Chronique bibliographique

Smaïn Laacher, Juger la terreur. Le procès des attentats de janvier 2015, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2022, ISBN 978-2-8159-4143-3, 219 p.[Record]

  • Alain Bissonnette

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  • Alain Bissonnette
    Avocat et anthropologue

En vertu des règles linguistiques de la revue, l’utilisation de la seule forme masculine vise à alléger le texte et, selon les circonstances, elle désigne aussi bien les femmes que les hommes.

Smaïn Laacher a choisi de suivre le procès des trois attentats commis à Paris, en janvier 2015, dont des membres du journal Charlie Hebdo, une policière ainsi que des employés et clients du magasin Hypercacher ont été les victimes. N’ayant pas survécu à leurs méfaits, les trois individus qui ont commis ces attentats, soit les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, n’étaient pas présents. Par ailleurs, les onze autres accusés, qui ont assisté au procès, ont été jugés coupables : quatre d’entre eux, d’activités en rapport avec le terrorisme ; les autres, d’association simple de malfaiteurs. L’intérêt de Smaïn Laacher pour ce procès s’insère dans son parcours professionnel. Il a été professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, juge assesseur, proposé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), de 1999 à 2014, au sein de la Cour nationale du droit d’asile, et, en 2017, lauréat du prix Science et laïcité. Cet auteur prolifique est aussi président du Conseil scientifique de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Dès les premières pages de son livre, Smaïn Laacher explique son cheminement. Au départ, il voulait observer et comprendre ce que l’on allait dire de ces crimes, commis au nom d’une religion, et voir la manière dont les actes terroristes allaient être distingués de ceux qui relevaient de la criminalité ordinaire. Puis, au fil du temps, il a mesuré toute l’ampleur de ce procès. D’abord, sur le plan pratique, soit de gérer les activités quotidiennes nécessaires pour que ce procès se déroule correctement, tout le monde s’entend pour le désigner comme hors norme : d’une durée de 54 jours, ce procès s’est appuyé sur 171 tomes de pièces de procédure et la participation de 200 parties civiles, 94 avocats, 144 témoins et 14 experts. Sans compter qu’il a été filmé, sa diffusion ne pouvant être faite qu’à partir de 2070. Ensuite, sur le plan de son objectif, soit de punir ceux qui ont commis ces crimes ou ont aidé à leur accomplissement, le procès devait aussi rendre leur dignité aux personnes assassinées et à leurs proches qui vivent toujours. Dès le départ, Smaïn Laacher a écarté l’idée de refaire le procès ou de prétendre contribuer à la manifestation de la vérité. Il s’est plutôt donné comme projet d’exposer quelques enjeux fondamentaux se dégageant, selon lui, de ce procès. Bien qu’il soit sociologue, il ne pouvait cependant mener des entretiens, comme il a l’habitude de le faire, avec les différents acteurs de ce procès. Il s’est donc rabattu sur une méthode inductive, combinant son expérience personnelle préalable et l’exploration méthodique du procès lui-même. Il a comparé sa situation à celle du célèbre anthropologue Malinowski, obligé de forger ses propres outils, au moment d’accomplir la tâche qui est la sienne, devant un matériau en train de disparaître avec une rapidité désespérante. Il a ainsi privilégié deux modes d’appréhension du réel, le journalisme et la sociologie, et il a été attentif à une multitude d’indices – que l’on a parfois sous les yeux, mais sans les voir pour autant – et il les a saisis comme des abrégés du monde. Il faut donc tenir compte de ces contraintes imposées à la démarche d’observateur de l’auteur qui ne disposait pas de tous les outils dont se sert habituellement un chercheur en sciences sociales. Malgré tout, par la publication de ce qui constitue finalement un essai, Smaïn Laacher a mis en évidence des enjeux qui interpellent tous les citoyens. J’estime que là se situe sa principale contribution. Au-delà des émotions, du ressentiment et du découragement qui l’ont parfois …

Appendices