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Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada. Une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, Montréal, Boréal, 2018, 416 p.[Record]

  • Antoine Brousseau Desaulniers

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  • Antoine Brousseau Desaulniers
    Candidat au doctorat, UQAM

Il est couramment admis chez les spécialistes de la politique québécoise et canadienne que la mise sur pied et la conduite de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme – communément appelée commission Laurendeau-Dunton – est un évènement phare de la décennie 1960. Elle figure comme l’une des principales entreprises qui, au fil de l’histoire contemporaine du Canada, se sont penchées sur une question fondamentale de la vie politique du pays : comment le fédéralisme peut-il assurer la cohabitation harmonieuse des groupes nationaux qui y vivent ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec Panser le Canada, première monographie à lui être exclusivement consacrée, l’historienne Valérie Lapointe-Gagnon atteste avec force la place importante qui est donnée à cette commission dans l’histoire canadienne. Le cadre conceptuel dans lequel l’analyse prend place donne en outre à la commission une portée toute particulière. Aux yeux de Lapointe-Gagnon, en effet, Laurendeau-Dunton représente la saisie du kairos – le moment opportun – pour trouver un remède à la question nationale, qui prend une ampleur nouvelle dans les années 1960. L’un des objectifs de l’autrice est de dépeindre ce « moment Laurendeau-Dunton » où le temps politique est quelque peu freiné pour que la réflexion puisse s’étendre sur une échelle jusque-là inégalée dans la société canadienne. À cet égard, elle explique de manière convaincante les raisons pour lesquelles la commission d’enquête la plus importante de l’histoire, sur le plan des ressources déployées, a été lancée : le nouvel intérêt pour les relations conflictuelles entre le Canada français et le Canada anglais dans les départements universitaires et dans le monde politique au cours des années 1950 et 1960 ; la présence d’intellectuels engagés qui souhaitent apporter leur contribution à la construction d’un pays différent de celui pensé au XIXe siècle ; un premier ministre fédéral – Lester B. Pearson – ouvert aux demandes du Québec ; le développement des sciences sociales ; ou encore la montée de l’indépendantisme au Québec et la peur de la puissance de la culture américaine. Un autre objectif du livre est de montrer comment les intellectuels oeuvrant au sein de la commission ont ébauché les pistes de solutions pour « panser les plaies » du Canada. La pensée des commissaires et de certains de leurs auxiliaires est passée au crible à la faveur d’une utilisation judicieuse d’un corpus de sources diversifié, et certains des acteurs les plus impliqués, ou de ceux qui ont laissé le plus de traces, obtiennent un traitement plus étoffé. En tissant des liens entre les débats des commissaires – encadrés par les mécanismes internes et les façons de faire de la commission, décrits ici avec précision – et les éléments de contexte susmentionnés, Lapointe-Gagnon dépeint ce véritable microcosme des débats linguistiques et constitutionnels des années 1960, et livre ainsi un exposé d’histoire intellectuelle exemplaire qui évite les écueils les plus fréquents de ce courant historiographique. Une des grandes qualités de ce livre est de nuancer le constat d’échec fréquemment attribué à cette commission dans l’historiographie francophone. Certes, l’autrice explique bien qu’entre la vision d’André Laurendeau – qui prônait une véritable refondation du Canada sur les bases de l’égalité entre les deux peuples fondateurs – et celle de Frank Scott – dont la vision multiculturaliste était bien plus proche de celle d’un certain Pierre Elliott Trudeau (qui deviendra d’ailleurs premier ministre pendant les travaux de la commission) –, c’est cette dernière qui l’emportera. En revanche, Lapointe-Gagnon montre aussi comment le moment Laurendeau-Dunton en est un où on a sérieusement considéré toutes les options de réforme du régime politique et où …

Appendices