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Introduction

Durant de nombreuses années, l’accroissement naturel a servi de levier afin de maintenir, voire d’augmenter, la population du Québec, et ce, en dépit de l’allongement de l’espérance de vie qui augmente le nombre de personnes âgées (Côté et al., 2017). Or, la diminution des naissances, conjuguée à l’augmentation du nombre de décès, a contribué à changer la donne au tournant des années 1990 (Roy, 2004). Le Bas-Saint-Laurent, l’une des cinq grandes régions périphériques du Québec (Dugas, 1983), a été frappé de plein fouet par cette transition. Son cadre rural, son éloignement par rapport aux principaux marchés nord-américains, la dispersion de sa population, la faiblesse de son armature urbaine, la petite taille démographique des localités qui en font partie, la vaste superficie de son territoire, la persistance de fortes disparités socioéconomiques entre les milieux ruraux et urbains, son taux de chômage élevé et son niveau de revenu inférieur à la moyenne québécoise sont autant de caractéristiques qui ont contribué à amplifier sa fragilité démographique (Simard, 2018).

Par exemple, alors que la région comptait 232 415  habitants en 1961, elle n’en comportait plus que 197 385 en 2016[1]. En comparaison avec le Québec, le Bas-Saint-Laurent abritait trois fois plus de localités en décroissance démographique continue depuis 1986, lesquelles correspondent essentiellement à des milieux ruraux. De plus, le nombre de localités affectées par la diminution de leur population ne cesse d’augmenter d’une période quinquennale à l’autre, étant passées de 30 au cours de la période 1971-1976 à 55 en 2011-2016. Autre signe de la fragilité démographique du Bas-Saint-Laurent, la région affiche, depuis 2010, un accroissement naturel négatif (Institut de la statistique du Québec, 2019a). Au surplus, entre 2001-2002 et 2017-2018, le Bas-Saint-Laurent n’a enregistré un solde migratoire positif qu’à trois reprises (Institut de la statistique du Québec, 2019b). Conjuguée à l’augmentation de l’espérance de vie et à l’émigration des jeunes, la décroissance démographique contribue à accroître le nombre relatif de personnes âgées et à accélérer le processus de vieillissement[2] (Dumont, 2016 et 2018). Étant donné que le Bas-Saint-Laurent se distingue aussi par une fécondité et une natalité abaissées, il s’ensuit une diminution du nombre et de la proportion de jeunes parmi la population totale (Dumont, 2006).

Notre objectif, dans cet article, est double. Il consiste, d’une part, à examiner la configuration spatiale des disparités territoriales en ce qui concerne l’évolution de la gérontocroissance, de la juvénodécroissance, ainsi que du vieillissement par le haut et par le bas, dans la région du Bas-Saint-Laurent entre 1986 et 2016, dernière année où les données de Statistique Canada sont disponibles. D’autre part, nous voulons préciser les modalités de cette évolution en considérant diverses caractéristiques liées à la structure de peuplement, à la démographie et à l’économie des milieux concernés. Cette période de 30 ans nous apparaît suffisamment longue pour dégager certaines tendances structurelles et déterminer les principales mutations survenues. Notre démonstration porte sur les 99 subdivisions de recensement (13 villes et 86 municipalités rurales) du Bas-Saint-Laurent[3]. Notre méthode d’analyse repose sur l’élaboration d’un indice synthétique qui servira à évaluer l’évolution de la situation démographique des 99 entités à l’étude, eu égard aux quatre réalités démographiques mentionnées ci-dessus, d’une part, ainsi qu’en regard de la population totale et du rapport entre les 0 à 24 ans en 1986 et les 30 à 54 ans en 2016, d’autre part.

Notre article se déroule en cinq parties. Dans la première, nous exposons notre cadre conceptuel. La seconde partie est consacrée à un bref état des lieux. Dans la troisième, nous décrivons la méthode ayant servi à l’élaboration de notre indice. Dans la quatrième, nous présentons l’analyse de nos résultats. Enfin, la dernière partie se termine par une discussion sur les principales mesures d’atténuation qui pourraient être envisagées.

Cadre conceptuel

La problématique inhérente à cet article s’articule autour des différentes dimensions du vieillissement et, plus globalement, de l’évolution des structures d’âges extrêmes, que nous mettrons en perspective avec les notions de fragilité, de décroissance, d’aménagement et de développement territorial.

L’évolution des cohortes à la base et au sommet de la pyramide des âges peut être appréhendée par une combinaison de situations variées, dont les manifestations, les causes et les conséquences diffèrent d’un milieu à l’autre (Dumont, 2012, 2018 et 2019). Induisant un effet de structure, le vieillissement par le haut est attribuable à la diminution de la fécondité et à l’allongement de l’espérance de vie en raison de la baisse de la mortalité aux grands âges (Dumont, 2013 ; Carrière, 2018). Résultat de la diminution de la mortalité et de l’allongement de l’espérance de vie, la gérontocroissance traduit plutôt un effet de flux. Bien que la montée des baby-boomers ait fortement contribué à alimenter la gérontocroissance, celle-ci peut aussi être imputable à un déficit du nombre de jeunes occasionné par la diminution de la natalité. Il peut alors s’ensuivre un vieillissement par le haut, et ce, même si le nombre de personnes âgées n’augmente pas (Dumont, 2018). Pour sa part, le vieillissement par le bas traduit aussi des effets de structure. Il a pour conséquence de creuser la base de la pyramide des âges et de gonfler les étages correspondant aux cohortes intermédiaires ou âgées (Dumont, 2018). Ce type de vieillissement résulte d’une fécondité abaissée associée à une diminution du nombre de femmes en âge de procréer. La juvénocroissance et la juvénodécroissance peuvent être d’ordre naturel ou migratoire (Dumont, 2012). La première est imputable à une fécondité élevée ainsi qu’à une forte attractivité du territoire pour les jeunes couples en âge de procréer. À l’inverse, une moindre fécondité ainsi que le départ de couples avec enfants entraînent une situation de juvénodécroissance (Dumont et Chalard, 2009). L’histoire démographique est aussi susceptible d’influencer la trajectoire de ces différents phénomènes (Dumont, 2005 et 2006 ; Vincent, 2016). Ces diverses combinaisons ont des effets dissemblables en matière d’aménagement du territoire puisqu’elles impliquent des besoins différents sur le plan des services selon les populations concernées (Rivière, 2013 ; Dumont, 2018 ; Feillou et al., 2018).

Pour sa part, la fragilité peut être associée à l’existence, sur un territoire donné, de problèmes susceptibles de se manifester sur les plans social, démographique, économique, culturel, géographique et démographique, dont l’origine peut être imputable soit à des situations héritées du passé ou à des dynamiques actuelles (Simard, 2003 et 2016). Utilisé autant par les géographes et les sociologues français (Gumuchian, 1990 ; Mignon, 2001) et québécois (Simard, 2003 et 2016) que par des chercheurs cliniciens (Gauthier et al., 2009), le concept de fragilité, employé le plus souvent en référence à l’espace rural, est préféré à celui de marginalité. Sur le plan démographique, la fragilité renvoie à la stagnation, voire à un contexte de déprise se matérialisant par des phénomènes tels que le dépeuplement, la dépopulation, le vieillissement, la dénatalité et l’émigration (Dumont, 2018).

Particulièrement étudié aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne au tournant des années 1970, le thème de la décroissance a connu une forte recrudescence au cours des dernières années (Béal et al. 2019 ; Morel-Doridat et Hamez, 2019). Le phénomène a été analysé suivant diverses approches (quantitative, qualitative, statistique, cartographique) et à différentes échelles (milieux urbains, ruraux, transfrontaliers, etc.) de manière à mieux cerner ses multiples implications tant démographiques que socioéconomiques (Beaurain et Chembessi, 2019).

Dès lors, la notion de décroissance apparaît beaucoup plus englobante que celle de fragilité. Bien qu’il n’en existe pas de définition unanimement reconnue, le concept de décroissance reflète l’image de pertes démographique, économique et sociale (Fol et Cunningham-Sabot, 2010). Indissociables les unes des autres, ces pertes se manifestent différemment selon les endroits, les contextes et leur intensité, contribuant ainsi à annihiler toute tentative de théorisation (Béal et al., 2019). Parmi elles, soulignons le dépeuplement, le vieillissement accéléré, le manque d’attractivité du territoire, le sous-emploi, l’érosion des services, l’affaiblissement du poids politique, la pauvreté et l’exclusion sociale (Morel-Doridat, 2019).

Ces phénomènes, qui caractérisent à différents niveaux les régions périphériques du Québec, sont attribuables autant à des facteurs structurels liés à la mondialisation (Peemans, 2008 ; Cambrézy et Petit, 2012), aux mécanismes de l’économie (Rasselet, 2007 ; Husson, 2008 ; Beaurain et Chembessi, 2019), au contexte historique, aux politiques gouvernementales et à l’organisation de la structure spatiale qu’à des causes conjoncturelles (Dugas, 1983 ; Simard, 2003). C’est le cas en particulier des mesures d’austérité mises en place en 2015 par le gouvernement du Québec à l’égard des organismes de développement régional (Simard et al., 2015 ; Vaillancourt, 2017). Ce désengagement de l’État, couplé à la perte de nombreux services en milieu rural, a contribué à amplifier la décroissance de plusieurs localités situées loin des grands centres (Chouraqui, 2020).

Il s’ensuit donc un développement inégal (Amin, 1973 ; Thisse, 2012) dont les effets peuvent être endigués, ou à tout le moins réduits, en favorisant un aménagement harmonieux et, surtout, plus équilibré de l’espace. Par conséquent, l’aménagement fait intervenir la question de la justice spatiale, condition incontournable pour promouvoir un développement intégré (Thisse, 1994 ; Simard, 2018). La justice spatiale nécessite une certaine forme de péréquation entre les territoires, le rôle de l’aménagement consistant à corriger les inégalités spatiales dans un souci de favoriser un développement territorial durable (Fraser, 2011 ; Rieutort et al., 2017). Dans un contexte de vieillissement, par exemple, un aménagement harmonieux du territoire est susceptible de permettre aux personnes âgées de mieux vivre au sein de leur milieu, les adaptations et les équipements nécessaires à cet aménagement favorisant le développement de ce milieu (Negron-Poblete, 2012 ; Séguin, 2012 ; Lord et Piché, 2018).

Qu’ils soient fragiles ou en décroissance, les territoires en difficulté ne sont pas nécessairement en marge du développement. Celui-ci se comprend comme un processus de changement à la fois social et structurel prenant assise le plus souvent, mais non exclusivement, en aval, dudit processus en vue d’améliorer les conditions de vie des habitants du territoire, que ce soit sur les plans social, économique, environnemental ou politique, ainsi qu’en matière d’aménagement (Tremblay et al., 2009 ; El-Batal et Joyal, 2015 ; Simard, 2018). De fait, par définition, le territoire se matérialise par la présence d’acteurs sociaux dont les différentes actions orientent le changement et, donc, favorisent le développement (Jean, 2020). Dans le cas de territoires fragiles ou en décroissance, des facteurs structurels liés à la géographie ou à l’économie ont toutefois pour effet d’amoindrir les efforts de développement déployés par les acteurs locaux ou régionaux, d’où la nécessité de mettre en place des politiques plus globales adaptées à leur situation, cela dans le but de promouvoir une plus grande justice spatiale (Dufaux et Philifert, 2013 ; Planel, 2013 ; Sène et Codjia, 2016).

Dans le cadre de cet article, nous distinguerons le milieu urbain du fait rural en considérant la taille démographique des localités. Ainsi, les « localités rurales » feront référence aux entités géographiques dont la population est inférieure à 2 500 habitants[4]. En outre, nous désignerons par « petites localités » celles de 500 habitants et moins.

État des lieux

La structure de peuplement du Bas-Saint-Laurent

À l’instar des cinq grandes régions périphériques du Québec, le Bas-Saint-Laurent se caractérise par une structure de peuplement asymétrique et déséquilibrée (Simard, 2003). Comportant une population mi-urbaine et mi-rurale, la région abritait 197 385 personnes en 2016. Celles-ci se répartissaient dans 128 localités, dont 8 territoires non organisés[5], sur une superficie totalisant 22 185 km2. De ces 120 entités géographiques, 50 avaient une population inférieure à 500 habitants. Le Bas-Saint-Laurent ne compte que 5 villes dont la population est supérieure à 5 000 habitants, parmi lesquelles figure Rimouski (48 664 habitants), la capitale régionale. La vaste superficie du territoire et l’éloignement du Bas-Sant-Laurent par rapport aux principaux marchés nord-américains nuisent à la réalisation d’économies d’agglomération. En outre, la petite taille démographique de Rimouski fait en sorte que cette ville n’est pas en mesure de polariser l’ensemble de l’activité économique de la région, et ce, bien qu’elle possède des créneaux d’excellence reconnus à l’échelle internationale dans les domaines de l’océanographie et des biotechnologies marines. Enfin, l’éloignement se manifeste aussi à l’échelon infrarégional puisque 7 localités rurales se situent à plus de 30 km d’une ville. Toutes ces caractéristiques contribuent à handicaper le développement économique régional et se répercutent négativement sur l’évolution de la démographie (Marie et al., 2009 ; Proulx, 2020).

Évolution de la trajectoire démographique

Le Bas-Saint-Laurent a affiché une perte de 13 694 personnes, soit une diminution de 6,5 %, entre 1986 et 2016. L’évolution démographique de la région s’avère toutefois très inégale selon les endroits et les catégories de milieu. Elle oscille entre -69,7 % (dans le cas de Saint-Guy) et 28,3 % (dans celui de Saint-Modeste). En fait, seulement 13 localités sur 99 ont enregistré une croissance démographique au cours de cette période de 30 ans. Identifiées par leur toponyme sur la figure 1, trois localités du haut-pays ont perdu plus de la moitié de leur population. En outre, les petites localités ont perdu près du tiers de leurs effectifs au cours de la même période, comparativement à une croissance de 0,1 % pour celles de 2 500 habitants et plus.

FIGURE 1

Distribution géographique des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’évolution de leur population entre 1986 et 2016

Distribution géographique des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’évolution de leur population entre 1986 et 2016
Conception : Simard, 2020

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En égard à l’évolution démographique, les inégalités sont encore plus criantes en considération de la distance par rapport à la ville. Ainsi, la population des localités qui se situent à moins de 10 km d’un centre urbain a régressé de 11,3 % entre 1986 et 2016, comparativement à une diminution de 42,4 % pour celles qui se situent à plus de 30 km. Le tableau 1 met en exergue les corrélations qui se profilent entre l’évolution démographique, le vieillissement par le haut et par le bas, la juvénodécroissance, ainsi que le rapport entre les 0 à 24 ans en 1986 et les 30 à 54 ans en 2016.

Les personnes âgées

Le Bas-Saint-Laurent figure parmi les régions administratives du Québec les moins affectées par l’augmentation du nombre de personnes âgées. Celles-ci sont passées de 23 320, en 1986, à 46 675, en 2016, une augmentation de 100,2 % comparativement à 210,5 % pour l’ensemble de la province. Une corrélation significative se dessine entre la gérontocroissance et le vieillissement par le haut. En effet, 91 localités ont été affectées simultanément par ces deux phénomènes. L’arrivée de retraités, conjuguée à l’allongement de l’espérance de vie et à un nombre plus élevé de générations entrant dans la catégorie des personnes âgées, explique cette situation. L’accentuation de la gérontocroissance se caractérise par une grande variété de situations. En effet, alors qu’on trouvait une seule localité dont la proportion d’aînés était supérieure à 20 % en 1986, on en comptait 4 en 1991, 6 en 1996, 12 en 2001, 17 en 2006, 41 en 2011 et 81 en 2016. À l’autre bout du spectre, tandis que la proportion de personnes âgées était inférieure à 10 % dans 27 localités en 1986, la région n’en comportait plus aucune en 2016. Le doublement du nombre de personnes âgées s’observe dans 28 localités, lesquelles se concentrent surtout dans les municipalités régionales de comté (MRC) les plus urbanisées de la région, ainsi qu’en milieu périurbain.

Cinq localités (Sainte-Jeanne-d’Arc, Rivière-Ouelle, Saint-Noël, Saint-Clément et Saint-André) ont connu une situation de gérontodécroissance en même temps que la proportion d’aînés parmi la population totale s’est accrue. Ces milieux se caractérisent par une forte émigration rurale et, probablement aussi, par une baisse de la natalité[6]. La part des personnes de 0 à 24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 a fléchi de 42 %, ce qui représente une perte de 580 personnes. Sur le plan économique, ces localités se distinguent par une faible proportion de la main-d’oeuvre active (59,9 %) occupant un emploi dans le secteur tertiaire. Enfin, précisons que le nombre de personnes âgées est demeuré inchangé à Saint-Guy, à Saint-François-Xavier-de-Viger et à Saint-Cléophas, ces milieux étant marqués par un vieillissement par le haut.

TABLEAU 1

Coefficients de corrélation de Pearson entre la juvénodécroissance, la gérontocroissance, le vieillissement par le haut, le vieillissement par le bas, les 0 à 24 ans en 1986 par rapport au 30 à 54 ans en 2016 et l’évolution démographique au cours de la période 1986-2016

Coefficients de corrélation de Pearson entre la juvénodécroissance, la gérontocroissance, le vieillissement par le haut, le vieillissement par le bas, les 0 à 24 ans en 1986 par rapport au 30 à 54 ans en 2016 et l’évolution démographique au cours de la période 1986-2016
Source : CHASS, 2016 ; Statistique Canada, 2016 | Conception : Simard, 2019

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Le Bas-Saint-Laurent figure au troisième rang parmi les régions du Québec où le vieillissement par le haut s’est manifesté avec le plus d’acuité entre 1986 et 2016, la proportion de personnes âgées étant passée de 11,1 % à 23,5 %, une hausse de 12,4 points comparativement à 11,1 pour le Québec. Toutes les localités de la région sont touchées par le vieillissement par le haut. À ce titre, des corrélations particulièrement fortes se dégagent entre cet indicateur, le vieillissement par le bas, la part des 0 à 24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 et l’évolution démographique. En effet, avec une population moyenne de 163 habitants, les six localités (Saint-Guy, Saint-Jean-de-Cherbourg, Saint-Charles-Garnier, Saint-Médard, La Trinité-des-Monts, Sainte-Marguerite-Marie) les plus enclines au vieillissement par le haut, c’est-à-dire dont la proportion de personnes âgées s’est accrue de 20,1 points de pourcentage ou plus, sont également celles qui ont subi la plus forte décroissance démographique (-50,2 %) entre 1986 et 2016. Ces localités ont également dû composer avec la décroissance la plus élevée du nombre et de la proportion de jeunes. Bien qu’en valeur absolue, la diminution du nombre de jeunes ne s’établisse qu’à 710, elle représente une diminution de 79,8 %. De même, la part des 0 à 24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 a décru de 75,8 % en l’espace de 30 ans. Sur le plan économique, ces six localités sont aux prises avec un taux de chômage très élevé (27,6 %). En outre, les activités liées à l’exploitation des ressources composent 28,2 % de leur structure occupationnelle contre seulement 44,8 % pour le secteur tertiaire, ce qui reflète leur fragilité économique. Elles abritent aussi une population faiblement scolarisée, 42,4 % des personnes actives n’ayant pas atteint le seuil de la 9e année scolaire. Enfin, seulement 2,6 % d’entre elles sont détentrices d’un diplôme d’études universitaires.

Les jeunes

Toutes les régions périphériques du Québec ont été affectées par la diminution du nombre de jeunes, entre 1986 et 2016. Le Bas-Saint-Laurent ne fait pas exception à une telle évolution, plaçant ainsi la région au troisième rang à l’échelle de la province. En outre, le phénomène tend à s’amplifier d’un recensement à l’autre. Ainsi, le nombre de localités dans lesquelles la proportion de jeunes représente 30,1 % ou plus de la population totale est passé de 98 en 1986, à 92 en 1991, à 85 en 1996, à 52 en 2001, à 21 en 2006 et à 10 en 2011. En 2016, il n’en restait plus que cinq. Le recensement de 2016 révèle qu’il ne resterait plus aucun jeune à Saint-Guy alors qu’il n’en restait plus que 20 à Saint-Jean-de-Cherbourg et 30 à Sainte-Marguerite-Marie. Présente partout sur le territoire du Bas-Saint-Laurent, la juvénodécroissance se concentre surtout dans les localités du haut plateau appalachien et, plus spécifiquement, dans les MRC des Basques et du Témiscouata.

Nous observons de fortes corrélations entre la juvénodécroissance, le vieillissement par le bas, la part des 0 à 24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 et l’évolution démographique. Dix localités[7] ont perdu plus des trois quarts de leurs jeunes entre 1986 et 2016, ce qui, en valeur absolue, représente une perte de 1 360 personnes. De 3 920 qu’elle était en 1986, la population totale de ces localités est passée à 2 099 en 2016, une baisse de 46,5 %. La décroissance du nombre de jeunes entraîne une diminution de leur proportion parmi la population totale et, donc, un déclin de leur poids démographique. Ainsi, alors que les jeunes composaient 43,9 % de la population de ces 10 localités en 1986, leur proportion n’était plus que de 17,2 % en 2016. En suivant cette même cohorte 30 ans plus tard, dont les effectifs font partie des 30 à 54 ans en 2016, on ne dénombrait plus que 525 personnes, soit une diminution de 69,5 % par rapport à 1986. Le taux élevé (83,4 %) de migrations pendulaires (allers-retours quotidiens au travail) de ces petites localités n’est que le pâle reflet de la dépendance de leur économie à l’égard de celle de la ville, leur distance moyenne par rapport à celle-ci s’établissant à 25,5 km. Leur fragilité démographique se double d’une fragilité économique, près du quart de la population active étant affecté par le chômage. Avec plus du quart des personnes actives détenant un emploi au sein du secteur primaire, l’exploitation des ressources occupe une place dominante au sein de leur économie. Sur ce plan, leur fragilité se manifeste aussi par la faiblesse de leur niveau de revenu, ce dernier (51 264 $) étant largement inférieur à celui de la région (64 602 $), voire de la province (79 378 $).

Fortement corrélé avec la part des 0 à 24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 et avec l’évolution démographique, le vieillissement par le bas concerne de manière particulière le Bas-Saint-Laurent. En effet, entre 1986 et 2016, la proportion de personnes âgées de moins de 24 ans a décru de 14,6 points dans cette région par rapport à 13,5 points pour la province. Alors que le vieillissement par le bas affectait toutes les localités du Bas-Saint-Laurent au cours de la période 1986-2016, 25 en étaient exemptes à l’échelle du Québec. La proportion des 0 à 24 ans, dans la région, a fléchi de 30,1 points et plus dans trois localités de très petite taille démographique (moyenne de 181 habitants). Celles-ci ont perdu plus de la moitié de leur population en l’espace de 30 ans. La fragilité de leur économie se traduit par un taux d’activité moyen très faible (41,6 %). Bien que 24,1 % de la population active occupe un emploi au sein du secteur secondaire, ces emplois relèvent soit de la première transformation des ressources ou d’activités dépendantes des milieux avoisinants. Puisque 47,2 % des personnes actives n’ont pas atteint le seuil de la 9e année scolaire et que seulement 4,6 % possèdent un diplôme d’études universitaires, ces trois populations sont faiblement scolarisées.

Construction d’un indice synthétique de l’évolution de la situation démographique du Bas-Saint-Laurent

Pour chacune des localités du Bas-Saint-Laurent, nous avons construit un indice synthétique afin d’illustrer leur situation en considérant la dynamique évolutive de la gérontocroissance, du vieillissement par le haut, de la juvénodécroissance, du vieillissement par le bas, du rapport entre les 0 à 24 ans en 1986 en comparaison aux 30 à 54 ans en 2016, ainsi qu’eu égard à l’évolution démographique au cours de la période 1986-2016. Bien qu’elle soit sujette à des critiques en ce qui a trait à la subjectivité concernant le choix et la pondération des variables, la méthode des indices comporte plusieurs avantages. Elle permet d’éclairer les décideurs dans l’élaboration de politiques publiques, d’en évaluer les retombées à divers échelons territoriaux et de servir d’outil de comparaison (Dumont, 2013 ; Dialga et Le, 2014 ; Simard, 2015). En outre, dans le cas particulier de notre article, elle permet de dresser une cartographie des recompositions territoriales conjuguant analyse spatiale et démographie (Buhnik, 2019). Nous avons attribué un indice 5 aux localités dont la proportion d’aînés s’est accrue de 20,1 points ou plus entre 1986 et 2016, alors que celles dont la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus ayant oscillé entre 15,1 et 20,1 points se sont vues accorder l’indice 4 (annexe 1). Notre indice synthétique correspond à la somme des différents indices partiels pour chacune des entités géographiques, que nous avons divisée par six, c’est-à-dire par le nombre de phénomènes démographiques à l’étude.

Le nombre de classes a été déterminé de façon que chacune puisse comporter un nombre significatif de cas, d’une part, ainsi qu’en considérant l’évolution des six phénomènes démographiques à l’étude et l’étendue des données, d’autre part[8]. De manière plus spécifique, cinq classes ont été retenues pour les variables « vieillissement par le haut », « gérontocroissance », « vieillissement par le bas » et « évolution des 0-24 ans en 1986 par rapport aux 30 à 54 ans en 2016 ». Ce nombre de classes nous est apparu suffisant, mais surtout pertinent pour effectuer une analyse fine des données en fonction de leur étendue et de la taille de la population (99 localités). Étant donné qu’une classe se serait retrouvée sans cas, nous avons retenu quatre classes pour la variable « vieillissement par le bas ». Enfin, en ce qui a trait à la variable « évolution démographique », nous avons considéré six classes pour mesurer la décroissance et trois pour évaluer la croissance. Comme aucune localité n’a été en stabilité démographique au cours de la période à l’étude, aucune classe n’a été retenue pour cette situation[9].

Quant aux limites de classes, elles ont été établies en cherchant à créer des regroupements homogènes en fonction de leurs caractéristiques dominantes. L’étendue a été calculée de la manière suivante : xmax-xmin / nombre de classes. Il s’en est suivi une classification en cinq types : (1) les localités dont la situation démographique est extrêmement préoccupante (indice 3,1 et plus) ; (2) les localités dont la situation démographique est très préoccupante (indice oscillant entre 2,6 et 3) ; (3) les localités dont la situation démographique est préoccupante (indice oscillant entre 2,1 et 2,5) ; (4) les localités dont la situation démographique est sous surveillance (indice oscillant entre 1,6 et 2) ; et (5) les localités dont la situation démographique n’est pas préoccupante (indice oscillant entre 0 et 1,5)[10].

Le tableau 2 illustre les principales caractéristiques socioéconomiques des localités de la région en fonction de notre typologie. Leur distribution géographique est représentée à la figure 2. Deux catégories se démarquent de notre typologie, à savoir les localités dont la situation démographique est extrêmement préoccupante, et celles dont la situation démographique ne l’est pas.

Typologie de l’évolution démographique des localités du Bas-Saint-Laurent

Localités dont la situation démographique n’est pas préoccupante

Avec une population moyenne de 6 538 personnes, les 13 localités appartenant à ce groupe ont un indice qui oscille entre 0,2 et 1,5. Se situant majoritairement le long du littoral, ce groupe de localités englobe les deux principales villes de la région (Rimouski et Rivière-du-Loup) ainsi que plusieurs milieux périurbains ou à forte vocation industrielle. Il se caractérise par une croissance démographique de 15,8 %. Il n’en demeure pas moins que trois localités de ce groupe ont connu une trajectoire inverse. Comme partout ailleurs, ces municipalités doivent composer avec une diminution du nombre de jeunes, lequel est passé de 27 580 en 1986 à 21 620 en 2016, soit une diminution de 21,6 %. Il s’agit, par ailleurs, de la plus faible décroissance parmi les différents groupes de notre typologie. Les municipalités appartenant à cette catégorie sont également moins affectées par l’émigration des jeunes. Étant donné que ce groupe comprend les deux principales villes du Bas-Saint-Laurent, la loi du nombre fait en sorte qu’il est le plus touché par la gérontocroissance, le nombre des aînés s’y étant accru de 11 140 personnes en 30 ans. Cette augmentation, de 149,2 % est nettement supérieure à la situation observée dans l’ensemble du Bas-Saint-Laurent, mais inférieure à celle du Québec.

FIGURE 2

Distribution géographique des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’évolution de leur situation démographique entre 1986 et 2016

Distribution géographique des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’évolution de leur situation démographique entre 1986 et 2016
Conception : Simard, 2020

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Ce groupe se distingue par le dynamisme économique de la plupart des localités qui en font partie, ce qui se reflète dans le faible taux de chômage de 6,8 %, le plein-emploi étant même atteint dans le cas de Cacouna (3,3 %). Le secteur tertiaire compose 82,2 % de la structure occupationnelle. De son côté, le secteur secondaire emploie 13,6 % des personnes actives. Quant au secteur primaire, il exerce un rôle plutôt modeste dans l’économie de ces milieux.

TABLEAU 2

Principales caractéristiques socioéconomiques des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’état de leur situation démographique

Principales caractéristiques socioéconomiques des localités du Bas-Saint-Laurent en fonction de l’état de leur situation démographique

***** extrêmement préoccupante **** très préoccupante *** préoccupante ** sous surveillance * non préoccupante

Source : CHASS, 2016 ; Statistique Canada, 2016 | Conception : Simard, 2019

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La population comprise au sein de ce même groupe est aussi plus scolarisée que celle de l’ensemble de la région et, de ce fait, suit la tangente provinciale. Bien qu’il soit inférieur à celui du Québec, le revenu moyen des familles économiques se chiffre à 74 400 $, ce qui fait de cette catégorie celle dont le niveau de revenu est le plus élevé. Par ailleurs, nous observons la persistance de disparités relativement fortes au sein des localités comprises dans ce groupe, l’écart entre la municipalité possédant le revenu le plus faible et celle ayant le revenu le plus élevé s’établissant à 23 232 $. Près des deux tiers du revenu des familles sont issus d’un emploi alors que les transferts gouvernementaux ne composent que 17,7 % du revenu total, autant d’indicateurs qui traduisent le dynamisme économique de ces milieux. Les transferts gouvernementaux sont supérieurs à 20 % dans seulement 4 localités rurales. Par ailleurs, ce groupe constitué de 13 localités est celui dont la proportion de familles à faible revenu est la plus élevée.

Localités dont la situation démographique est sous surveillance

Au nombre de 15 et avec une population moyenne de 1 516 habitants, les localités dont la situation démographique est sous surveillance ne comprennent qu’une seule ville (Mont-Joli). Elles se disséminent un peu partout sur le territoire. Trois se situent le long du littoral. On en trouve six dans la première couronne de l’arrière-pays alors que les autres occupent le haut plateau appalachien. De 1986 à 2016, ces 15 municipalités ont perdu près de 12 % de leurs effectifs. Une seule (Saint-Marcellin) se trouve en porte-à-faux avec cette évolution négative. Accusant une perte de 3 865 jeunes, la juvénodécroissance représente un phénomène bien réel au sein des localités figurant dans ce groupe. Par ailleurs, le vieillissement par le haut se manifeste moins intensément, ce qui en fait l’une des principales caractéristiques de cette catégorie.

Au chapitre de l’économie, ce groupe se distingue par un taux de migrations pendulaires relativement élevé. Si la majorité de ces milieux se situent effectivement près d’une ville, ce n’est pas le cas de tous, ces exceptions disposant d’une base économique plutôt étroite. C’est le cas notamment de Packington, de Saint-Marcellin et de Sainte-Irène.

Localités dont la situation démographique est préoccupante

On dénombre 47 localités dont la situation démographique s’avère préoccupante. Elles s’étendent d’est en ouest de la région, avec une tendance à la concentration dans les MRC de Témiscouata et de Kamouraska. Leur taille démographique moyenne est de 1 581 personnes. Neuf correspondent à des milieux urbains. En l’espace de 30 ans, ces 47 entités ont perdu 16,5 % de leur population, une perte de 14 380 personnes. Cinq ne cessent de perdre des effectifs de manière continue depuis 1971, 2 depuis 1981 et 12 depuis 1986, ce qui témoigne du caractère structurel de leur situation. En fait, seulement trois localités de ce groupe ont connu une évolution démographique positive au cours de la période à l’étude. En l’espace de 30 ans, ces 47 localités ont perdu près de la moitié de leurs jeunes, dont le nombre est passé de 33 665, en 1986, à 16 840, en 2016. Alors qu’elles composaient 38,7 % de la population totale en 1986, les personnes âgées de 0 à 24 ans ne comptaient plus que pour 23,2 % en 2016. Six municipalités ont même perdu plus de 60 % de leurs jeunes au cours de cette période. Quant au vieillissement par le bas, il affecte surtout les localités du haut plateau appalachien.

Bien que leur situation soit préoccupante, ces milieux abritent une proportion relativement élevée de leur population active détentrice d’un diplôme d’études universitaires. Force est de reconnaître que plusieurs de ces localités se situent près d’une ville, dont leur économie dépend. Un autre élément de spécificité tient à la part relativement considérable du revenu des individus de ce groupe provenant d’une source autre qu’un emploi, ou de transferts gouvernementaux. Cette situation peut être imputable au fait que cette catégorie comprend des localités (comme Trois-Pistoles et Saint-Simon) où les aînés composent plus de 30 % de la population, ce qui a pour effet de gonfler la part du revenu perçu sous forme de rente ou de pension.

Localités dont la situation démographique est très préoccupante

Hormis Dégelis, les 12 localités figurant dans cette catégorie correspondent à des milieux ruraux. À l’exception de Saint-Alexandre-des-Lacs, et dans une moindre mesure, de Saint-Tharcisius, elles se situent relativement loin des villes, dont elles sont distantes, en moyenne, de 20,7 km. Pour cette raison, leur taux de migrations pendulaires, qui se chiffre à 62,7 %, n’est pas très élevé. Les MRC de La Matapédia, de Matane et de La Mitis concentrent le plus grand nombre de ces localités. De 1986 à 2016, leur population est passée de 19 331 à 13 907 personnes, une diminution de 28,1 %. Aucune localité du groupe n’a connu une évolution démographique positive au cours de cette même période. L’intensité de la décroissance oscille entre 9,9 % et 50,5 %. Parmi les 12 localités, 4 se distinguent par la décroissance démographique continue de leurs effectifs depuis 1971, 2 depuis 1981 et 2 autres depuis 1986. En moyenne, elles ont perdu près des deux tiers de leurs jeunes en l’espace de 30 ans. La juvénodécroissance se caractérise par une très faible variation d’une municipalité à l’autre. La même situation s’applique au vieillissement par le bas. Bien que ces milieux soient moins affectés par la gérontocroissance que la région et le Québec, le nombre de personnes âgées a tout de même doublé à Dégelis alors qu’il a triplé à Saint-René-de-Matane et à Saint-Alexandre-des-Lacs. Quant à la proportion d’aînés parmi la population totale, elle est passée de 10,9 %, en 1986, à 28,2 %, en 2016.

Les localités, dont la situation économique est très préoccupante, souffrent de nombreuses lacunes sur le plan économique. À leur décroissance démographique s’ajoutent de fortes disparités au chapitre de l’emploi. En premier lieu, leur taux d’activité moyen (52,3 %) est inférieur à celui de la région et du Québec. Les inégalités apparaissent aussi criantes en ce qui concerne le taux de chômage. Au chapitre du revenu, aucune localité de cette catégorie ne dispose d’un niveau égal ou supérieur à la moyenne régionale. De plus, la proportion de famille sous le seuil de faible revenu de ce groupe est la deuxième plus élevée parmi les groupes de notre typologie.

Localités dont la situation démographique est extrêmement préoccupante

Les 12 localités dont la situation démographique est extrêmement préoccupante se situent exclusivement sur le plateau appalachien. Leur fondation remonte aux années 1940 lors de la dernière grande vague de colonisation poussée par l’Église et l’État. Leur évolution démographique et l’intensité de leur vieillissement apparaissent difficilement réversibles à moyen terme. De très petite taille démographique, elles abritent une population moyenne de 237 habitants. Elles ont perdu 2 198 personnes entre 1986 et 2016, une diminution de 43,6 %. Six de ces 12 localités sont en décroissance démographique continue depuis au moins 30 ans. Le nombre de jeunes accuse un déficit de 1 700 personnes. La forte juvénodécroissance se double d’un vieillissement par le bas très accentué, la proportion de jeunes ayant décru de 25,4 points. Dès lors, leur dépeuplement est imputable à la fois à la baisse de natalité et aux flux d’émigration des jeunes cohortes. Bien qu’elles soient moins affectées par la gérontocroissance en raison de la faiblesse de leurs effectifs, cinq de ces localités se sont tout de même caractérisées par le doublement du nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus. Globalement, le nombre d’aînés s’est accru de 360 personnes en l’espace de 30 ans, une hausse de 84,6 %. Mais c’est surtout le vieillissement par le haut qui affecte les milieux appartenant à cette catégorie. Ainsi, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus parmi la population totale est passée de 8,5 %, en 1986, à 27,6 %, en 2016, soit une augmentation de 19,1 points. Les résidents de ces localités sont aussi nettement sous-scolarisés si on les compare à l’ensemble de la région et du Québec. En effet, près du tiers d’entre eux n’ont pas terminé leur 9e année, et à peine 3,3 % détiennent un diplôme universitaire.

La fragilité démographique des localités qui figurent au sein de ce groupe se double de problèmes sur le plan économique, le taux d’activité moyen ne s’établissant qu’à 45,5 %. En corollaire, leur taux de chômage est très élevé, lequel se chiffre à 20,9 %. Le secteur primaire compose près du quart de leur structure occupationnelle. Cette proportion élevée, symptomatique de profonds malaises, n’est certes pas imputable à la présence d’un potentiel biophysique exceptionnel, mais plutôt à la faiblesse de l’emploi dans les autres secteurs de l’activité économique, ces milieux n’ayant jamais réussi leur conversion. Les activités liées à la transformation accaparent 24,3 % de la main-d’oeuvre locale. Les entreprises qu’on y trouve sont peu nombreuses et leurs activités faiblement diversifiées. Parce que ces localités sont de très petite taille démographique, leur infrastructure de services est plutôt frêle, les emplois dans ce domaine n’occupant qu’un peu plus de la moitié de la population active.

Étant donné que Statistique Canada, pour des motifs de confidentialité, ne fournit pas les données relatives au niveau et à la composition du revenu pour les municipalités de moins de 250 habitants, ces données sont disponibles uniquement pour quatre localités de ce groupe, dont le revenu moyen des familles se chiffre à 51 328 $. Cela n’équivaut qu’à 64,7 % de celui du Québec. Plus du tiers du revenu total dépend de transferts gouvernementaux, ce qui indique des carences structurelles sur le plan économique. Pour sa part, le revenu provenant d’un emploi, dans ces localités, compose à peine 52,1 % du revenu total contre 9,7 % pour les autres catégories de revenu. Quant au pourcentage de familles sous le seuil de faible revenu, il s’établit à 3,8 % avec des écarts variant entre 2,9 % et 4,9 %.

Discussion et mesures correctrices

À l’instar du Québec, le Bas-Saint-Laurent est affecté par le vieillissement de sa population, et ce, tant par le haut que par le bas. D’une part, comparativement à la plupart des autres régions de la province, ces deux phénomènes s’y manifestent avec beaucoup plus d’acuité. D’autre part, alors que le Québec a affiché une augmentation du nombre de jeunes entre 1986 et 2016, le Bas-Saint-Laurent a suivi la trajectoire inverse : toutes les localités de cette région sont affectées par la juvénodécroissance. La diminution du nombre de jeunes couplée à une forte émigration et à un excédent des décès sur les naissances a pour effet d’accélérer le vieillissement et la dépopulation.

Notre analyse a effectivement révélé que près des trois quarts des localités du Bas-Saint-Laurent présentent une situation démographique inquiétante. Celle-ci est même devenue critique dans 12 municipalités. En outre, à l’instar de travaux d’autres chercheurs (Gourdron et al., 2019), nous avons pu constater l’existence d’un lien étroit entre la décroissance et le vieillissement, d’une part, ainsi qu’entre la taille démographique des localités et des phénomènes tels que le vieillissement par le haut, le vieillissement par le bas et la juvénodécroissance, d’autre part, les plus petites localités étant davantage concernées par ces phénomènes, ainsi que par la diminution de leurs effectifs. Étant donné que ces problèmes persistent depuis plusieurs décennies, la situation nous amène à nous interroger sur l’efficacité des politiques de développement régional qui ont eu cours au Québec jusqu’à maintenant. En effet, les dispositifs déployés jusqu’à ce jour ne semblent pas être les plus appropriés pour favoriser l’intégration socioéconomique des localités aux prises avec le dépeuplement et le vieillissement structurel de leurs populations, d’où la nécessité de mettre en oeuvre une stratégie de redynamisation territoriale tournée vers une politique démographique et d’aménagement du territoire adaptée aux spécificités de ces milieux en décroissance (Dormois et Fol, 2017 ; Dumont, 2018).

Les politiques familiales constituent un levier non négligeable, dont dispose l’État, pour influer sur la trajectoire démographique d’un milieu (Salles et Letablier, 2013 ; Moyser et Milan, 2018). De fait, force est de reconnaître que les pays qui consacrent d’importants moyens pécuniaires au déploiement de telles politiques se distinguent généralement par une fécondité élevée (Dumont, 2014 et 2015). La nature, la situation sociale, économique, culturelle et environnementale, les besoins des familles, l’intensité du vieillissement et du dépeuplement sont autant de paramètres à prendre en compte dans le déploiement d’une politique familiale. Il s’avère aussi essentiel de recourir à une offre de mesures différenciées chez les pères et les mères (Tremblay, 2018).

Pour qu’elle puisse s’engager vers une croissance démographique plus forte, la région du Bas-Saint-Laurent doit aussi être en mesure d’attirer un plus grand nombre de migrants internationaux, nationaux, provinciaux et régionaux (Martel, 2015 ; Saillant, 2016). Le rehaussement des seuils d’immigration s’avère une nécessité pour faire contrepoids à la diminution de la population active (Saillant, 2016 ; El-Assal et Fields, 2017). Mais encore faut-il que le Bas-Saint-Laurent soit en mesure de retenir les immigrants qui vont s’y installer. Dans cette optique, une meilleure répartition spatiale de ces personnes implique le déploiement d’actions en matière de développement économique, social, culturel et communautaire, cela, dans le but de faciliter leur intégration, de favoriser leur rétention et de promouvoir un meilleur équilibre entre le développement urbain et rural (Saint-Hilaire, 2006 ; Buhnik, 2019). La mise en place de diverses formes d’incitatifs s’avère également nécessaire pour attirer les immigrants, en particulier les plus jeunes, au sein des plus petites villes et des milieux ruraux, et ce, de manière à favoriser leur établissement à long terme (Beshiri et Jiaosheng, 2009 ; Ouedraogo, 2019). La recherche d’un solde migratoire positif implique l’implantation d’une politique de marketing territorial misant sur l’attraction de migrants nationaux et régionaux vers les zones en déclin, et ce, de manière à ralentir, voire à arrêter, les courants migratoires qui vont des milieux ruraux fragiles vers les grandes villes (Dumont, 2018 ; Béal et al., 2019 ; Dugas, 2019). Cela suppose la mise en place d’outils facilitant le rapatriement des jeunes (à tout le moins, l’implantation de mesures visant à les retenir) ainsi que le déploiement d’actions misant sur les spécificités des milieux dont la situation démographique est en forte décroissance (Nussbaum, 2019).

En raison des particularités géographiques du Bas-Saint-Laurent, les effets d’une politique démographique s’avéreront limités si celle-ci n’est pas couplée à une vigoureuse stratégie d’aménagement du territoire. Un tel aménagement devient un enjeu incontournable en vue de favoriser non seulement une meilleure qualité de vie des aînés, mais aussi une répartition plus équilibrée de la population (Vallin, 2015 ; Dugas, 2019 ; Morel-Doridat, 2019).

Notre analyse a permis de constater que les localités les plus enclines au vieillissement et à la décroissance démographique possèdent plusieurs dénominateurs communs. Généralement de petite taille démographique, ces milieux se situent le plus souvent à l’écart des villes, à tel point que certains souffrent carrément d’enclavement géographique (Gourdon et al., 2019). Ils ont aussi tendance à former des blocs contigus dans l’espace, attestant ainsi l’aspect structurel de leurs problèmes. Enfin, ils se distinguent par la forte dispersion de leur population, cette dispersion ayant moult impacts sur leur vie socioéconomique (Dugas, 1981). Par ailleurs, plusieurs localités rurales sont aux prises avec une déstructuration de leur infrastructure de services, ce qui peut s’avérer lourd de conséquences pour les personnes âgées isolées, malades, sans famille ou ne possédant pas de voiture. Ces traits communs militent pour l’élaboration d’une stratégie interventionniste qui permettrait de mieux intégrer les milieux en décroissance, sujets au vieillissement, au processus de développement, et de promouvoir le rééquilibrage du territoire de manière à encourager une plus grande justice spatiale. À terme, cela favoriserait l’instauration d’une dynamique de développement plus durable (Genestier et Jacquenod-Desforges, 2018 ; Gariépy, 2019 ; Proulx, 2019).

Dans cette optique, nous préconisons d’intégrer la dimension « vieillissement » au schéma d’aménagement des MRC. Cette section comprendrait, certes, des informations concernant l’offre de services disponibles à l’intention des aînés, mais aussi les politiques sectorielles à déployer en ce qui a trait à l’habitat, aux loisirs, à la santé, au transport collectif, au maintien à domicile et à la perte d’autonomie[11].

S’inscrivant dans une perspective intermunicipale et transversale, l’élaboration d’un tel document favoriserait les échanges et mobiliserait les différents acteurs qui oeuvrent dans le domaine gérontologique (Argoud, 2010). Conduite à l’échelle du territoire, la démarche viserait à soutenir autant des projets d’aménagement et de développement urbains que ruraux (Angeon et Bertrand, 2009). On y trouverait également les défis à relever pour accompagner les aînés dans leur volonté de vieillir sur place (Wiles et al., 2012). Il ne s’agit pas ici de dupliquer le plan d’action des localités ayant adhéré au réseau Municipalités amies des aînés (MADA), mais plutôt de circonscrire, dans un cadre plus large, les interventions à privilégier afin de déceler les obstacles qui, en matière d’aménagement, peuvent contrecarrer la qualité de vie des aînés ceci, de manière à créer des environnements plus durables (Negron-Poblete, 2012).

Le plan comporterait aussi une section à l’intention des jeunes et des immigrants qui engloberait les orientations à privilégier pour leur insertion, leur rapatriement (le cas échéant) et leur rétention, ainsi que diverses mesures concernant l’emploi (Pouchadon et Martin, 2018 ; Argoud et Chazelle, 2011). Cette section du schéma serait assortie d’un budget modulé en fonction de différents critères démographiques (intensité du vieillissement, de la juvénodécroissance et du dépeuplement), géographiques (taille démographique, distance par rapport aux villes, distribution de la population, etc.), économiques (taux d’activité et de chômage des jeunes, niveau de revenu et de scolarisation, proportion de jeunes sous le seuil de faible revenu, etc.) ainsi qu’en regard des besoins manifestés par les aînés et les jeunes familles, le but étant de favoriser leur rétention et l’amélioration de leur cadre de vie (Savignat, 2013 ; Lord et al., 2017 ; Pouchadon et Marin, 2018).

Par ailleurs, il importe de redéfinir l’organisation de l’infrastructure des services en fonction de leur disponibilité et de leur l’accessibilité, de manière à mieux les adapter aux conditions et aux habitudes de vie des personnes âgées (Simard, 2015). Le but de cet exercice de réorganisation consiste à structurer l’assiette territoriale permettant de construire un espace géographique fort et dynamique constitué de localités suffisamment populeuses afin que les résidents, et en particulier les aînés, puissent bénéficier d’une fourchette de services à moins d’une vingtaine de kilomètres, favorisant une égalité d’accès (Saint-Étienne, 2009 ; Dugas, 2019). Par conséquent, il importe d’établir des densités plus fortes, ce qui suppose de renforcer l’armature urbaine de la région, une intervention incontournable dans un contexte où de vastes portions du Bas-Saint-Laurent tendent à se fragiliser (Saint-Étienne, 2009). Un tel renforcement passe par la création de petits pôles de services régionaux permettant de suppléer l’absence de villes importantes (Dugas, 1994, 2002 et 2019 ; Chapon et al., 2012 ; Negron-Poblete, 2012). Des localités telles que Trois-Pistoles, Amqui, La Pocatière, Causapscal, Saint-Pascal, Témiscouata-sur-le-Lac et Pohénégamook devraient obtenir un statut particulier de la part du gouvernement du Québec pour être mieux intégrées à la structure urbaine régionale, la prise en considération des territoires urbains étant essentielle dans le processus de planification des milieux ruraux fragiles (Dugas, 2002 ; Proulx, 2020). Une autre façon d’améliorer l’accessibilité des services repose sur la mise en place de structures intermunicipales (Roussel, 1998 ; Blanchet et al., 2017 ; Béal et al., 2019). Les formules à explorer sont multiples. Des initiatives du type « tout sous le même toit[12] » ou du genre « points de services multiples » apparaissent des avenues à préconiser (Simard, 2005 ; Broussy, 2014). L’élaboration d’ententes intermunicipales peut également favoriser une meilleure accessibilité des services de proximité (Argoud, 2010 et 2017 ; Gucher, 2014).

L’élaboration d’une politique démographique volontariste couplée à une stratégie d’aménagement du territoire s’avère plus que jamais nécessaire pour redynamiser les milieux en contexte de vieillissement et de dépeuplement, pour promouvoir une occupation plus équilibrée de l’espace, pour améliorer la qualité de vie des habitants de ces territoires en décroissance et, surtout, pour assurer la pérennité de leur développement. Par ailleurs, le déploiement de semblable programme ne sera possible que si les diverses instances concernées en font un objectif politique, ce qui implique la mise en place d’une planification territoriale fondée sur le principe de justice spatiale.