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Joie, peur, honte, jalousie, tristesse, reconnaissance ou encore, comme l’égrène l’Académie française, plaisir, vengeance, amour, tendresse, haine, colère, pitié, etc. Mots de la psychologie, mots de la littérature. Mots juridiques ? Certainement pas mots exprimés dans la loi, car des constitutions aux règlements, en passant par les codes, les normes et les textes législatifs utilisent à dessein un vocabulaire technique, neutre, ne laissant transparaître aucune émotion. Même les chartes, qui touchent au plus près des composantes humaines, sont dépourvues de termes exprès à cet égard.

En revanche, sûrement mots du droit, explicites ou non. Il ne peut en être autrement puisque les sentiments sont des réactions humaines et que, sans l’humain, le droit n’est rien.

Les auteurs qui participent à ce numéro thématique ont recherché, en dépassant la parole ou sous cette dernière, en particulier celle de la loi au sens large du terme ou de la magistrature, où se cache le sentiment et la manière dont il s’exprime.

La majorité des réflexions se situent sur le terrain judiciaire, où la proximité du droit et de l’humain est à son paroxysme. Une auteure traite de la place des sentiments carrément dans le prétoire, « espace où les rencontres humaines se font et se défont [et où] l’on peut trouver un concentré de sentiments » (Bernigaud). D’autres s’attachent au raisonnement ou au discours des magistrats, que ce soit le juge administratif français, volontiers en proie au « sentiment d’indignation », parmi d’autres (Deguergue), ou le juge familial québécois dont l’« analyse narrative du récit » fait ressortir douleur et compassion (Landheer-Cieslak et Sautereau). Sur un plan plus général, une auteure débusque « la présence discrète, mais durable » de la sérénité dans le système judiciaire québécois (Plamondon). Parlant de règlement des différends, dans le cadre des médiations, il est essentiel, bien que cela demeure délicat, que le tiers soit à l’écoute des émotions de tous et en « favoris[e] l’expression constructive » (Lafond).

Dans un registre différent, une auteure s’intéresse à une norme touchant les peuples autochtones non pas « sous l’angle de son régime juridique », ce qui est courant, mais en préférant s’attacher à son impact, à la façon dont elle est ressentie par ses destinataires (Farget).

Notons qu’à une exception — notable ! — près, les sentiments et les émotions, leurs proches parentes, ont inspiré la gente féminine. Laissons au lecteur le soin d’en tirer des conclusions, s’il le souhaite, et surtout d’apprécier tous ces textes à leur juste valeur.