Comptes rendus de lecture

Ce que sait la main – la culture de l’artisanat, Richard Sennett, Albin Michel, 2010 (édition anglaise : The Craftsman, Yale University Press, 2008), 400 p.[Record]

  • Michel Marchesnay

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  • Michel Marchesnay
    Erfi Montpellier

Le présent ouvrage de Sennett est révélateur d’une ouverture actuelle vers les sciences sociales et cognitives, plus en prise avec la « réalité » et les pratiques. Dans un ouvrage antérieur (« Le Travail sans Qualités »), l’auteur s’affiche « radicalement empiriste », selon l’expression de James, en déclarant qu’« une idée doit se frotter à l’expérience concrète sous peine de devenir une simple abstraction » (p. 12). R. Sennett enseigne la sociologie du travail à la New York University et à la London School of Economics. Auteur notamment de Travail sans Qualités (2000), La Chair et la Pierre (2003),Respect (2003), La Culture du Nouveau Capitalisme (2006) il rappelle dans la conclusion de « The Craftsman » son allégeance au pragmatisme, à William James et surtout à John Dewey (auteur notamment de « Art as experience », traduit chez Folio-Essais). Dans cette même conclusion, il évoque le « réveil » du courant néo-pragmatiste, notamment en Allemagne et au Danemark, ainsi (et surtout) que l’école américaine, représentée, selon lui (p. 384) par Rorty (récemment décédé), Bernstein… et lui-même (ainsi, à notre sens, que Putnam, entre autres). Les travaux menés dans les pays francophones, consacrés aux pratiques entrepreneuriales, attestent de ce « réveil » du pragmatisme. Sennett est aussi proche de l’École de Francfort. S’appuyant sur la « condition de l’homme moderne » décrite par Hanna Arendt, il fait sienne sa distinction entre l’« Animal laborans » et l’« Homo faber », en rappelant (p. 17) « que l’Homo faber est le juge du travail matériel et de la pratique; il n’est pas le collègue de l’Animal laborans, mais son supérieur ». Le salarié moderne, pris dans la « cage de fer » de la bureaucratie weberienne, n’est pas maître, initiateur de, et créateur dans, son travail. L’Homo faber, représenté, selon Sennett, dans le capitalisme, par la figure de l’« artisan » (crafstman), entend développer son savoir-faire dans l’exercice de sa fonction de producteur. Notons que Sennett répugne à utiliser le terme de créativité, qu’il juge « trop chargé de romantisme » (sic, p.389). D’emblée, le lecteur francophone, tout comme le traducteur, se heurte au particularisme du mot « artisan », du moins dans l’éthos français. En tant que « fonction », l’artisanat se réfère à l’économie pré-industrielle, et, en tant qu’« institution », au corporatisme, lequel n’a certes pas disparu, puisque les Chambres de Métiers ont été recréées après la Grande Guerre, dans les années 20 (« pour remercier les Poilus »). Les dictionnaires traduisent l’adjectif « artisanal » par des expressions telles que « small-scale », « hand-made », voire « traditional ». L’embarras est visible, puisque le titre lapidaire (The Craftsman) est remplacé, assez bizarrement, par une périphrase, d’ailleurs discutable, que n’arrange pas le sous-titre (« la Culture de l’Artisanat »)! Pour clore cette question sémantique, il nous semble, en prolongeant le leadership et l’entrepreneurship, que le craftsmanship, au demeurant cité dans le texte et attribué à Deming (p. 47) aurait été le bienvenu. Quoi qu’il en soit, R. Sennett offre une présentation « kaléidoscopique », par moments érudite, à d’autres minutieusement descriptive. Articulée en trois parties, les titres s’ordonnent autour de trois thématiques : l’artisan, le métier, l’artisanat. En toile de fond, l’idée majeure est que le dépassement du mode de fonctionnement actuel du capitalisme passe par le développement d’une attitude « artisanale » à l’égard de la production. Pour Sennett (p. 41), « le rythme expérimental de la résolution et de la découverte de problèmes fait du potier antique et du programmeur moderne les membres d’une …