Compte renduBook Review

Alain Carou et Béatrice de Pastre (dir.), « Le Film d’Art & les films d’art en Europe (1908-1911) », 1895, no 56, décembre 2008, 372 p.[Record]

  • Stéphane Tralongo

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  • Stéphane Tralongo
    Université Lyon 2
    Université de Montréal

S’il est un objet d’étude qui s’avère incontournable dans l’histoire de la cinématographie des débuts, mais qui reste pourtant relativement en marge du développement des recherches dans le domaine, c’est bien celui des séries d’art apparaissant en Europe au tournant des années 1910, et plus particulièrement la production du Film d’Art lancée en France en 1908. De l’existence de la société du Film d’Art fondée par Paul Laffitte, on ne retient guère, en général, qu’une poignée d’informations qui vont peu ou prou dans le sens d’une vision réductrice, évolutionniste et téléologique de l’entreprise. Il faut dire que les traditions historiographique et cinéphilique ont longtemps tenu en disgrâce cette expérience qu’elles accusaient d’avoir jeté le cinéma dans une impasse, celle du « théâtre filmé ». Derrière la tentative d’anoblissement du cinématographe par une élite intellectuelle et artistique en partie issue du monde dramatique, se cache en réalité un projet plus complexe qui conduit Alain Carou et Béatrice de Pastre à « renverser les termes du problème » (p. 10), c’est-à-dire à embrasser le phénomène dans toute sa richesse plutôt que de le restreindre à un modèle schématique. Ils réunissent pour ce faire une multitude d’approches propres à l’analyse des démarches esthétiques, des décisions économiques, des stratégies commerciales ou des préoccupations nationales suscitées par la création des séries d’art. Aussi différents soient-ils, ces regards ont toutefois en commun de s’inscrire de près ou de loin dans le courant de la « nouvelle histoire du cinéma », d’une part parce qu’ils effectuent un retour fructueux aux documents de première main, notamment à la correspondance inédite d’Henri Lavedan, mais aussi aux scénarios, aux partitions ou aux livres de comptes, et d’autre part parce qu’ils mettent à profit certains outils conceptuels, ne serait-ce qu’en relevant les tensions entre « attractions monstratives » et « intégration narrative », tels que ces systèmes ont été définis par Tom Gunning et André Gaudreault (1989). Aux contributions d’une finesse et d’une rigueur exemplaires s’ajoutent des extraits d’archives, une chronologie et une filmographie qui font de ce numéro de 1895 un guide indispensable pour appréhender les séries d’art et réamorcer du même coup la réflexion sur le sujet en suivant les nouvelles perspectives esquissées. La mise au jour des archives privées d’Henri Lavedan amène pour commencer Alain Carou à préciser le rôle de cette figure centrale dans les premiers mois d’activité de la société du Film d’Art. Écrivain et dramaturge reconnu placé à la direction littéraire de l’entreprise naissante, Lavedan gère l’arrivée des propositions scénaristiques émises par le vivier artistique qui s’est formé autour de lui. Sa correspondance laisse apparaître les mailles d’un réseau fondé d’abord et avant tout sur les rapports de confiance qu’il entretient avec les différentes personnalités sollicitées pour l’écriture de scénarios. Les nombreux échanges épistolaires de Lavedan témoignent d’ailleurs moins d’une faveur accordée à un genre littéraire spécifique ou à une catégorie d’auteurs en particulier que d’une ouverture sur un foisonnement de projets émanant de dramaturges, mais aussi de nouvellistes et d’historiens. Ainsi les suggestions les plus variées parviennent-elles à Lavedan, faisant par exemple se côtoyer les idées d’Edmond Rostand, d’André de Lorde et d’Albert Robida. Les discussions de Lavedan avec ses correspondants trahissent également les hésitations, les tâtonnements et les maladresses qui se manifestent de part et d’autre, les auteurs manquant de directives et de modèles d’écriture préexistants, et les administrateurs retenant des sujets dont la réalisation sera par la suite jugée impossible. À l’été 1908, ces problèmes de coordination entraînent « une révolution dans le processus d’élaboration des scénarios » (p. 28) avec la création d’un bureau dramatique chargé d’approvisionner plus efficacement la société …

Appendices