Chronique bibliographique

Manon Montpetit, L’atteinte illicite : repenser le droit de la responsabilité en fonction de ses sources, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, 234 p., ISBN 978-2-89730-047-0[Record]

  • Vincent Ranger

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  • Vincent Ranger
    Avocat

À l’heure où, pour plusieurs, l’intégration de la protection des droits et libertés peut sembler un acquis dans le système juridique québécois, Manon Montpetit livre un plaidoyer déterminé pour repenser l’opérationnalisation de ces valeurs dans le droit de la responsabilité au Québec. Forte de sa carrière en droit de la personne, l’avocate entreprend de revoir l’ensemble des concepts qui fondent la responsabilité pour atteinte à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Sous le couvert d’une nouvelle réflexion sur la notion d’« atteinte illicite », Montpetit s’attaque en vérité à l’interaction entre le Code civil du Québec et la Charte québécoise. Et son analyse n’est pas neutre. En effet, l’auteure développe au fil de l’ouvrage une thèse qui est avouée dès les premières pages : les tribunaux amalgament sans raison les règles applicables à la violation d’un droit protégé par la Charte québécoise et celles qui concernent la responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 1457 C.c.Q. Montpetit critique ce que le juge LeBel appelle la « méthode de coordination et de convergence » (p. 12) qui consiste à ce que la violation d’un droit prévu dans la Charte québécoise doive être sanctionnée par l’entremise de la démonstration d’une faute en responsabilité civile. Cette « absorption des normes juridiques prévues à la Charte par le principe de responsabilité civile » (p. 5) devrait, selon l’auteure, laisser place à « une “forme de responsabilité juridique” autonome, fondée sur l’atteinte illicite aux droits et libertés fondamentaux prévus à la Charte, sans que la notion de faute puisse travestir le cadre d’analyse applicable » (p. 7 et 8). Pour convaincre le lecteur, Montpetit a ainsi conçu son argumentaire : démontrer le schisme entre l’utilité de la Charte québécoise et sa force normative dans la jurisprudence (partie 1) ; établir l’existence d’autres formes de responsabilité que celle qui repose sur la faute, le lien de causalité et le préjudice (partie 2) ; et prôner la création d’un régime autonome de responsabilité pour la Charte québécoise fondée sur la simple atteinte illicite (partie 3). En première partie, l’auteure fait un bref historique de l’adoption de la Charte québécoise pour ancrer ce « changement de paradigme » (p. 13) dans la mouvance internationale de la défense des droits de la personne et de lutte contre la place cardinale consacrée à l’autonomie de la volonté. Montpetit compare l’importance de cette innovation avec le piètre état de la protection des droits fondamentaux dans le Code civil du Bas Canada et, surtout, dans la jurisprudence antérieure à l’adoption de la Charte québécoise. Pour elle, « les principes de la primauté du contrat ou de la liberté contractuelle » dans l’ancien Code « ont fait en sorte de faire passer au second plan l’importance de la protection de la personne en tant qu’individu, titulaire de droits opposables à tous » (p. 22). Par des exemples jurisprudentiels classiques où ne s’imposent guère les droits fondamentaux, notamment l’affaire Christie v. York Corporation, l’auteure tente de démontrer la « difficulté de mettre en jeu le concept de faute au profit de la personne lorsque s’y oppose l’exercice de la liberté contractuelle » (p. 33). Bref, elle assoit l’importance que pouvait prendre l’arrivée de la Charte québécoise dans le paysage juridique du Québec, particulièrement en matière de responsabilité civile. La première partie se termine par une excellente revue des décisions de la Cour suprême du Canada depuis les vingt dernières années où le plus haut tribunal a eu à définir ce qui constituait une atteinte illicite à un droit fondamental en vertu de la Charte québécoise. …

Appendices