Article body

LE 11 MAI 1941, VERS 17 H, UNE SIRÈNE ANNONÇA la présence d’avions ennemis à proximité de la ville. Aussitôt, 200 personnes, des policiers, des pompiers, des médecins, des infirmières, des courriers, sortirent en automobile, en camion, à vélo ou à pied pour se rendre à leurs postes. Le Corps des volontaires civils (CVC), l’organisme provincial de défense civile, reçut trois appels d’incendie et dépêcha ses pompiers auxiliaires, qui s’empressèrent de se diriger vers les lieux pour prévenir la propagation des flammes[1]. Cette scène ne se déroulait pas en Angleterre, ni en Allemagne, mais dans la petite ville d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick, à plus de 4 700 km de Londres et à plus de 5 500 km de Berlin. La ville ne compta aucun incendie ce jour-là, mais le premier d’une série d’exercices de défense civile. Depuis quelques mois, Martin Thériault, président local du CVC, préparait ses volontaires en cas d’attaque. Le 17 octobre, à 19 h 30, une autre simulation de bombardement aérien se déroula, cette fois sous les yeux attentifs des autorités provinciales. Des brancardiers conduisirent des dizaines de blessés vers les postes de secours.  Les responsables du transport déplacèrent en lieu sûr près de 200 personnes qui perdirent leurs maisons, du moins le temps de l’exercice. Les soldats du camp d’entraînement local se joignirent au CVC et s’installèrent pour monter la garde devant les services stratégiques tels que les réservoirs d’eau, les installations électriques et le poste de télégraphe. À la fin, les participants se rendirent au palais de justice, où H.M. Armstrong, secrétaire du comité provincial du CVC, et le colonel Kaye, représentant de la Croix-Rouge, félicitèrent les volontaires d’Edmundston et se déclarèrent enchantés de cette démonstration[2].

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Nouveau-Brunswick compta au moins 85 comités similaires, affiliés au CVC, qui préparèrent les collectivités à prendre des mesures non militaires pour assurer leur sécurité en cas d’attaque ennemie[3]. Le premier ministre, John B. McNair, dirigea les efforts, appuyé par une armée de volontaires et d’anciens combattants. À partir de juillet 1940, ils formèrent le New Brunswick Civilian Volunteer Corps, mieux connu sous son abréviation CVC, pour chapeauter les actions provinciales et préparer la population au pire. Plus de 28 000 personnes, soit environ un dixième des habitants des villes et des villages organisés, participaient à ses activités à titre de membres officiels, surtout des hommes ainsi qu’un petit nombre d’infirmières.

Cet engagement des Néo-Brunswickois envers leur propre sécurité contraste les constats de l’historiographie et soulève par la même occasion de nombreuses questions quant à leurs motivations. Les historiens commencent à peine à analyser le phénomène, mais ceux qui ont traité du sujet ont souligné à la fois les échecs du gouvernement fédéral ainsi que le peu d’intérêt des Canadiens envers la défense civile. Anne Fisher soutient que ces derniers participèrent de manière inconstante aux activités, à cause de l’éloignement de l’ennemi et du risque peu élevé d’une attaque[4]. André Lamalice présente un argument semblable, selon lequel la sécurité civile occupa une fonction accessoire et manqua de crédibilité auprès de la population canadienne en raison du manque d’engagement du fédéral dans ce domaine. Il affirme cependant que les années de guerre stimulèrent un sentiment de responsabilité individuelle en matière de défense et que la perception à cet égard variait d’une région à l’autre du pays[5]. Dans l’ensemble, ces travaux s’intéressent surtout à la participation du gouvernement fédéral, dont le rôle se résumait à une certaine coordination nationale des efforts ainsi qu’au financement des initiatives provinciales et municipales. Aucun chercheur n’a vraiment analysé les programmes de l’intérieur, à l’exception d’une brève incursion par Serge Durflinger. Ce dernier a abordé la question dans une étude sur la ville de Verdun en guerre. Il a constaté que ces groupes de protection servaient d’exutoire patriotique. Si la communauté compta un comité de défense civile bien rodé, il souligna que beaucoup de citoyens ne sentaient pas le besoin d’y participer[6]. David McConnell a aussi montré quelques caractéristiques des programmes de protection contre les raids aériens, mais il a limité ses explications à quelques faits sur le Nouveau-Brunswick[7]. Pour le reste, les historiens se sont intéressés surtout à la défense civile en tant que manifestation de la guerre froide, à l’ère où le nucléaire transformait la nature de la menace[8].

De manière à offrir une perspective différente du phénomène, le présent article propose une analyse des initiatives provinciales de défense civile mises en œuvre au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Il rapproche l’enquête des véritables acteurs, c’est-à-dire les citoyens, les administrations municipales et les gouvernements provinciaux, pour dégager les motivations derrière leur participation. Si plusieurs des constats de l’historiographie sont observés au Nouveau-Brunswick, l’analyse du CVC permet de conclure qu’un grand nombre de Néo-Brunswickois considéraient la menace comme très sérieuse et jugeaient que la situation requérait des préparatifs substantiels. Une attaque semblait très peu probable, mais les civils ignoraient la capacité d’action ennemie. Dans ces conditions, un mélange d’insécurité et de patriotisme poussa le gouvernement provincial et les citoyens à prendre en main la défense civile de la province et à se doter d’un organisme pour assurer leur sécurité. L’étude du cas du CVC offre ainsi un aperçu non seulement du phénomène de la défense civile, mais également d’une facette de l’état psychologique de la population et de la manière dont elle vécut le conflit.

La recherche repose sur le dépouillement exhaustif des fonds des Archives provinciales du Nouveau-Brunswick concernant le CVC, composés essentiellement de lettres au sujet de l’organisation quotidienne des activités. Malgré un contenu limité, les lettres fournissent des indications pertinentes sur la perception de la défense civile par les citoyens et les principaux acteurs durant différentes périodes de la guerre. Les documents du gouvernement fédéral conservés à Bibliothèque et Archives Canada ont aussi été mis à contribution. Le texte se divise en trois sections chronologiques. La première partie s’intéresse à l’organisation fédérale de la défense civile. Il sera ensuite question de la prise en charge provinciale de cette responsabilité et, enfin, des conséquences du changement de politique fédérale après l’attaque de Pearl Harbor.

Les origines fédérales de la défense civile et la ville de Saint John

Avant même le début des hostilités, les transformations apportées à l’art de la guerre annonçaient une plus grande vulnérabilité des civils. Les progrès technologiques dans le domaine de l’aviation accentuaient la capacité à frapper les cibles militaires, industrielles ou civiles d’un ennemi à distance. Les belligérants expérimentèrent l’étendue de cette arme durant la Première Guerre mondiale, la guerre sino- japonaise et la guerre civile espagnole. Le Canada se trouvait certes à une grande distance de ses ennemis potentiels, mais les vols transatlantiques frappèrent l’imaginaire dans l’entre-deux-guerres et contribuèrent à rapprocher physiquement et psychologiquement l’Amérique de l’Europe. L’océan Atlantique demeurait un obstacle considérable, mais il ne formait plus la même barrière protectrice. Le ministère de la Défense considérait qu’une attaque aérienne ne pouvait être exclue[9].

En conséquence, quelques préparatifs s’imposaient, surtout à la suite des échecs diplomatiques européens et de la possibilité grandissante d’une guerre. Le 14 mars 1938, le Conseil privé créa une série de comités dédiés à la défense, dont le Comité interministériel sur la protection antiaérienne (ARP), responsable de coordonner les dispositions non militaires pour minimiser les effets d’une attaque ennemie. Les ministres considéraient que la défense civile relevait surtout du bien-être moral et physique de la population plutôt que de la défense traditionnelle. Pour cette raison, le ministère des Pensions et de la Santé nationale obtint la responsabilité de coordonner les activités et de préparer les civils contre de possibles attaques aériennes, en collaboration avec les autorités militaires et les associations non gouvernementales comme la Croix-Rouge et l’Ambulance Saint-Jean[10]. Le ministère de la Défense demeurait cependant responsable de la désignation des régions à risque qui recevaient un soutien direct pour l’organisation de comités locaux de l’ARP. L’état-major, qui percevait la défense civile comme une activité marginale, estimait que les maigres ressources fédérales attribuées à cette cause devaient servir à la protection des lieux stratégiques. En conséquence, au Nouveau- Brunswick, seul Saint John obtint le statut de zone à risque, le 15 août 1938, en raison de ses activités portuaires[11]. Le reste de la province revêtait peu d’intérêt.

L’ARP et le ministère des Pensions et de la Santé nationale ne prévoyaient pas prendre en charge l’ensemble de la défense civile du pays, mais plutôt offrir un soutien aux initiatives qui émaneraient des provinces et des municipalités. Puisque l’organisation des activités reposait sur des services dirigés par les provinces et les municipalités, par exemple la police, les pompiers et les soins de santé, le gouvernement fédéral considérait que sa participation directe brimerait leurs champs de compétence[12]. Dans ces conditions, il revenait aux gouvernements provinciaux ainsi qu’aux citoyens de prendre des mesures pour leur protection. Le ministère des Pensions et de la Santé nationale leur fournira de l’information et de petites sommes d’argent.

Après la création de l’ARP, l’organisation de la défense civile demeura au point mort pendant plusieurs mois. Une mise en place précoce cadrait mal avec les objectifs immédiats du gouvernement fédéral, qui désirait limiter les dépenses, éviter d’affoler inutilement la population et éviter de donner l’impression que le Canada se dirigeait vers une participation militaire dans un conflit européen avant même une décision du Parlement à cet effet. De plus, la défense civile passait bien après l’organisation du réarmement dans la liste de priorités des ministres et des hauts fonctionnaires[13]. Ce n’est qu’en août 1939, lorsque la guerre devint imminente, que le Dr R.E. Wodehouse, sous-ministre des Pensions et de la Santé nationale, rencontra les premiers ministres des provinces pour les inciter à organiser la sécurité de leur territoire. Par la même occasion, le fédéral fournit la modeste somme de 5  000  $ à chacune d’elles, en plus d’offrir un montant équivalent à l’Ambulance Saint-Jean. Le Ministère disposait d’un maigre budget de 150 000 $ pour payer le coût des badges d’identification des membres des forces de défense civile, de l’équipement de premiers soins, des vêtements protecteurs et de l’impression de documents d’information[14].

La Ville de Saint John créa son comité de l’ARP quelques jours avant le déclenchement des hostilités. Plusieurs rencontres se tinrent les premiers jours de septembre en réaction au début des combats en Europe. Les responsables de la sécurité civile y participèrent dans le prolongement habituel de leur emploi. Le maire dirigea le comité, appuyé par des agents municipaux. Ils recrutèrent ensuite des volontaires sur la base de leur patriotisme. Le dossier militaire servait à mesurer la capacité à occuper des fonctions importantes. Par exemple, W.J. Ryan obtint le poste de directeur du comité de l’ARP de Saint John. Son dossier militaire exemplaire lors de la Première Guerre mondiale convainquit le procureur général de la province et ministre de la Santé et du Travail, John McNair, de retenir ses services. Ryan possédait également une expérience considérable en matière d’engagement communautaire au sein de différents comités bien en vue tels que la Légion canadienne et la British Empire Service League[15].

Dès les premières semaines, l’organisation de la défense civile généra un enthousiasme chez les anciens combattants. L’ARP de Saint John espérait recruter 100 personnes parmi les membres de la Légion canadienne. Finalement, c’est plus de 270 d’entre elles qui se portèrent volontaires, anxieuses de servir à nouveau leur pays. Ces personnes bénéficiaient d’un capital de sympathie élevé en raison de leur expérience militaire, qui selon les dirigeants de l’ARP donnait une propension à surpasser le stress et garantissait leur patriotisme ainsi que leur dévouement. Ces anciens soldats, équipés de sifflets, de lampes de poche, s’organisaient en équipes de 5 à 12 dans les quartiers[16]. Ils s’assuraient de savoir où se trouvaient les interrupteurs pour éteindre les lumières de la ville lorsque l’ARP en donnerait le signal et veillaient au respect des règlements fédéraux en la matière.

Dès la fin de septembre, le comité organisa ses premiers exercices d’obscurcissement dans le but de vérifier sa capacité d’action. Lors de ceux-ci, les règlements fédéraux imposaient une certaine conduite aux citoyens. Au son de la sirène, les automobilistes devaient stationner et céder le passage aux véhicules d’urgence. Les règlements restreignaient l’usage extérieur d’ampoules électriques ainsi que l’éclairage des enseignes commerciales[17]. La collaboration populaire s’avérait indispensable au succès des opérations, ce qui passait inévitablement par une période de sensibilisation. Les premiers exercices témoignent d’ailleurs de nombreuses difficultés. Dans l’ensemble, les citoyens collaborèrent, mais le comité nota plusieurs lacunes. Quelques commerces refusèrent d’éteindre leurs lumières. Lors du premier test, beaucoup de gens se dirigèrent vers l’extérieur et assiégèrent la rue plutôt que de trouver refuge à l’intérieur. Des camions militaires en direction du camp de Sussex refusèrent de s’immobiliser[18]. Les premiers tests montrèrent également certains problèmes logistiques. Leur faible puissance ne permettait pas aux sirènes de propager le signal à tous les quartiers de la ville. Certaines lumières de rue ne pouvaient être éteintes à cause d’interrupteurs défectueux[19].

Les membres de l’ARP tentèrent de corriger ces lacunes dans les semaines suivantes. Cependant, après l’enthousiasme des premiers jours, la défense civile à Saint John tomba dans une lassitude. En l’absence d’actions militaires notables sur le front de l’Ouest avant le printemps de 1940, le maintien de l’ARP exigeait une lutte contre l’inertie. La situation démontrait par la même occasion le caractère marginal du comité. Ses membres décidèrent par exemple de ne pas tenir d’exercices lors des jours d’activités portuaires importantes ni pendant la période des fêtes pour ne pas nuire aux commerçants. Le 19 janvier 1940, le maire convoqua une réunion dans le simple but de maintenir les volontaires actifs. Il organisa aussi au cours de l’hiver des formations de secourisme pour lutter contre la lassitude qui s’instaurait. L’équipement de lutte contre le feu, tel que les combinaisons d’isolation thermique en amiante, les lances d’incendie et les badges d’identification, tardait à arriver, ce qui limitait la possibilité de s’exercer à l’utiliser. L’été ne s’annonçait guère plus actif car une bonne partie du comité se composait de gens plutôt aisés qui passaient les vacances à la campagne, soit entre 60 et 75  % des membres, et la guerre ne semblait pas les inciter à changer leurs activités estivales[20]. Il faut dire qu’à cette période l’ennemi avait fort à faire pour atteindre cette petite ville sans grande importance pour l’effort de guerre allié.

L’organisation du CVC

Avant l’été de 1940, le gouvernement du Nouveau-Brunswick participa peu à la défense civile, à quelques exceptions près. Ses activités se limitèrent à la formation d’un comité d’urgence le 29 août 1939, après la visite de Wodehouse, et au soutien de l’organisation de l’ARP à Saint John. À l’automne de 1939, la campagne électorale dominait la scène politique provinciale et la défense civile ne figurait pas parmi les priorités des partis. Le scrutin du 20 novembre reconduisit les libéraux au pouvoir. À leur tête se trouvait Allison Dysart, un chef malade, qui céda sa place à John McNair en mars 1940. Celui-ci, un avocat très attaché à la Grande-Bretagne, ancien combattant de la Première Guerre mondiale, partisan de l’impérialisme, estimait que son gouvernement avait l’obligation et le devoir moral de faire tout en son pouvoir pour appuyer l’effort de guerre. McNair s’inquiétait de la vulnérabilité de sa province aux agressions ennemies, surtout à la suite des défaites alliées en Europe. Dès la fin de mai 1940, il demanda à Ian Mackenzie, ministre des Pensions et de la Santé nationale, et à des représentants du ministère de la Défense d’ajouter Moncton à la liste des zones vulnérables aux attaques aériennes pour y créer un comité de l’ARP[21]. À la suite de la capitulation de la France en juin, McNair exigea que l’ensemble du Nouveau-Brunswick obtienne la désignation de région vulnérable selon les termes de l’ARP. Le ministère de la Défense jugea que seul Saint John et, dans une moindre mesure, Moncton, qui s’ajouta à la liste, méritaient ce statut, puisque le reste de la province revêtait peu d’intérêt stratégique pour l’ennemi[22].

En réaction à ce refus, McNair organisa, en juillet, un comité provincial pour coordonner les efforts de mobilisation des volontaires pour la défense civile de sa province. Le New Brunswick Civilian Volunteer Corps, le CVC, se donna pour mission de protéger les civils par des interventions non militaires en cas d’actions ennemies. Le comité pouvait également être appelé à intervenir lors de catastrophes naturelles, mais sa fondation répondait à des impératifs de guerre. Même sans lien officiel avec le ministère de la Défense, McNair percevait la création de ce comité comme une extension indispensable de l’effort militaire. À son avis, les milliers de civils qui se retrouvèrent sans encadrement sur les routes européennes à la suite des offensives allemandes nuisaient aux déplacements des troupes, ce qui contribua selon lui à la victoire allemande[23]. Pour cette raison, il estimait que la défense civile ne pouvait s’effectuer de manière cohérente sans une collaboration étroite avec les autorités militaires. Il conserva la profonde conviction pendant toute la guerre que cette fonction méritait d’être encadrée de plus près par le ministère de la Défense. Puisque le gouvernement fédéral avait choisi de reléguer cette tâche aux provinces et aux municipalités, McNair considérait qu’il incombait à son gouvernement de préparer ses citoyens et de prévenir un fiasco[24]. Le sérieux et les efforts soutenus qu’il accorda à cette obligation compensèrent en grande partie le manque d’engagement du fédéral en la matière.

Le CVC s’organisa selon des principes d’autoprotection, sous le paternalisme bienveillant du gouvernement provincial. McNair créa une structure administrative pour chapeauter les efforts à l’échelle de la province, insuffler un leadership et faciliter la collaboration intermunicipale. Le CVC se composait d’un petit comité provincial, dirigé par le premier ministre. Ses membres divisèrent le territoire en huit régions, sous la supervision d’un commandant et d’un vice-commandant qui se rapportaient au comité provincial. Les commandants nommaient des responsables dans chacune des localités, souvent le maire, pour recruter des volontaires et former des comités locaux. Le CVC divisa également ses activités en sous-comités provinciaux, régionaux et municipaux. D’abord, un comité de cantonnement obtint la responsabilité de préparer des endroits où recevoir les soldats et les civils déplacés. Ses représentants préparèrent de l’information à transmettre aux autorités civiles et militaires concernées au sujet des logements, des installations sanitaires et des lieux de repas. Ce comité collaborait avec le comité de transport, qui recensait les automobiles, les camions et les autres véhicules disponibles dans chacune des régions pour déplacer les troupes, les blessés ou les civils. Le comité médical mobilisa des médecins, des infirmières, prépara les hôpitaux, les ambulances et les postes de secours en collaboration avec la Croix- Rouge. Enfin, le comité de protection appuyait les policiers et les pompiers dans l’exercice de leurs fonctions. De plus, les municipalités pouvaient assermenter des constables spéciaux et leur confier certains pouvoirs pour aider la police lors des entraînements de défense civile[25]. Dans bien des cas, les préparatifs du CVC s’organisèrent en collaboration étroite avec certains services gouvernementaux et certains organismes déjà en place, qui offrirent un soutien indispensable à son succès. Par exemple, la province maintint la mission traditionnelle de la Croix-Rouge lors de désastres, qui devait fournir de la nourriture aux déplacés ainsi que des soins de longue durée aux blessés. La Croix-Rouge dressa par la même occasion une liste d’infirmières qui pouvaient offrir une aide en cas d’urgence[26].

En septembre 1940, le CVC entama officiellement ses activités. Les organisateurs réussirent à recruter des citoyens soucieux de protéger leur foyer. McNair lança d’abord un appel aux anciens combattants. À son avis, ces personnes détenaient les compétences pour prendre en charge une situation critique[27]. Des anciens combattants occupèrent rapidement plusieurs rôles clés au sein de l’organisme. Par exemple, peu de temps après la création du CVC, les 16 postes de commandant et de vice-commandant de la province étaient pourvus par d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale[28]. L’invitation à participer à la défense civile ne se limitait pas à ce groupe. Tous les volontaires pouvaient s’engager au sein des différents comités. Les efforts d’organisation jumelés à l’enthousiasme de nombreux Néo-Brunswickois permirent de mettre rapidement en place les structures de l’organisme. En date du 8 octobre 1940, au moins 46 localités, surtout les plus populeuses, possédaient leur comité local du CVC, et plusieurs autres, surtout de plus petits villages, étaient en voie d’en former un[29]. Au 1erjanvier 1941, alors que la structure continuait à prendre forme, la défense civile comptait environ 15 000 membres, 1 420 camions et 4 902 automobiles disponibles en cas d’urgence, 106 docteurs, 441 infirmières et 711 civils formés pour prodiguer les premiers soins[30].

Les événements de la guerre tels que la chute de la France et les avancées allemandes fournissaient certes des histoires persuasives pour inciter les citoyens à participer à la défense civile. La popularité du CVC s’explique également par la propagande exercée par les dirigeants provinciaux. Ces derniers cherchèrent à accentuer le niveau de stress de la population pour l’inciter à prendre en main sa protection. Par exemple, McNair prononça un discours radio à cette fin le 24 octobre 1940. Il souligna les nombreuses avancées des « Huns », qui n’hésitaient pas à cibler les civils, à détruire la propriété privée et à recourir à des pratiques inhumaines pour saper le moral des gens qui défendaient la cause de la liberté. La guerre totale que menait l’Empire britannique, selon McNair, nécessitait une défense totale et la participation de tous les citoyens[31].

Même si le gouvernement provincial accorda peu de fonds pour organiser cette propagande, il ne ménagea pas les efforts. Les organisateurs utilisèrent tous les moyens à leur disposition. Le comité provincial distribua des affiches, des tracts, organisa des projections de films concernant la défense civile, les conséquences d’une attaque ou les risques de sabotage[32]. Ensuite, les préparatifs constituaient une forme de publicité en eux-mêmes. À peu près tous les citoyens étaient concernés. Par exemple, les écoles adoptèrent certaines procédures à suivre pour protéger les enfants. Les exercices d’incendie s’intensifièrent. Les parents reçurent des mémos leur demandant de ne pas se précipiter à l’école en cas d’attaque[33]. Les hôpitaux obtinrent de l’équipement supplémentaire et leur personnel reçut des formations sur les procédures d’urgence. Le CVC demanda aux familles de conserver trois gallons de sable, une échelle, une petite hache, des gants, des masques et une lampe de poche dans leur maison[34]. Les préparatifs touchaient ainsi de près ou de loin la plupart des citoyens.

La province se tourna aussi vers des mesures autoritaires pour faire respecter ses règlements et affermir le pouvoir de la défense civile. Le 1eravril 1941, McNair présenta un projet de loi, adopté sans opposition, pour que les agents du CVC obtiennent automatiquement le statut de constables spéciaux. Cette désignation leur permettrait d’agir au même titre qu’un policier dans le cadre des activités de défense civile. Les constables devaient être âgés d’au moins 21 ans, être citoyens britanniques et ne pas être aptes au service militaire[35]. Ils veillaient au respect des règlements durant les exercices de défense civile autorisés ainsi que pendant et après une attaque ennemie. Les constables étaient identifiés par des brassards qui exhibaient les lettres CVC, en plus de disposer d’une carte d’identité distincte[36].

Cette première phase d’organisation du CVC reposait aussi sur l’idée d’une responsabilité citoyenne envers l’effort de guerre. À Edmundston, ville située loin des côtes, les dirigeants locaux estimaient la menace à peu près nulle. Cependant, la population se souvenait d’un déraillement de train de soldats survenu à quelques dizaines de kilomètres de la ville, à Lac-Baker, au cours de la Première Guerre mondiale. Lors de l’événement, les secours tardèrent à arriver sur les lieux à cause d’un manque d’organisation. Dans une situation semblable, la région disposerait dorénavant d’un organisme prêt à agir. Les dirigeants locaux estimaient qu’il était de leur devoir de se préparer à ces éventualités[37].

Dans l’ensemble, les Néo-Brunswickois répondirent bien à l’appel du gouvernement provincial. Le CVC rencontra quelques difficultés dans certaines localités, mais ces cas font figure d’exception. Par exemple, à Chatham et à Newcastle, dans le comté de Northumberland, les organisateurs ne prenaient pas très au sérieux l’organisation de la défense civile et manquaient de constance dans la planification des mesures de sécurité. H. Armstrong, le secrétaire provincial du CVC, écrivit au shérif de Chatham pour qu’il agisse en faveur de la relance des activités. Il en profita pour alarmer ce dernier lorsqu’il affirma : « I might say in confidence that the situation is more serious than the general public realizes and Chatham would be one of the probable vulnerable areas by early next spring[38]». Dans les faits, Armstrong ignorait à peu près tout de la nature réelle du danger, tout comme les autres dirigeants du CVC. Le responsable régional de Northumberland démissionna à la fin de novembre 1940, remplacé par une personne plus proactive[39]. Dans des cas similaires de mauvaise gestion locale, le leadership exercé par Fredericton assura une transition de la direction.

Malgré tous les efforts, le CVC devint une organisation à la hauteur de ses ambitions seulement à partir du milieu de 1941. Le problème provenait de la Loi sur la défense nationale, qui intégrait bien mal le partage des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provincial concernant la défense civile. Par exemple, le 28 août 1940, l’ARP ordonna aux régions à risque de ne pas allumer de lumières qui ne pouvaient être éteintes dès le signal donné. Les commerces reçurent l’ordre de ne pas éclairer leurs enseignes. Les autorités provinciales désiraient imposer une réglementation identique au reste de la province, mais le CVC ne détenait pas ce pouvoir, ni celui d’organiser des exercices d’obscurcissement sans une autorisation de l’ARP. Le ministère de la Défense et le ministère des Pensions et de la Santé nationale ne partageaient pas les mêmes priorités que les membres du CVC, au grand désarroi de nombreux Néo-Brunswickois. À l’inverse, ces derniers ne disposaient pas de l’information nécessaire pour comprendre les véritables enjeux militaires. Ils estimaient que leurs foyers méritaient une protection plus importante et une préparation adéquate. Cette perception divergente des objectifs de la défense civile exacerba par moments la relation entre le CVC et les autorités militaires. Par exemple, en juin 1941, le commandant régional R.C. Macdonald fulmina à la suite de l’annulation d’exercices d’obscurcissement dans la région de Moncton par les autorités militaires, qui selon la version officielle désiraient éviter de déranger inutilement la population. Le premier test, tenu le mois précédent, se déroula plutôt bien, mais quelques incidents se produisirent, entre autres l’explosion d’un dispositif d’alarme, causant une petite panique. Selon Macdonald, le recul des autorités du district militaire découragea la tenue de plusieurs exercices et risquait d’entraîner un déclin de l’enthousiasme envers la défense civile dans sa région. Les volontaires, sans l’appui du fédéral, voyaient de moins en moins la nécessité de leur engagement. Macdonald accusa tout particulièrement le gouvernement fédéral de ne pas vouloir octroyer à la province les pouvoirs politiques nécessaires pour mener à bien la tâche d’assurer la sécurité des citoyens[40]. Ces lacunes et le manque de participation des autorités fédérales, qui concentraient leurs énergies sur la défense militaire et les risques plus concrets, nuisaient à l’intégration de la défense civile dans le quotidien des citoyens et, par la même occasion, aux efforts de mobilisation des esprits du gouvernement provincial.

McNair partageait la frustration de Macdonald. Il militait depuis quelques semaines auprès du ministère de la Défense et du ministère des Pensions et de la Santé nationale pour que l’ARP et le CVC puissent collaborer plus étroitement à la défense civile de la province. Les représentants des deux ministères appréciaient certes le travail du premier ministre provincial, mais ils comprenaient mal ses objectifs et estimaient qu’il valait mieux concentrer les efforts sur les régions à risque plutôt que de les répartir sur l’ensemble de la province. McNair écrivit directement au premier ministre canadien dans l’espoir de rectifier la situation. En fait, il lui lança un ultimatum, à savoir qu’il fallait choisir entre le maintien du CVC avec les pleins pouvoirs ou mettre un terme au projet. Il ajouta : « It certainly cannot survive unless the national authorities are prepared to recognize its value, and vest it with some authority[41]». En bon avocat, McNair rappela aux autorités fédérales la clause du décret en conseil no 3962, du 2 juin 1941, qui accordait au ministre des Pensions et de la Santé nationale la possibilité de donner à certaines personnes le droit d’imposer la réglementation de l’ARP sur d’autres régions que celles désignées par le ministère de la Défense. Dans une lettre envoyée à Ian Mackenzie, il demanda ce privilège pour sa province afin de permettre au CVC d’agir en tant qu’agent officiel, avec des pouvoirs comparables à ceux de l’ARP[42]. Mackenzie accepta finalement la proposition, au nom de la bonne collaboration avec les provinces[43]. Le 20 juin 1941, McNair obtint officiellement le privilège d’autoriser des initiatives de défense civile, en conformité avec les règlements de l’ARP, y compris l’organisation d’exercices d’obscurcissement[44].

Ces modifications juridiques donnèrent le feu vert au CVC pour tester ses capacités d’intervention. La possibilité de mener des exercices mit en lumière les faiblesses de quelques comités locaux. Si à peu près toutes les localités s’organisèrent en 1940 et en 1941, l’enthousiasme variait d’un endroit à l’autre. Les deux grandes régions, Saint John et Moncton, détenaient un noyau de gens persuadés de l’importance d’une préparation adéquate. À l’automne de 1941, le comité provincial organisa une série d’exercices supervisés dans le nord-ouest de la province. Les municipalités de Campbellton, Perth, Edmundston et Dalhousie reçurent des félicitations, tandis que Woodstock et Grand-Sault manquaient de coordination, de préparation et d’entraînement[45]. À Moncton, en septembre 1941, les agents du CVC relevèrent un certain nombre d’infractions lors des exercices d’obscurcissement. Quelques citoyens laissèrent des lumières allumées, le plus souvent oubliées sans surveillance. Des membres de l’Aviation royale du Canada ignorèrent les consignes des constables du CVC d’éteindre leurs cigarettes. Lorsque ceux-ci tentèrent d’intervenir, les policiers militaires se portèrent à la défense des soldats[46]. À Sackville, le 4 septembre 1941, un chef de train refusa d’obscurcir les wagons, sous prétexte qu’il pouvait recevoir cet ordre uniquement d’un agent du Canadien National[47]. La prison de Dorchester collabora peu et refusa d’éteindre une seule lumière, invoquant des raisons de sécurité[48]. Le comité provincial du CVC prenait au sérieux ces quelques incidents susceptibles de nuire à l’effet de la noirceur. Toutefois, la plupart des citoyens respectèrent les règlements et les consignes. Il faut dire que les constables spéciaux s’assuraient de l’application des règlements fédéraux et provinciaux en matière de sécurité civile et qu’ils disposaient d’outils convaincants[49]. Les fautifs s’exposaient à une peine maximale de 12 mois de prison et 500 $ d’amende. Toutefois, l’esprit de collaboration que le CVC tentait de maintenir limita les actions punitives à de simples avertissements. Dans le cadre des quelques cas recensés, la menace de poursuites criminelles finissait par avoir raison des plus réfractaires.

Malgré la bonne volonté des citoyens et du gouvernement provincial, le CVC manquait cruellement de moyens. McNair refusa de financer dans une large mesure la défense civile sous prétexte qu’il s’agissait d’une responsabilité fédérale. En conséquence, les comités locaux manquaient d’équipement pour lutter contre les incendies. Plusieurs ne possédaient pas de signaux d’alarme efficaces. Le cas de Moncton exacerba tout particulièrement les relations fédérales-provinciales. Le comité manquait d’équipement en tout genre, dont des pompes à eau portatives et des habits de protection contre le feu. Le Conseil du Trésor refusa de financer leur achat, alléguant que la vulnérabilité de la ville se limitait au sabotage et non aux attaques aériennes. Les entraînements s’effectuaient sans ces pièces d’équipement, ce qui décourageait plusieurs des 1 500 membres locaux[50]. Après quelques refus, les dirigeants de Moncton et du CVC adoptèrent une logique d’affaires et de risque pour expliquer la nécessité d’obtenir ce matériel. La ville, construite surtout en bois, abritait des installations du Canadien National, de l’Aviation royale du Canada, des entrepôts militaires, ainsi que des bureaux gouvernementaux. Ils estimèrent la valeur des infrastructures à plus de 22 millions de dollars, dont la plupart ne rapportaient aucune taxe à la municipalité, d’où la nécessité d’une aide fédérale pour leur protection. De plus, ces installations attireraient sans aucun doute l’ennemi, ce qui augmentait le risque qui planait sur les citoyens[51]. Le ministère des Pensions et de la Santé nationale demeura insensible à cette rhétorique financière, que le gouvernement provincial utilisa à répétition pour justifier une hausse du financement fédéral de la défense civile. Les comités locaux du Nouveau-Brunswick exigeaient constamment plus d’équipement et d’argent, mais leurs requêtes restaient sans réponse.

En fait, jusqu’à la fin de 1941, les relations entre le CVC et les autorités fédérales se déroulèrent sous le sceau de l’incompréhension mutuelle quant à leurs objectifs respectifs. Le Corps de détection aérienne fournit un autre exemple en ce sens. Organisé en mai 1940 par l’Aviation royale du Canada, ce groupe de défense civile recrutait des volontaires le long des côtes pour surveiller la présence d’avions, de bateaux, de sous-marins ou de gens inconnus. En janvier 1941, l’organisation comptait environ 200 personnes au Nouveau-Brunswick, mais sa couverture demeurait incomplète. Il fallut attendre cependant à la deuxième moitié de l’année avant que le Commandement aérien de l’Est demande la collaboration du CVC pour recruter de nouveaux membres[52]. Le CVC et les organismes fédéraux travaillaient en vase clos, chacun guidé par leurs propres préoccupations.

Pearl Harbor et ses conséquences

L’attaque-surprise de la base militaire de Pearl Harbor par les Japonais, le 7 décembre 1941, obligea le gouvernement canadien à réviser sa politique en matière de défense civile. Malgré la distance qui séparait Hawaï du Canada, l’angoisse devint palpable au sein de la population. Un peu partout au pays, des citoyens croyaient percevoir des avions ennemis et alertaient les autorités. Les critiques commençaient à pleuvoir concernant les préparatifs chétifs du fédéral. Ian Mackenzie réagit d’ailleurs dans un discours radio, le 10 décembre, pour rappeler à la population les mesures prises par son gouvernement. Par la même occasion, le ministère de la Défense changea son évaluation de la vulnérabilité des provinces de l’Atlantique, qui devinrent dans l’ensemble une région à risque. La Nouvelle-Écosse, le Cap-Breton, l’Île-du-Prince- Édouard méritaient une attention toute particulière et, dans une moindre mesure, le Nouveau-Brunswick et le fleuve Saint-Laurent[53]. La réglementation imposait dorénavant un obscurcissement total sur la province. Aucune lumière ne devait être perceptible à l’extérieur des maisons, sauf dans les régions qui disposaient de sirènes pour avertir les gens de les éteindre sur-le-champ. Parmi les autres initiatives notables, le ministère des Pensions et de la Santé nationale nomma l’ancien chef conservateur, Robert James Manion, à titre de directeur de l’ARP, afin qu’il coordonne les efforts nationaux en la matière. Celui-ci entra en fonction le 1erjanvier 1942[54]. Le choc de Pearl Harbor ne changea rien, cependant, aux structures de la défense civile, qui continuait à s’appuyer sur les efforts des provinces, des municipalités et des citoyens. Dans un discours prononcé le 30 décembre, MacKenzie leur rappela : « My purpose tonight is to tell you, on behalf of the Dominion Government, something about the nature of air raid precautions, something about how they are organized and administered—and why. It is important that I do this, because Air Raid Precautions are essentially your problem. They are measures that you have to take yourself, for your own safety, and for the safety of your neighbors[55]».

Les quelques mesures adoptées ne suffirent pas aux yeux de plusieurs Néo- Brunswickois, qui éprouvaient le sentiment d’avoir été abandonnés par le gouvernement fédéral depuis le début de la guerre. À Saint John, devant les pressions de nombreux citoyens angoissés à l’idée d’une attaque ennemie, le maire convoqua une réunion publique pour discuter du problème. Il en résulta une volonté citoyenne d’organiser un comité d’évacuation de la ville en cas d’urgence, indépendant du CVC et de l’ARP, investi de pouvoirs autoritaires. Les délégués écrivirent à McNair pour s’enquérir de la possibilité légale de créer un comité détenant ces pouvoirs extraordinaires en matière de défense civile. Gerald Teed, un avocat et un représentant du groupe, mentionna dans une lettre au premier ministre : « It seems necessary therefore, not only to have one coordinating body, but also to have compulsory powers, enabling the authority in charge of civilian defence to allocate tasks to individual citizens which they will be required to perform as a public duty, as member of the Army are required to perform their allotted tasks[56]». Les citoyens n’exigeaient rien de moins que la conscription des civils pour arriver à leurs fins. McNair répondit qu’il existait sans aucun doute un modus operandi plus approprié et que, en cas d’attaque, le ministère de la Défense interviendrait. Il tenta de calmer les ardeurs du groupe en affirmant que la nomination de Manion annonçait des jours meilleurs[57].

Le problème découlait en grande partie de l’ignorance des actions entreprises par le ministère de la Défense pour protéger le pays. Les différents ordres de gouvernement offrirent peu de réconfort à cette insécurité. Par exemple, en janvier 1942, le St. John Board of Trade écrivit au premier ministre canadien pour se plaindre d’un manque de protection de la ville contre des attaques aériennes[58]. La réponse, rédigée par Ian Mackenzie, n’offrit rien pour réconforter les plaignants. Mackenzie souligna le cas des Anglais, qui subissaient les bombardements allemands malgré des préparatifs considérables, et ajouta qu’il n’existait aucun mécanisme infaillible pour prévenir la destruction venue des airs. La véritable protection, mentionna-t-il, passait par des actions militaires[59].

Dès janvier 1942, le gouvernement fédéral pallia tout de même une partie de cette insécurité en augmentant le financement et l’équipement destinés à la défense civile. Le ministère des Pensions et de la Santé nationale révisa son plan de financement des régions à risque. Pour chaque citoyen qui habitait à moins de 50 milles des côtes, soit 360 998 personnes selon le recensement de 1941, la province reçut 0,12 $. Le reste des 92  389 personnes habitaient des régions un peu moins à risque, pour lesquelles le soutien financier se chiffrait à 0,10 $ par tête[60]. Ces sommes, bien que minimes, assuraient un nouveau financement nécessaire pour acheter les pompes mobiles, des sirènes et des tuyaux. Le ministère des Pensions et de la Santé nationales envoya aussi de l’équipement à partir de ses entrepôts de Montréal aux comités du CVC qui en faisaient la demande, octroyés selon les besoins.

La relation entre le fédéral et la province s’améliora également à la suite de la nomination de Manion, qui assura un leadership que le fédéral avait jusque-là refusé d’exercer. Il coordonna par exemple la transmission de renseignements sur les dernières innovations britanniques en matière de défense civile. Il intensifia également les préparatifs en vue d’une guerre chimique dans la deuxième moitié de 1942, un élément jusque-là laissé pour compte. L’ARP retint les services du professeur Rabinowitch de l’Université McGill, un spécialiste en la matière, pour préparer des formations à l’intention des provinces. Manion était conscient que des armes chimiques ne seraient sans doute pas utilisées contre le Canada, mais ces préparatifs assuraient les connaissances de base si le pire devait arriver[61]. Le soutien apporté par le gouvernement fédéral prit aussi la forme d’inspections effectuées par ses agents responsables des différents services, dont celui des incendies des provinces. En septembre 1942, Armstrong, devenu directeur par intérim du CVC, déclara dans un rapport : « Our relations with the Dept of Pensions and National Health, though Dr. Manion has so greatly improved, that while last year we could justly blame Ottawa for lack of impetus, now, through the equipment supplied, if we in N.B. are not fully organized, most of the blame must rest upon ourselves[62]». Il subsistait plusieurs lacunes, mais les questions sans réponse étaient chose du passé.

L’année 1942 offrit pour la première fois au CVC les conditions idéales pour organiser la défense civile à l’intérieur de la province. Elle marqua par la même occasion la fin d’une certaine naïveté quant à la possibilité de préparer une défense sans faille. Certains aspects commencèrent à être remis en question. Comment, par exemple, réagiront les agents du CVC lors d’une véritable attaque? Chercheront-ils à remplir leurs fonctions ou à protéger leur famille? De plus, rien ne garantissait leur présence si une attaque devait subvenir le jour, au moment où chacun se trouvait au travail[63]. En plus de cette réflexion plus élargie, certaines lacunes semblaient impossibles à surmonter. D’abord, la protection partait du principe que la noirceur fournissait un couvert pour protéger les populations. La quête d’un obscurcissement total s’avérait un échec. Lors des exercices, des véhicules continuaient à circuler. À quelques reprises, les autorités militaires soulignèrent au CVC la nécessité de ne pas interférer avec les déplacements des soldats. Les mouvements de véhicules, même pour des raisons militaires, exhibaient une forme de désobéissance qui incitait certains civils à faire de même. Pendant l’ensemble de la guerre, le CVC chercha en vain l’autorité de faire respecter ses règlements par les institutions fédérales telles que l’armée ou encore le Canadien National.

Le CVC et l’ARP éprouvèrent également des difficultés à mobiliser les régions rurales. Une partie du blâme revenait aux administrateurs provinciaux qui concentrèrent leurs efforts sur les villes et les villages. Les campagnes demeuraient bien souvent laissées-pour-compte. Par exemple, certaines régions rurales francophones du Nord continuaient à utiliser des lampes au kérosène après le crépuscule. Les habitants de ces lieux ne pouvaient entendre les signaux d’alerte. En conséquence, une lumière perceptible de l’extérieur enfreignait les règlements provinciaux et nationaux. Les Acadiens participaient pourtant aux activités du CVC, même si elles se déroulaient surtout en anglais. Le comité de Caraquet comptait d’ailleurs 389 membres actifs en 1942. Les administrateurs du CVC soulignèrent cependant que les campagnes avoisinantes, isolées et sans électricité, à l’écart du tumulte des activités de guerre, n’y portaient pas une aussi grande attention[64]. D’autres endroits se trouvaient dans des situations semblables, autant des régions anglophones que francophones. En août 1942, R.C. Macdonald, administrateur adjoint de l’ARP pour la province, inspecta la campagne de la région de Shediac. Il constata de nombreuses infractions à l’extérieur des limites des municipalités et conclut : « It is evident that in this area there is very little attention being paid to the recent order[65]». C.A. O’Brien, un organisateur fédéral, découvrit une situation semblable à Grand Manan, une île isolée dans la baie de Fundy. Il souligna après son inspection, en juillet 1942 : « We found that there are people who do not know that there is a war on. Lights at Galor, indoors and out, in the worst spot in N.B.[66]». Ces>régions se trouvaient loin des activités militaires, loin des villes, de sorte que la mobilisation des esprits s’avéra plus difficile, voire un échec total dans quelques localités.

Dans une perspective globale, les petits problèmes du CVC s’avérèrent certes des obstacles dans la quête d’une préparation parfaite, un objectif impossible à atteindre, mais ils n’atténuèrent en rien les efforts soutenus du gouvernement et des citoyens. Les lacunes découlaient surtout de l’impossibilité d’obtenir une participation volontaire de tous, d’autant plus que les préparatifs pouvaient sembler futiles pour bien des gens. Il va sans dire que des milliers de Néo-Brunswickois prirent tout de même en main leur défense et participèrent régulièrement aux exercices. Un portrait à la fois positif et modéré s’en dégage. En termes absolus, une personne sur 10 dans les collectivités organisées participa à la défense civile de la province dans la période entre le 1er avril 1942 et le 31 mars 1943. Néanmoins, la participation demeurait inégale, alors que les citoyens retombaient vite dans leur routine. Les activités professionnelles des volontaires et l’enrôlement militaire, qui privait le programme de bons éléments, nuisaient au CVC[67]. À Saint John, les autorités continuèrent à exiger l’organisation d’un service de défense civile obligatoire pour tous les citoyens de 18 à 60 ans. Cette requête témoigne à la fois du sérieux que le comité y accordait, mais aussi de la difficulté à maintenir une coordination des activités à partir d’initiatives volontaires. Il faut dire que l’ARP de Saint John perdit au fil des mois de bons volontaires au profit des forces militaires et de la réserve[68]. Certains comités firent preuve d’ingéniosité et utilisèrent des stratégies sociales pour vaincre le laxisme. À Newcastle, par exemple, le comité local organisa des exercices à toutes les semaines, suivies de soirées dansantes pour financer ses activités[69].

La poursuite des activités était encouragée par l’enthousiasme de plusieurs personnes dévouées à la cause, mais également motivées par l’insécurité. La propagande et les rumeurs maintenaient au garde-à-vous les plus anxieux. Le CVC continua à projeter des films dans les villes et les villages concernant l’importance de la défense civile et les dernières méthodes de lutte contre les bombes incendiaires. De plus, les actions allemandes près des côtes faisaient grandir l’angoisse des citoyens. Au printemps de 1942, les sous-marins allemands commencèrent à patrouiller dans la baie de Fundy, le golfe du Maine et le golfe du Saint-Laurent. Les nouvelles de bateaux torpillés se propageaient. Le gouvernement fédéral tenta de contrôler l’information divulguée, mais les résidents de ces régions pouvaient témoigner des activités militaires et, dans certains cas, d’explosions près des côtes[70]. En outre, des rumeurs circulaient au sujet de la présence d’espions allemands. Elles s’intensifièrent vers la fin de 1942 et en janvier 1943. Armstrong s’inquiéta du manque de renseignements reçus à cet égard de la part des autorités fédérales. Comme bien d’autres personnes, il entendit les histoires d’un espion allemand trahi par l’utilisation d’allumettes belges en Gaspésie. En effet, la police provinciale du Québec procéda, le 9 novembre 1942, à l’arrestation de Werner Alfred Waldemar von Janowski, débarqué d’un U-Boot à New Carlisle, mais le comité ignorait les détails de cette histoire. Combien de cas pouvait-il y avoir dans la province, alors que la bataille du Saint-Laurent faisait rage et que les Néo- Brunswickois entendaient parler de bateaux coulés par les sous-marins allemands? Le gouvernement fédéral gardait la population dans l’ignorance des activités ennemies, ce qui n’empêcha pas le CVC de vouloir se préparer. Ses commandants adoptèrent d’ailleurs une résolution, en janvier 1943, pour demander au gouvernement fédéral de publier les renseignements à ce sujet, de manière à lutter contre l’inertie qui s’installait parmi les volontaires. L’appel demeura sans réponse[71]. En conséquence, le CVC continua à attendre la menace venant des airs, car le ministère de la Défense maintenait le niveau de risque dans la province. Toutefois, en cas de sabotage, ses membres demeuraient prêts à éteindre les incendies.

La prise de conscience concernant les faiblesses de la défense civile s’effectua aussi au sein du gouvernement fédéral. En fait, le déclin de la menace aérienne et l’intensification de la présence de sous-marins remirent en question les mécanismes établis depuis Pearl Harbor, ainsi que l’approche utilisée, qui ne semblait plus répondre à un objectif précis. Alex Ross, un ancien officier militaire qui remplaça Manion après la mort de ce dernier le 2 juillet 1943, était bien conscient de la difficulté à assurer une défense civile efficace à partir d’un système décentralisé. Depuis le début de 1942, motivé notamment par la présence de sous-marins ennemis près des côtes, le fédéral distribuait le matériel aux régions de manière à appuyer chacune des collectivités dans leurs préparatifs respectifs, sans tenir suffisamment compte des objectifs nationaux. Ross proposa de reconsidérer la défense civile en fonction des risques d’attaques et la protection des points névralgiques de l’effort de guerre, c’est-à-dire les industries essentielles, les centres militaires ainsi que les bassins de population importants jugés vulnérables. Il préconisa également une coordination de ces objectifs aux activités militaires[72]. Sa proposition consistait à un retour vers la politique qui prévalait au début des hostilités, alors que le gouvernement fédéral appuyait la défense civile en fonction de ces critères.

La fin de la menace et de l’insécurité

Étant donné que le risque d’une attaque était à peu près nul, la réflexion de Ross concernant une réorganisation de la distribution du matériel pour la défense civile ne connut aucune véritable suite. En octobre 1943, le gouvernement fédéral commença plutôt à réfléchir à la possibilité de réduire la zone de l’ARP, surtout dans le centre du pays. Ross rapporta au Comité de guerre du Cabinet une baisse d’intérêt des Canadiens envers la défense civile depuis les offensives alliées en Europe[73]. Le mois suivant, l’état-major déclara que l’Ontario n’était plus à risque. Les règles s’assouplirent aussi au Nouveau-Brunswick. En décembre 1943, les citoyens purent allumer les lumières sous les porches et les vérandas, à condition d’être en mesure de les éteindre rapidement. Ensuite, les dirigeants du CVC fermèrent les yeux concernant les lumières dans les sapins de Noël[74].

Le désengagement se poursuivit en 1944. La population se désintéressa graduellement des activités de défense civile et se montra moins encline aux sacrifices à mesure que les Alliés gagnaient du terrain en Europe. Par exemple, en avril 1944, le St. Stephen Board of Trade se plaignit au ministère des Pensions et de la Santé nationale des exercices d’obscurcissement sans préavis, qui nuisaient aux commerces locaux. Les localités du Maine situées de l’autre côté de la rivière Sainte-Croix continuaient également à tenir des exercices, mais seulement le dimanche soir, de façon à maintenir les structures de défense civile en place sans nuire à l’économie locale. Les membres du St. Stephen Board of Trade proposèrent à Mackenzie d’adopter des politiques similaires[75]. Les autorités gouvernementales démontrèrent une plus grande sensibilité envers ces questions et assouplirent la réglementation. À partir du 5 juin, il fut à nouveau permis d’allumer des lumières le soir pour les activités sportives telles que les matchs de base-ball et de tennis[76]. Le 27 juillet, les commerces et les résidences obtinrent la même concession[77].

À l’automne de 1944, McNair et Mackenzie estimaient que la défense civile ne nécessitait plus de restrictions rigoureuses. Les deux hommes préparèrent des déclarations publiques pour le début de 1945, afin d’annoncer un relâchement des règlements ainsi que la liquidation de l’équipement. La contre-offensive allemande qui mena à la bataille des Ardennes repoussa de plusieurs semaines les annonces pour des raisons morales et de propagande. La possibilité d’une attaque demeurait à peu près nulle, mais le Comité de guerre du Cabinet décida de maintenir les activités pour éviter d’envoyer le message que la victoire était acquise[78]. Dès février 1945, les gouvernements provincial et fédéral s’entendirent finalement pour y mettre un terme graduellement.

Si les activités du CVC cessèrent avec la fin de la guerre, son héritage se prolongea bien après les hostilités. La distribution du matériel pour lutter contre les incendies et l’expérience de la défense civile sensibilisèrent la population aux avantages financiers liés à la sauvegarde du patrimoine. En octobre 1943, le CVC estimait à 244  573,32  $ la valeur des pièces d’équipement distribuées pour combattre les incendies. Au même moment, l’utilisation de l’équipement par les volontaires lors d’incidents non militaires avait permis, selon les estimations, de préserver des biens et des propriétés d’une valeur de 893 800  $[79]. Au moins 27 villages, dont Bouctouche, Chipman, Doaktown, McAdam, Petitcodiac et Plaster Rock, purent compter pour la première fois sur des pompiers en cas d’incendie[80]. En mars, McNair négocia l’achat à rabais de l’équipement envoyé depuis le début de la guerre par le ministère des Pensions et de la Santé nationale pour les revendre à bas prix à ces municipalités et perpétuer le service[81].

Dans l’ensemble, le bilan de la défense civile au Nouveau-Brunswick ne peint pas en rose les constats de l’historiographie, mais le portrait qui s’en dégage n’est pas aussi négatif. Une partie du problème reposait sur les divergences d’opinions entre le fédéral et le provincial concernant ce que devait être la défense civile. Alors que le fédéral désirait surtout protéger les lieux stratégiques, les citoyens du Nouveau-Brunswick et le premier ministre cherchaient à étendre cette protection à l’ensemble des villes et des villages de la province. Les mésententes qui en découlèrent entravèrent sans aucun doute l’atteinte des objectifs du CVC. Malgré tout, l’engagement du gouvernement provincial, qui accepta le leadership que le ministère des Pensions et de la Santé nationale refusait d’exercer, assura des bases solides à la défense civile. Le premier ministre John McNair exalta un patriotisme rassembleur et pressa la population de participer aux activités. Cette volonté du gouvernement provincial de prendre en charge la sécurité de la province permit l’organisation d’exercices d’obscurcissement, la préparation du transport de blessés, la prestation de formations aux civils et l’établissement de groupes de pompiers volontaires, tout cela avec peu de moyens. Malgré des hauts et des bas, le CVC ne manqua pas de volontaires pour assurer la protection du territoire. Cependant, l’engagement de McNair ne se transposa pas dans la sphère financière, de sorte que la prise en charge demeura partielle et dépendante des relations avec le fédéral. La défense civile souffrit de difficultés constantes qui découlaient de sa situation matérielle, étant financée avec parcimonie par les différents ordres de gouvernement. De plus, le gouvernement provincial demeurait mal outillé en comparaison des autorités fédérales pour mener une propagande afin d’encourager la participation civile. Dans ces conditions, l’évolution du conflit s’avéra le principal facteur de mobilisation des esprits.

Le cas du CVC expose par la même occasion les conséquences psychologiques sur les citoyens de la guerre et de la volonté du fédéral de laisser les collectivités gérer leurs mécanismes de sécurité. Contrairement au constat de Fisher, la défense civile au Nouveau-Brunswick ne souffrit pas beaucoup de l’éloignement des combats. Si certains Néo-Brunswickois ne jugeaient pas la menace très sérieuse, le manque de renseignements disponibles sur l’évolution des actions ennemies dans la région ainsi sur les mesures entreprises par le ministère de la Défense pour la protection active du territoire alimenta l’incertitude parmi les membres du CVC Ces derniers développèrent une conception différente de la sécurité territoriale. Ignorant à peu près tout des objectifs fédéraux, ils estimaient que tous les foyers méritaient une protection, ce que les ressources limitées affectées à la cause ne permettaient pas d’accomplir. De plus, le CVC canalisait l’insécurité de certains citoyens dans des efforts concrets, tandis que le manque de soutien du ministère des Pensions et de la Santé nationale accentuait la frustration, en plus de créer un sentiment de laissé- pour-compte. La situation s’améliora à la suite de l’augmentation de la contribution matérielle du gouvernement fédéral après l’attaque de Pearl Harbor, mais l’incompréhension demeura profonde pendant l’ensemble de la guerre. La crainte et le patriotisme ne s’atténuèrent pas. Ils agirent en tant qu’agents d’une mobilisation essentielle à la défense civile. Lorsque la peur diminua en 1944, l’enthousiasme et l’engagement des citoyens suivirent le même mouvement, jusqu’à la dissolution du CVC en 1945.

De cette expérience, il resta un héritage matériel ainsi qu’une volonté de poursuivre la lutte contre les incendies. Même si le CVC ne se déploya jamais en réponse à des actions ennemies, le comité accentua la participation citoyenne à la protection civile bien au-delà du conflit.