Comptes rendus bibliographiques

MANGEON, Anthony (dir.) (2015) Anthropolitiques. Jean-Loup Amselle, une pensée sans concessions. Paris, Karthala et Montpellier, Maison des Sciences de l’Homme, 372 p. (ISBN 978-2-8111-1269-1)[Record]

  • Alain VAGUET

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  • Alain VAGUET
    Département de géographie, Université de Rouen, Laboratoire IDEES/CNRS 6266, Mont-Saint-Aignan (France)

Issu d’un colloque de juin 2013, cet ouvrage volumineux constitue une sorte d’hommage rendu à l’ethnologue Jean-Loup Amselle. Celui-ci, né en 1942, a débuté son travail avec des collègues de grand renom, fondateurs de cette discipline (Levy-Strauss, Balandier...). Tantôt avec eux, tantôt contre eux, il a contribué à reformuler profondément l’anthropologie française, notamment l’approche africaniste. Hommage en dynamique puisque, aux textes d’une quinzaine de contributeurs, répondent de belles pages d’un auteur toujours très compréhensible. Le tout se divise en quatre parties, d’abord avec un retour sur les principaux concepts et textes d’Amselle, ses grands auteurs favoris (Sartre en particulier), sa propre influence sur les débats intellectuels des 40 dernières années, une discussion sur les méthodes anthropologiques et, finalement, une ouverture vers « d’autres horizons ». Si a priori, le livre Anthropolitiques peut sembler à distance des questions courantes traitées par les géographes, ceux-ci y trouveront pour autant beaucoup de substance réflexive. En effet, nous utilisons maintenant régulièrement les principaux apports de cet auteur : par exemple, ses termes successifs métissage – abandonné car il suppose deux composantes pures au départ – remplacé par branchements, ses positions déconstructivistes de catégories, pourtant centrales, comme celles d’ethnie, d’identité... La liste est longue... On découvre au fil des pages comment son oeuvre sans concessions – comme le dit le titre du volume – teintée de formules chocs et autres provocations, l’a peut-être un peu privé d’une carrière universitaire qui aurait contribué à mieux faire connaître son travail. D’ailleurs, dans cet ouvrage, le lecteur peut trouver des termes très utiles, proposés très tôt par Amselle, qui n’ont pas tous été promus par la postérité. « Chaîne de sociétés » (1972) est l’un de ceux-là, il attire particulièrement l’attention, car il correspond à une intuition centrale. Il a été construit par l’auteur au cours de sa thèse, en référence à un premier long terrain, non sur le fétichisme ethnique (Dogon, Peuls, Bambara...) comme ses collègues, mais sur une originale étude urbaine d’un réseau précolonial de marchands. Ces premiers pas lui ont permis de prendre une posture définitivement hors normes dans le champ intellectuel. Les « chaînes de sociétés » heurtaient frontalement l’idée d’un espace africain plongé dans une intemporalité faite d’autosubsistance et de sociétés lignagères. L’idée de la fluidité des cultures et des identités, dans et hors du continent africain, a donc été une intuition précoce et au long cours, qu’Amselle continue de parcourir inlassablement ici et ailleurs (L’ethnicisation de la France, 2011). Des chercheurs un peu plus jeunes, comme Arjun Appaduraï (1949) aux États Unis, sont parfois présentés comme les inspirateurs de la multi-sited ethnography (Modernity at large, 1996, traduit en 2001 chez Payot). En fait, eux aussi, en inventant le terme d’ethnoscapes globaux, explorent flux, réseaux, groupes diasporiques, identités fluides et les espaces postnationaux de la mondialisation. Pourtant, ces deux auteurs ne se citent pas : manque de branchement ? Pour les rapprocher un peu plus, on peut dire également que, chez eux, l’empirisme semble avoir été une source majeure d’inspiration. Le premier ne s’est donc pas contenté de déconstruire, comme on l’en a parfois accusé, il a bâti un raisonnement à partir de ses premières rencontres avec des réalités qui ne correspondaient pas aux modèles d’interprétation de son temps. Le second, par sa propre vie d’Américain originaire d’Asie du Sud, était particulièrement bien placé pour penser les identités au-delà des catégories nationales. Dans les quatre petits textes originaux proposés dans Anthropolitiques, Amselle aborde des points très divers. Retenons en deux. Le premier concerne des thérapies originales de l’Amérique du Sud, …

Appendices