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L’ineffable équilibreCommentaire critique[Record]

  • Thierry Rebour

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Thierry Rebour nous a fait parvenir un compte rendu de l’ouvrage de Mario Polèse et Richard Shearmur, Économie régionale et urbaine. Introduction à la géographie économique, 2e édition (Paris, Economica, 376 p., ISBN : 2-7178-4929-7). Nous publions ici ce texte accompagné de la réplique des auteurs du livre en question et d’un commentaire final de Thierry Rebour (NDLR).

Les éditions Economica font paraître un nouveau manuel d’économie spatiale, qui est en fait une réédition d’un ouvrage plus ancien, signé par deux chercheurs québécois dont l’approche se veut aussi « pragmatique » que théorique, où « les termes conceptuels […] servent souvent de points de départ pour aborder l’analyse des réalités actuelles » ; ce qui explique la nécessité d’une réédition. Le livre se divise en trois parties dont la première, consacrée aux « fondements économiques de la ville » est aussi la plus intéressante. Le premier chapitre explique, chiffres à l’appui, le lien fort entre urbanisation et développement économique. Ainsi les auteurs soulignent-ils l’importance du niveau de productivité agricole aussi bien en ce qui concerne l’origine des villes que leur développement ultérieur – à cause de la baisse de la consommation marginale de produits alimentaires et de la hausse de la demande de produits industriels et tertiaires à mesure que l’économie croît. Ils pointent également le rôle de la différence de revenus entre ville et campagne pour rendre compte de l’exode rural. Le second chapitre aborde de manière assez classique les questions des coûts de transport et des rendements d’échelle, censés expliquer le fait urbain dans le cadre régional. Économies d’agglomération et externalités font l’objet du troisième chapitre et les auteurs insistent sur le fait qu’ils concernent à la fois les ménages et les entreprises, réalité trop souvent négligée. Le quatrième et dernier chapitre n’a malheureusement pas la clarté ni l’intérêt des précédents. À la fois trop disparate et superficiel, il traite de questions aussi diverses que l’impact de l’urbanisation sur le développement rural, le rôle moteur des villes dans le processus de développement en général, le problème de la taille optimale des villes, etc. Curieusement, certaines problématiques (« l’urbanisation est-elle un bien ou un mal ? ») ont plus à voir avec la morale qu’avec l’économie ou la géographie. La seconde partie, bien qu’en principe consacrée à l’analyse régionale, pose également la question plus générale des causes et des ressorts du développement (chapitres 5 et 6). C’est l’occasion pour les auteurs d’introduire, pour la première fois, le concept d’équilibre, alors que les modèles et les théories présentées précédemment s’y référaient déjà de manière implicite. Les chapitres 7 et 8 traitent des politiques locales et régionales au sujet desquelles Polèse et Shearmur se montrent assez pessimistes, en pointant notamment la contradiction entre décentralisation, volonté de promouvoir l’autonomie locale, et politiques de rééquilibrage régional, qui sont l’apanage de l’État. La troisième et dernière partie revient sur des théories plus générales concernant la localisation des activités économiques. Ainsi le triangle de Weber est non seulement longuement analysé, mais également adapté aux réalités actuelles en ce qui concerne les coûts de transport et les innovations technologiques. Le concept de concurrence spatiale, introduit un peu plus loin, débouche quant à lui sur l’étude de la théorie des lieux centraux, tandis que le chapitre suivant envisage la localisation des facteurs de production dans l’espace intra-urbain, selon une perspective très néo-classique. Enfin, le dernier chapitre fait le point sur les transformations économiques récentes : tertiairisation et dynamique centrifuge des industries. Le livre s’achève sur le constat de la stabilité des hiérarchies urbaines et des structures de position. L’utilité d’un tel manuel d’économie spatiale qui permet de réaffirmer certains acquis scientifiques aux non-économistes n’est plus à démontrer. Il n’est pas vain de rappeler que la ville est toujours un phénomène économique puisqu’elle réclame une productivité agricole déjà élevée pour exister. De même le rôle des écarts de revenus dans la dynamique des migrations, que défendent les auteurs, est parfois un peu vite écarté par certains …