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Cet article explore en quoi la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), lors des plus récents débats sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO), développe une nouvelle vision des droits linguistiques, une vision qui, selon nous, s’inspire de la philosophie politique néorépublicaine et de son principe directeur de la non-domination.

Depuis 2017, la FCFA a fait de la modernisation de la LLO l’un de ses principaux chevaux de bataille[1]. En mars 2018, elle a soumis un premier mémoire intitulé Donner un nouvel élan à la dualité linguistique canadienne!Pour une Loi sur les langues officielles moderne et respectée au Comité sénatorial permanent des langues officielles (ci-après comité OLLO) [2] dans le cadre de son étude sur la modernisation de la LLO[3]. Ce premier mémoire sera suivi de la publication, en mars 2019, d’un libellé complet d’une LLO modernisée, accompagnée d’un second mémoire intitulé La FCFA passe à l’action : proposition d’un nouveau libellé de la Loi sur les langues officielles[4]. Dans ces deux mémoires, la FCFA formule plus d’une centaine de recommandations visant à modifier tant la structure que la portée de la LLO [5]. En avril 2019, la FCFA témoigne devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes (ci-après comité LANG) dans le cadre de son étude sur la modernisation[6]. Comme l’attestent les rapports finaux et les recommandations des deux comités parlementaires, la FCFA a été entendue, car plusieurs de ses revendications ont été reconduites dans ces deux rapports parlementaires. En février 2021, la ministre du Développement économique et des Langues officielles, l’honorable Mélanie Joly, présente son livre blanc sur les langues officielles, intitulé Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada[7]. Le livre blanc reprend plusieurs des recommandations de la FCFA, qui réagit positivement au document de réforme[8]. En juin 2021, la FCFA considère comme un « pas considérable » le projet de loi C-32 visant à moderniser et à renforcer la LLO[9].

Au-delà de l’apport des deux mémoires de la FCFA aux débats sur la modernisation de la LLO, ce qui nous intéresse dans cet article est leur contenu et, plus spécifiquement, leurs fondements théoriques et normatifs. Nous ferons valoir que la FCFA pose les bases d’une nouvelle vision des droits linguistiques au Canada, qui s’apparente au néorépublicanisme et à son principe directeur de la non-domination. Par conséquent, si les travaux sur la francophonie canadienne ont surtout eu recours aux notions de complétude institutionnelle (Landry, 2008, 2009; Thériault, 2014), de gouvernance (Cardinal, Champagne et Eddie, 2013; Léger, 2013), de reconnaissance (Charbonneau, 2012; Traisnel et Bossé, 2012; Traisnel, 2014) ou encore d’habilitation (Léger, 2014; Dubois, 2017) pour expliquer les revendications des minorités francophones, les deux plus récents mémoires de la FCFA nous incitent dorénavant à y inclure la non-domination[10].

Cet article est divisé en deux grandes parties. À partir des travaux de Philip Pettit (1996, 1997, 2004, 2005), nous définirons en première partie le néorépublicanisme et le principe de la non-domination. Dans la deuxième partie, nous montrerons en quoi ce principe transparaît dans plusieurs des principales recommandations faites par la FCFA, notamment celles concernant la restructuration de la LLO, la consultation et la participation, puis l’imputabilité. De manière générale, cet article comporte deux objectifs. D’abord, il se propose d’éclairer les fondements théoriques et normatifs des revendications présentées par la FCFA dans le dossier de la modernisation de la LLO. Ensuite, en montrant les affinités entre la philosophie politique néorépublicaine et la vision du droit qui sous-tend les deux mémoires de la FCFA, cet article pourra servir à illustrer l’attrait du néorépublicanisme pour d’autres communautés minoritaires.

Le néorépublicanisme et le principe de la non-domination

Le contexte d’émergence du néorépublicanisme

Depuis les années 1990, un peu partout en Occident, il y a eu un regain d’intérêt pour la pensée républicaine. Cela s’est manifesté, entre autres, par la publication d’études portant sur l’histoire de cette tradition ainsi que sur les fondements idéologiques de certains groupes politiques, y compris au Canada. Peter J. Smith (1987, 1995) s’est par exemple intéressé à la présence du discours républicain dans l’histoire du Canada, permettant ainsi de réorienter les débats sur la Confédération canadienne autour du clivage qui opposait les libéraux aux républicains dans l’espace transatlantique du xixe siècle. D’après Smith, la pensée républicaine occupait une place importante au Bas-Canada, entre autres, dans le discours des représentants francophones élus à l’Assemblée législative du Canada-Uni. Cette thèse sera confirmée par Louis-Georges Harvey (1995), qui affirme que les principes du républicanisme civique permettent de mieux rendre compte des revendications du Parti patriote que le libéralisme ou le conservatisme. Plus récemment, Darren O’Toole (2010) et Xavier Bériault (2018) se sont intéressés aux diverses structures et organisations politiques des Métis de la rivière Rouge et de la résistance menée par Louis Riel. Tous les deux soutiennent que le gouvernement provisoire et le mouvement de révolte menés par les Métis étaient largement fondés sur les idéaux républicains de l’autonomie et de la démocratie participative.

Le projet néorépublicain émerge notamment sous la plume de Philip Pettit à partir des années 1990. Ce projet se distingue des travaux sur le républicanisme de l’époque, car il porte moins sur l’histoire des idées que sur le développement d’un cadre théorique permettant d’envisager la réalisation contemporaine des idéaux républicains. Il se distingue également par le fait qu’il se conçoit comme une troisième voie dans le débat opposant le libéralisme au communautarisme[11]. À la suite de Jean-Fabien Spitz (2009), il est utile de distinguer un républicanisme classique, ancré dans les notions de vertu, de civisme et d’espace public, d’un républicanisme moderne qui est à la fois sensible aux droits et à la liberté individuels, mais qui reste résolument distinct du libéralisme prôné par John Rawls et d’autres penseurs anglo-américains. C’est peut-être John Maynor qui explique le mieux cette distinction entre les trois approches :

[M]odern republicanism [le néorépublicanisme] is distinct from Sandal’s [le républicanisme traditionnel ou civique] in that it does not endorse a singular version of human flourishing grounded in self-government. It is also distinct from that kind of liberalism favored by Kymlicka [libéralisme d’inspiration rawlsienne] because it contains certain ideals and institutions that constitute and support its conception of liberty as nondomination. [] republicanism abandons liberal neutrality, but yet does not endorse a robust singular version of the good.

Maynor, 2003 : 63

Le néorépublicanisme se distingue ainsi du libéralisme par son recours au principe de la liberté comme non-domination, tout en s’éloignant du républicanisme civique par sa valorisation de certains principes libéraux dont l’individualisme et le pluralisme. En partant de la non-domination, les auteurs néorépublicains se sont notamment intéressés au statut et aux droits des minorités dans les sociétés occidentales contemporaines marquées par la diversité nationale et culturelle. L’idéal de la non-domination permettant de distinguer le néorépublicanisme des approches libérales et communautariennes, il nous semble utile de dire quelques mots sur les diverses conceptions de la liberté.

La liberté comme non-domination

Pendant une longue période, la liberté comme non-domination fut éclipsée par une autre conception de la liberté que nous associons aujourd’hui au libéralisme, soit la liberté comme non-interférence. Pour les néorépublicains tels que Pettit et Quentin Skinner (1998, 2008) qui visent à la restaurer, la liberté comme non-domination représente une solution possible à la dichotomie classique opposant la liberté négative à la liberté positive. Selon Isaiah Berlin (2002), la liberté négative désigne l’absence de toute interférence de l’État ou d’autrui, tandis que la conception positive de la liberté renvoie à la maîtrise de soi. La liberté comme non-domination emprunte à la fois aux conceptions négative et positive de la liberté. Elle se veut tout d’abord une liberté négative en ce qu’elle repose sur « l’absence, et non sur la présence » (Pettit, 2004 : 41) d’un élément, mais cet élément est la domination plutôt que l’interférence. La domination se caractérise par la possibilité d’autrui d’exercer sa volonté sur nous sans imputabilité. Ensuite, la liberté comme non-domination partage avec la liberté positive l’idée de la maîtrise, mais plutôt que de promouvoir un certain ascétisme, la non-domination vise à assurer qu’aucune personne ou collectivité ne puisse agir comme le maître d’une autre (Pettit, 2004 : 77).

Selon les néorépublicains, la maîtrise de soi (la liberté positive) et la non-interférence (la liberté négative) ne permettent pas d’assurer la liberté d’un individu; celui-ci ne sera libre que lorsqu’il jouira de la non-domination. Pettit utilise souvent l’image d’un esclave vivant sous la tutelle d’un maître bienveillant pour distinguer la liberté comme non-interférence défendue par les libéraux et la liberté comme non-domination. Dans la perspective de la liberté comme non-interférence, l’esclave serait libre, car le maître, malgré le pouvoir qu’il détient sur l’esclave, n’interfère pas dans ses choix. Pour les tenants de la liberté comme non-domination, le principe de la non-interférence est trop faible pour assurer la pleine jouissance de la liberté, car même si ce maître clément n’interfère pas dans la vie de l’esclave, il détient néanmoins un pouvoir arbitraire sur la vie de ce dernier. Pour Pettit, la liberté signifie que « personne n’a la capacité d’exercer de manière arbitraire un pouvoir d’interférence dans ses choix » (2004 : 95). La non-domination comporte donc une notion d’autonomie. Mais plus encore, la non-domination permet de repenser l’interférence et de distinguer entre une interférence utile et légitime et une interférence arbitraire et dominante. Une interférence est considérée comme arbitraire non pas en raison de ses conséquences, mais plutôt à partir du moment où une personne ou une collectivité peut imposer sa volonté ou son jugement sur une autre sans tenir compte des intérêts ou de la volonté de celle-ci et sans que cette interférence lui soit imputable (Pettit, 2005 : 93).

Il nous faut donc retenir de la non-domination qu’il s’agit de plus que la simple absence de domination, mais bien de « la garantie de ne pas avoir à subir des interférences, et en particulier des interférences arbitraires » (Pettit, 2004 : 78; nous soulignons)[12]. C’est dans ce sens que la non-domination est plus exigeante que la non-interférence. La non-domination valorise l’autonomie individuelle ou collective et, dans le cas des minorités, cela appelle la mise en place de processus visant à renforcer la capacité d’action de ces groupes, ce qui inclut leur capacité à participer à la prise de décision publique ainsi qu’à contester ces décisions.

Le néorépublicanisme, la vulnérabilité et les minorités

Les groupes minoritaires ou « non dominants », comme ils sont parfois nommés par les néorépublicains, constituent un sujet d’intérêt grandissant dans la pensée politique néorépublicaine. Comme le souligne Hans Morten Haugen, la non-domination est particulièrement intéressante pour les minorités, car elle permet de combler trois écarts qui s’installent entre la majorité et les minorités, soit « the participation/representation gap, the accountability gap and the protection gap » (2016 : 307). En renforçant leurs protections législatives et constitutionnelles, leur capacité de participer aux prises de décisions et leur capacité de contester, les groupes minoritaires peuvent gagner en autonomie et ainsi réduire leur dépendance face à la majorité. Pour Mira Bachvarova, la non-domination est particulièrement intéressante pour l’étude des minorités, car cette notion tient compte des « entrenched and morally objectionable relations of power » (2013 : 174). Bachvarova définit la domination comme suit :

An essential point of this definition is that domination obtains not only in the instances where interference is actually exercised, but also in the threat of interference. In other words, it obtains where a relationship of vulnerability and subordination exists, even if the subordinate party is treated benevolently. Thus, it is possible to have domination without interference, as well as interference without domination. An important implication of this view is that it allows us to recognize forms of interference which do not actually constitute loss of freedom, or may even enhance freedom, such as just laws. Equally, it also allows us to recognize that many are unfree because they lack security against the arbitrary will of the more powerful even if they are not subjected to interference by them at any given time.

Bachvarova, 2013 : 175; nous soulignons

Nous retenons que la domination a un caractère profondément relationnel. Ainsi, les stratégies néorépublicaines doivent viser à limiter le pouvoir de la majorité sur les minorités en redressant les inégalités qui existent dans leurs relations de pouvoir.

Marie Garrau et Alice Le Goff (2009a; 2009b), pour leur part, postulent que la non-domination permet de capter de nombreuses revendications des groupes minoritaires. En plaçant la non-domination au coeur du projet néorépublicain, elles considèrent que c’est en fait la vulnérabilité des individus marginalisés qui devient la principale préoccupation du néorépublicanisme. Les autrices écrivent ceci :

Pettit va ainsi identifier dans la non-domination l’objet de l’idéal républicain, faisant par là même de la vulnérabilité un enjeu politique. C’est en effet parce que les individus sont fondamentalement vulnérables qu’ils sont potentiellement sujets à la domination; mais corollairement, la domination peut elle-même être comprise comme la source d’une vulnérabilité sociale qui doit légitimement faire l’objet d’une appréciation et d’une action politiques. On voit à travers ces deux propositions que la notion de vulnérabilité se trouve mobilisée à un double niveau par Pettit. [...] Ici, la vulnérabilité apparaît comme l’effet direct de la domination, en fonction de laquelle elle reçoit une définition plus précise. C’est à ce titre que le projet républicain peut sembler ouvrir sur une politique de la vulnérabilité.

Garrau et Le Goff, 2009a : para. 7

Comme le suggère Pettit lui-même, dans un article cosigné par Frank Lovett, le projet néorépublicain vise à protéger les citoyens et les groupes minoritaires de la domination autant de l’État que d’autrui. Selon ces derniers, la non-domination devrait interpeller les groupes qui réclament des politiques publiques plutôt « progressistes », tels que les mouvements féministes, de travailleurs et d’autres groupes minoritaires (Lovett et Pettit, 2009 : 20). Faute de définir concrètement les mesures permettant de réaliser la non-domination, Lovett et Pettit affirment néanmoins que la non-domination « should provide a basis for determining both what the state should be allowed to do and what it should not be allowed to do. In particular, the philosophy should not justify any form of state action without indicating limits on the reach of such action » (Lovett et Pettit, 2009 : 26).

La démocratie et la contestation

Les États contemporains interviennent régulièrement dans la vie des individus et des communautés qui les composent. Les néorépublicains ont donc dû réfléchir à la façon dont ces interventions étatiques peuvent se faire dans le respect de l’idéal de la non-domination. Pettit propose l’adoption de dispositions constitutionnelles permettant de créer les conditions nécessaires à la non-domination. Ces conditions sont l’empire du droit (empire of law), la dispersion du pouvoir (dispersion-of-power) et, finalement, la condition contre-majoritaire (counter-majoritarian)[13]. Mais plus encore, ces dispositions constitutionnelles doivent être conjuguées à un modèle « contestataire » de la démocratie que Pettit oppose à un modèle « électoraliste ».

Le modèle électoraliste vise à assurer que les actions de l’État correspondent à une certaine volonté du peuple qui s’exprime par l’intermédiaire des élections. Il est difficile dans ce premier modèle de faire place aux revendications venant de communautés minoritaires qui souhaitent être exemptées de certaines règles ou qui souhaitent l’instauration de leurs propres institutions, et ce, en raison du poids de la majorité (Pettit, 2000a : 203). Le deuxième modèle ajoute une dimension contestataire à la dimension électoraliste. Ce modèle bidimensionnel, selon Pettit, permet d’assurer un meilleur suivi des intérêts des communautés minoritaires dans les processus décisionnels. Tandis que le modèle électoraliste conçoit le peuple comme détenant le pouvoir de choisir les auteurs des lois, soit les législateurs, le modèle contestataire thématise le pouvoir éditorial. Ce pouvoir éditorial s’exprime par des mécanismes ex post (la possibilité de s’opposer aux décisions prises) et ex ante (l’établissement de contrôles préalables) (Pettit, 2000a : 208). Plus concrètement, Pettit mentionne des mécanismes de consultation, des programmes de contestation judiciaire ainsi que des mécanismes de contestation administrative en tant que solutions possibles à l’interférence arbitraire. Nous discuterons davantage de ces mécanismes en analysant les propositions de la FCFA dans la prochaine section.

La contestation joue donc un rôle important dans la théorie néorépublicaine en ce qu’elle vise à réduire l’interférence arbitraire en renforçant la capacité des individus et des groupes à réviser les décisions prises, qui peuvent être construites à partir de faux consensus ou qui négligent les intérêts d’individus ou de groupes minoritaires[14]. Comme le souligne John Maynor, même des « processes that are nondominating can produce policies that are dominating », et c’est sur ce plan que la contestation offre « an opportunity for people to challenge and question both the issues raised and their potential or actual impact on society » (2003 : 156). Ainsi, le modèle contestataire de la démocratie promeut des « deliberative patterns of decision-making, that includes all the major voices of difference within the community, and that responds appropriately to the contestations raised against it » (Pettit, 1997 : 200). La contestation vise à bonifier le processus démocratique en prévoyant des dispositions constitutionnelles qui permettent d’empêcher, ou de réduire à tout le moins, la domination.

Dans cette première partie, nous avons voulu montrer que la liberté comme non-domination se distingue à la fois des conceptions négative (libéralisme) et positive (communautarisme ou républicanisme civique) de la liberté. La conception néorépublicaine de la liberté exige que l’on accorde à toute personne ou collectivité vulnérable des leviers permettant d’assurer non seulement sa protection, mais aussi son égalité face à un interlocuteur plus dominant. En faisant de l’élimination de la domination un idéal à atteindre, le néorépublicanisme constitue une théorie normative particulièrement intéressante pour les minorités qui souhaitent prendre en main leur propre développement et assurer que leur voix soit non seulement entendue, mais réellement prise en compte dans la vie démocratique de l’État. Comme nous tâcherons de le montrer dans la prochaine partie, les recommandations de la FCFA concernant la modernisation de la LLO peuvent être interprétées sous l’angle de la philosophie politique néorépublicaine.

Les recommandations de la FCFA sous la loupe du néorépublicanisme

Dans cette section, nous montrerons en quoi plusieurs des recommandations de la FCFA peuvent être comprises comme visant la réalisation du principe de liberté comme non-domination, notamment en réduisant les écarts entre dominant et dominé. Bien que la FCFA ne mentionne pas explicitement le néorépublicanisme dans ses deux mémoires, son usage des concepts d’obligation, de contrainte et de consultation renvoie selon nous à la vision de la démocratie soutenue par les néorépublicains. Autrement dit, nous tenterons de mettre au jour les fondements théoriques et normatifs de la position défendue par la FCFA dans le dossier de la modernisation de la LLO, ce qui nous permettra de mieux saisir sa vision des droits linguistiques au pays.

Pettit affirme que « [m]y interest in the republican conception of liberty comes of the hope that it can persuasively articulate what a state ought to try to achieve, and what form it ought to assume, in the modern world » (1997 : 129). À cette fin, la section précédente a montré comment ce dernier et les néorépublicains proposent la création de mécanismes permettant de tenir compte des intérêts des groupes concernés par l’intervention de l’État, dans le but de réduire l’interférence arbitraire, soit une interférence qui dépend de la seule volonté de l’État sans imputabilité face aux groupes concernés. Pour les néorépublicains, le fait que le respect d’une loi repose sur l’unique volonté du gouvernement est grandement problématique, car c’est « equivalent to living in a condition of servitude » (Skinner, 1998 : 70). Le fait que la LLO soit « tributaire de la volonté politique » (FCFA, 2019 : 6) est au coeur des problèmes que dénonce la FCFA depuis plus de 50 ans, et les recommandations qu’elle soumet visent à rectifier cette situation. C’est notamment l’objectif des trois catégories de recommandations que nous allons analyser dans cette section : 1) la restructuration des mécanismes de mise en oeuvre de la LLO; 2) le renforcement des mécanismes de contraintes et 3) la participation et la consultation.

La restructuration de la LLO

La FCFA propose une révision ambitieuse des mécanismes de mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles qui inclut la création d’un ministère et d’un secrétariat des langues officielles, la bonification des obligations linguistiques des hauts fonctionnaires et, surtout, la centralisation de la responsabilité de cette loi au Conseil du Trésor. Ces recommandations visent à corriger le vocabulaire imprécis de la présente loi qui, selon la FCFA, fait en sorte que la mise en oeuvre repose trop souvent sur la bonne volonté du gouvernement. Le manque de clarté dans l’énoncé des dispositions et des obligations de la présente loi ouvre la porte à l’arbitraire dans les décisions du gouvernement relatives aux langues officielles; selon la volonté politique du gouvernement au pouvoir, des mesures sont parfois prises dans certaines situations et évitées dans d’autres.

Dans son premier mémoire, la FCFA estime que la LLO est dépourvue d’une « âme gouvernante », ce qui « mène à des lacunes systémiques et récurrentes dans sa mise en oeuvre » (FCFA, 2018 : 8). Le ministère du Patrimoine canadien n’a pas l’autorité ni la capacité de contraindre les autres ministères, et le Conseil du Trésor n’a pas l’obligation d’adopter des règlements d’application des différentes parties de la LLO malgré son pouvoir de le faire. Cette faiblesse avait d’ailleurs été soulevée par le sénateur Pierre De Bané lors de la refonte de la LLO en 1988. En comité parlementaire, ce dernier faisait remarquer que jamais le Secrétariat d’État (désormais le ministère du Patrimoine canadien) n’aurait le pouvoir de coordonner la mise en oeuvre de la Partie VII :

Comme vous le savez, au gouvernement central il n’y a que deux ou trois organismes qui réellement ont un pouvoir de coordination : le Conseil du Trésor, le ministère des Finances, le Conseil privé. Je vous prédis, monsieur le ministre, que jamais l’article 42 ne vous donnera l’autorité pour appeler les ministres récalcitrants et pour leur dire en vertu de l’article 42 : je vous demande de poser tel et tel geste dans telle section du pays pour m’aider à atteindre les objectifs de la loi. Tel qu’il est, cet article-là, monsieur le ministre, tout ce qu’il va vous causer c’est des frustrations[15].

De Bané, cité dans FCFA, 2019 : 14

Depuis 1988, le ministère du Patrimoine canadien a essuyé de nombreuses critiques en raison de son incapacité à mettre en oeuvre la LLO, y compris les obligations de la Partie VII (« Promotion du français et de l’anglais »). L’insatisfaction a finalement mené à l’ajout du concept de mesures positives à la Partie VII de la LLO en 2005, en plus de rendre cette partie de la loi justiciable. Malgré ces ajouts, le ministère du Patrimoine canadien ne dispose pas de l’autorité ou des compétences nécessaires pour assurer la mise en oeuvre de cette partie de la loi.

En recommandant que la mise en oeuvre de la LLO relève du Conseil du Trésor, la FCFA souhaite rectifier les erreurs du passé en plaçant celle-ci sous la responsabilité d’une agence centrale qui, en plus d’avoir les pouvoirs nécessaires pour faire respecter la loi, serait aussi dotée de l’obligation d’en assurer la coordination. Plus encore, la FCFA demande à ce que soit remplacé « le langage permissif du paragraphe 46(2) (“peut”) par une obligation d’agir (“doit”) à cet effet » (FCFA, 2018 : 19-20). Ce changement créerait une obligation d’agir de la part du Conseil du Trésor, ce qui garantirait l’adoption d’un plan d’action, de règlements, etc., et ce, même si la bonne volonté n’est pas au rendez-vous. La FCFA demande également que le Conseil du Trésor ne puisse pas déléguer ses responsabilités à d’autres ministères, ce qui est présentement prévu à l’article 46(2)g), et elle propose l’ajout de l’obligation d’adopter un règlement clarifiant le concept de mesures positives et sa mise en oeuvre (FCFA, 2019 : 137-16).

En voulant clarifier le cadre de mise en oeuvre de la LLO, les recommandations de la FCFA s’apparentent au néorépublicanisme, notamment dans son ambition de réduire l’interférence arbitraire. L’organisme adopte ainsi une posture selon laquelle le respect des lois ne doit pas dépendre de la volonté du gouvernement, mais bien de mécanismes institutionnels visant à rendre la mise en oeuvre de la LLO prévisible, vérifiable et, surtout, contestable. Selon Pettit, les lois « should be, as far as possible, non-manipulable » (1997 : 173), c’est-à-dire qu’une loi ne devrait pas être sujette à la volonté arbitraire de l’État ou des agents de l’État. Malgré la rigidité et la clarté des lois souhaitées par les néorépublicains, il ne faut pas penser que ces derniers négligent l’importance du pouvoir discrétionnaire de l’État[16]. Nous reviendrons sur cette idée en discutant des deux prochaines catégories de recommandations.

Pour bien saisir la critique de la FCFA quant à la mise en oeuvre de la LLO, nous pouvons aussi consulter son interprétation de l’affaire FFCB c. Canada dans son mémoire de 2019. Cette décision rend nécessaire la modernisation de la LLO selon la FCFA, car elle illustre en quoi les nombreux problèmes de mise en oeuvre de la LLO sont liés, d’une part, au manque d’obligations prévues par cette loi et, d’autre part, au peu de pouvoir qu’elle confère au ministère du Patrimoine canadien pour remplir son rôle de coordination. Ce litige soulève des questions importantes en ce qui concerne la Partie IV (« Communications avec le public et prestation des services ») et la Partie VII (« Promotion du français et de l’anglais »)[17]. C’est la décision relative à la partie VII qui retient surtout l’attention de la FCFA. Cette partie de la décision met en lumière, selon la FCFA, la nécessité de prévoir dans la LLO de nouvelles obligations en vue d’améliorer l’offre de service dans les deux langues officielles.

Dans sa décision, le juge Gascon considère notamment que l’ambiguïté du vocabulaire de la LLO ne crée pas d’obligations contraignantes pour le gouvernement fédéral. Ce dernier ne peut donc pas assurer que la Colombie-Britannique prenne des mesures positives telles que désignées à la Partie VII. En ce qui concerne les mesures positives, le juge Gascon déclare ceci :

Le Parlement a déjà, en adoptant le paragraphe 41(2) et en élargissant le recours judiciaire de l’article 77 à la partie VII, donné des « dents » à l’article 41, selon l’expression consacrée du sénateur Gauthier. Pour poursuivre dans l’esprit de cette métaphore canine qui semble coller à la partie VII depuis la genèse de l’amendement de 2005, si le gouvernement fédéral veut non seulement que l’article 41 ait des dents, mais aussi que l’obligation de prendre des mesures positives ait du mordant, il peut le faire par le biais de son pouvoir réglementaire. C’est ce qui était attendu de lui lorsque l’obligation a été mise en place.

FFCB c Canada, 2018 FC 530 (CanLII) : par. 238

Ainsi, faute d’avoir adopté un règlement concernant les mesures positives, l’article 41 de la LLO ne crée essentiellement aucune obligation, sauf celle d’assurer que, lorsque le gouvernement prend des mesures concernant les langues officielles, celles-ci soient positives. L’obligation est uniquement qualitative et non pas quantitative[18]. Dans la foulée de la décision du juge Gascon, deux des avocats qui ont rédigé les deux mémoires de la FCFA, Mark Power et Darius Bossé, ont souligné dans une lettre ouverte que « [l]a Cour fédérale nous enseigne qu’en raison de son imprécision et de son “incongruité”, plusieurs articles de cette loi ne formulent que des promesses vides de sens ». Selon eux, ce problème est « structurel : la Loi sur les langues officielles piège la ministre du Patrimoine en lui demandant d’assurer une coordination transversale sans pourtant l’investir de pouvoirs horizontaux[19] ». Dans son deuxième mémoire, la FCFA estime qu’une loi renforcée, qui comprend des obligations claires, y compris des obligations liées au transfert des responsabilités, aurait empêché le juge Gascon « de conclure que la Colombie-Britannique n’est pas un “tiers” agissant “pour le compte” d’une institution fédérale au sens de l’article 25 de la LLO » (FCFA, 2019 : 118, note 287).

Le désir de la FCFA de définir, de clarifier et de créer de nouvelles obligations dans la LLO, tout en renforçant les pouvoirs de l’agence responsable de la mise en oeuvre de cette dernière, semble lié au désir plus profond de réduire la place de la volonté politique – ou de l’arbitraire, diraient les néorépublicains – dans la réalisation des objectifs de la LLO. Pour Pettit, l’interférence arbitraire désigne à la fois les situations où l’État agit sans tenir compte des intérêts des groupes vulnérables ou minoritaires et celles où il n’agit pas du tout. Dans la deuxième situation, sa non-intervention se fait également au détriment de son engagement envers les communautés vulnérables.

Cadre d’imputabilité

Le modèle de la démocratie défendu par Pettit comporte une deuxième dimension qui modifie notre compréhension habituelle de la démocratie et qui a comme objectif d’incorporer les intérêts de tous, y compris les minorités[20]. Cette deuxième dimension, la contestation, vise à encourager le dialogue dans le contexte où la voix de certains n’a pas été exprimée, entendue ou considérée dans le processus décisionnel. En ce sens, la légitimité démocratique d’une décision dépend de la possibilité que celle-ci fasse l’objet de contestation, et ce, par tous, sans préjudice. Il est donc nécessaire que l’État mette sur pied des mécanismes de contestation et qu’il y ait un forum approprié pour entendre, évaluer et répondre aux griefs en cause[21]. Comme l’affirme d’ailleurs la FCFA,

[i]l est possible d’évaluer l’importance accordée à une loi par le Parlement en analysant l’efficacité des mécanismes de surveillance conçus pour en assurer le respect et sanctionner les violations. Malheureusement, la seule conclusion résultant d’un tel examen de la LLO est qu’elle fut grandement négligée. Une LLO modernisée doit renforcer les mécanismes de surveillance de sa mise en oeuvre et en prévoir des nouveaux.

FCFA, 2018 : 24

C’est ainsi que la FCFA propose de restructurer en profondeur les mécanismes d’imputabilité, de surveillance et, donc, de contestation de la LLO, notamment en augmentant et en renforçant les pouvoirs du Commissariat aux langues officielles (CLO), en créant un Tribunal des langues officielles et en inscrivant le programme de contestation judiciaire dans la LLO. Ces propositions visent à renforcer ainsi qu’à augmenter la capacité des citoyens à déposer une plainte quant à la mise en oeuvre de la LLO, tout en réformant le forum où ses plaintes sont entendues afin qu’une réparation puisse être mise en oeuvre. Selon nous, ces recommandations font écho aux propos de Petitt sur la démocratie contestataire :

[…] be able to do something about relieving or remedying the complaint in question; second, that it should be able to provide an effective remedy that does not introduce new problems in place of old; and third, that it should be able to provide an efficient as well as an effective remedy.

Pettit, 2005 : 89

À l’heure actuelle, seul le CLO a la responsabilité de faire respecter la LLO et il n’a que le pouvoir de faire enquête, de recommander des changements. Il « “peut” entamer certains recours devant la Cour fédérale, mais il exerce rarement ce pouvoir, qui est discrétionnaire selon le libellé actuel de la LLO » (FCFA, 2019 : 46). La FCFA estime qu’il est nécessaire de revoir les pouvoirs qui sont attribués au CLO, notamment afin qu’il ait l’obligation, dans certaines circonstances, d’entamer des recours devant les tribunaux. Les pouvoirs du CLO devraient également s’étendre à l’ensemble des lois touchant le statut des langues officielles, afin d’assurer la cohérence de la mise en oeuvre des droits linguistiques (FCFA, 2019 : 48). Cette nouvelle obligation du CLO contribuerait ainsi à faire progresser les droits linguistiques en permettant en outre de s’attaquer aux problèmes systémiques pouvant émerger de la mise en oeuvre de la LLO.

La FCFA propose également la création d’un tribunal administratif pour les langues officielles, à l’instar de la Commission des droits de la personne. Cette nouvelle institution permettrait de développer une expertise dans un domaine spécialisé du droit linguistique, tout en dégageant la Cour fédérale de ces litiges et en assurant une interprétation plus juste de l’esprit de la LLO. Combiné à la pérennisation du programme de contestation judiciaire et au pouvoir du CLO d’intenter des recours à ce tribunal, l’accès des citoyens aux tribunaux serait ainsi augmenté. Mais plus encore, un tel tribunal développerait une expertise en langues officielles qui pourrait servir à clarifier et à améliorer notre compréhension du droit linguistique, par la voie des jugements que ce tribunal pourrait émettre. Un tel cadre d’imputabilité vise donc un objectif ambitieux et conforme à la pensée néorépublicaine, soit de réduire le plus possible les interférences arbitraires de l’État.

La consultation et la participation

Pour Pettit, le principe de la non-domination exige la possibilité de contester les décisions publiques, mais il nécessite aussi des mécanismes rigoureux de consultation et de participation afin que l’État puisse mieux tenir compte des intérêts de tous. Comme le précise la FCFA, la LLO contient déjà certains dispositifs de consultation, toutefois « le libellé de ces articles est très peu contraignant et d’application très limitée » (FCFA, 2019 : 35). La FCFA souhaite ainsi que ces obligations soient étendues et renforcées afin que les communautés minoritaires ne soient plus considérées comme des clients de l’État, comme le veut le modèle néolibéral de la « gouvernance horizontale » (Léger, 2013)[22], mais comme des partenaires dans le développement des politiques et des programmes de mise en oeuvre de la LLO[23]. Dans les modifications proposées par la FCFA, l’objectif est clair : il s’agit de multiplier les espaces d’échange et de dialogue entre l’État et les communautés francophones à l’échelle du pays. Cela rappelle ce qu’écrit Pettit à propos de la participation et de la consultation :

[…] at every site of decision-making, legislative, administrative, and judicial, there are procedures in place which identify the considerations relevant to the decisions, thereby enabling citizens to raise the question as to whether they are the appropriate considerations to play that role.

Pettit, 1997 : 188

C’est seulement en multipliant ces espaces d’échange et en les associant à des mécanismes de surveillance et de contestation efficaces que l’on peut arriver à réduire l’interférence arbitraire de l’État. Plus spécifiquement, la FCFA demande que soit créé un Conseil consultatif sur les langues officielles, que l’article sur la consultation soit modifié afin de prévoir une réelle obligation de consultation et que celle-ci soit accompagnée d’un règlement de mise en application. Plus encore, l’organisme souhaite que les différents acteurs des communautés francophones en situation minoritaire participent à la prise de décisions qui les concernent. Elle demande, entre autres, que des acteurs tels que les conseils scolaires francophones et les organismes provinciaux puissent participer au processus de négociation du « Protocole relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement dans la langue seconde, du Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants et des ententes fédérales-provinciales / territoriales sur les services[24] » (FCFA, 2018 : 22). En plus, la FCFA demande qu’une nouvelle partie de la LLO explicite le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de l’éducation en milieu minoritaire (FCFA, 2018 : 39-40). Celle-ci devrait préciser les responsabilités du gouvernement fédéral quant au financement de l’éducation en milieu minoritaire, mais aussi ses obligations quant à la participation des conseils scolaires francophones aux négociations sur les protocoles d’ententes mentionnés précédemment. La FCFA déclare qu’« [i]l est futile de mener des consultations si le fruit de celles-ci n’est pas pris en compte » (FCFA, 2018 : 22). L’organisme propose alors de créer l’obligation de tenir compte des consultations, une obligation qui, quoique rare, existe dans d’autres lois[25]. L’ensemble de ces mesures visent ainsi à ce que l’on tienne compte des intérêts des communautés francophones et acadienne (CFA) à l’échelle du gouvernement, mais aussi, dans l’ensemble des espaces de prises de décisions affectant les CFA.

Il est intéressant de constater que la FCFA ne réclame pas l’élimination de toute forme d’intervention de l’État. Elle souhaite toutefois que cette intervention ne soit pas arbitraire et qu’elle tienne compte des intérêts de ces communautés. C’est ce que nous pouvons déduire de la proposition de refonte de la Partie VII, qui propose la création d’une Partie VII.I portant sur la consultation et qui demande l’ajout d’articles relatifs à l’adoption d’un plan quinquennal d’appui au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. S’il existe déjà un plan de développement quinquennal (le Plan d’action des langues officielles 2018-2023), la FCFA veut en assurer la pérennité en le consignant dans la LLO (FCFA, 2019 : 147).

La réalisation de la non-domination passe également par des dispositions permettant que les voix des collectivités minoritaires soient entendues à l’intérieur des institutions étatiques telles que le Parlement canadien. C’est ainsi que la FCFA propose d’inclure un article stipulant l’obligation de protéger les circonscriptions à majorité francophone hors Québec. La FCFA juge qu’il est « fondamental pour la survie des communautés de langue officielle en situation minoritaire qu’elles puissent continuer de s’exprimer par l’entremise de leur voix électorale, là où elles possèdent un poids électoral important » (FCFA, 2018 : 40), et ce, afin d’être entendues à toutes les étapes du processus décisionnel.

En somme, en renforçant les mécanismes de mise en oeuvre, de contestation et de consultation de la LLO, la FCFA propose une nouvelle vision des droits linguistiques qui, selon nous, s’inspire de la philosophie politique néorépublicaine et de son principe directeur de la non-domination. Les trois catégories de revendications passées en revue dans cette deuxième section ont toutes pour objet de réduire la mise en application inégale, ambiguë et arbitraire de la LLO, en plus de promouvoir une meilleure participation des communautés francophones en situation minoritaire à la prise de décisions qui les concernent.

Conclusion

Inspirée par presque cinquante ans de relations avec le gouvernement fédéral et la mise en oeuvre de la LLO, la FCFA ancre ses revendications dans la pratique et dans des propositions concrètes. Et en proposant un libellé complet, elle a voulu montrer le sérieux de son approche et la faisabilité des changements proposés. Plus spécifiquement, nous avons suggéré que les revendications de la FCFA peuvent être interprétées dans la perspective de la philosophie politique néorépublicaine. Selon nous, les revendications de la FCFA concernant les mécanismes de mise en oeuvre, de contrainte, de participation et de consultation sont inspirés du néorépublicanisme dont le principe directeur est la non-domination. Toutes ces revendications peuvent être comprises, comme nous l’avons montré dans la deuxième partie de cet article, comme une façon de réduire l’arbitraire, notamment en améliorant les dispositifs visant à tenir compte des intérêts des communautés minoritaires.

Nous terminons en soulignant ce qui nous semble être un chantier prometteur pour la recherche sur la francophonie canadienne, soit l’étude des possibilités qu’offre la théorie néorépublicaine. Selon nous, le principe de la non-domination et le modèle contestataire de la démocratie esquissé par Pettit forment les bases d’une grille de lecture productive pour analyser les aspirations des communautés minoritaires, particulièrement en ce qui a trait aux demandes d’autonomie et de participation de ces communautés dans certaines sphères de leur développement. La philosophie politique néorépublicaine peut servir de solution de rechange à la logique (néo)libérale et néocorporatiste de l’actuel modèle de gouvernance, permettant ainsi aux communautés de redéfinir et de refonder leurs relations avec l’État. Par cet article, nous espérons avoir contribué à développer ce nouveau chantier en illustrant en quoi le discours du principal organisme chargé de représenter la francophonie est déjà largement compatible avec les principes normatifs et théoriques du néorépublicanisme.