Comptes rendus

Gautier, Arlette, Les Soeurs de Solitude. Femmes et esclavage aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, préface d’Olivier Pétré-Grenouilleau (Rennes, PUR, Collection « Histoire », 2010 [1985]), 275 p.[Record]

  • Geneviève Piché

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  • Geneviève Piché
    Université de Sherbrooke
    Université de Toulouse II-Le Mirail

Pionnière des Gender Studies en France, spécialiste de l’histoire de l’esclavage dans les Antilles françaises, Arlette Gautier présente dans cet ouvrage les conditions de vie des femmes esclaves antillaises. Une vie qui est à la fois modelée par le rythme du travail à l’atelier et aux champs, par les maternités et les résistances, mais surtout par une division sexuelle du travail. Paru initialement en 1985 aux éditions Caribéennes, l’ouvrage est réédité en 2010 par les Presses universitaires de Rennes. Cette réédition arrive d’ailleurs à point nommé, puisque les conclusions de Gautier sont encore d’actualité et ouvrent, ou renouvellent, de nombreux horizons de recherche à la communauté historienne. Portant son regard sur la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Domingue, Arlette Gautier entreprend d’étudier ces sociétés dans une perspective comparative sur toute la période coloniale, soit du XVIIe au XIXe siècle. L’analyse statistique démographique que l’auteure fait des sources coloniales est remarquable, comme le relève l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau dans sa préface. Les minutes notariales, les inventaires et recensements, les récits de vie et de voyageurs, les registres paroissiaux et d’états civils, les proclamations et ordonnances du gouvernement sont minutieusement analysés. Tout est passé au peigne fin et il en ressort des conclusions détaillées et fort pertinentes, savamment maîtrisées et illustrées. La première partie, « Origines », dresse le portrait des femmes françaises, africaines et, quoiqu’assez superficiellement, caraïbes, en comparant leurs rôles, leur statut social et leurs activités au sein de chaque société, tout en y confrontant la sexualité, le mariage et la famille. Arlette Gautier retrouve dans chaque société une division sexuelle du travail et remarque que l’exploitation des femmes y est partout institutionnalisée, sans qu’elles aient la moindre représentation politique. Ainsi, les sociétés antillaises se fondent sur ces héritages français et africain, afin de former une société essentiellement masculine, « ce qui n’est pas sans affecter les relations entre maîtres et esclaves, mais aussi le statut des femmes blanches » (p. 33). L’expérience des femmes esclaves au sein du système esclavagiste demeure particulière en regard de celle des hommes, notamment pour ce qui est de leur rôle de mère, thème abordé dans la seconde partie de l’ouvrage au titre évocateur « Maternités esclaves ». Si, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, les autorités incitent les esclaves au mariage chrétien et à la formation de familles stables, ces politiques maritales s’effaceront au cours du siècle suivant, privilégiant le duo femmes et enfants, « seul couple désormais reconnu » (p. 76). Le rôle des mères esclaves est réduit à celui d’un ventre qu’il faut faire produire, mais cette reproduction n’est plus sous les auspices du mariage chrétien et l’homme perd tout rôle parental. Bien que les politiques natalistes du XIXe siècle permettent un certain adoucissement du sort des mères esclaves, les améliorations des conditions de travail, tout comme les gratifications, ne rendront pas le statut de mère plus glorieux et les avortements, ces « refus de l’esclavage » (p. 123), demeureront très nombreux. Les relations entre hommes blancs et concubines noires caractérisent également l’expérience de l’esclavage des femmes, mais contrairement aux croyances populaires, peu y trouvent leur compte pour améliorer leur sort. La proportion d’affranchissements des maîtresses noires demeure faible et la majorité des relations sexuelles entre Blancs et Noires ont lieu sous la contrainte. Contrairement aux hommes, les femmes esclaves doivent donc se soumettre corps et âme, alors que « la dépossession de leur sexe vient redoubler celle de leur travail », faisant d’elles « les membres les plus exploités » (p. 161) de la communauté des esclaves. La dernière partie, « Des outils et des …