Comptes rendus bibliographiques

BLANCHON, David (2009) L’espace hydraulique sud-africain. Le partage des eaux. Paris, Karthala, 294 p. (ISBN 978-2-8111-0175-6)[Record]

  • Frédéric Lasserre

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  • Frédéric Lasserre
    Département de géographie
    Université Laval

Dans son introduction, l’ouvrage de David Blanchon évoque de prime abord une recherche portant sur la validité technique, sociale et politique des transferts massifs d’eau en tant que levier de développement, évaluée à l’aune des impacts mesurables de ces transferts sur les écosystèmes et l’espace, avec, pour cadre d’expérimentation, la République sud-africaine, le Lesotho et le Swaziland. Un tel projet pourrait se ramener à l’étude d’un problème de tuyauterie. Mis en oeuvre par un géographe averti, il s’avère au fil des pages, d’une redoutable complexité. Comment le gouvernement sud-africain, dans un contexte climatique difficile, a-t-il construit les bases de son développement, qui plus est, dans le cadre de l’apartheid ? Des comparaisons avec l’approche fordiste ders États-Unis ou de l’Australie viennent immédiatement à l’esprit : les rivières et les fleuves ont été endigués, barrés, canalisés, détournés pour conduire l’eau là où on le voulait, sans trop se soucier de la dimension sociale du partage de la ressource ainsi mobilisée (à qui bénéficie-t-elle ?) et des impacts environnementaux. La question de la gestion des eaux en Afrique du Sud pose crûment celle du modèle de développement à adopter, compte tenu de l’aridité relative de la région et de la variabilité naturelle des précipitations, tout comme dans le bassin du Colorado aux États-Unis, ou dans la plaine de Chine du Nord, deux autres bassins que l’auteur mentionne en introduction. Selon un expert sud-africain, les fleuves de ce pays souffrent d’une predictable unpredictability, bien que le pays bénéficie de régimes hydrologiques assez divers. Étiages et crues d’ampleurs parfois catastrophiques se suivent sans qu’il soit possible d’établir quelque modèle que ce soit, sauf à s’efforcer de paramétrer statistiquement cette variabilité naturelle, de sorte que les espoirs fondés en leur temps sur un Orange-Vaal qui aurait dû être le Nil de l’Afrique australe ont été rapidement déçus – encore que le Nil, précisément, a été lui aussi largement harnaché et barré, non sans impacts politiques et environnementaux majeurs. Bien nourri par les eaux du Drakensberg dans sa partie amont, l’Orange ne cesse de s’appauvrir en progressant vers l’Ouest entre les steppes et les déserts du Karroo et du Kalahari de sorte que, pour un débit théorique de 355 m3/sec, ses eaux n’atteignaient pas toujours son embouchure avant les travaux de grande hydraulique. Une première partie décrit ainsi et analyse le système hydraulique sud-africain, les fleuves, leur hydrologie et la forte contrainte climatique, comment ils ont été transformés et dans quel contexte social et politique. Au terme d’un demi-siècle d’aménagements fondés sur la grande hydraulique (barrages majeurs, canaux, dérivations), le pays compte 24 transferts massifs (dont 17 sur le seul système Orange-Vaal) totalisant 4,2 km3/an obtenus grâce au stockage de 25 km3 dans divers réservoirs, dont la très importante retenue de Khatse, et à un système complexe d’aqueducs et de tunnels distribuant 22 % de l’eau utilisée dans le pays. Observons d’ailleurs qu’une bonne part de ces transferts procède du Lesotho Highlands Water Project fonctionnant sur le territoire du Lesotho, État théoriquement indépendant mais enclavé dans l’Union sud-africaine. Une assistance militaire sud-africaine musclée au coup d’État de 1986 a parfois été attribuée à la volonté de Pretoria de ne pas voir un nouveau gouvernement du Lesotho remettre en cause cette intégration de ses ressources hydrauliques dans l’ensemble sud-africain. Deux remarques d’ordre à la fois hydraulique et technique s’imposent au vu de ce bilan. Au plan de l’hydraulique, nombre de cours d’eau plus ou moins importants sont devenus de simples aqueducs intégrés au système des transferts, de sorte qu’il serait vain d’établir les données d’une hydrologie « naturelle » : comme …