la mise en place du projet de sécurité sociale de l’alimentation.

3. Quelle sécurité sociale de l’alimentation, et pour quel accès ?

Le projet de sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est porté publiquement depuis 2019 en France par un collectif d’associations et d’organisations[13]. Son émergence, toutefois, est plus ancienne et s’inscrit, dès le départ, dans une remise en cause de la filière classique de l’aide alimentaire et l’expérimentation d’alternatives en circuits courts. En 2013, lors d’une conférence organisée à Montpellier par l’unité mixte de recherche (UMR) Innovation de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA[14]) et l’EAPN France[15], Olivier de Schutter, alors rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, vient légitimer à la fois la critique de l’aide alimentaire et les résultats d’une recherche-action sur ces alternatives, tout en soulignant l’enjeu démocratique. Les réflexions autour des alternatives prennent une nouvelle dimension en 2014, lors des Rencontres nationales des agricultures organisées autour du thème de l’emploi, au cours desquelles intervient Bernard Friot, fondateur du Réseau Salariat et spécialiste de la sécurité sociale. Sans se saisir encore complètement de la notion, la Confédération paysanne, syndicat agricole soutenant les alternatives au système alimentaire agro-industriel, s’allie au mouvement des AMAP lors des Assises de l’agriculture et de l’alimentation en 2017, reconnaissant de ce fait l’alimentation comme un enjeu commun, et l’accès de tous à une alimentation durable, en particulier à travers les circuits courts, comme un défi à relever. Proche de ce syndicat, l’association Ingénieurs sans frontières s’empare de ce défi, que ses bénévoles commencent alors à travailler dans la perspective d’une sécurité sociale de l’alimentation, s’appuyant sur les alternatives à l’aide alimentaire en circuits courts, ce qui aboutit à la création d’un collectif national en 2019 autour d’un récit fédérateur.

Ce récit repose sur un socle commun[16], dont un des préalables est la reconnaissance d’un droit à l’alimentation durable pour faire contrepoids au droit commercial de l’alimentation (Collart-Dutilleul et Bréger, 2014). Le collectif plaide pour l’intégration de l’alimentation dans le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’il a été instauré en 1946 en France pour assurer l’accès aux services de santé : universalité de l’accès, conventionnement de professionnels réalisé par des caisses locales gérées démocratiquement, et financement par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée. Ce projet s’appuie sur l’idée que, d’une part, la sécurité sociale est un patrimoine collectif, obtenu par les luttes ouvrières ; d’autre part, la France sait gérer les caisses primaires depuis leur mise en oeuvre pour l’assurance maladie, si bien qu’étendre ce fonctionnement à l’accès à une alimentation de qualité est de prime abord possible. Concrètement, le collectif propose, en première approche, que toute personne ait accès à 150 euros par mois pour acheter, avec sa carte d’assurance maladie, des produits alimentaires proposés chez les fournisseurs conventionnés par les caisses locales.

Toutefois, si l’ambition démocratique de la SSA fédère les acteurs du collectif, elle ne s’appuie pas sur une critique ouverte et partagée, de ce point de vue, des alternatives à l’aide alimentaire en circuits courts. Plus encore, l’engagement de certains fondateurs du collectif envers l’agriculture paysanne et les circuits courts pourrait laisser penser que les possibilités de conventionner d’autres fournisseurs, produits et circuits sont limitées. Les discussions au sein du collectif national ouvrent ainsi le débat autour de l’intérêt d’impliquer, au-delà des acteurs de la production agricole, tous les acteurs des systèmes alimentaires, y compris ceux liés au modèle agro-industriel, afin de discuter avec eux des conditions de développement d’un droit à l’alimentation durable (Caillavet et al., 2021). En outre, les discussions font émerger le débat entre une SSA qui soutiendrait la démocratie économique en donnant la possibilité à tous les travailleurs de participer aux décisions concernant les systèmes alimentaires (par l’entremise de la cotisation sociale et du système de conventionnement), et une SSA également ancrée dans la démocratie sociale, permettant à chacun, travailleur ou non, d’exprimer ses besoins alimentaires (au même titre que d’autres besoins de la vie ordinaire), et ce, directement (Paturel, 2023). Prioriser la démocratie sociale, à travers la SSA, plaiderait alors plutôt pour un universalisme proportionné, c’est-à-dire que l’allocation serait proportionnelle aux besoins des groupes sociaux, donc plus élevée pour les personnes en situation de précarité. Si le récit commun reste de défendre un droit à l’alimentation durable pour tous, plusieurs questions sont ainsi ouvertes autour de la façon de le construire à l’échelle nationale et par les institutions, non seulement en tant que droit mais aussi en tant qu’économie concrète, encastrée dans les structures sociales, nationales comme locales.

Dès la création du collectif, ses membres interagissent avec une diversité d’acteurs institutionnels autour de ce récit. Sa dimension politique est affirmée en 2021, à travers la proposition d’un amendement sur la SSA soumise à l’Assemblée nationale dans le cadre de la Loi no 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience », issue de discussions entre le collectif et une députée de la majorité présidentielle. Si la proposition n’est pas retenue, l’idée fait son chemin et est proposée l’année suivante par le Conseil national de l’alimentation (CNA) en tant que recommandation pour « prévenir et lutter contre la précarité alimentaire[17] ».

En relation plus ou moins forte avec ce collectif national, plusieurs initiatives locales décrites précédemment se revendiquent du projet de SSA dès 2018, sans pour autant modifier leur fonctionnement (AMAP et groupements d’achat solidaires notamment). D’autres collectifs d’acteurs vont en revanche plus loin et expérimentent des caisses locales, basées sur des subventions (publiques, privées) et/ou des dons en argent. La crise de la COVID-19 renforce l’implication des collectivités territoriales envers ces initiatives, en rendant plus visibles les inégalités alimentaires, mais aussi le rôle des associations citoyennes dans la prise en charge rapide de la solidarité alimentaire, aux côtés de dispositifs institutionnels en général moins réactifs[18]. Pour certaines collectivités, souvent déjà impliquées avant la crise dans le soutien aux alternatives à l’aide alimentaire dans le cadre de leur PAT et/ou compte tenu de leurs compétences en matière de solidarité (métropoles et villes de Montpellier, Lyon, Bordeaux ou Toulouse, pays Terres de Lorraine, etc.), il s’agit surtout, par la SSA, de dépasser les effets de stigmatisation liés à l’aide alimentaire, y compris quand celle-ci est « modernisée » par un approvisionnement en circuits courts.

Ainsi, à titre d’exemple, à Montpellier, une caisse locale est lancée en avril 2021 par des acteurs liés aux circuits courts et/ou bio. Les premières bases du modèle économique sont posées fin 2022 par un comité citoyen composé d’une cinquantaine de personnes, dont la moitié environ est en situation de précarité. La caisse est abondée par des fonds publics (Métropole, Ville, État), des fonds privés (fondations) et des cotisations des bénéficiaires. L’une des propositions formulées au sein du comité est qu’une personne au revenu élevé pourrait cotiser 120 euros par mois, une personne touchant le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance), 40 euros, tandis que pour une personne s’approvisionnant à l’aide alimentaire, la cotisation ne serait que d’un euro symbolique – pour éviter l’idée d’alimentation gratuite. Tous, par contre, recevraient 100 euros par mois, en monnaie locale, pour acheter des produits alimentaires auprès de fournisseurs conventionnés par le comité citoyen. D’autres propositions sont toutefois discutées, telles que fixer le niveau de cotisation par autodétermination, avec l’aide de différents outils (calcul du reste à vivre, du niveau de dépenses alimentaires…), ou encore moduler la somme reçue en fonction de la composition du foyer. Cette initiative combine finalement les stratégies identifiées précédemment (réduction des coûts de transaction par la participation des bénévoles, recherche de financements publics et privés, implantation dans les QPV, implication des bénéficiaires dès l’origine du projet, etc.). Elle incarne une économie concrète fortement encastrée dans les relations avec les réseaux agroalimentaires alternatifs et les acteurs politiques locaux. L’objectif affiché, cependant, est bien, à travers l’expérimentation locale, de tester les conditions de mise en oeuvre d’un droit à l’alimentation durable national. En revanche, de la même façon que ce qui avait été observé précédemment, d’autres initiatives de caisse locale se développent sans financements publics. Leurs acteurs, souvent en marge des dynamiques institutionnelles locales, mettent en avant la nécessité de construire un modèle économique autonome pour qu’il puisse perdurer jusqu’à ce que la SSA soit investie par l’État.

Le projet de SSA fait ainsi émerger plusieurs sujets de débats, qui non seulement permettent de mieux comprendre l’organisation des alternatives économiques au système alimentaire agro-industriel, mais nourrissent la proposition d’une innovation institutionnelle majeure.

Conclusion

L’accès des personnes en situation de précarité à une alimentation de qualité demeure un défi de taille au sein des sociétés contemporaines. Pour y répondre, une large gamme d’initiatives cherchent à favoriser l’égalité d’accès en s’appuyant notamment sur les circuits courts et l’alimentation locale. Dans cet article, nous avons proposé un cadre d’analyse interdisciplinaire pour éclairer les économies concrètes, encastrées socialement et ancrées territorialement, qui sous-tendent ces initiatives en France. Nous l’avons ensuite appliqué sur un échantillon représentatif de leur diversité, en pointant notamment la ligne de tension relative aux relations avec les politiques publiques. Cette analyse nous a amenés à souligner les difficultés que rencontrent ces initiatives pour fixer des prix de vente accessibles à tous et impliquer les personnes en précarité, en particulier les moins éduquées. Ce constat rejoint les conclusions d’autres travaux menés sur des métropoles souhaitant développer une politique alimentaire participative et solidaire (Corade et al., 2021 ; Fort-Jacques et Marchadier, 2022). La proposition de Sécurité sociale de l’alimentation ouvre une nouvelle perspective, qui reçoit le soutien croissant de collectivités territoriales y voyant justement le moyen, si ce n’est de les résoudre, au moins d’expérimenter des solutions pour lever ces difficultés. Plusieurs démarches sont en cours, l’une portée par un collectif national, les autres par des acteurs locaux, illustrant finalement les deux grandes approches de la démocratie alimentaire, à savoir l’accès de tous à une alimentation durable par le droit d’un côté (qui deviendrait alors le cadre de nouvelles actions collectives locales), par l’action collective locale de l’autre (en vue de tester les conditions de mise en oeuvre d’un droit national). Complémentaires, ces démarches font émerger plusieurs sujets de débats et appellent à amplifier les recherches participatives pour décrire et évaluer les expérimentations d’économies concrètes qu’elles suscitent avec des personnes en situation de précarité, mais aussi pour confronter les premiers essais de modélisations aux situations réelles. Une innovation institutionnelle majeure est en jeu, pour que l’accès à une alimentation de qualité devienne possible pour tous.