Conférence Claire L’Heureux-Dubé : La transformation du rôle du droit dans la famille[Record]

  • Benoît Moore

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  • Benoît Moore
    Juge, Cour d’appel du Québec

En vertu des règles linguistiques de la revue, l’utilisation de la seule forme masculine vise à alléger le texte et, selon les circonstances, elle désigne aussi bien les femmes que les hommes.

Permettez-moi d’abord de dire combien je suis heureux et honoré que la Faculté de droit de l’Université Laval, sa doyenne, Mme Anne-Marie Laflamme, et ses collègues, les professeures Anne-Marie Savard et Mélanie Samson, aient pensé à moi pour prononcer la très prestigieuse Conférence Claire L’Heureux-Dubé. Prestigieuse, cette conférence l’est par les conférencières et conférenciers qui m’ont précédé et dont la liste donne le vertige. Mais prestigieuse cette conférence l’est d’abord et avant tout par le nom qu’elle porte. C’est un honneur pour moi de rendre un hommage, bien modeste, à cette immense juriste qu’est Claire L’Heureux-Dubé. Si j’ai eu le plaisir de la rencontrer bien trop rarement, ses écrits – surtout judiciaires, mais pas que – m’ont beaucoup inspiré et nourri dans mes réflexions et recherches, tout particulièrement en droit de la famille. C’est donc tout naturellement ce domaine que j’ai ciblé en souhaitant lier l’évolution du rôle du droit dans la famille à l’oeuvre de Claire L’Heureux-Dubé. Mes propos brosseront donc un portrait très général de l’évolution du droit de la famille au cours des 65 dernières années, soit à peu près la carrière de Mme L’Heureux-Dubé, laquelle a été admise au Barreau en 1952. Les spécialistes du domaine y apprendront probablement peu, mais j’espère que cela permettra aux autres, et notamment aux membres de la communauté étudiante, que je sais nombreux aujourd’hui, d’avoir un aperçu général du rapport entre droit et famille au Québec. De manière schématique, je présenterai cette évolution par le rôle que joue le droit dans la famille autour de trois périodes qui, certes, parfois se chevauchent, mais donnent un bon portrait impressionniste : 1) le droit protecteur de la société par la famille institutionnelle ; 2) le droit protecteur de l’égalité des membres de la famille ; 3) le droit protecteur de l’égalité des familles. Nous verrons que la juge L’Heureux-Dubé a été impliquée très tôt et longuement dans cette évolution. Le droit de la famille a d’abord – et longtemps – été fondé sur un modèle unique qui, dans un dessein prophylactique, se voulait une « loi unique et pédagogique qui prétend dresser les moeurs » pour reprendre la formule du professeur Jean-Jacques Lemouland. Ce droit est inégalitaire et fondé sur la double puissance paternelle et maritale. C’est cette conception de la famille autorité, laquelle réside dans la réunion de personnes autour d’un chef absolu, veillant à son unité et à sa direction, qui est consacrée en 1866 dans le Code civil du Bas-Canada. Au-delà de cette conception inégalitaire, c’est l’importance du caractère institutionnel de la famille qui marque cette période. Le droit entend d’abord et avant tout protéger, dans l’intérêt sociétal, la stabilité et la paix des familles en imposant le modèle du mariage comme fondement du couple et comme fondement de la filiation. L’influence de l’Église y est alors omniprésente, bien plus qu’en France où le mariage est reconnu comme un contrat depuis 1791 ; au Québec, c’est encore affaire de religion. Cette conception de la famille, basée sur la tradition, sur l’autorité d’un chef de famille et sur l’influence dominante de la religion, va progressivement s’éroder au xxe siècle, tout particulièrement à compter des années 60 par des phénomènes aussi nombreux que connus : la diminution, voire la disparition progressive de l’autorité sociale et politique de la religion, la libération sexuelle, la revendication par les femmes de l’égalité de droit et, plus généralement, des revendications de toute sorte fondées sur les droits et libertés de la personne. Ces phénomènes vont progressivement affecter tout à la fois le caractère institutionnel et religieux de la famille. J’en donnerai …

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