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Introduction

L’accès à l’eau potable est l’une des grandes priorités dans la stratégie de réduction de la pauvreté et du développement des nations (Koudou et al., 2016 : 151). C’est dans cette logique que des politiques de développement sont conçues par les pouvoirs publics en termes de mise en place des équipements en eau. En Côte d’Ivoire, l’État a mis en place dès 1973 le Programme national d’hydraulique humaine (PNHH) afin de garantir aux populations un accès à l’eau potable. Depuis, en milieu rural ivoirien, des investissements en hydraulique villageoise (HV) sont consentis pour le forage de puits équipés de pompes à motricité humaine (PMH), avec l’appui de bailleurs de fonds (Union européenne, Banque mondiale, Banque africaine de développement, Banque islamique de développement, etc.). En 1990, le pays a institué le Système d’hydraulique villageoise améliorée (HVA). Par ailleurs, les critères de dotation des localités rurales en équipement d’hydraulique humaine sont constamment révisés.

Après plus de quatre décennies d’investissements financiers et techniques ainsi que de réformes dans le secteur de l’eau, trois ménages sur dix en milieu rural utilisent toujours une source d’eau non améliorée (ministère du Plan et du Développement, 2019 : 72). Aussi, les besoins de 84,5 % des localités éligibles à l’HVA et 18 % de celles admissibles à l’HV restent à couvrir. En outre, sur les 23 000 PMH du pays, 21 000 sont en panne : 8 500, hors d’usage, sont à remplacer et 12 500 à réhabiliter (ministère de l’Hydraulique, 2019). On constate en outre que les systèmes d’approvisionnement en eau sont dépassés et inadaptés technologiquement en plus de manquer d’entretien, privant régulièrement les populations d’un accès permanent à l’eau potable.

Le suivi régulier de l’action des pouvoirs publics se trouve contrarié par l'absence de données actualisées au niveau des régions. Si les données disponibles insistent sur l’état des lieux à l’échelle nationale, peu de diagnostics sont faits à l’échelle régionale. Les derniers travaux publiés concernent la répartition des ménages desservis en eau par l’atlas des équipements (ministère du Plan et du Développement, 2008). Depuis lors, les différentes crises qu’a connues le pays n’ont pas permis de faire aboutir les actualisations sur l’état des lieux. Or, la planification du développement n’est viable que si les acteurs disposent d’un inventaire actualisé des infrastructures et équipements (Loba, 2013 : 20).

Face à ce déficit de diagnostic, il apparaît utile de proposer un modèle de cartographie qui permettra la réalisation rapide de l’état des lieux en termes de couverture en eau potable dans les milieux ruraux. La finalité est d’aider à la prise de décision et à une intervention optimale des pouvoirs publics devant les déficits de service en eau que connaissent les populations rurales.

Pour mener cette expérience, nous avons choisi la région du Haut-Sassandra comme champ d’expérimentation. Cette région est située au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, entre les longitudes 6°05’ et 6°55’ ouest et les latitudes 6°02’ et 7°55’ nord (figure 1). Elle est bordée sur son flanc ouest par le fleuve Sassandra, qui constitue sa frontière occidentale avec les régions voisines du Guémon et du Tonkpi. Les autres régions limitrophes sont celles du Worodougou et du Béré, au nord, du Gôh et de la Nawa, au sud, et la région de la Marahoué, à l’est. Le Haut-Sassandra comprend quatre départements, 23 sous - préfectures et 332 villages noyaux.

Le choix du Haut-Sassandra repose, d’une part, sur le fait de notre longue pratique de la région en termes de production de données (Koukougnon, 2012 ; Koukougnon et Tano, 2018 ; Loba et Bolou, 2018) et, d’autre part, sur des raisons démographiques. C’est une des régions les plus peuplées de la partie ouest du pays, avec un important potentiel agroéconomique. Par sa localisation en zone forestière avec une pluviométrie abondante (1100 - 1300 mm / an), le Haut-Sassandra est la deuxième région productrice de cacao et l’un des greniers-clés des productions vivrière et maraîchère au plan national (Koffié - Bikpo et Kra, 2013 : 95). Par ailleurs, la région est peuplée de 1 430 960 habitants, dont 75 % vivent en milieu rural (INS, 2015 : 1-42 ; INS, 2018 : 1-6). Ainsi, la taille démographique des localités rurales se prête parfaitement aux critères analysés dans la dotation en équipement de service d’eau potable.

Dans cette recherche, nous avons pour objectif de produire un modèle de diagnostic de la couverture en eau potable à partir de l’exemple du milieu rural de la région du Haut-Sassandra. Le corps du travail s’articule autour de : (i) la présentation de la procédure de calcul du déficit de dotation en service d’eau potable dans les localités rurales ; (ii) la présentation de la carte de synthèse découlant du calcul de l’indice de déficit en point de service d’eau et (iii) une interprétation de la carte obtenue.

FIGURE 1

La zone d’étude

La zone d’étude
Source : CCT/BNETD, 2012 | Conception : Guédé, 2018

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Méthodologie de construction du modèle de l’indice du déficit en couverture en eau potable

Source des données

La consultation de sources documentaires et la tenue d’entretiens semi-structurés, aussi bien avec les services de l’Office national de l’eau potable (ONEP) qu’avec les autorités de la Direction régionale de l’hydraulique (DRH) du Haut-Sassandra et de la Société de distribution d’eau en Côte d’Ivoire (SODECI), ont été nos principaux outils de collecte de données. À cet effet, nous avons pu consulter des rapports d’étude de la Direction de l’hydraulique rurale et périurbaine de l’ONEP sur la Politique nationale de l’hydraulique en milieu rural, ainsi que les critères d’attribution des points d’eau potable. En complément, la DRH de Daloa nous a fourni la base de données de l’HV et de l’HVA (DRH, 2018). Celle-ci comprenait, pour chaque localité bénéficiaire, l’effectif des points d’accès à l’eau potable et le type de système d’accès à l’eau (tableau 1). En outre, la SODECI nous a instruits sur les localités rurales dotées en hydraulique urbaine (HU). Pour les informations relatives à l’hydraulique humaine, nous avons eu recours aux statistiques démographiques issues de l’INS, en l’occurrence le recensement général de la population et de l’Habitat de 2014 et les projections de 2017. Ces données, qui se résument à l’effectif de la population résidante de chacune des localités rurales de la région et de leur statut administratif, ont permis d’établir le niveau d’adéquation entre un équipement fonctionnel et la charge démographique de la localité.

TABLEAU 1

Synthèse de la dotation des localités rurales en hydraulique humaine

Synthèse de la dotation des localités rurales en hydraulique humaine
Conception: Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Dans une approche essentiellement quantitative, nous avons fondé notre démarche sur les effectifs de population et des équipements d’eau, afin de produire un modèle affectant un score aux localités en fonction des équipements dont elles disposent. La recherche a porté sur 332 localités des zones rurales, dont 13 chefs-lieux de sous-préfectures non desservies par le système en HU et 229 villages. Ainsi, six chefs-lieux de sous-préfectures (Gadouan, Gonaté, Zaïbo, Nahio, Saïoua et Zoukougbeu) ont été exclus de l’étude parce qu’approvisionnés en eau par le système en HU. Les différents campements villageois n’ont pas non plus été pris en compte, car ce sont des résidences secondaires des paysans avec de faibles effectifs de population. Pour mener à bien cette étude, nous nous sommes appuyés sur les normes nationales de l’hydraulique spécifique aux milieux ruraux (tableau 2). Ces normes stipulent aussi que les chefs-lieux de sous-préfectures doivent disposer d’un système en HU où chaque ménage raccordé au réseau public a de l’eau par des robinets.

TABLEAU 2

Normes nationales d’équipement des localités en eau potable

Normes nationales d’équipement des localités en eau potable
Source : ONEP, 2016 : 13-14 | Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Traitement des données

Sur la base des critères du service d’eau potable en milieu rural, nous admettons qu’un point d’eau (PE) doit répondre en moyenne au besoin de 500 personnes. À partir de ce barème et en s’appuyant sur les effectifs de population recensée dans les localités, on déduit par une règle de trois le nombre de points d’eau théoriques (nPeT) qui devraient exister dans les localités. Par la suite, on détermine la différence entre ce nombre théorique et le nombre effectif sur le terrain. Autrement dit, on calcule l’écart entre l’effectif observé et l’effectif théorique. L’écart de points de service d’eau (Epse) se définit comme la différence entre la réalité des points d’eau observés (nPe0) et le nombre de points d’eau théoriques (nPeT) ; Epse = nPe0nPeT

Cet indicateur atteste des éventuelles insuffisances dans le service de distribution de l’eau en milieu rural. Ainsi,

  • Si Epse ≥ 0 ou si la localité dispose du système en HU, alors l’effectif observé est supérieur ou égal à l’effectif théorique. Aucune situation de manque ne peut être évoquée.

  • Si Epse < 0, alors l’effectif observé est inférieur à l’effectif théorique. Un déficit est alors signalé.

Les écarts obtenus ont été associés à des scores catégorisés par classe, suivant la présence ou non de l’équipement d’hydraulique humaine (tableau 3).

Une localité a un score élevé quand l’équipement hydraulique est existant, mais aussi en adéquation avec les normes nationales de dotation en points d’eau mise en place par l’autorité de l’hydraulique humaine. Cependant, le score d’une localité est faible lorsque celle-ci n’est pas pourvue en équipement. La grandeur de ce faible score est corrélée avec la taille de la population qui justifie le besoin spécifique en équipement hydraulique. Par exemple, une localité de plus de 4 000 habitants sans équipement hydraulique humaine aura un score de -300 puisque, avec cette taille, elle devrait être pourvue d’un système en HU ou de 9 points d’accès à l’eau et plus. Mais une localité de moins de 1 000 habitants se verra affectée du score de -100 parce que son effectif de population exige sa dotation en HV comme service d’accès à l’eau et également 2 points d’approvisionnement en eau de sa population.

TABLEAU 3

Synthèse des scores liés aux écarts de points de service d’eau

Synthèse des scores liés aux écarts de points de service d’eau
Source : ONEP, 2016 ; INS, 2018 | Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Le raisonnement est construit à partir de données empiriques. Celles-ci ont constitué la base géographique et mathématique du modèle. Cette approche s’est faite à partir des variations obtenues de la cartographie des disparités entre localités. La conception de la représentation graphique est fondée sur le système par plage. L’interpolation est le choix de représentation. Vu que nous sommes en présence de valeur indiciaire, les plages sont les plus adaptées pour la représentation. Et au nombre des solutions de représentation des plages, il y a l’interpolation.

Carte de synthèse découlant du calcul de l’indice de déficit

La cartographie par interpolation des scores des indices Epse obtenus a permis de produire la figure 2, mettant en évidence des disparités dans les niveaux d’équipement et l’état d’adéquation des systèmes d’accès à l’eau potable. L’ensemble des valeurs indiciaires calculées pour les 332 localités du Haut-Sassandra est résumé dans le tableau 4. À l’analyse de la figure, il se dégage que plus des trois quarts des localités rurales de la région du Haut-Sassandra disposent d’un équipement en service d’eau potable avec des poches de désert en hydraulique humaine. Par ailleurs, la qualité de la couverture en points d’accès à l’eau se dégrade suivant le gradient sud-ouest / nord - est.

TABLEAU 4

Synthèse des localités par score Epse

Synthèse des localités par score Epse
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018 | Source : ONEP, 2016 ; INS, 2018

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Analyse de la carte obtenue

Notre analyse est basée sur l’ensemble des commentaires post-carte montrant l’intérêt géographique du modèle.

Le Haut-Sassandra, un espace géographiquement bien doté en hydraulique humaine

Le niveau de dotation géographique en équipements hydrauliques s’apprécie à différentes échelles.

À l’échelle départementale

La majorité des localités rurales de la région du Haut-Sassandra (85,2  %) disposent d’un service d’eau potable alimenté par différents systèmes d’accès, comme l’illustre le tableau 5. Par conséquent, le niveau de dotation rural de la région du Haut-Sassandra (85,7 %) est au-delà de la moyenne nationale, estimée à 73,1 % (ONEP, 2018). Les départements d’Issia (92,4 %), Daloa (87,1 %) et Vavoua (84,8 %) demeurent respectivement les mieux pourvus, car leurs taux de dotation sont supérieurs à la moyenne régionale. Par contre, celui de Zoukougbeu (55,9 %) reste le plus faible de la région avec un niveau de dotation en-dessous de la moyenne nationale.

FIGURE 2

Synthèse cartographique du niveau d’équipement et d’adéquation en infrastructures d’eau potable des localités rurales du Haut-Sassandra

Synthèse cartographique du niveau d’équipement et d’adéquation en infrastructures d’eau potable des localités rurales du Haut-Sassandra
Source : CCT/BNETD, 2012 | Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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La typologie de services d’eau potable couvrant le milieu rural du Haut-Sassandra se résume à l’HV avec les PMH, à l’HVA ou mini-système d’adduction en eau potable (AEP) avec des bornes-fontaines et à l’HU avec l’adduction en eau potable. Le système en HV reste dominant (84,4 %). Celui en HU suit avec 13,8 % des localités dotées en hydraulique humaine, puis le HVA avec 1,8 %. Daloa est le département le plus doté en système en HU, contrairement à ceux de Vavoua et de Zoukougbeu qui ne disposent d’aucune localité pourvue en HVA et en HU.

À l’échelle des sous-préfectures

Si, à l’échelle régionale, le Haut-Sassandra jouit d’un bon niveau de dotation géographique en équipements d’hydraulique humaine, des disparités apparaissent à l’échelle sous-préfectorale (figure 3).

Des 23 sous-préfectures que compte le Haut - Sassandra, 78,3 % présentent un niveau de dotation supérieur à la moyenne nationale. Toutefois, 4 sous - préfectures du département d’Issia (Boguédia, Iboguhé, Saïoua et Tapéguia) et la sous-préfecture de Zaïbo, dans le département de Daloa, ont toutes leurs localités pourvues en infrastructures et équipements d’eau potable. Mais 5  sous-préfectures ont un niveau de dotation en - dessous du taux national, et même largement en-deçà de 50 % dans 2 cas : Zoukougbeu (33,3 %) et Domangbeu (20 %).

TABLEAU 5

Distribution des départements du Haut-Sassandra en 2017 selon le système d’accès

Distribution des départements du Haut-Sassandra en 2017 selon le système d’accès

*Nombre de localités du département

Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Existence de secteurs dépourvus en service d’eau potable

La relative bonne couverture géographique susmentionnée cache quelques zones de « désert en service d’eau potable ». En effet, la région du Haut-Sassandra compte 49 localités ne disposant d’aucun équipement d’eau potable, ce qui représente un déficit régional de 15,1 %. Il s’agit du chef-lieu de sous-préfecture Domangbeu et de 48 villages répartis sur l’ensemble de la région. Mais de façon spécifique, 80 % des villages de la sous-préfecture de Domangbeu, 66,7 % de ceux de Zoukougbeu, 40 % à Kétro-Bassam, 29,5 % à Nahio, 27,3 % à Guessabo, 22,2 % à Vavoua et 22,2 % à Grégbeu sont concernés par cette réalité. Une analyse à partir de la taille démographique des localités concernées (tableau 6) permet d’apprécier l’ampleur des zones sans infrastructures d’accès à l’eau.

TABLEAU 6

Distribution des localités non équipées en hydraulique humaine, en 2017

Distribution des localités non équipées en hydraulique humaine, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Le croisement des effectifs de population et du niveau de dotation en infrastructures d’eau potable des localités révèle que 16,8 % de la population du Haut–Sassandra, soit 170 065 habitants, n’ont pas accès au service d’eau potable. Les zones dépourvues en équipements hydrauliques comportent 11 localités, soit 22 % des localités rurales du Haut - Sassandra. Par ailleurs, elles abritent des effectifs de population supérieurs à 4 000 habitants, dont 5 villages dépassant 9 000 habitants. Il s’agit d’Ancien Prozi (sous- préfecture de Séitifla) avec 24 643 habitants, Bonoufla (sous-préfecture de Vavoua) avec 23 295 âmes, Bogbam (sous-préfecture de Nahio) avec 11 488 personnes, Zagoréta (sous-préfecture de Gadouan) avec 9 872  habitants et Baibli (sous-préfecture de Domangbeu) avec 9 677  habitants. Ces foyers humains s’observent en majorité dans les départements de Vavoua et Daloa. Or, au regard de leur taille démographique (oscillant entre 4 414 et 24 643  habitants), ces localités sont classées en « forte priorité d’implantation d’infrastructures d’hydraulique humaine ». De ce fait, elles doivent bénéficier d’un système d’adduction en eau potable.

Vingt et une localités situées principalement dans les départements de Zoukougbeu et Daloa présentent des effectifs de population compris entre 1 036 et 4 000  habitants. Elles sont rangées en zone de « priorité moyenne d’implantation d’équipement d’eau potable ». Les normes d’hydrauliques humaines prévoient un système d’HVA dans un tel cas. Enfin, 17 localités de moins de 1 000 habitants sont catégorisées « en zone de faible priorité d’équipement ». Elles cumulent un effectif total de 11 457 habitants et se trouvent dans les départements de Vavoua avec 3 villages, Daloa avec 4 localités, Issia avec 4 villages et Zoukougbeu avec 6 villages. Les normes indiquent pour elles une dotation en système d’HV.

FIGURE 3

Niveau de couverture en hydraulique humaine par sous-préfecture, en 2017

Niveau de couverture en hydraulique humaine par sous-préfecture, en 2017
Source : CCT/BNETD, 2012 | Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Des équipements insuffisants et inadéquats d’hydraulique humaine

La bonne dotation en hydraulique humaine de la région du Haut-Sassandra masque de nombreuses disparités dans le niveau d’équipement et l’inadéquation des systèmes d’approvisionnement en eau.

Des niveaux d’équipement disparates en points de service d’eau

Sur l’ensemble des 332 localités rurales de la région du Haut-Sassandra, 283 disposent d’un point de service d’eau potable pour les besoins domestiques de leurs habitants. Ces points de service se déclinent en trois catégories. La première concerne les zones bien équipées, la seconde, les localités moyennement équipées et la dernière, le secteur faiblement équipé. La valeur moyenne de l’indice Epse à l’échelle départementale des localités pourvues en eau potable est de 144. Cela classe le Haut-Sassandra parmi les régions moyennement équipées du pays selon la méthode d’évaluation appliquée dans notre étude.

Espaces à niveau d’équipement élevé

En termes de ratio points d’eau / population, la région du Haut-Sassandra compte 99 localités présentant un niveau d’équipement satisfaisant. Cela représente 35 % de l’espace régional (tableau 7).

Les localités les mieux équipées sont celles disposant d’un système d’accès à l’eau de type HV et HU. Daloa et Issia sont les départements ayant le plus grand nombre de localités dotées d’un bon niveau d’équipement en hydraulique humaine, avec respectivement 47,7 % et 44 %. Par ailleurs, les départements de Vavoua et de Zoukougbeu abritent des poches isolées de niveau d’équipement excellent. Pour l’indice Epse, ces localités présentent un score de 300, qui reflète une adéquation probante entre les points de service d’eau et les effectifs de population. On note parfois des localités disposant du système en HU.

TABLEAU 7

Répartition des effectifs de localités bien équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017

Répartition des effectifs de localités bien équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Zones moyennement équipées

Les espaces moyennement équipés ont un niveau de déficit de 1 à 2 points de service d’eau avec un indice Epse de 200. Ils concernent 87 localités rurales équipées, soit 30,7 % des localités équipées (tableau 8).

De ces localités moyennement équipées du Haut‑Sassandra, 94,3 % sont desservies par le système en HV et 5,7 % par le système en HVA, au titre du service d’eau potable. Les départements de Vavoua et de Zoukougbeu renferment le plus de localités concernées, avec respectivement 37,3 % et 36,8 %. Ils sont suivis par Issia et Daloa.

Localités rurales à faible niveau d’équipement

Le Haut-Sassandra compte 96 localités ayant un besoin en points d’eau communautaire de 3 et plus, requis pour satisfaire leur population. Cet effectif représente 33,9 % des localités dotées d’un équipement d’accès à l’eau potable (tableau 9).

Les établissements humains ruraux pourvus en service d’eau potable des départements de Vavoua ( 52,2 % ) et Zoukougbeu ( 52,6 % ) sont les plus affectés. Ils bénéficient exclusivement du système d’hydraulique villageoise. De façon spécifique, les localités des sous-préfectures de création récente (depuis 2008) majoritairement comprises entre le nord et le centre de la région demeurent les plus affectées par le déficit en implantation d’équipement d’hydraulique humaine. Il s’agit, entre autres, de Domangbeu, Grégbeu, Guessabo, dans le département de Zoukougbeu. Dans le département d’Issia, tous les villages des sous-préfectures d’Iboguhé, de Nahio et de Namané sont concernés.

Des systèmes d’accès à l’eau potable inadaptés

Au-delà du bon niveau de couverture géographique en hydraulique humaine, seules 32,9 % des localités équipées ont une typologie de service d’eau potable adéquate (tableau 10). Les autres, c’est-à-dire 67,1 % des localités couvertes, ont un système d’approvisionnement en eau potable inadapté. D’où, la nécessité de passer de l’HV à l’HVA pour certains et de l’HVA à l’HU pour d’autres.

TABLEAU 8

Répartition des localités moyennement équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017

Répartition des localités moyennement équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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TABLEAU 9

Répartition des localités faiblement équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017

Répartition des localités faiblement équipées selon le type de service d’eau potable par département, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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TABLEAU 10

Niveau d’adéquation du service d’eau des localités couvertes, en 2017

Niveau d’adéquation du service d’eau des localités couvertes, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Les localités des départements de Zoukougbeu et de Vavoua sont celles où cette inadéquation est la plus significative. En effet, à Zoukougbeu, on note que 18  localités sur les 19 dotées d’un équipement hydraulique présentent un système d’adduction inadéquat. Dans le département de Vavoua, ce sont 58 localités sur 67 qui présentent une inadéquation du système. Par conséquent, ces deux départements ont un taux d’inadéquation respectif de 94,7 % et 86,6 %. Onze chefs-lieux de sous-préfectures dans les départements de Daloa (Gboguhé et Bediala), Issia (Iboguhé et Namané), Vavoua (Dananon, Dania, Bazra-Nattis, Kétro-Bassam, Séitifla) et Zoukougbeu (Grégbeu et Guessabo) sont desservis par un système d’HV. En revanche, celui de Tapéguia (département d’Issia) est alimenté par l’HVA. Ce mini-système d’adduction en eau potable comprend un puits, un château d’eau et un réseau de distribution par bornes fontaines. Or, au regard de leur statut administratif, les normes nationales d’hydraulique humaine prévoient plutôt un système en HU. L’inadéquation du système se perçoit également selon le poids démographique des villages équipés en hydraulique humaine (tableau 11).

La situation des 271 villages disposant du système HV est préoccupante. On note que 65,7 % des villages ne disposent pas de système d’approvisionnement en eau adapté à leur statut démographique. Aussi, 84,7 % des villages de 1 001 à 2 500 habitants sont affectés par ce dysfonctionnement. De même, les villages dont la population dépasse 4 000 habitants, avec un pic de 23 651  habitants dans le village de Boboniessoko (sous-préfecture de Zaibo dans le département de Daloa) sont en situation d’inadéquation de leur implantation hydraulique. Cette réalité est vécue dans toute la région. La conséquence majeure d’une telle situation est la forte charge d’utilisation de ces équipements et les pannes récurrentes privant les populations d’un accès durable à l’eau potable.

TABLEAU 11

Distribution des villages dotés en système d’hydraulique villageoise (HV) non adéquate, en 2017

Distribution des villages dotés en système d’hydraulique villageoise (HV) non adéquate, en 2017
Conception : Koukougnon, Loba et Guédé, 2018

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Conclusion

Notre étude nous a permis de proposer une modélisation cartographique du déficit en équipement du service de l’eau potable dans la région du Haut - Sassandra. La fonction score des écarts de points de service d’eau que nous avons conçue a abouti à une spatialisation qui facilite la réalisation d’un bilan diagnostic.

La fonction score des Epse se présente comme un outil d’aide à la décision qui est fort utile aux pouvoirs publics et à l’administration territoriale. Elle permettra de déterminer de façon claire et exhaustive le niveau d’équipement de chaque localité et portion du territoire, mais aussi de mettre en exergue l’état fonctionnel des ouvrages d’eau potable. De telles informations sont de nature à permettre aux décideurs de procéder au réajustement de la typologie des systèmes d’approvisionnement en eau potable et à l’accroissement des points publics d’accès à l’eau potable dans les localités rurales.

En somme, l’outil généré a permis de hiérarchiser les localités en fonction de leurs niveaux d’équipement en points d’eau. La spatialisation de la réalité contribue à un diagnostic de l’état des équipements d’accès à l’eau potable à une période donnée. La démarche s’inspire des travaux de Loba (2013), Loba et Guédé (2014) et Loba et  al. (2018). Sur la base d’une méthodologie similaire, ces travaux antérieurs ont contribué à mettre en évidence des disparités découlant de la manifestation d’un phénomène d’implantation zonale dans un territoire donné.

Cette modélisation, obtenue par la fonction score de déficit du service d’équipement hydraulique, offre un outil de diagnostic capable de résorber les inégalités territoriales de développement. Dans les perspectives de l’évaluation des mécanismes d’aménagement du territoire, Loba (2013 : 33) présente cette méthodologie de la fonction score comme un outil d’aide à la décision.

En effet, la traduction spatiale des données actualisées aide toujours les acteurs du développement à mieux orienter leurs interventions en faveur du territoire. Kouamé et al. (2011 : 35) arrivaient à la même conclusion et encourageaient le recours à ce type de démarche méthodologique dans l’analyse des territoires. D’ailleurs, l’approche leur avait été utile dans l’évaluation des besoins en salles de classe et en centres de santé dans le département de Bongouanou. Tohozin et al. (2014 : 123‑124) avaient aussi fait l’expérience de la quantification par indice dans leur étude sur la restructuration du sud-ouest de Porto Novo, au Bénin.

Pour finir, nous retenons que l’application de ce procédé par fonction score nous a permis de réaliser une riche expérimentation et de retenir deux enseignements majeurs dans le Haut-Sassandra. Premièrement, les résultats obtenus montrent que la région du Haut-Sassandra dans son ensemble est bien dotée en infrastructures d’adduction d’eau potable. En effet, plus de 85,2 % des localités de la région bénéficient d’un équipement d’accès public à l’eau potable. Toutefois, il existe des disparités dans la répartition géographique desdits équipements, les parties nord-est et sud étant mieux dotées que les secteurs situés au centre et au nord-ouest de la région. Ces derniers secteurs couvrent des entités administratives (sous-préfectures) récemment créées et dans lesquelles les efforts d’investissements en hydraulique humaine sont faibles, voire inexistants. De façon générale, plus de 70,2 % des localités du Haut‑Sassandra présentent des besoins d’accroissement des infrastructures et équipements d’accès à l’eau potable.

La deuxième leçon à tirer du diagnostic que nous avons effectué a trait à l’inadéquation des équipements d’adduction d’eau potable avec la taille démographique de certaines localités et à leur mauvais état de fonctionnement. Dans cet ordre d’idée, les résultats de l’étude ont montré que, dans plus des trois quarts des villages de la région, les équipements sont inadaptés.