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L’ouvrage de Me Serge Allard, fort de 296 pages, composé de 14 annexes décrites sur 140 pages, sur un sujet technique, rendu savant, fera le régal des praticiens, notamment des notaires. La copropriété par phases permet à un promoteur immobilier d’envisager la conception d’un projet de construction de condominiums sur plusieurs années et de prévoir les travaux de construction selon l’évolution des ventes d’unités. Cette formule singulière implique que le promoteur procède par étapes. La copropriété par phases permet de regrouper un grand nombre d’unités d’habitation sur un site composé de plusieurs bâtiments. Cette forme particulière de copropriété s’inscrit dans un cadre légal souvent très complexe. Praticien jouissant d’une expertise reconnue dans le domaine du droit de la copropriété au Québec, Me Serge Allard a participé directement à la constitution de plusieurs centaines de copropriétés, notamment par phases. Il connaît donc mieux que personne ce concept juridique de la copropriété par phases pour avoir testé et élaboré des conventions permettant sa mise en place dans un contexte légal hostile. En effet, le Code civil du Québec[1] ne comporte pas de dispositions originales sur la copropriété dite par phases, même si des projets immobiliers l’utilisent au Québec. Le Code civil du Québec ne facilite pas sa constitution et son épanouissement. C’est donc avec grand intérêt que les praticiens apprécieront le travail de compilation savant et inédit effectué par Me Allard dans ce domaine. Avant de décrire les points culminants de cet ouvrage, rappelons que Me Allard a créé la méthode de copropriété par phases selon la procédure des déclarations de copropriétés concomitantes appliquée désormais par la pratique juridique d’une manière généralisée. Cet auteur a su, comme il le dit si bien, provoquer les pratiques et anticiper les usages (p. xvii). Dans cet ouvrage, l’auteur tente d’exposer les problématiques et les solutions apportées par la pratique sur la possibilité de créer une copropriété par phases.

Cet ouvrage découpé en neuf chapitres reprend la question de la copropriété par phases, ses fondements et ses origines (chapitres 1 et 2), explique les opérations cadastrales préparatoires (chapitre 3), décrit les déclarations de copropriété initiale et concomitante (chapitres 4 et 5), précise les modifications apportées à la déclaration de copropriété (chapitres 6 et 7), s’arrête sur les conditions particulières afférentes à la vente des fractions (chapitre 8) et termine par l’apport du notaire expert (chapitre 9).

L’auteur explique très clairement les multiples intérêts de la copropriété par phases. D’une part, les promoteurs ont peu d’intérêt à construire d’un trait plusieurs bâtiments comprenant des centaines d’unités d’habitation. L’intégralité du site ne sera pas non plus donnée en garantie pour financer la construction du premier bâtiment. Ainsi, la copropriété par phases permet une meilleure flexibilité financière en offrant des garanties adaptées et limitées aux bâtiments construits. Le promoteur peut également offrir des garanties à d’autres créanciers qui financeraient la conception ou la mise en marché du projet immobilier. D’autre part, la copropriété par phases met aussi en place un projet dit intégré qui consiste à regrouper plusieurs constructions sur un même terrain détenues par un seul propriétaire et à développer des ensembles résidentiels dans un cadre optimal en termes d’aménagement du territoire, de densité et de développement durable. Par ailleurs, ce projet permet d’échapper à l’application stricte des règles multiples et complexes relatives aux normes de lotissement. La copropriété par phases s’avère donc être un instrument de financement souple et judicieux pour un développement urbain maîtrisé. C’est dans ce cadre bien précis que doit être pensée la déclaration initiale de copropriété par phases et rédigée dans l’intérêt du développeur et des premiers acquéreurs. Elle part d’initiatives privées pour satisfaire une collectivité d’individus vivant sur un site densifié, rentabilisé dont les espaces ont été optimisés afin d’offrir aussi une proximité des dessertes.

Me Serge Allard décrit, rapidement, les différentes méthodes utilisées, notamment la méthode dite Landry, la copropriété « au carré », la méthode de la concomitance des déclarations de copropriété, les servitudes et l’association de copropriétés, la corporation et le fidéicommis et en dresse un bilan très succinct et critique. À l’exception de la copropriété « au carré » tombée en désuétude, les méthodes ont été développées au fil des années par la pratique, chacune comportant ses propres limites. Ces passages auraient mérité davantage d’explications. Deux d’entre elles, les principales, qui peuvent en outre être cumulées, seront ici expliquées. La première, la méthode Landry, conçue par le notaire Bernard J. Landry, propose la constitution d’une même et seule copropriété évolutive, composée de quatre bâtiments sur un même site comprenant un garage souterrain, une piscine extérieure et un terrain de tennis sur les parties communes. Deux modèles de déclarations de copropriété sont rédigées : l’une initiale ; et l’autre, additionnelle. Lors des phases successives, la déclaration subit de multiples modifications.

Cette méthode fut amplement critiquée en son temps par le professeur François Frenette et un certain nombre de notaires, dont Me Roger Comtois et Me Serge Allard. Plusieurs inconvénients engendrés par cette méthode ont été dénoncés : la déclaration initiale, qui assujettit à la copropriété tout l’immeuble du promoteur, doit s’étendre à toutes les parties qui devront, par la suite, être subdivisées lors des phases ultérieures. Le promoteur doit aussi supporter la majorité des charges communes et se faire concéder, par précaution, les droits de vote nécessaires pour obtenir la majorité prescrite par le Code civil du Québec. Cette méthode a été depuis modifiée, par Me Bernard J. Landry lui-même, prônant le recours aux lots transitoires au moyen de modifications successives à la déclaration de copropriété originale.

La deuxième méthode, dite de la concomitance des déclarations de copropriété, oeuvre de Me Serge Allard, permet de rédiger une première déclaration de copropriété qui sert de base à l’établissement de copropriétés distinctes, elles-mêmes régies par des déclarations de copropriété subséquentes. Les différentes phases sont autonomes et indépendantes. Cette méthode a été facilitée du fait de l’entrée du Code civil du Québec qui a notamment abrogé l’article 19.2 de la Loi sur le cadastre[2]. Ainsi, l’article 3030 du Code civil est devenu la norme de référence en matière d’immatriculation des parties privatives et communes. Cette méthode consiste alors à créer de nouvelles copropriétés sur les parties privatives d’une copropriété déjà établie. Une déclaration de copropriété initiale est publiée sur un terrain avec un syndicat de copropriétaires. Ensuite, chaque immeuble (copropriété verticale) ou ensemble de maisons individuelles (copropriété horizontale) construits sur les parties privatives de ce terrain, divisés en lots, feront l’objet d’une déclaration de copropriété dite concomitante. Ainsi, plusieurs lots sont construits sur les parties privatives de ce terrain. Cette subdivision n’exige pas de modifications à la déclaration initiale mais seulement une publication de copropriétés concomitantes. Également, il existe dans la copropriété par phases deux niveaux de syndicats, celui de la copropriété initiale et ceux des copropriétés concomitantes. Me Serge Allard s’ingénie à nous expliquer dans son ouvrage de référence chaque étape utile : des opérations cadastrales à la rédaction de la déclaration initiale et ses multiples modifications, en passant par la rédaction complexe de la déclaration des copropriétés concomitantes jusqu’aux conditions particulières de la vente des fractions.

La copropriété par phases, technique ambitieuse, est soumise aux règles traditionnelles du droit de la copropriété. Ainsi, Me Serge Allard décrit les problèmes juridiques soulevés par cette copropriété singulière et démontre comment les professionnels et les notaires doivent faire preuve d’ingéniosité et d’expertise. Le promoteur préfère acquérir progressivement le site au fil des ventes des unités. Or, cela contrevient aux multiples prescriptions du Code civil du Québec, notamment celle qui impose que l’immeuble soit immatriculé pour toutes ses parties et que le promoteur soit propriétaire de l’intégralité du site. Ainsi, de la lecture combinée des articles 3030, 3041 et 1059 du Code civil du Québec, le développeur ou le vendeur des terrains devra assujettir l’immeuble entier à la copropriété par phases décidée par le promoteur, à moins de prévoir des modifications successives à la déclaration pour ajouter des terrains. Me Serge Allard reconnaît que certains aménagements conventionnels face aux règles usuelles, manifestement inadaptées, sont moins heureux que d’autres. Il fournit à cet égard de multiples exemples. L’article 1064 du Code civil du Québec qui impose la répartition des charges communes au prorata des valeurs relatives pose une difficulté lors du développement progressif du site. Certaines parcelles de terrain seront inutilisées ou en friche et devront tout de même faire l’objet d’une répartition de charges communes calculée sur des fractions en attente de développement. Une alternative a été proposée par un notaire, Me Jacques Dorais : celle de constituer des parties communes à usage restreint temporaires au moyen de l’exception légale prévue par l’article 1064 du Code civil du Québec. Toutefois, le promoteur ne sera dispensé que des charges de services.

Autre exemple d’incompatibilité législative avec la technique de la copropriété par phases : les multiples règles impératives du Code civil du Québec, mentionnées aux articles 1090, 1096-1100, 1101, 1102, 1108, 1041, 1049, 1073, sont difficilement conciliables avec les désirs de souplesse et de flexibilité souhaités par les promoteurs d’immeubles lors d’une copropriété par phases. Toutes les décisions concernant l’évolution de la copropriété, les modifications apportées à l’acte constitutif de la copropriété ou à l’état descriptif des fractions ou à la destination de l’immeuble incombent à l’assemblée des copropriétaires. Le promoteur, même détenant 90 p. 100 des voix de tous les propriétaires, en raison de la double majorité prévue aux articles 1097 et 1098 du Code civil du Québec, pourrait se voir imposer le véto des premiers acquéreurs.

Autre exemple, l’obligation de constitution d’un fonds de prévoyance de 5 p. 100 affecté aux travaux majeurs sur les parties communes prévues aux articles 1071 et 1072 du Code civil du Québec paraît aussi inadaptée dans le cas d’une partie commune ne comprenant aucun bâtiment et représentant une voie d’accès ou des espaces naturels. Ainsi, l’application stricte des dispositions d’ordre public du Code civil du Québec fragilise les modalités de la copropriété par phases. Des modifications législatives quant à la constitution de la copropriété, la division cadastrale des immeubles et la rédaction des déclarations de copropriété sont donc souhaitées par les promoteurs et les notaires intervenant dans ce domaine. Me Serge Allard n’hésite donc pas à nous interpeller sur la diversité des difficultés juridiques en des termes bien expliqués et maîtrisés. Les moindres détails de la complexité ne sont pas épargnés lorsqu’il évoque, par exemple, la difficile nécessité d’obtenir le consentement du créancier hypothécaire quant à l’autorisation des opérations cadastrales ou l’obligation de mesurage des stationnements situés en sous-sol des bâtiments et leur qualification possible en parties privatives plutôt qu’en partie commune à usage restreint. Il nous indique utilement que le Programme d’accession à la propriété de la Ville de Montréal permettant de déduire la valeur de l’espace de stationnement du prix de la vente est plus favorable à la qualification en parties privatives. On l’aura compris, la copropriété par phases représente un travail minutieux de rédaction et de prévision contractuelle ne s’adressant qu’à des notaires spécialistes. La copropriété par phases est l’exemple même du contrat évolutif par nature et est soumise à des fortes pressions d’ordre tant financier que juridique.

Nous ne pouvons que joindre notre voix à celle de Me Serge Allard qui recommande l’intervention du législateur dans le domaine de la copropriété par phases quasiment méconnu et désertique. Aucune disposition juridique spécifique n’a été envisagée. Non seulement les opérations cadastrales multiples et déterminantes pour l’avenir de la copropriété par phases doivent être repensées, mais encore la formation des notaires et leur accompagnement par la chambre des notaires, dans ce défi périlleux de la copropriété par phases, doivent intervenir rapidement. Une collaboration efficace doit être mise en oeuvre entre les notaires, les arpenteurs-géomètres, les architectes et les ingénieurs. En effet, le mesurage des bornes cadastrales par les seuls arpenteurs-géomètres peut mettre à mal le projet entier.

Par ailleurs, la copropriété semble, à la lecture de cet ouvrage fort instructif, souffrir de certaines gênes : aucune formation spécialisée n’étant exigée, le public ne peut dès lors, en s’adressant à la Chambre des notaires, être protégé en choisissant un notaire accrédité. La pratique de la copropriété génère en outre un taux de sinistralité important. Par ailleurs, Me Serge Allard dénonce plusieurs pratiques. Les notaires se trouvent en position de vulnérabilité, marchandant souvent leurs multiples prestations aux clients-promoteurs en échange de l’exclusivité des services de passation des actes de vente en faveur des acquéreurs. Me Serge Allard explique très clairement les méandres de la copropriété par phases et fait part de ses inquiétudes légitimes. Les notaires, non rémunérés ou mal rémunérés, se voient imposer la rédaction et le conseil d’actes complexes qui requièrent soin et expertise. La responsabilité du notaire pourrait être engagée lors d’un dysfonctionnement de la déclaration de copropriété ou d’une erreur lors de la division matérielle de l’immeuble. Ainsi, dans le domaine de la copropriété par phases, le notaire doit redoubler d’efforts, d’ingéniosité et de diligence dans sa pratique au demeurant complexe et solitaire. La liste des services que le notaire sera amené à offrir au promoteur, au développeur et aux acquéreurs, énumérée sur quatre pages par Me Serge Allard, donne véritablement le vertige, compte tenu de sa longueur, de sa diversité et de sa complexité.

Cet ouvrage tombe à point nommé puisque des réflexions actuelles sont en cours de discussion dans le cadre de la réforme des règles portant sur la copropriété divise. À ce titre, un rapport rédigé par le Comité consultatif sur la copropriété[3] a proposé un nombre important de recommandations précises, même si, avec regret, aucune ne porte sur le thème précis de la copropriété par phases. Il est donc temps de mûrir des réflexions à partir de cet ouvrage riche en propositions qui offre un corpus cohérent de règles et de conventions, s’inscrivant alors dans une conception rénovée du droit de la copropriété.