Comptes rendus

Mollier, Jean-Yves. La mise au pas des écrivains. L’impossible mission de l’abbé Bethléem au XXe siècle. Paris : Fayard, 2014, 510 p. ISBN 978-2-213-66610-5[Record]

  • Marcel Lajeunesse

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L’auteur de ce livre, Jean-Yves Mollier, est professeur d’histoire du livre à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est connu pour ses nombreuses publications en ce domaine, notamment pour ses monographies sur les Calmann-Lévy, Pierre Larousse, Louis Hachette, la Librairie Tallandier et la Librairie Larousse, ainsi que pour ses études sur l’histoire du capitalisme d’édition en France de 1880 à 1920 et sur le commerce du livre en France au XIXe siècle. Louis Bethléem naquit en 1869 dans le nord de la France et décéda en Bretagne en 1940 au lendemain de la défaite de la France. Ordonné prêtre en 1894, vicaire à la cathédrale de Cambrai, il fut chargé de la question des bonnes et des mauvaises lectures dans le cadre de ses activités à la bibliothèque paroissiale de la basilique-cathédrale de Cambrai. S’inspirant de l’Oeuvre des bons livres de Bordeaux, créée en 1820, il publia en 1904 un livre intitulé Romans à lire et romans à proscrire et, en 1908, Romans-revue, qui devint en 1919 Larevue des lectures. La publication et la mise à jour de ce livre et de cette revue vont occuper toute la vie de l’abbé Bethléem, consacrée essentiellement à la moralisation de la société. Au-delà de l’histoire de Larevue des lectures et du livre Romans à lire et romans à proscrire ainsi que de la biographie de l’abbé Bethléem, prêtre de combat, c’est la mission de mise au pas des écrivains de son temps que le livre de Mollier a choisi d’étudier en explorant sa genèse et en analysant son évolution. L’action de l’abbé Bethléem pendant quatre décennies s’articule autour de quelques idées-forces. Dans la préface de la première édition de Romans à lire et romans à proscrire de 1904, l’archevêque de Cambrai posait le problème : « Le mauvais livre, le roman impudique, le feuilleton déshonnête, voilà les béliers qui ébranlent les fondements de l’édifice social. » L’abbé Bethléem était convaincu que c’était le livre qui faisait les révolutions. Il était dubitatif sur les bienfaits de l’imprimerie parce que celle-ci, à ses débuts, avait été un instrument pour diffuser le protestantisme et qu’au XVIIIe siècle, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert avait été une entreprise de destruction des valeurs traditionnelles. En réalité, pour lui, toute l’histoire de l’humanité était l’histoire d’une perpétuelle guerre de religion, et les chrétiens étaient constamment en état de guerre. Larevue des lectures s’inscrivait dans un mouvement de reconquête des âmes, qui avait démarré, à son avis, 150 ans plus tôt, depuis l’Encyclopédie et la Révolution française. Les idées qui accompagnèrent l’abbé Bethléem durant sa vie active étaient très définies. Il était un partisan indéfectible de l’application de l’Index; il était proche de Maurras et de l’Action française jusqu’à la condamnation de celle-ci en 1926; il était un admirateur de Mussolini, mais non d’Hitler. Il était antisémite, violemment opposé à la franc-maçonnerie et au communisme. L’influence de Bethléem fut considérable. Romans à lire et romans à proscrire s’écoulait à raison de 6 000 exemplaires par an; lors de la dernière édition de 1932, on fit état d’un tirage de 140 000 exemplaires. Romans-revue/La revue des lectures, publiée d’abord à Lille, puis à Paris, « Babylone littéraire », à partir de 1919, avait dans les années 1930 quelque 7 500 abonnés avec un tirage de 15 000 exemplaires. Cette revue attirait des lecteurs à travers le monde (132 pays, affirme la revue), et 5 000 bibliothécaires et libraires y étaient abonnés. Les nombreux procès intentés contre sa revue et sa personne firent de l’abbé Bethléem un personnage de plus en plus public, attaqué …