Article body

Ce livre fait partie de la collection TransversaleDébats dirigée par Alain Nonjon et qui a pour objectif de diffuser parmi un vaste public des oeuvres concises et axées sur les grands défis économiques et sociaux de l’actualité. Dans la perspective de réactiver les débats d’idées, l’organisation de ce livre répond à un objectif didactique qui devra faciliter l’accès à l’information et la compréhension des débats en cours, sur un thème dont l’intérêt croît dans le monde entier et pour le public francophone et latino-américain plus particulièrement. La question centrale est la suivante : le Mercosur, en tant que schéma d’intégration commerciale de l’Amérique du Sud, représente-t-il une avancée vers la formation de la grande Amérique latine, une région imaginée par deux traditions géopolitiques antagonistes profondément enracinées : le panaméricanisme et le latino américanisme ?

L’ouvrage est divisé en deux grandes parties. La première partie prétend comprendre en trois chapitres l’état des lieux : les antécédents historiques de l’intégration, son fonctionnement actuel et le degré d’intégration intra-économique du Mercosur. La deuxième partie offre six enjeux de débats, l’intégration latino-américaine étant confrontée à des dilemmes qui doivent être éclaircis afin de comprendre leur réalité immédiate et d’assumer alors, collectivement, les grands paris du futur.

Desse et Dupuy parviennent à communiquer de façon structurée, avec un style et un langage accessibles au grand public, le problème à analyser, ainsi que la direction que prend le Mercosur dans le cadre de l’intégration planétaire motivée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), depuis sa naissance en 1994. Il s’agit de comprendre l’éventuel rôle de leadership de ce bloc sud-américain dans la vaste intégration de l’Amérique latine. Car si le régionalisme supranational permet aux États nations de se regrouper par affinités géographiques, d’accélérer leurs échanges commerciaux et même de dégager une certaine marge de manoeuvre pour leurs politiques économiques, en revanche, la libéralisation à outrance amène sa part d’inconvénients sur les marchés nationaux. Par exemple, elle détériore la souveraineté nationale et le pouvoir de l’État. Le Mercosur fait ainsi le pari d’une intégration qui a des tendances communautaires pouvant avoir des répercussions sur l’ensemble régional latino-américain (Enjeu numéro 5 : Le Mercosur, laboratoire de l’intégration latino-américaine : espace de libre-échange ou espace d’intégration régionale ?).

Le Mercosur est, outre l’Union européenne et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’un des trois espaces au monde où le régionalisme se manifeste avec une si grande ampleur, espaces appelés de façon erronée communautaires par les auteurs de ce livre, puisqu’au fond, le débat porte sur le libéralisme à outrance et l’intégration communautaire.

Ainsi, les auteurs montrent que le débat entre latino américanisme et panaméricanisme est fondamentalement contemporain (Enjeu numéro 1 : Latino américanisme ou Panaméricanisme, Mercosur contre ZLEA ?). D’une part, on trouve l’ALENA comme base de la vision panaméricaniste qui prétend s’étendre à tout le continent latino-américain, à l’exception de Cuba, grâce à la formation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) – créée en 1990 à l’initiative emblématique des Amériques, promue par le gouvernement des États-Unis, mais hautement contestée ces dernières années. D’autre part, les tentatives d’intégration régionale sud-américaines, principalement le Mercosur, combinent des stratégies politiques et économiques contestant l’intégration néolibérale en cours. Bien qu’il s’agisse dans ce cas seulement d’un marché commun imparfait, il réunit diverses composantes politiques qui l’éloignent de l’orthodoxie néolibérale et le rapprochent du format institutionnel communautaire de l’Union européenne (Enjeu numéro 4 : l’Union européenne, un modèle pour le Mercosur ?).

Les auteurs constatent que les gouvernements nationaux qui incluent, à différents degrés, des politiques de gauche prolifèrent. Depuis la fin des années 1990, la carte politique de l’Amérique latine a changé : 12 des 15 pays du continent ont un chef d’État de gauche. Il s’agit d’une des clés d’interprétation pour démontrer le potentiel d’un nouveau latino américanisme qui s’oppose à l’expansion du commerce libre et à l’hégémonie latino-américaine. Desse et Dupuy mettent en relief le cas d’Hugo Chávez et sa proposition d’alternative bolivarienne de nos Amériques (ALBA) qui sépare les sympathisants et les détracteurs des gouvernements et organismes sociaux, fragilisant ainsi l’intégration régionale latino-américaine (Enjeu numéro 3 : L’intégration régionale latino-américaine fragilisée par le néobolivarisme d’Hugo Chávez).

En outre, les auteurs font une analyse détaillée de tous les processus d’intégration régionale en cours tels que le Marché commun centre-américain, qui est devenu le Système d’intégration centre-américain (SICA), le Marché commun de la Communauté du bassin des Caraïbes (CARICOM), et la Communauté andine des Nations (CAN). Ces blocs régionaux sont évalués, aux côtés du Mercosur, d’après les cinq étapes établies par l’économiste Bela Belassa, en fonction de la maturité de leur intégration : 1) la zone de libre-échange 2) l’union douanière 3) le marché commun 4) l’union économique 5) l’union économique et monétaire.

La toile de fond géopolitique de l’analyse de Desse et Dupuy considère la politique hégémonique des États-Unis (1961-2004) et la manière dont elle affecte la construction de la grande Amérique latine avec la prolifération des traités de libre-échange entre la puissance du Nord et certains pays latino-américains. Deux stratégies d’accaparement des marchés latino-américains sont mises en évidence : l’Accord de libre-échange de l’Amérique centrale et de la République Dominicaine (l’ALEAC), signé en 2004, et une logique de contournement du Mercosur avec une percée vers les pays andins fragilisés par des économies peu dynamiques et des tensions politiques internes, et qui risquent donc l’implosion dans un proche avenir (Enjeu numéro 2 : les États-Unis et la nouvelle stratégie de contournement : la multiplication des traités de libre-échange).

Finalement, l’enjeu numéro 6 (l’intégration régionale a-t-elle un impact sur l’organisation des espaces en Amérique latine ?) est développé autour de l’exemple du Mercosur et met l’accent sur les conflits spatiaux autour des frontières. L’héritage historique du XIXe siècle, ainsi que la problématique spatiale actuelle issue du processus d’intégration lui-même, lie les tentatives de réappropriation territoriale menées par les gouvernements et les stratégies de sécurité frontalière entraînées par l’unité nationale. C’est là que nous trouvons l’un des apports les plus originaux de ce livre. En effet, en même temps que le Mercosur renforce un schéma de défense et de sécurité nationale et qu’il commence à s’exprimer dans une dimension supranationale, il fait face à des problèmes liés au trafic de drogues ou aux migrations qui ont une dimension spatiale à la fois locale et globale, et contre lesquels, paradoxalement, l’institution du Mercosur est impuissante.

Malheureusement, deux nouvelles informations ne sont pas traitées par les auteurs : l’Union des Nations d’Amérique du Sud (UNASUR) créée en 2008, et l’Initiative d’infrastructure régionale d’Amérique du Sud (IIRSA, 2000) qui avec le Système de surveillance de l’Amazonie (SIVAM, 1994) sont en train de transformer très rapidement les espaces et les territoires sur la base des transports, des télécommunications, de l’énergie, de la sécurité nationale et d’autres politiques territoriales liées aux processus d’intégration de l’ensemble de l’Amérique du Sud. Par conséquent, un nouveau réseau de (méga) villes et un tissu spatial complexe se mettent en place, mais sont néanmoins loin d’intégrer une grande Amérique latine dans sa vaste géographie humaine.