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Pierre Anctil, Histoire des Juifs du Québec, Montréal, Boréal, 2017, 498 p.[Record]

  • Éric Bédard

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  • Éric Bédard
    Université TÉLUQ

Nul doute, cette Histoire des Juifs du Québec arrive à point. Au début de sa carrière, Pierre Anctil avait éclairé le rapport des milieux nationalistes canadiens-français avec la communauté juive. Grâce à sa connaissance approfondie de la langue et de la culture yiddish, rare chez les Québécois de langue française, il a traduit et fait connaître des auteurs juifs marquants, trop longtemps ignorés par les chercheurs québécois. Anctil ne s’est donc pas contenté d’étudier nos représentations des Juifs, c’eut été déjà beaucoup, il s’est aussi employé à comprendre de l’intérieur toute une communauté. La synthèse qu’il nous propose est une somme, nourrie par une véritable érudition, des réflexions stimulantes, mais aussi par un art de la nuance et de la mesure qui sert bien une histoire à la fois complexe et tragique. Durant les années 1990, cette histoire avait été instrumentalisée par des esprits militants qui entendaient faire le procès du nationalisme canadien-français. Même si on sent son empathie pour une communauté qui a vécu de grandes épreuves, Pierre Anctil cultive une salutaire distance avec son objet d’étude. Au lieu de condamner ou d’absoudre, il cherche à comprendre les représentations et les aménagements institutionnels de la société qui accueillait ces nouveaux arrivants en même temps que le destin particulier de femmes et d’hommes qui, fuyant souvent de terribles persécutions, arrivaient avec des traditions, des idées, une culture. Ce ton posé, cette distance de chercheur, ce refus de la polémique conviennent parfaitement à un sujet qui enflamme parfois les esprits. La synthèse d’Anctil est divisée en sept chapitres. Sans surprises, vu l’importance de cette vague migratoire et les intérêts de recherche de l’auteur, le coeur de l’ouvrage porte sur la communauté yiddishophone originaire d’Europe de l’Est, victime de pogroms à la fin du XIXe siècle. Les Juifs arrivés avant 1900 et après la Seconde Guerre mondiale sont étudiés plus rapidement et les pages qui en traitent se fondent généralement sur des travaux publiés par d’autres chercheurs. Le dernier chapitre, plus impressionniste, propose une série de portraits de Juifs qui ont fait leur marque dans divers secteurs : littérature, chanson, politique, droit, architecture, etc. Le coeur de l’ouvrage porte donc sur une période relativement brève qui va de 1900 aux années 1940. Pour éclairer cette période dense dans l’histoire des Juifs du Québec, Anctil cite des journaux francophones et yiddish, des archives du Congrès juif canadien (entre autres), des ouvrages parus à cette époque, sans parler de travaux spécialisés dont il est parfois lui-même l’auteur. Les vertueux prêchent souvent « l’ouverture à l’Autre », une posture évidemment préférable à celle des préjugés et de l’enfermement. Mais cette formule réduit parfois l’Autre au Même. Les nouveaux arrivants qui s’installent parmi nous vivaient dans des sociétés complexes, traversées par des courants de pensée, des classes sociales, des convictions. Pour peu qu’on s’intéresse vraiment à l’Autre, on découvre par exemple que les Portugais des Açores ou du continent, que les Italiens du Sud ou du Nord, que les Libanais chrétiens ou musulmans, que les Irlandais catholiques ou protestants, s’ils ont des caractéristiques communes, sont bien différents les uns des autres, qu’ils transportent souvent avec eux de vieux conflits, voire des haines ancestrales. Il en va de même des Juifs du Québec, comme le montre bien Pierre Anctil. Le clivage le plus évident était social. Les Juifs issus de la première immigration arrivés avec les Britanniques à partir du XVIIIe siècle, les « uptowners », étaient déjà bien intégrés à l’ensemble canadien. S’ils déploient des efforts considérables pour accueillir les Juifs d’Europe de l’Est, ces bourgeois prônaient « une assimilation rapide des yiddishophones à …

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