La Race, la racialisation et l’histoire

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  • David Meren

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  • David Meren
    Professeur adjoint, Université de Montréal

Depuis quelques années, il semble que la « race » ait occupé une place de plus en plus prépondérante sur la place publique. Les attentats en France, au Bangladesh, en Belgique et en Turquie—pour ne citer que quelques tristes exemples—ont coïncidé avec une crise humanitaire angoissante dans le bassin méditerranéen. Ceci a obligé l’Europe et le reste du monde à répondre à la migration de millions de personnes déplacées par les conflits militaires, la dégradation de l’environnement, les bouleversements économiques, et la quête d’une vie meilleure. Aux États-Unis, l’incrédulité ahurie provoquée par la candidature de Donald Trump à la présidentielle n’a été dépassée que par la consternation et la colère en réponse aux assassinats des Afro-Américains par des policiers. Michael Brown, Alton Sterling, Philando Castille, la mort en détention de Sandra Bland... De tels événements—et soulignons que cette liste n’est point exhaustive—ont gagné en infamie en raison de l’omniprésence des médias sociaux ; ils ont également déclenché une vague d’activisme antiraciste, notamment le mouvement Black Lives Matter, qui conteste les structures de pouvoir racialisées sur lequel la société américaine est construite. Ce mouvement—d’une envergure transnationale—de conscience accrue de la race et de ses implications s’est aussi manifesté au Québec. En effet, la société québécoise n’a nullement été à l’abri des débats difficiles sur la religion, l’immigration et de l’identité—un point souligné par la discussion de longue date sur les « accommodements raisonnables » et l’acrimonie qui entourait la charte des « valeurs québécoises ». Il y a eu des controverses récurrentes sur la question du blackface et la question connexe des opportunités pour les artistes non blancs dans le paysage culturel. Parallèlement à une tendance qui est tout aussi évidente au Canada anglais, ces débats ont été marqués par des notions d’exceptionnalisme ; on dit que la race et le racisme sont un problème d’« ailleurs », pas d’ici. Pourtant, les morts à Montréal de Fredy Villanueva, Alain Magloire, et Jean-Pierre Bony, le scandale entourant l’abus policier des femmes autochtones à Val d’Or et les questions des relations entre les forces policières et les minorités raciales au Québec, semblent suggérer le contraire. Idem pour l’activisme autochtone du mouvement Idle No More, qui nous rappelle la vérité inconfortable que notre société s’est construite sur la dépossession et le racisme systémique. Tous ces exemples sont des manifestations actuelles de structures de pouvoir façonnées par l’histoire de la race. Il est donc clair qu’étudier la race comme phénomène historique est de plus en plus nécessaire. Avant d’aller plus loin, je voudrais d’abord expliquer ce que j’entends par la « race ». Quand j’emploie ce mot, je ne veux en aucun cas supposer une réalité objective ou biologique, mais plutôt une construction sociale et politique qui, dans son expression la plus simple, s’appuie sur des différences physiques apparentes, mais finalement superficielles. Les liens entre le concept de race et le colonialisme de l’époque moderne, ainsi que le justificatif idéologique de ce dernier—l’impérialisme—attirent notre attention sur la manière dont la race a été à la fois façonnée par et déployée pour justifier des structures de pouvoir. En tant que telle, la race, comme d’autres constructions sociales telles que le genre ou la classe, peut être utilisée comme une catégorie d’analyse pour interroger des structures de pouvoir, qu’elles soient historiques ou contemporaines. Vu sous cet angle, on peut comprendre la race comme le résultat d’un processus par lequel une logique essentialiste qui contribue à la création d’un « Autre » par rapport à qui on définit sa propre identité et celle de sa communauté. C’est une représentation qui sert également de justification pour ceux …

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