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Non, Dominique Goubau n’est pas une femme. Fraîchement débarqué de Belgique, il ne savait pas qu’il allait devoir le répéter durant les 40 années suivantes. Pourtant, il ne songea jamais à changer la graphie de son prénom, s’amusant plutôt des multiples quiproquos qui en découlèrent et du clin d’oeil qu’il faisait à son champ disciplinaire, entre sexe et changement de nom.

Le jeune homme qui arrive à Québec au courant des années 80 est épris de justice. Il a déjà pratiqué à titre d’avocat à Bruxelles, et il s’empresse de répondre aux exigences de l’École du Barreau de Québec, non sans obtenir au passage le Prix du Barreau du Québec 1986. Il rejoint ensuite le service d’aide juridique, où il défend avec ferveur les moins nantis de la capitale. Il entame également une maîtrise en droit à l’Université Laval, lui qui était déjà titulaire d’un diplôme de deuxième cycle en droit avec mention « Distinction » de l’Université de Louvain. Me Goubau devient officiellement professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval en 1991, mais il conserve son titre d’avocat, dont il ne se départira jamais. Cet attachement envers la pratique du droit témoigne de la haute estime qu’il porte au métier d’avocat, un métier noble, qui doit être au service de l’équité et du bien commun, selon lui.

Les recherches du professeur Goubau en droit des personnes, en droit de la famille et en droit de la jeunesse traduisent, de manière constante, une vision progressiste du droit comme outil de protection des personnes, dans une perspective d’égalité sociale. En droit des personnes et en droit de la famille, les travaux de Dominique Goubau ont abordé des thèmes névralgiques au sein de la société québécoise, comme ceux de l’individualisation de la personne, particulièrement le changement de la mention de sexe, l’autonomie de la personne, incluant le consentement aux soins ou l’aide médicale à mourir, le droit à la vie privée, les régimes de protection des personnes majeures inaptes, le droit de la conjugalité ainsi que le droit de la filiation. Dans le champ de la protection de la jeunesse, ses travaux ont exploré la pratique de l’adoption québécoise en banque mixte, les placements en famille d’accueil, la réforme de la protection de la jeunesse et, de manière générale, la représentation et la participation de l’enfant devant les tribunaux.

La contribution doctrinale du professeur Goubau à la communauté juridique québécoise est tout simplement remarquable. Au cours d’une carrière professorale qui aura duré 30 ans, il a signé ou cosigné 8 monographies, 46 chapitres dans des ouvrages collectifs et 24 articles dans des revues avec comité de lecture. Ses travaux ont été cités à plus de 1 000 reprises par les tribunaux québécois et ont également été repris par la Cour suprême du Canada. Deux de ses ouvrages sont considérés comme des références incontournables, tant par les étudiants et les chercheurs que par les praticiens : Le droit des personnes physiques (avec la collaboration d’Anne-Marie Savard pour la 6e édition) et Le droit de la famille au Québec (avec Mireille D.-Castelli). Auteur réputé, il a été chercheur au sein du Centre de recherche Jeunes, familles et réponses sociales (JEFAR) de l’Université Laval, de même qu’au sein du Réseau universitaire international de bioéthique (RUIB). Il a également agi comme vice-président de l’Association internationale de droit de la famille. Inutile d’ajouter qu’il a reçu plusieurs subventions de recherche, seul ou en équipe.

Si le paragraphe précédent fait émerger en vous l’image stéréotypée d’un intellectuel cérébral et désincarné, détrompez-vous. Dominique Goubau est un orateur passionné et passionnant, dont les cours ont toujours été extrêmement populaires auprès des étudiants. Ses séminaires affichent généralement complet au premier jour de leur ouverture. Grand communicateur, il a donné plus d’une centaine de conférences, au Québec et à travers le monde. Paris, Monaco, Vienne, Aix-en-Provence, Rio de Janeiro, Vancouver… la liste est trop longue pour que nous puissions prétendre à l’exhaustivité. Il n’en demeure pas moins que les noms de ces quelques villes qui font rêver témoignent à la fois de la brillance de sa trajectoire professionnelle et des liens féconds qu’il a su développer entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Professeur invité à plusieurs reprises au sein d’universités européennes réputées (Université catholique de Louvain, Université de Toulouse, Université Lyon 3, Université Aix-Marseille), Dominique Goubau a fait rayonner la Faculté de droit de l’Université Laval bien au-delà de ses murs.

Professeur d’abord, mais avocat toujours, nous l’avons dit. Tout au long de sa carrière professorale, Dominique Goubau a entretenu des liens avec le Barreau du Québec, notamment à titre de président du Comité permanent du droit de la famille du Barreau du Québec. Fidèle à ses idéaux de départ, il a tenu à ce que ses connaissances soient mises au service de ses concitoyens, participant à de nombreuses consultations, auditions publiques ou commissions parlementaires et signant plusieurs rapports ou mémoires afin d’alimenter les travaux de nos institutions publiques. Chaque fois que cela lui paraissait nécessaire, il prenait la parole publiquement pour nourrir le débat, que ce soit en signant des lettres d’opinion ou en donnant des entrevues médiatiques. Un juriste qui contribue au développement et à l’évolution de sa société, voilà ce qu’il souhaitait être et voilà ce qu’il fut, haut la main. Il mérite amplement le titre d’« avocat émérite » dont l’a gratifié le Barreau du Québec en 2020.

Les auteurs du présent numéro des Cahiers de droit ont répondu à notre appel avec empressement, pour la simple raison que nous leur proposions de rédiger un texte en hommage à Dominique Goubau. Leurs écrits témoignent de notre volonté collective de souligner le legs intellectuel important de ce vibrant juriste, tout comme ils révèlent la variété et la pertinence de ses intérêts de recherche. Outre les personnes qui ont pris la plume, tous les professeurs, actuels et retraités, de la Faculté de droit de l’Université Laval se joignent à nous pour lui offrir ce numéro thématique, qui lui est entièrement dédié.