Note de recherche

De soeur Marie-Achille à soeur Marie-Zozime L’usage des prénoms masculins chez les Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (1844-1969)[Record]

  • Dominique Laperle

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  • Dominique Laperle
    Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie

Pour de nombreux spécialistes de l’histoire de l’Église et des congrégations religieuses au Québec, la période allant de 1840 à 1960 est un véritable âge d’or. Cette perception s’explique à la fois par la multiplication des communautés, une progression constante des vocations et une diversification des fonctions. À cet égard, les communautés féminines sont particulièrement dynamiques. Pour plusieurs, outre la dimension spirituelle, ce phénomène trouve ses racines dans le conservatisme et la domination masculine de la société québécoise d’alors. En effet, les études de genre récentes démontrent qu’au xixe siècle, les femmes subissent une incessante subordination sur le plan du travail, une exclusion sur le plan politique (retrait du droit de vote en 1849) ainsi qu’une « infantilisation légale » face au père ou à l’époux (Code civil de 1866). En plus de tout cela, les études supérieures leur sont, à toutes fins utiles, bloquées ; afin de « respecter leur nature », les femmes sont maintenues dans des programmes scolaires s’articulant sur les « fonctions traditionnelles », c’est-à-dire les travaux d’aiguille, les arts culinaires et ménagers. L’entrée en communauté permettait donc à plusieurs jeunes femmes de se détacher d’un destin par trop contraignant, afin de s’inscrire dans un cheminement qui assurait une formation intellectuelle, des carrières variées, un épanouissement artistique et la possibilité de voyager en pays de mission. Ultimement, on évitait un célibat laïque parfois mal perçu dans la société globale et on remplaçait le modèle traditionnel de la procréation par une forme de « maternité spirituelle ». Ainsi, l’adhésion aux communautés religieuses a permis à plusieurs femmes « d’établir, consolider et élargir un espace propre d’intervention sociale » : autrement dit, de se construire une identité. Dans un ouvrage de 1995, Micheline Dumont pose l’hypothèse de la vocation religieuse comme « une avenue d’égalité avec les hommes [autorisant] l’exercice de fonctions interdites aux femmes ». Cet égalitarisme se traduirait aussi par la prise de noms d’hommes par 40 % des soeurs, question de « contrer l’image sociale de la féminité et d’autoriser les responsabilités dites masculines de tant de religieuses ». Cette dernière assertion mérite que l’on s’y arrête, car elle soulève l’idée que la masculinisation symbolique du nom de la religieuse lui conférerait une plus grande individualité et lui permettrait un épanouissement professionnel. Qu’en est-il vraiment ? Un usage généralisé de la dénomination masculine suggérerait-il une volonté d’« asexualisation » ou d’indifférenciation ? Cela pourrait confirmer la thèse féministe d’une appropriation masculine de l’organisation et de la symbolique religieuses. Cette question ne semble pas avoir attiré beaucoup l’attention des chercheurs. Les études des dernières années portent souvent sur le travail spécifique des congrégations en éducation, en santé et dans le domaine social. La question de la féminité des religieuses a aussi été abordée, notamment dans des études analysant la symbolique de leur costume, mais l’usage et la signification de la dénomination, eux, n’ont pas fait l’objet d’études approfondies. Le présent article essaie donc de combler un vide. Nous chercherons d’abord à comprendre le mécanisme de l’attribution des noms (modalités, influences spirituelles et familiales). Ensuite, nous identifierons le sous-groupe composé des soeurs portant un prénom masculin. Ces noms seront compilés et ventilés par périodes afin d’en vérifier la constance ou les particularités. Cette analyse porte spécifiquement sur les Soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie. Il s’agit d’une communauté enseignante fondée à Longueuil en 1843 par mère Marie-Rose (Eulalie Durocher), à l’instigation de Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal. Cette congrégation, de droit pontifical depuis 1877, va connaître une des plus fortes croissances de l’époque, passant de 30 professes en 1849 à 4211 …

Appendices