Préface

L’Océanie : laboratoire à ciel ouvert de la mondialisation[Record]

  • Natacha Gagné

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  • Natacha Gagné
    Professeure titulaire, Département d’anthropologie, Université Laval

Alors que les Océaniens représentent une infime proportion de la population mondiale, les îles d’Océanie s’étalent sur un tiers de la surface du globe. Contrairement à une vision qui met l’accent sur les surfaces émergées, en suivant la description qu’en faisait l’écrivain et anthropologue d’origine tongienne Epeli Hau’ofa (1994), on est plutôt devant un vaste « océan d’îles », lesquelles sont jointes et non pas séparées par l’océan. C’est ce que soulignent les coéditeur.trices de ce numéro dans leur introduction. De ce point de vue, l’Océanie représente un territoire immense. C’est bien d’ailleurs de cette façon que ses habitants se la représentent, depuis longtemps, ce qui transparaît de façon évidente dans les histoires orales et les récits généalogiques qui unissent les insulaires d’une rive à l’autre du grand océan Pacifique. L’histoire du peuplement de l’Océanie débuta il y a plus de 40 000 ou 50 000 ans avec l’arrivée, en provenance de l’Asie, d’Autochtones des îles connues aujourd’hui sous les noms de Nouvelle-Guinée et d’Australie. D’autres vagues migratoires suivirent. Aux environs du Xe siècle, les grands navigateurs austronésiens avaient relevé bien avant les Européens le défi de traverser le plus vaste océan du monde en foulant le sol d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande). Ces voyages furent suivis à partir du XVIe siècle par plusieurs vagues de pêcheurs, d’explorateurs, de missionnaires et de colons venus d’Europe et des Amériques. Ces mouvements ont donné lieu à des rencontres et des transformations de toutes sortes. Depuis les premiers jours des explorations européennes dans le Pacifique, les îles d’Océanie ont d’ailleurs été l’objet d’un vif intérêt de la part des Occidentaux et ont été à la source de nombreux fantasmes. Elles continuent aujourd’hui à générer toutes sortes d’images exotiques, voire érotiques, de paradis perdus. L’Océanie est depuis longtemps un site névralgique de l’histoire du monde en train de se faire. Elle fut et demeure au coeur de luttes de pouvoir et d’influence. Les îles du Pacifique ont présenté d’importants intérêts économiques et politiques pendant les heures de gloire de la colonisation : il n’est pas un centimètre carré qui n’ait pas été approprié par les puissances européennes. Pendant les guerres mondiales, l’Océanie fut à nouveau le lieu d’affrontements sérieux. Entre 1941 et 1945, elle fut le théâtre de la guerre du Pacifique qui opposa les États-Unis et ses alliés au Japon. Les Océaniens participèrent de façon cruciale à l’effort de guerre dans la région ainsi que sur les fronts européens, africains et moyen-orientaux, ce qui leur donna l’occasion de voyager et de rencontrer des membres d’autres peuples colonisés. Après la Seconde Guerre mondiale, ils prirent part aux mouvements de décolonisation qui s’amorcèrent alors. Les Samoa furent, en 1962, le premier État océanien à déclarer son indépendance. D’autres emboîtèrent le pas rapidement. L’Océanie constitue ainsi un lieu particulièrement intéressant pour explorer les voies de sortie du colonialisme, les sociétés de la région ayant des histoires coloniales et des trajectoires (post)coloniales diversifiées. En dépit et, dans certains cas, à l’encontre de ces mouvements, l’Océanie demeura un espace stratégique pendant toute la guerre froide. La France, les États-Unis et le Royaume-Uni y aménagèrent des sites d’expérimentation nucléaire qui eurent des impacts importants sur les populations insulaires, tant sur le plan sanitaire que sur les plans économiques et politiques. Les derniers essais dans la région furent réalisés en Polynésie par la France en 1996 et des pourparlers sont toujours en cours pour gérer le lourd héritage de cette période. Avec l’épuisement des ressources terrestres des autres continents, la région est aujourd’hui convoitée pour ses réserves d’hydrocarbures et ses gisements de ressources minérales en mer, dont des métaux stratégiques, appelés …

Appendices