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Introduction

Avec le vieillissement de la population dans de nombreux pays, la transmission-reprise d’entreprise devient un enjeu majeur (Commission européenne, 2013). En France, plusieurs études et rapports situent le nombre d’entreprises à reprendre entre 60 000 et 75 000 chaque année (Tourdjman et Le Dret, 2012 ; Dombre-Coste, 2015 ; Nougein et Vaspart, 2017 ; Boumedjaoud, Cloutier et Messeghem, 2019). L’enjeu est d’une part d’éviter la disparition d’entreprises faute de repreneurs et, d’autre part, de créer les conditions favorables à la réussite de la reprise. L’entrée dans l’entreprise est une phase particulièrement risquée, d’un point de vue stratégique et organisationnel. Le nouveau dirigeant doit en effet parvenir à instiller son style de direction et à développer un projet de reprise en identifiant et en exploitant de nouvelles opportunités d’affaires.

La notion d’opportunité apparaît dans le processus repreneurial décrit par Deschamps (2002). L’auteure distingue trois étapes : la décision de reprendre, le processus de reprise et l’entrée dans l’entreprise (Deschamps, 2002). L’opportunité est notamment présente dans le processus de reprise, avec la « sélection de quelques opportunités intéressantes » (Deschamps, 2002, p. 183). Si l’opportunité apparaît dans la deuxième phase, elle est également présente dans la troisième – l’entrée dans l’entreprise. Cette dernière phase, critique pour le développement de la PME reprise, a donné lieu à plusieurs travaux centrés sur la socialisation du repreneur (Boussaguet, 2005), la gestion de la transition (De Freyman, 2009), la constitution du noyau dur (Saoudi, 2012) ou encore la stratégie repreneuriale (Dokou, 2006 ; Grazzini, Boissin et Malsch, 2009). Selon Grazzini, Boissin et Malsch (2009), l’opportunité est centrale dans le processus de formation de la stratégie. Toutefois, cette question reste assez peu étudiée dans le contexte de la reprise externe. Cet article vise ainsi à mieux comprendre la construction de la stratégie repreneuriale en se centrant sur l’identification d’opportunités.

La question de la définition de l’opportunité fait débat dans la littérature en entrepreneuriat (Hansen, Shrader et Monllor, 2011 ; Kitching et Rouse, 2016). Short, Ketchen, Shook et Ireland (2010) soulignent par exemple que le socle théorique pour comprendre le concept de l’opportunité varie. De leur côté, Crawford, Dimov et McKelvey (2016) dénoncent la forte élasticité du concept et les interprétations radicalement différentes qui peuvent exister. Davidsson (2015) souligne même que, parfois, les auteurs ne fournissent pas de définitions opérationnelles de l’opportunité. Face à ces dissonances, Hansen, Shrader et Monllor (2011), dans un article théorique où ils agrègent des éléments conceptuels, précisent que l’opportunité peut finalement correspondre à une occasion de profit[2]. Dès lors, si un repreneur souhaite maintenir la croissance de l’entreprise ou lui donner un nouvel élan, il devra identifier et exploiter ces occasions de profit. L’identification des opportunités dans le contexte de la reprise devient d’autant plus nécessaire que la reprise est une phase risquée. Tourdjman et Le Dret (2017), dans un rapport de BPCE L’Observatoire, précisent d’ailleurs que le taux de survie à trois ans des PME et ETI cédées est de 77 %, ce qui signifie que dans 23 % des cas la reprise est un échec.

Le processus d’identification des opportunités est influencé par la vigilance entrepreneuriale. Introduite par Kirzner (1979), elle permet d’apprécier la capacité individuelle à identifier des opportunités négligées par d’autres. Les travaux sur la vigilance entrepreneuriale portent sur sa constitution (Kaish et Gilad, 1991 ; Busenitz, 1996 ; Gaglio et Katz, 2001 ; Tang, 2009 ; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012), ses antécédents (Ardichvili, Cardozo et Ray, 2003 ; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012) et ses conséquences (Ardichvili et Cardozo, 2000 ; Ruiz-Arroyo, Sanz-Espinosa et Fuentes-Fuentes del M., 2015 ; Adomako, Danso, Boso et Narteh, 2018 ; Roundy, Harrison, Khavul, Pérez-Nordtvedt et McGee, 2018). Pour mieux comprendre la construction de la stratégie du repreneur externe, nous allons examiner les conséquences de la vigilance entrepreneuriale en matière d’identification des opportunités et de performance financière.

L’identification des opportunités peut également être facilitée par l’accompagnement entrepreneurial. Effectivement, si ce dernier peut constituer un levier de performance (Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013), il peut également permettre au repreneur de se libérer de certains biais cognitifs et affectifs (Tversky et Kahneman, 1974) et d’explorer de nouvelles voies de développement. Pourtant, comme le soulignent Deschamps, Fatien et Geindre (2010), « les outils d’accompagnement dédiés au repreneur sont encore rares » (p. 77). St-Jean (2012) propose cependant d’utiliser le mentorat dans les opérations de transmission-reprise. L’auteur souligne que, une fois entré dans l’entreprise, le mentor est particulièrement nécessaire ; il peut par exemple aider le repreneur à obtenir des informations essentielles et ainsi faciliter l’identification de nouvelles opportunités d’affaires.

Si le mentorat peut contribuer à la réussite de la reprise, la question du moment – qui a été peu explorée dans la littérature – est également importante. Nous pouvons donc nous interroger sur le moment où le mentorat a commencé : une relation de mentorat qui débute avant la reprise est-elle plus bénéfique ? Dans le contexte de la création d’entreprise, Hentic-Giliberto et Berger-Douce (2017) soulignent l’intérêt d’être accompagné dès la phase amont. Les auteurs précisent que l’accompagnement en amont « permet aux porteurs de projets de mieux appréhender la pertinence de leur projet et l’intérêt de sa mise en oeuvre effective, mais aussi, dans le cas contraire, d’identifier les différents facteurs qui incitent à surseoir à sa mise en oeuvre » (p. 30). Qu’en est-il pour les repreneurs ? Nous avons procédé à une comparaison entre des repreneurs mentorés avant et après la reprise. Notre objectif est de montrer, en adoptant une approche cognitive, que la relation entre vigilance entrepreneuriale, identification des opportunités et performance financière est plus forte pour les repreneurs accompagnés avant.

Pour répondre à cette question de recherche, une étude quantitative a été menée – en partenariat avec le Réseau Entreprendre. Nous avons interrogé 150 repreneurs accompagnés par un mentor, dont 49 mentorés avant et 101 après. Dans la suite de cet article, nous présentons le cadre conceptuel, en retenant une lecture cognitive de la vigilance entrepreneuriale. Nous revenons ensuite sur la méthodologie et présentons la validation de notre modèle sous SmartPLS. Enfin, les résultats sont présentés et une discussion permet d’exposer les limites et les perspectives de la recherche.

1. Cadre conceptuel

Cette partie vise à mieux comprendre le processus d’identification des opportunités dans le contexte de la reprise et plus précisément lors de la phase d’entrée dans l’entreprise. Dans un premier temps, nous abordons l’influence de la vigilance entrepreneuriale sur le processus d’identification des opportunités (1.1.). Nous analysons ensuite l’influence du mentorat sur la stratégie repreneuriale (1.2.).

1.1. L’entrée du repreneur : de la vigilance entrepreneuriale à l’identification des opportunités

Notre question de recherche est ancrée dans le paradigme de l’opportunité, un paradigme intégrateur en entrepreneuriat (Shane, 2003 ; Foss, Klein, Kor et Mahoney, 2008 ; Chabaud et Messeghem, 2010). Depuis les travaux de Shane et Venkataraman (2000), la question de l’identification des opportunités est devenue centrale (Ardichvili et Cardozo, 2000 ; Ardichvili, Cardozo et Ray, 2003 ; Gaglio, 2004 ; Shepherd et DeTienne, 2005 ; Short, Ketchen, Shook et Ireland, 2010) et un courant cognitif a vu le jour avec des recherches sur les prototypes (Baron, 2006 ; Baron et Ensley, 2006 ; Costa, Santos et Caetano, 2013 ; Costa, Ehrenhard, Caetano et Santos, 2016 ; Costa, Santos, Wach et Caetano, 2018 ; Santos, Caetano, Baron et Curral, 2015), l’intersubjectivité (Venkataraman, Sarasvathy, Dew et Forster, 2012 ; Casanova, Messeghem et Sammut, 2018) ou encore la vigilance entrepreneuriale (Kaish et Gilad, 1991 ; Busenitz, 1996 ; Gaglio et Katz, 2001 ; Tang, 2009 ; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012 ; Valliere, 2013). Selon Kirzner (1979), la vigilance entrepreneuriale est une capacité individuelle permettant d’identifier des opportunités négligées par d’autres.

La définition de l’opportunité fait débat (Short, Ketchen, Shook et Ireland, 2010 ; Hansen, Shrader et Monllor, 2011 ; Davidsson, 2015 ; Crawford, Dimov et McKelvey, 2016 ; Kitching et Rouse, 2016) – même si Baron (2006) précise que les définitions incluent trois caractéristiques centrales : la valeur économique potentielle, la nouveauté et la désirabilité. L’opportunité peut ainsi correspondre à une situation dans laquelle de nouveaux biens, services, matières premières et processus organisationnels peuvent être introduits et vendus à un prix plus élevé que leur coût de production (Shane et Venkataraman, 2000), à une idée ou un rêve qui est découvert par une entité entrepreneuriale et qui se révèle, après analyse, être potentiellement lucratif (Short, Ketchen, Shook et Ireland, 2010) ou encore à une situation future jugée à la fois désirable et faisable (Stevenson et Jarillo, 1990 ; Wood et McKinley, 2010).

Dans le contexte de la reprise, la littérature évoque la question de l’identification des opportunités en se centrant sur certaines phases du processus repreneurial. Ce processus a été souvent analysé sous forme séquentielle (Deschamps, 2002 ; Picard et Thévenard-Puthod, 2004). Par exemple, Deschamps (2002) met en évidence trois étapes :

  • la première est la décision de reprendre ; elle comprend notamment des travaux sur les profils de repreneurs (Géraudel, Jaouen, Missonier et Salvetat, 2009 ; Grazzini et Boissin, 2013) et les déterminants qui poussent à la création ou à la reprise (Parker et van Praag, 2012 ; Bastiè, Cieply et Cussy, 2013 ; Block, Thurik, van der Zwan et Walter, 2013 ; Xi, Block, Lasch, Robert et Thurik, 2018) ;

  • la deuxième est le processus de reprise, c’est-à-dire la démarche qui conduit l’individu vers la cible qu’il achètera (Deschamps, 2002). Cette étape renvoie notamment à l’identification de la cible (Boumedjaoud et Messeghem, 2019), à son financement (Meniaoui et Ben Larbi, 2019) et est conclue par le rachat ;

  • enfin, la troisième étape est l’entrée dans l’entreprise. Elle porte sur la socialisation du dirigeant (Boussaguet, 2005), la phase transitoire (De Freyman, 2009), la constitution du noyau dur (Saoudi, 2012), la gestion du changement (Mouhli, 2019) ou encore la formation de la stratégie repreneuriale (Grazzini, Boissin et Malsch, 2009).

Si notre recherche se focalise sur la troisième étape, sous l’angle de la stratégie repreneuriale, elle tient compte des deux premières, en particulier pour les repreneurs qui ont été accompagnés avant la reprise et qui ont déjà eu l’occasion d’interagir avec leur mentor.

Cette lecture du processus repreneurial suggère plusieurs façons d’appréhender l’opportunité. Dans notre article, l’opportunité s’inscrit dans la stratégie repreneuriale mise en oeuvre au moment de l’entrée dans l’entreprise. Nous définissons cette stratégie comme le processus de poursuite d’opportunités par le repreneur. L’opportunité correspond alors à une occasion de réaliser du profit[3], qui peut émerger en identifiant et en exploitant une situation de déséquilibre (Kirzner, 1973) ou en provoquant un déséquilibre (Schumpeter, 1935).

La question de l’identification des opportunités peut être étudiée sous un angle cognitif (Baron, 2006 ; Baron et Ensley, 2006). La reprise de PME comprend d’ailleurs un courant cognitif, avec des travaux sur les écarts de représentations entre cédants et repreneurs (Bornard et Thévenard-Puthod, 2009), les effets des biais cognitifs (Deschamps et Geindre, 2011) ou encore la constitution des modèles mentaux (Grazzini et Boissin, 2013 ; Grazzini, Albanet et Boissin, 2017). Cette perspective peut être enrichie en introduisant le concept de vigilance entrepreneuriale.

Issue des travaux de Kirzner (1973), cette capacité peut être activée par certains agents. Elle permet d’identifier des opportunités sur le marché. D’un point de vue empirique, elle a fait l’objet d’une validation sous forme d’échelle de mesure par Kaish et Gilad (1991), Gaglio et Taub (1992) ou encore Busenitz (1996). Les travaux empiriques les plus aboutis sont certainement ceux de Tang, Kacmar et Busenitz (2012). Les auteurs ont construit et validé une échelle composée de trois dimensions ordonnées : 1) analyse et recherche, 2) association et connexion et 3) évaluation et jugement.

Ces trois dimensions ont été analysées dans le contexte de la création d’entreprise. Toutefois, la vigilance du repreneur peut occuper une place centrale dans la stratégie repreneuriale. Comme le montrent Grazzini, Boissin et Malsch (2009), cette stratégie repose sur la capacité du repreneur à identifier des opportunités – même si ces auteurs ne font pas référence explicitement à la notion de vigilance entrepreneuriale. Ce manque nous invite à revisiter la vigilance à l’aune de la reprise :

  • la première dimension, analyse et recherche, permet au repreneur de se construire une solide base de connaissances. D’une part, cette base de connaissances facilite l’intégration et l’accumulation de nouveaux savoirs, et d’autre part elle aide au développement des cadres cognitifs, comme les prototypes ou les schèmes (Tang, Kacmar et Busenitz, 2012). Le repreneur peut entrer dans un processus d’analyse et de recherche grâce à de la lecture professionnelle ou à de la veille ;

  • la deuxième dimension, association et connexion, se concentre sur la réception de l’information et permet l’ajout, la suppression ou l’interprétation d’une même information de manière différente (Tang, Kacmar et Busenitz, 2012). Le repreneur peut s’appuyer sur son expérience pour réinterpréter les informations en leur donnant un nouveau sens ;

  • enfin, la troisième dimension, évaluation et jugement, permet de juger le contenu des nouvelles informations, de filtrer les informations non essentielles et d’évaluer si les nouvelles informations reflètent potentiellement une opportunité (Tang, Kacmar et Busenitz, 2012). Dans cette phase, le repreneur va pouvoir s’appuyer sur son expérience et mobiliser ses réseaux pour apprécier la faisabilité des opportunités.

Dans la littérature, la vigilance entrepreneuriale est mise en relation avec l’identification des opportunités et la performance. Effectivement, de nombreux travaux empiriques montrent qu’elle est un antécédent de l’identification d’opportunités (Wang, Ellinger et Jim Wu, 2013 ; Ruiz-Arroyo, Sanz-Espinosa et Fuentes-Fuentes del M., 2015 ; Casanova, 2016 ; Guo, Tang, Su et Katz, 2017) et un vecteur de performance (Njeru, Bwisa et Kihoro, 2012 ; Adomako et al., 2018 ; Roundy et al., 2018). L’identification des opportunités permet la création et le développement d’avantages compétitifs (Ireland, Hitt et Sirmon, 2003) et peut également contribuer à améliorer la performance, comme le montrent les travaux de Chandler et Jansen (1992), Sambasivan, Abdul et Yusop (2009), Gielnik, Zacher et Frese (2012) ou encore Guo et al. (2017). La capacité à identifier des opportunités peut être liée de manière positive à la profitabilité (Chandler et Jansen, 1992), à la croissance (Chandler et Jansen, 1992 ; Sambasivan, Abdul et Yusop, 2009 ; Gielnik, Zacher et Frese, 2012), au volume des ventes (Sambasivan, Abdul et Yusop, 2009) ou encore à la performance sous un angle objectif et subjectif (Guo et al., 2017). Identifier des opportunités devient alors une étape clé dans la création de valeur (Ireland, Hitt et Sirmon, 2003).

Dans ce processus repreneurial, l’accompagnement par un mentor peut devenir un levier essentiel, comme le suggère St-Jean (2012). Le mentor peut contribuer à l’identification d’opportunités d’affaires en permettant aux repreneurs d’accéder à de nouvelles informations par le biais de l’échange et de la mise en relation. Dans la prochaine partie, nous allons expliciter comment le mentorat influence la stratégie repreneuriale sous l’angle de la vigilance entrepreneuriale, de l’identification des opportunités et de la performance financière.

1.2. L’influence du mentorat sur la stratégie repreneuriale

La stratégie repreneuriale est un processus d’identification d’opportunités, créateur de valeur. Ce processus dépend de la vigilance entrepreneuriale du repreneur et peut avoir une influence sur la performance financière. Dans quelle mesure le mentorat peut-il influencer la relation entre vigilance, identification des opportunités et performance ?

Le mentorat a été étudié dans la littérature en entrepreneuriat, avec des travaux qui portent sur les fonctions du mentor (Ragins et Cotton, 1999 ; Paul, 2002 ; St-Jean, 2010), sa formation (St-Jean et Mitrano-Méda, 2013, 2016) ou encore son engagement (Allen, Poteet et Burroughs, 1997 ; Eby, Durley, Evans et Ragins, 2006 ; Allen et Eby, 2008 ; Ghosh, 2014). Des recherches ont également été menées pour mieux comprendre la similarité mentor/mentoré (Ensher et Murphy, 1997 ; Ragins, 1997 ; Ghosh, 2014 ; Mitchell, Eby et Ragins, 2015), les différents types de mentorat (Ragins, Cotton et Miller, 2000 ; Scandura et Williams, 2001 ; Waters, McCabe, Kiellerup et Kiellerup, 2002 ; DiRenzo, Linnehan, Shao et Rosenberg, 2010 ; Ragins, 2016), les phases (Kram, 1983, 1985 ; Chao, 1997 ; Paul, 2002), les apports des expériences négatives (Eby et McManus, 2004 ; Burk et Eby, 2010 ; Eby, Butts, Durley et Ragins, 2010) ou encore les apports du mentorat au sens large (Ragins et Scandura, 1994 ; Allen, Eby, Poteet, Lentz et Lima, 2004 ; Wanberg, Kammeyer-Mueller et Marchese, 2006 ; Eby, Allen, Evans, Ng et Dubois, 2008 ; St-Jean, 2012 ; Ghosh et Reio, 2013 ; Humberd et Rouse, 2016 ; Samei et Feyzbakhsh, 2016 ; St-Jean, Tremblay, Janssen, Baronet et Loué, 2017). Il ressort de ces travaux que le mentorat est un vecteur d’apprentissage (St-Jean, 2008 ; Humberd et Rouse, 2016) et contribue à la réussite de projets entrepreneuriaux.

Le mentorat est une relation où une personne plus expérimentée (le mentor) accompagne une personne avec moins d’expérience – le mentoré – (Ragins, Cotton et Miller, 2000 ; Waters et al., 2002 ; Scandura et Williams, 2001 ; Paul, 2003 ; Humberd et Rouse, 2016 ; Ragins, 2016). Pour Haggard, Dougherty, Turban et Wilbanks (2011), le mentorat est articulé autour de trois points : une forme de réciprocité, des bénéfices en matière de développement et des interactions régulières. La relation mentor/mentoré peut être appréhendée sous l’angle expert/novice (Paul, 2002 ; St-Jean, 2012 ; St-Jean et Mitrano-Méda, 2013), avec pour objectif le développement de la carrière et des compétences du novice (Humberd et Rouse, 2016). De manière générale, le mentorat implique une forme d’identification personnelle (Humberd et Rouse, 2016), avec des apprentissages pour le mentor et le mentoré (Ragins, Cotton et Miller, 2000 ; Ragins, 2016). Pour le mentoré, les apprentissages peuvent être de nature cognitive, affective et technique (Kraiger, Ford et Salas, 1993). St-Jean et Audet (2012) insistent sur les apprentissages cognitifs, notamment sous l’angle des échanges verbaux.

Cette dynamique d’apprentissage peut être reliée aux fonctions du mentor. Dans la littérature, il est possible de distinguer trois principales fonctions – psychologiques, reliées à la carrière et de modèle (St-Jean, 2010 ; St-Jean et Mitrano-Méda, 2013 ; Haggard et al., 2011). Les fonctions psychologiques renvoient plutôt au développement personnel (Haggard et al., 2011). Le mentor fait usage de ses qualités humaines pour motiver le mentoré, le sécuriser ou encore lui offrir un bilan de ses forces et faiblesses (St-Jean, 2010). De leur côté, les fonctions reliées à la carrière contribuent au développement de la carrière du mentoré (Samei et Feyzbakhsh, 2016). Le mentor va alors intégrer le mentoré dans un réseau d’affaires, lui donner des informations pertinentes ou encore l’aider à aller plus loin dans ses réflexions (St-Jean, 2010). Enfin, avec la fonction de modèle, qui renvoie à l’apprentissage observationnel (Humberd et Rouse, 2016), le mentor devient une source d’inspiration ou un point de comparaison (St-Jean, 2010).

Dans le contexte de la reprise d’entreprise, l’accompagnement joue un rôle important. Thévenard-Puthod, Picard et Chollet (2014) montrent que le tutorat, engagé après la reprise, permet de réduire les difficultés perçues par le repreneur en matière de comptabilité, de finance ou encore de ressources humaines. Si la réflexion des auteurs porte sur le tutorat, St-Jean (2012) souligne que le mentorat peut répondre aux besoins du repreneur avant et après l’entrée dans l’entreprise. En amont, le mentor peut aider le repreneur à définir le profil de l’entreprise recherchée et à faire le point sur ses compétences pour finalement évaluer avec plus de précisions ses chances de réussite. Une fois l’entreprise acquise, le mentor pourra aider le repreneur à obtenir des informations nécessaires, à construire son réseau d’affaires ou encore à mieux exercer son leadership. Il peut également contribuer à l’identification de nouvelles opportunités d’affaires par le repreneur (St-Jean, 2012).

Peu d’études ont testé la relation entre mentorat et identification des opportunités dans le contexte de la reprise. Toutefois, les travaux, qui ont été menés dans un cadre plus général, montrent que le mentor peut aider l’entrepreneur à identifier de nouvelles opportunités (Ozgen et Baron, 2007 ; St-Jean et Tremblay, 2011, 2013 ; St-Jean et al., 2017). Ozgen et Baron (2007), en prenant appui sur un échantillon de 201 entrepreneurs, montrent que le mentorat influence de manière positive l’identification des opportunités. St-Jean et Tremblay (2011, 2013) soulignent également que l’apprentissage avec un mentor influence positivement la capacité de l’entrepreneur novice à identifier des opportunités. Enfin, St-Jean et al. (2017), à partir d’un échantillon de 1 022 étudiants, concluent que le mentor influence positivement l’identification des opportunités par des entrepreneurs potentiels.

Pour que le mentorat contribue à l’identification des opportunités, la question du moment de l’accompagnement est centrale. Jusqu’à présent, ce sujet a peu été abordé dans la littérature. Toutefois, Hentic-Giliberto et Berger-Douce (2017), après avoir étudié 609 projets de création d’entreprises, montrent l’importance d’un accompagnement en phase amont de la création effective d’une activité. Ils précisent notamment que l’accompagnement dans les phases précoces permet de mesurer le potentiel et la pertinence du projet entrepreneurial, et d’alerter sur les risques liés à sa mise en oeuvre (Hentic-Giliberto et Berger-Douce, 2017). Dans la même veine, Bornard, Frugier, Michel et Toutain (2019) soulignent que « l’appui lors des phases amont du processus demeure pertinent » (p. 83). Dans le contexte de la reprise, l’anticipation de l’accompagnement peut permettre au repreneur de renforcer sa vigilance entrepreneuriale. En effet, les échanges avec le mentor peuvent aiguiser sa capacité de recherche, de connexion et d’évaluation des informations.

Il ressort ainsi de la littérature une relation entre vigilance, identification des opportunités et performance financière (Chandler et Jansen, 1992 ; Sambasivan, Abdul et Yusop, 2009 ; Gielnik, Zacher et Frese, 2012 ; Wang, Ellinger et Jim Wu, 2013 ; Ruiz-Arroyo, Sanz-Espinosa et Fuentes-Fuentes del M., 2015 ; Casanova, 2016 ; Guo et al., 2017). Nous avons pu voir que cette relation dépend du moment de l’accompagnement. Cela nous conduit à formuler deux hypothèses. D’une part, la relation entre vigilance entrepreneuriale et identification des opportunités est plus forte quand le mentorat débute avant la reprise. Un accompagnement anticipé favorise une relation de confiance entre mentor et mentoré, ce qui est propice au partage d’informations (St-Jean et Mitrano-Méda, 2013). D’autre part, nous pouvons considérer que la relation entre identification des opportunités et performance est plus forte lorsque l’accompagnement commence plus tôt. En effet, en s’inspirant des travaux de Hentic-Giliberto et Berger-Douce (2017), nous pouvons considérer que l’accompagnement en amont permet aux repreneurs de mieux appréhender la pertinence des opportunités et leur faisabilité. Nous posons les hypothèses suivantes :

H1 : la relation entre vigilance entrepreneuriale et identification des opportunités est plus forte pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise – comparée au groupe mentoré après.

H2 : la relation entre identification des opportunités et performance financière de la reprise est plus forte pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise – comparée au groupe mentoré après.

Après avoir présenté les fondements conceptuels de notre recherche et justifié nos hypothèses, nous allons à présent exposer notre démarche méthodologique.

2. Méthodologie

Dans cette partie, nous présentons la procédure de collecte des données et notre échantillon (2.1.). Nous revenons ensuite sur la mesure des variables (2.2.) et le choix de la méthode d’analyse statistique (2.3.).

2.1. Collecte des données et description de l’échantillon

Notre étude porte sur la relation entre vigilance entrepreneuriale, identification des opportunités et performance financière chez les repreneurs externes accompagnés par un mentor. Nous essayons de montrer que le mentorat qui débute avant la reprise renforce la relation entre ces variables – en comparaison d’un mentorat qui serait réalisé après.

Dans le cadre de ce travail, un partenariat entre le LabEx Entreprendre et Réseau Entreprendre a été noué dès 2015. Entre juin et septembre 2016, nous avons administré un questionnaire en ligne à 1 217 repreneurs, membres de Réseau Entreprendre. À l’issue de deux relances, nous avons obtenu 150 réponses de repreneurs mentorés.

Le Réseau Entreprendre a pour objectif de créer des PME et ETI sur les territoires. Un réseau de 14 000 chefs d’entreprises bénévoles accompagne des entrepreneurs à potentiel de création d’emplois pour les aider à réussir leur création, reprise ou croissance d’entreprises. Réseau Entreprendre compte aujourd’hui 120 implantations et soutient les entrepreneurs sur trois points : la mise en réseau avec d’autres chefs d’entreprises, la distribution de prêt d’honneur pouvant aller de 15 000 à 50 000 euros et l’accompagnement.

Si Réseau Entreprendre souhaite créer des emplois, le Réseau promeut également l’accompagnement dans le but de rompre avec l’isolement des chefs d’entreprises et d’échanger sur les projets. Cet accompagnement prend la forme d’un accompagnement pair-à-pair – qualifié de mentorat dans la littérature scientifique. Un chef d’entreprise s’engage alors personnellement et bénévolement auprès d’un nouvel entrepreneur pendant deux à trois ans. Il le rencontre mensuellement et lui offre un accompagnement opérationnel ainsi que l’appui de son réseau personnel.

Notre questionnaire en ligne a été rempli par 150 repreneurs, avec un temps de réponse moyen de 17 minutes. Notre échantillon rassemble 15 femmes (10,0 %) et 135 hommes (90,0 %). L’âge moyen des répondants est de 47,48 ans, le plus jeune ayant 30 ans et le plus âgé 61 ans. Également, 95,3 % des répondants ont au moins le baccalauréat et plus des deux tiers (70,7 %) ont un diplôme équivalent ou supérieur à bac +4/5. Ces chiffres sont en adéquation avec le panorama de Réseau Entreprendre (2016). Effectivement, sur la période 2012-2016, 96 % des répondants déclarent avoir au moins le baccalauréat et 71 % ont au moins le niveau bac +4/5. Par ailleurs, pour la quasi-totalité des répondants (94,0 %) il s’agit d’une première expérience de reprise. Si, avant la reprise, la très grande majorité des repreneurs exerçait la profession de cadre (71,3 %), près d’un cinquième des répondants était des dirigeants d’entreprises (19,3 %).

En moyenne, pour nos répondants, la reprise a été réalisée il y a 4,41 ans. La reprise la plus récente a été réalisée il y a 1 an ; la plus éloignée a eu lieu il y a 14 ans. Pour plus de 80 % des cas, la reprise a été réalisée il y a 6 ans ou moins. Par ailleurs, tous les repreneurs de notre échantillon sont des tiers (externes), c’est-à-dire qu’ils n’entretenaient aucun lien avec l’entreprise avant le rachat. Tous les repreneurs ont été accompagnés par Réseau Entreprendre. Cet accompagnement a pris la forme du mentorat. Pour 32,6 % (soit n = 49), la relation de mentorat a débuté avant la reprise ; elle a débuté après la reprise pour 67,3 % (soit n = 101) des personnes interrogées. Le tableau 1 présente le profil des repreneurs de notre échantillon.

Nous remarquons également que la majorité des entreprises reprises (61,3 %) sont de petite taille. Le reste, soit plus d’un tiers de notre échantillon (38,0 %), est constitué de microentreprises (TPE). Par ailleurs, plus de 90 % des repreneurs déclarent un chiffre d’affaires supérieur à 500 k€ (Tableau 2).

Tableau 1

Le profil des repreneurs

Le profil des repreneurs

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Tableau 2

Le profil des entreprises

Le profil des entreprises

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2.2. Mesure des variables

Nous présentons la mesure des deux variables indépendantes (vigilance entrepreneuriale et identification des opportunités), de notre variable dépendante (performance financière de la reprise) et des variables de contrôle.

2.2.1. La vigilance entrepreneuriale

Pour la vigilance entrepreneuriale, nous utilisons l’échelle de Tang, Kacmar et Busenitz (2012), une échelle régulièrement utilisée dans la recherche en entrepreneuriat. Les auteurs ont validé les qualités psychométriques de leur échelle en réalisant trois études, avec des échantillons compris entre 109 et 164 individus. Cette échelle est composée de trois dimensions : analyse et recherche, association et connexion et évaluation et jugement (Annexe 1).

La dimension « analyse et recherche » permet de savoir avec quel degré d’intensité l’entrepreneur recherche des informations dans l’environnement. Cette dimension est composée de six items (exemple : « je navigue sur Internet chaque jour » ou « je suis avide d’informations »). La dimension « association et connexion » met en avant la capacité des entrepreneurs à relier des informations a priori disparates. Cette dimension est composée de trois items (exemple : « je vois des liens entre des informations apparemment non reliées » ou « je vois souvent des connexions entre des domaines d’informations auparavant déconnectés »). Enfin, la dimension « évaluation et jugement » permet à l’entrepreneur d’évaluer le contenu des informations et de savoir si cela reflète une opportunité. Cette dimension est composée de quatre items (exemple : « je peux distinguer les opportunités profitables des opportunités non profitables » ou « face à de multiples opportunités, je suis capable de sélectionner les meilleures »). Tous les items sont évalués sur une échelle de Likert en cinq points – allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ».

Tous les repreneurs interrogés, soit 150, ont répondu aux questions portant sur la vigilance entrepreneuriale. Cette dernière présente une bonne fiabilité exploratoire (a = 0,881).

2.2.2. L’identification des opportunités

L’identification des opportunités est mesurée en utilisant l’échelle de Ozgen et Baron (2007) (Annexe 1). Cette échelle est composée de trois items (exemple : « pendant mes activités quotidiennes, je vois des opportunités d’affaires partout » ou « je ne vois pas naturellement le potentiel de nouvelles opportunités d’affaires »). 140 repreneurs (soit 93,3 %) ont répondu aux questions portant sur l’identification des opportunités. Sous le logiciel SPSS, les valeurs manquantes (10 dans notre cas) ont été codées pour ne pas biaiser les traitements statistiques. En ce qui concerne le logiciel SmartPLS, la gestion des valeurs manquantes est réalisée en utilisant l’option Pairwise Deletion. Cette option permet de calculer les paramètres du modèle en utilisant les observations ne contenant aucune valeur manquante. À ce sujet, Hair, Hult, Ringle et Sarstedt (2017) soulignent que le nombre de valeurs manquantes ne doit pas excéder 15 % par indicateur. Dans notre cas, le nombre de valeurs manquantes pour l’identification des opportunités est seulement de 6,7 %.

Cette échelle présente une fiabilité exploratoire assez faible (a = 0,453). Field (2015) précise que plus le nombre d’items d’une échelle est faible, plus la valeur de l’alpha va diminuer. Dans notre cas, l’échelle de mesure comprend seulement trois items ; la valeur de l’alpha de Cronbach peut donc être liée au faible nombre d’items et non à un manque de fiabilité exploratoire.

En outre, la fiabilité confirmatoire (ou composite) de cette échelle est bonne (pc = 0,758). Hair et al. (2017) rappellent que le logiciel PLS a tendance à minimiser la valeur de l’alpha de Cronbach et à maximiser celle de la fiabilité composite. Les auteurs précisent que la fiabilité réelle se situe certainement entre les deux. Dans notre cas, en calculant une moyenne, nous obtenons une fiabilité de 0,605 – ce qui est satisfaisant pour une recherche exploratoire (Nunnally, 1978 ; Kline, 1999). Les items de ce construit ont été évalués sur une échelle de Likert en cinq points, allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ».

2.2.3. La performance financière de la reprise

La performance financière de la reprise est mesurée en utilisant une échelle composée de huit items : chiffre d’affaires, marge, résultat net, niveau de capitaux propres, niveau d’endettement, rentabilité financière, trésorerie et retour sur investissement. Nous avons demandé aux repreneurs d’évaluer leur niveau de satisfaction par rapport à ces items. Les repreneurs devaient renseigner leur satisfaction au moment de la reprise (a = 0,897) et au moment de l’enquête (a = 0,908). Pour construire ensuite notre variable dépendante, nous avons calculé la différence entre ces deux moments – la performance financière de la reprise (a = 0,918) – ce qui nous permet d’avoir une approche dynamique de la performance et de travailler exclusivement sur la performance perçue par le repreneur.

Nous travaillons sur une mesure perceptuelle – et donc subjective – de la performance financière. Selon Grimmer, Miles, Byrom et Grimmer (2017), en l’absence de mesures objectives, les mesures de performance subjectives fournissent une alternative satisfaisante. Toutefois, si certains chercheurs montrent que les mesures objectives et subjectives sont comparables (Dess et Robinson, 1984 ; Harris, 2001 ; Wall et al., 2004 ; Homburg, Artz et Wieseke, 2012), d’autres soulignent qu’elles peuvent conduire à des résultats différents (Guest, Michie, Conway et Sheehan, 2003 ; Hult, Ketchen et Slater, 2004). La limite des mesures subjectives, comme le soulignent Singh, Darwish et Potočnik (2016), tient à l’existence de biais liés au rappel d’informations passées ou à la tendance à évaluer la performance de l’entreprise avec indulgence. Pour autant, certains auteurs justifient l’utilisation de mesures subjectives (Dess et Robinson, 1984 ; Singh, Darwish et Potočnik, 2016), tout en invitant à la prudence dans l’interprétation des résultats (Forth et McNabb, 2008).

Les items ont été évalués sur une échelle de Likert en cinq points, allant de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord ». Tous les repreneurs ont répondu aux questions portant sur la performance financière de la reprise.

2.2.4. Les variables de contrôle

Pour sélectionner les variables de contrôle, nous avons suivi les recommandations de Becker (2005). Nous en avons testé onze, pour finalement retenir les deux qui entretiennent une relation significative avec notre variable dépendante. Nous avons ainsi retenu l’âge du dirigeant et la taille (appréciée par le chiffre d’affaires) et exclu les variables suivantes : genre, secteur d’activités, niveau de diplômes, expérience dans la reprise, profession avant la reprise, effectif, accompagnement par une structure, choix de la structure d’accompagnement et ancienneté de la reprise.

L’âge est une variable de contrôle régulièrement utilisée dans les recherches en entrepreneuriat (Tang, Kacmar et Busenitz, 2012 ; Baron, Mueler et Wolfe, 2016). Dans notre recherche, l’âge influence significativement – et de manière négative – la performance financière pour le groupe de repreneurs mentorés après la reprise (b = -0,401 ; p = 0,000).

La taille (appréciée par le niveau de chiffre d’affaires) est également une variable de contrôle. Pour mesurer cette variable, nous avons procédé à un classement en quatre catégories : inférieur à 100 k€, compris entre 100 et 500 k€, compris entre 500 et 1 000 k€ et supérieur à 1 000 k€. Tous les repreneurs ont renseigné leur niveau de chiffre d’affaires. Dans notre recherche, le niveau de chiffre d’affaires est relié positivement et de manière significative à la performance financière pour le groupe des repreneurs mentorés après la reprise (a = 0,193 ; p = 0,023).

2.3. Choix de la méthode

Pour tester nos hypothèses, nous avons mené une recherche quantitative et procédé à une modélisation en équations structurelles. Cette modélisation peut être réalisée en utilisant la méthode basée sur la covariance (CB-SEM) ou celle basée sur les moindres carrés partiels (PLS-SEM).

Nous choisissons la méthode PLS par rapport à notre objectif de recherche. En effet, Fernandes (2012) précise bien qu’une méthode peut être préférée à une autre en fonction des objectifs du chercheur. Dans notre cas, nous essayons, en utilisant une approche cognitive, de montrer que la relation entre vigilance entrepreneuriale, identification des opportunités et performance financière est plus forte pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise. Il existe peu de recherches quantitatives sur la question du mentorat dans le contexte de la reprise externe. En conséquence, notre démarche est plus à visée exploratoire que confirmatoire, et l’approche PLS est adaptée dans ce contexte (Fernandes, 2012 ; Guiliani et Torrès, 2017 ; Hair et al., 2017). Pour appliquer l’approche PLS, nous utilisons le logiciel SmartPLS 3.2.6.

3. Résultats

Dans cette partie, nous présentons l’évaluation du modèle de mesure (3.1.) et du modèle structurel (3.2.).

3.1. Évaluation du modèle de mesure

Pour évaluer le modèle de mesure, nous utilisons trois indicateurs. Le premier est la validité convergente. Elle permet de montrer qu’un item est bien corrélé au construit auquel il est associé. Dans notre cas, tous les loading (ou poids factoriels) sont significatifs au seuil de 1/1000 et les valeurs associées à l’AVE sont strictement supérieures à 0,500. La validité convergente est donc vérifiée.

Le deuxième indicateur est la validité discriminante. Cette dernière permet de montrer que les items d’un construit sont faiblement corrélés aux autres construits, conceptuellement distincts (Carricano, Poujol et Bertrandias, 2012). Le critère de Fornell-Larcker (1981), présenté dans le tableau 3, indique que les valeurs en gras sont supérieures aux valeurs situées directement en dessous. Cela indique que la variance partagée entre le construit et ses indicateurs est supérieure à celle partagée avec les autres construits. La validité discriminante est donc vérifiée.

Tableau 3

Validité discriminante : critère de Fornell-Larcker

Validité discriminante : critère de Fornell-Larcker

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Le troisième indicateur est la fiabilité composite. Hair et al. (2017) soulignent que, dans le cadre de recherches confirmatoires, une fiabilité comprise entre 0,70 et 0,90 est acceptable. Les valeurs obtenues sont satisfaisantes pour toutes nos variables. Le tableau 4 présente les items associés à chaque variable ainsi que les résultats pour la validité convergente (loading, statistiques t et AVE) et la fiabilité (alpha de Cronbach et fiabilité composite).

Tableau 4

Validité convergente et fiabilité

Validité convergente et fiabilité

Les symboles indiquent le niveau de significativité : p < 0,001 (***) ; p < 0,01 (**) ; p < 0,05 (*) ; p < 0,10 (°).

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3.2. Évaluation du modèle structurel

Dans le tableau 5, nous présentons les moyennes (M), les écarts-types (ET) et les coefficients de corrélations r pour les deux groupes de repreneurs.

Tableau 5

Moyennes, écarts-types et coefficients de corrélations r pour les deux groupes

Moyennes, écarts-types et coefficients de corrélations r pour les deux groupes

Les symboles indiquent le niveau de significativité : p < 0,001 (***) ; p < 0,01 (**) ; p < 0,05 (*) ; p < 0,10 (°).

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Pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise, la variable « identification des opportunités » présente la moyenne la plus élevée (3,74) ; la moyenne la plus faible est associée à la « performance financière ». Dans la mesure où nous travaillons sur une différence de performance, il est attendu que la moyenne de cette variable soit faible. En outre, il existe une corrélation entre la vigilance entrepreneuriale et l’identification des opportunités (r = 0,560, p < 0,001). L’identification des opportunités est également corrélée à la performance financière de la reprise (r = 0,392, p < 0,05).

Pour le groupe de repreneurs mentorés après la reprise, la variable « identification des opportunités » présente la moyenne la plus élevée (3,66). Par ailleurs, il existe une corrélation entre la vigilance entrepreneuriale et l’identification des opportunités (r = 0,496, p < 0,001). L’identification des opportunités est également corrélée à la performance financière de la reprise (r = 0,170, p < 0,10) mais, en comparaison du groupe de repreneurs mentorés avant, la corrélation est moins forte.

Pour le groupe des repreneurs mentorés après, nous remarquons que la vigilance entrepreneuriale présente une moyenne légèrement supérieure – en comparaison du groupe mentoré avant la reprise (3,65 contre 3,62). Cela suggère que, dans notre étude, l’accompagnement avant la reprise n’a pas une influence directe sur la vigilance entrepreneuriale. Les mentorés avant et après la reprise présentent ainsi la même capacité. En revanche, l’activation de cette capacité est renforcée lorsque le mentorat a lieu en amont. Elle contribue ainsi à identifier davantage d’opportunités. Cette activation plus forte de la vigilance a également une influence sur la performance[4].

L’évaluation du modèle structurel est présentée dans le tableau 6, inspiré des travaux de Lowry et Gaskin (2014). Nous présentons le signe de la relation, la statistique bêta (b), la valeur p, la taille d’effet (f2) et la pertinence prédictive (Q2) pour les deux échantillons.

Les résultats montrent que, pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise, la vigilance entrepreneuriale a une influence positive et significative sur l’identification des opportunités (b = 0,579 ; p = 0,000), avec une taille d’effet forte (f2 = 0,619). Cette relation est également significative pour le groupe de repreneurs mentorés après la reprise (b = 0,514 ; = 0,000) ; la taille d’effet est ici également forte (f2 = 0,379). Dans la mesure où la valeur de la statistique bêta est supérieure pour le groupe des repreneurs mentorés avant, nous pouvons affirmer que l’hypothèse 1 est validée.

Pour le groupe de repreneurs mentorés avant, l’identification des opportunités influence de manière significative – et positive – la performance financière de la reprise (b = 0,453 ; = 0,013), avec une taille d’effet modérée (f2 = 0,219). En revanche, pour le groupe de repreneurs mentorés après, cette relation est non significative (b = 0,119 ; p = 0,210). En conséquence, nous pouvons affirmer que l’hypothèse 2 est validée. En outre, pour les deux échantillons, toutes les variables ont une valeur prédictive (Q2 > 0).

Pour mesurer le pouvoir prédictif du modèle, nous nous sommes appuyés sur le coefficient de détermination (Fernandes, 2012 ; Hair et al., 2017). Un modèle est considéré comme significatif si ce coefficient est supérieur à 10 % (Fernandes, 2012). Dans notre cas, il est égal à 13,2 % pour le groupe des repreneurs mentorés avant la reprise et à 19,9 % pour celui des repreneurs mentorés après. Pour les deux échantillons, notre modèle présente donc un pouvoir prédictif.

Nous avons également réalisé une analyse multigroupe pour vérifier si, entre les deux groupes, les différences entre les valeurs bêta étaient statistiquement significatives. Ce test n’a pas donné de résultats significatifs.

Tableau 6

Évaluation du modèle structurel

Évaluation du modèle structurel

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Discussion et conclusion

Nous souhaitons montrer que pour les repreneurs accompagnés avant la reprise la relation entre vigilance entrepreneuriale, identification des opportunités et performance financière est plus forte. Pour tester nos hypothèses, nous avons interrogé 150 repreneurs accompagnés par Réseau Entreprendre, dont 49 mentorés avant la reprise et 101 mentorés après. Les résultats de notre recherche montrent que, pour les repreneurs accompagnés avant et après la reprise, la relation entre vigilance entrepreneuriale et identification des opportunités est positive et significative. Toutefois, cette relation est plus forte pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise. Ce résultat nous permet de valider l’hypothèse 1. Par ailleurs, la relation entre identification des opportunités et performance financière est significative pour le groupe de repreneurs mentorés avant la reprise et non significative pour le groupe mentoré après. Cela nous permet de valider l’hypothèse 2.

Notre recherche présente trois principales contributions théoriques. Tout d’abord, elle contribue à mieux comprendre le processus d’entrée du repreneur. Cette phase a fait l’objet de travaux sur la socialisation (Boussaguet, 2005), la transition (De Freyman, 2009), la stratégie (Grazzini, Boissin et Malsch, 2009) ou encore le changement (Mouhli, 2019). Toutefois, ces travaux ont laissé dans l’ombre la question de l’identification des opportunités. Nous sommes parvenus à proposer une lecture cognitive de la reprise en mobilisant la vigilance entrepreneuriale. Nous montrons que cette capacité et son activation influencent positivement la performance financière dans le contexte de la reprise. Cette étude exploratoire ouvre ainsi un champ prometteur pour mieux comprendre le processus d’identification des opportunités par le repreneur, une fois qu’il est à la tête de son entreprise. À notre connaissance, ces relations n’ont jamais été testées dans ce contexte.

Ensuite, nos résultats éclairent la question de la relation entre le rôle du mentorat et la stratégie repreneuriale. Ce mode d’accompagnement se révèle particulièrement adapté en situation de reprise. Nos résultats s’inscrivent dans la même veine que ceux de Ozgen et Baron (2007), St-Jean et Tremblay (2011, 2013), St-Jean (2012) ou encore St-Jean et al. (2017) selon lesquels le mentorat a une influence sur l’identification des opportunités. Toutefois, ces travaux ont négligé la question de la vigilance entrepreneuriale. Notre travail permet de les prolonger en démontrant l’influence du mentorat sur la stratégie repreneuriale, appréciée en matière de vigilance entrepreneuriale, d’identification des opportunités et de performance financière. La question de la vigilance entrepreneuriale suggère ainsi un croisement prometteur entre le courant cognitif sur la reprise (Bornard et Thévenard-Puthod, 2009 ; Deschamps et Geindre, 2011 ; Grazzini et Boissin, 2013 ; Grazzini, Albanet et Boissin, 2017) et celui concernant le mentorat entrepreneurial (St-Jean, 2010 ; Haggard et al., 2011 ; St-Jean et Mitrano-Méda, 2013 ; Humberd et Rouse, 2016). En matière de prolongement, il serait pertinent de vérifier si les fonctions du mentor jouent un rôle dans l’identification des opportunités par les repreneurs.

Enfin, nous avons traité la question du moment de l’accompagnement dans le champ de la reprise. Si dans le contexte de la création certains auteurs ont défendu l’idée qu’il peut être pertinent d’anticiper l’accompagnement (Hentic-Giliberto et Berger-Douce, 2017), cette question a été peu abordée dans le domaine de la reprise. Nous avons certes observé que, quel que soit le moment où le repreneur a recours au mentorat, il met en place une stratégie d’identification des opportunités, en activant sa vigilance entrepreneuriale. Toutefois, l’activation de cette capacité diffère si le mentorat a lieu avant ou après. Pour les repreneurs mentorés avant, la relation entre vigilance entrepreneuriale et identification des opportunités apparaît comme plus forte, ces repreneurs bénéficiant plus tôt du partage d’expérience avec leur mentor. Ce résultat rejoint les travaux de Valliere (2013) sur l’activation de la vigilance entrepreneuriale. Ce dernier montre en effet que l’expérience joue un rôle positif dans l’activation de cette capacité.

Notre recherche met en évidence deux contributions managériales. Premièrement, nous incitons les acteurs de l’accompagnement à introduire le mentorat le plus tôt possible, éventuellement dès la phase de sélection de la cible pour favoriser le transfert d’expérience. La construction de la relation mentor/mentoré dès les premières étapes du projet permet de poser les fondations d’une relation de confiance, condition nécessaire au partage de connaissance et d’expérience. La littérature montre que la confiance est un déterminant de la vigilance entrepreneuriale (Kaish et Gilad, 1991). Dès lors, une relation entre mentor et mentoré qui s’inscrit dans la durée peut permettre, d’une part, d’accroître la vigilance du repreneur et, d’autre part, de favoriser la mise en oeuvre d’une stratégie repreneuriale. Deuxièmement, nos résultats montrent que la stratégie repreneuriale est créatrice de valeur. L’enjeu est alors de favoriser la vigilance entrepreneuriale, notamment en renforçant ses déterminants, comme le réseau (Ardichvili et Cardozo, 2000 ; Ardichvili, Cardozo et Ray, 2003 ; Arenius et De Clercq, 2005 ; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012). Le mentor peut y contribuer à travers la fonction d’intégration, décrite par St-Jean (2010), qui conduit à un partage du capital social, ce qui peut être source de nouvelles opportunités pour le repreneur.

Ce travail présente également des limites et des perspectives de recherche. La définition de l’opportunité fait débat dans la littérature en entrepreneuriat. Même si un mouvement fédérateur est en marche, avec par exemple les travaux de Hansen, Shrader et Monllor (2011), le manque de consensus est patent – en atteste la pluralité de définitions mise en avant par Davidsson (2015). En matière de reprise, ce creux définitionnel apparaît également. Dans la partie théorique, nous avons distingué l’opportunité comme entreprise et l’opportunité de marché, c’est-à-dire celle qui correspond à un déséquilibre. Il serait intéressant de mener un travail complémentaire afin de mieux comprendre la nature de l’opportunité dans le contexte de la reprise et ainsi améliorer notre compréhension de la stratégie repreneuriale. Également, notre étude adopte une perspective cognitive en mettant plutôt l’accent sur les facteurs favorisant l’identification des opportunités, comme la vigilance entrepreneuriale. Toutefois, ce processus est complexe et peut être influencé par des biais cognitifs (Deschamps et Geindre, 2011) qu’il serait intéressant d’étudier en privilégiant soit des études qualitatives (Degeorge et Messeghem, 2016), soit en s’inspirant de l’économie expérimentale (Fayolle, Barbosa et Kickul, 2008 ; Barbosa, Fayolle et Smith, 2019).

D’un point de vue méthodologique, la variable « ancienneté de la reprise » présente une légère dispersion autour de la moyenne, ce qui interroge sur le degré d’homogénéité de l’échantillon. En effet, si en moyenne les reprises ont été réalisées il y a un peu plus de quatre ans, 6 % ont eu lieu il y a dix ans ou plus. Il serait intéressant de travailler sur un échantillon plus homogène pour mieux apprécier la vigilance entrepreneuriale du repreneur. En outre, cette étude s’appuie sur un échantillon constitué exclusivement de repreneurs accompagnés par Réseau Entreprendre. Si ses caractéristiques se rapprochent de celles observées dans d’autres études, il ne s’agit pas pour autant d’un échantillon représentatif. Il serait intéressant d’élargir l’enquête à d’autres réseaux, voire à d’autres pays. Enfin, cette étude sur le lien entre vigilance, identification des opportunités et performance financière a été menée en coupe instantanée. Le moment a été pris en considération de façon indirecte en s’intéressant au moment de l’accompagnement. Il serait intéressant de poursuivre la réflexion en adoptant une posture longitudinale. Cela permettrait notamment d’analyser l’évolution de la vigilance entrepreneuriale dans la relation de mentorat. Cette focalisation sur la vigilance et l’identification des opportunités souligne tout l’intérêt d’enrichir la perspective cognitive du processus de transmission-reprise.