Recensions

Alain Laberge, avec la collaboration de Jacques Mathieu et Lina Gouger, Portraits de campagnes : la formation du monde rural laurentien au xviiie siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2010[Record]

  • Maxime Morin

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  • Maxime Morin
    Université Laval

Professeur au Département d’histoire de l’Université Laval, Alain Laberge a réalisé cet ouvrage avec la collaboration des historiens Jacques Mathieu et Lina Gouger. Cette étude de la formation du monde rural laurentien s’appuie sur les découpages fonciers et la spatialisation du peuplement. Laberge y distingue les environnements de base du paysage seigneurial laurentien par la mise en rapport des éléments qui l’ont façonné. Loin d’en proposer un portrait simplifié, Laberge démontre qu’il constitue à toutes les échelles une véritable mosaïque : « Ce terme, assurément, correspond parfaitement au paysage humanisé de la vallée du Saint-Laurent rurale à cette époque » (p. 139). Ce constat repose principalement sur l’analyse des aveux et dénombrements produits entre 1723 et 1745 dans 177 seigneuries du corridor rural laurentien. L’aveu et dénombrement, une déclaration faite par le seigneur à la demande de l’autorité royale, identifie le seigneur, localise la seigneurie et en précise les dimensions, dresse l’inventaire systématique des parcelles de terre découpées, puis rend compte de l’exploitation du domaine seigneurial et des censives concédées. Si l’utilisation de cette série documentaire favorise une analyse synchronique du monde rural vers 1725, époque où sont produits la plupart de ces documents, Laberge inscrit cet instantané dans le long processus de formation des campagnes laurentiennes. L’ouvrage débute par une reconstitution du paysage seigneurial. Laberge y présente les principales caractéristiques de l’espace seigneurial en examinant le rythme et les types de concessions, les mutations du territoire seigneurial et la morphologie des seigneuries concédées. L’écoumène formé par le territoire concédé dans la vallée laurentienne prend forme autour de Québec, Trois-Rivières et Montréal. Alors que les premières seigneuries concédées sont souvent de taille excessive, la morphologie des seigneuries concédées après 1663 tend vers un rectangle d’un front de deux lieues ou moins sur l’axe laurentien dans 80 % des cas et d’une profondeur qui reste fort variable. Dès lors, le lecteur est confronté à la diversité du paysage seigneurial. Laberge observe ensuite les processus d’occupation du territoire rural, que ce soit les conditions, l’ancienneté et l’intensité de cette occupation, l’extension de l’écoumène, les schémas d’occupation ou la morphologie des seigneuries, paroisses et censives. Il souligne que plusieurs dynamiques parallèles forgent les campagnes laurentiennes à des rythmes différents. Dans l’ensemble, l’axe laurentien demeure un facteur déterminant dans le processus de concession des seigneuries et des censives. L’intensité et l’ancienneté de l’occupation plus marquée à Québec vers 1725 ne cachent pas l’ascension de Montréal comme plus important foyer d’occupation rural de la colonie. Le modèle d’occupation littorale sur la devanture des fiefs caractérise la majorité des terres en censive même si leur morphologie n’est pas uniforme. L’exploitation du territoire seigneurial n’est d’ailleurs pas plus homogène que son occupation, comme le remarque Laberge à propos de la répartition des superficies exploitées en prairies ou en labours, de la présence marquée des fronts pionniers dans l’écoumène seigneurial, des banlieues comme zones intenses de développement agricole ou des usages particuliers des terres exploitées. Si la diversité des réalités est encore au menu, quelques constats révisent le schéma de la seigneurie-modèle à cette époque. Par exemple, seulement 20 % des seigneuries comprennent une commune contrairement au caractère omniprésent que revêt généralement cet élément du paysage seigneurial dans l’historiographie. À terme, l’observation des processus de concession, d’occupation et d’exploitation du territoire laurentien à l’époque des aveux et dénombrements confirme que « [r]ien ne serait plus éloigné de la réalité que d’affirmer que la vallée du Saint-Laurent constitue un paysage uniforme sous le Régime français » (p. 73). L’hétérogénéité du paysage seigneurial se vérifie aussi lorsqu’il est question des seigneurs et des censitaires dans la seconde partie de l’ouvrage. …