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L’ouvrage coordonné par Louis-Jacques Filion, écrit en collaboration avec cinq chercheurs et qui fait écho à un ouvrage plus « conceptuel »[1] sur la croissance des entreprises, est un ouvrage rassemblant six études de cas de croissance d’entreprises ayant aujourd’hui atteint une taille moyenne (au moins 100 salariés). C’est cependant plus que cela. C’est un livre de témoignages, véritables récits de vie d’organisations à travers le prisme des dirigeants qui se sont succédé à leur tête. Nous pouvons y lire en détail comment chaque dirigeant a apporté sa propre pierre au développement de l’entreprise, comment d’un dirigeant à l’autre, dans une même entreprise, le mode de pilotage peut changer, mais aussi comment tout repose sur une volonté d’innover, d’insuffler un véritable dynamisme à l’entreprise sous contrainte d’un développement durable et soutenable pour l’ensemble de ses membres. C’est en cela que ces études de cas constituent des « modèles », comme le revendique à juste titre Louis-Jacques Filion (p. 11), qui doivent inciter de nouveaux dirigeants à mettre en place de nouveaux types d’entreprise « écologiquement et socialement responsables ».

Nous pouvons tirer de la lecture de cet ouvrage et de ces récits de vie passionnants, quatre grandes leçons sur ce que sont effectivement des modèles de croissance d’une PME, au-delà des facteurs de développement bien identifiés par l’auteur en introduction : volonté de faire croître, vision de ce que doit être l’entreprise, capacité des dirigeants à apprendre, à mobiliser, à déléguer à des « facilitateurs » et disposition d’un écosystème entrepreneurial en soutien de la vision.

La première leçon est qu’un dirigeant qui veut faire croître son entreprise doit faire preuve d’un grand dynamisme stratégique et savoir combiner les stratégies sans avoir peur des échecs ni de la confrontation aux concurrents nouveaux inhérents à ce dynamisme stratégique. Les différents cas présentés, issus de secteurs variés (boulangerie, industrie électrique, transformation du bois, joaillerie, mobilier de bureau, plasturgie), soulignent l’importance de cette dynamique stratégique dans le développement de ces PME qui combinent et recombinent différemment plusieurs stratégies (innovation, diversification, internationalisation), et exploitent toute la palette des modes de croissance telles les alliances, la sous-traitance et les fusions-acquisitions, alors même que c’est sur la « croissance organique » que Louis-Jacques Filion souhaitait mettre l’accent (p. 12). C’est bien l’ensemble de ces combinaisons et recombinaisons qui interviennent systématiquement dans les trajectoires des entreprises évoquées qui nous amène à admettre qu’il n’existe non pas un, mais bien « des modèles inspirants » de développement des entreprises.

La deuxième leçon est que rien n’est jamais acquis pour le dirigeant et que tout lui reste à découvrir en matière de croissance de l’entreprise. Maintenir une croissance durable et soutenable reste un défi permanent, qui suppose de savoir se relancer après des échecs, se réinventer continuellement pour s’adapter aux conditions environnementales et concurrentielles qui évoluent constamment et faire preuve d’une grande créativité dans la transformation de son modèle d’affaires. C’est cela que Louis-Jacques Filion désigne par « l’agilité » et « le doigté », dont doivent faire preuve respectivement les organisations et leur dirigeant. Ainsi, pour l’auteur, penser croissance, c’est penser « innovation », que cette innovation soit une innovation « produits », organisationnelle ou de méthodes de gestion, et donc penser « autrement » l’utilisation des ressources et des produits.

La troisième leçon est que si tout doit se transformer continuellement, il existe des invariants, véritables conditions permettant de relever ce double défi « d’évoluer et de rester proche » pour ces PME en croissance. Confiance, coopération et responsabilisation de tous leurs membres qu’ils soient associés, membres de l’équipe de direction, membres de la famille et salariés sont ainsi des conditions nécessaires pour concrétiser leur vision. Les ressources humaines apparaissent dès lors, de façon transversale aux six cas présentés dans ce livre, comme une véritable « ressource stratégique » (p. 113). Les méthodes et les pratiques de gestion des ressources humaines telles que le recrutement de personnes clés, la répartition claire des tâches, y compris entre les membres de la famille dirigeante, la collaboration et l’association de tous les salariés au travail commun « d’édifice de la cathédrale » sont des leviers incontestables du développement des entreprises. Le lien entre « agilité » et « minceur » affirmé dans le livre est à cet égard un peu déstabilisant et aurait mérité une plus grande discussion. L’auteur en affirmant qu’il est difficile « de demeurer agile si l’on ne sait pas rester mince » (p. 16) ne précise pas réellement s’il évoque ici l’épaisseur de la surface administrative et organisationnelle ou bien plutôt celle des effectifs. Est-ce à dire, dans ce dernier cas, qu’il n’est pas envisageable d’avoir une croissance des effectifs proportionnelle à la croissance du chiffre d’affaires ? Une telle affirmation pourrait d’ailleurs expliquer que nombreuses sont les PME en croissance qui ne parviennent jamais à devenir de grandes entreprises.

La dernière leçon porte sur la nécessité de substituer à la seule transmission d’entreprise, nécessaire pour perpétuer une entreprise, les principes du « repreneuriat ». Il s’agit ainsi de promouvoir une reprise qui s’accompagne d’une logique de changement ou de reformulation du modèle d’affaires. La démonstration faite dans l’ouvrage des bénéfices de ce repreneuriat qu’il soit d’ailleurs familial ou non, nous invite à penser que des entreprises de plusieurs générations peuvent retrouver un nouveau souffle sous l’impulsion de repreneurs dotés d’une réelle volonté d’innover.

Au total, l’analyse proposée par Louis-Jacques Filion qui montre que ces entreprises, quoiqu’anciennes, sont capables de se développer par une réinvention permanente de leur modèle, et ces récits de vie d’organisations qui ont réussi à survivre depuis de longues années et à se développer pour atteindre une taille moyenne aujourd’hui, nous rassure. Oui, il existe bien des entreprises familiales, de plusieurs générations, dynamiques et innovantes qui arrivent à se développer sans renoncer à leurs valeurs : confiance, proximité, développement des « talents » et promotions internes. Finalement ces entreprises, décrites par Louis-Jacques Filion et ses coauteurs ne seraient-elles pas ces entreprises « à fort potentiel » que nous cherchons depuis un certain nombre d’années déjà ?