Comptes rendus

Kimberly White, Female Singers on the French Stage, 1830–1848, Cambridge, Cambridge University Press, collection « Cambridge Studies in Opera », 2018, 239 p. ISBN 978-1-107-10123-4[Notice]

  • Tommaso Sabbatini

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  • Tommaso Sabbatini
    Newton International Fellow, University of Bristol

L’historiographie musicale a longtemps accordé la préférence aux compositeurs sur les interprètes, à la musique symphonique et de chambre sur l’opéra, à l’opéra italien sur l’opéra français ; et oui, aux hommes plutôt qu’aux femmes. Il reste donc encore beaucoup à découvrir et à écrire sur les cantatrices qui ont pratiqué les genres lyriques français au xixe siècle. Un article daté de 1994 par Mary Ann Smart consacré à la mezzo-soprano française Rosine Stoltz a d’abord montré la voie. Ce n’est que depuis la fin des années 2000 que, parmi les musicologues d’expression anglaise, les chercheur·e·s Karen Henson, Steven Huebner, Kerry Murphy, Sean Parr, Hilary Poriss, Clair Rowden ou Flora Willson ont contribué à éclairer les figures de Pauline Viardot, Caroline Carvalho, Christine Nilsson, Céléstine Galli-Marié, Nellie Melba, Sibyl Sanderson, Emma Calvé : autant de noms incontournables pour quiconque fréquente ces répertoires créés par des femmes jusqu’ici largement méconnues. Le cas de Viardot, également compositrice et animatrice culturelle, est probablement celui qui suscite le plus d’intérêt. Delphine Ugalde, dont la biographie n’est pas moins passionnante, mériterait peut-être elle aussi une attention plus poussée : si on exclut le livre qui nous occupe ici, elle n’a eu droit, à ma connaissance, qu’à une unique apparition dans un article de Delphine Mordey sur la musique durant la Commune de Paris. Ce n’est pas un hasard si les cantatrices que je viens d’évoquer ont plutôt tendance à être des célébrités du Second Empire et de la Troisième République : le développement de la presse et du vedettariat au cours de la seconde moitié du xixe siècle a facilité la tâche aux historiens, en leur fournissant à la fois une masse de renseignements et un cadre d’analyse. Si on peut qualifier le champ de recherche ouvert en 2006 par le livre de Susan Rutherford The Prima Donna and Opera, 1815–1930 de « prima donna studies », il faut reconnaître qu’il a fait la part belle à ce type particulier de prima donna qu’est la diva de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Le livre de Kimberly White Female Singers on the French Stage, 1830–1848 vient à la fois s’insérer dans ce champ des prima donna studies et en atténuer l’insistance sur la diva (en se rapprochant peut-être davantage de l’intention originelle de Rutherford). White s’intéresse à l’artiste lyrique non pas en tant que diva, mais en tant que travailleuse ; non pas à l’individu, mais au collectif ; non pas à la créature extraordinaire qui ne saurait se soumettre aux conventions sociales, mais à des femmes auxquelles on reproche, au contraire, d’être trop ordinaires et trop rangées. La littérature sur les divas de la Troisième République est souvent à l’image de leur iconographie : des portraits en costume de scène à l’expression et aux couleurs intenses, tel celui de Galli-Marié en Carmen par Henri-Lucien Doucet ou celui de Rose Caron en Salammbô par Léon Bonnat. Le livre de White, au contraire, est fidèle à l’illustration choisie pour la jaquette : une lithographie au clair-obscur très doux qui rassemble, sur un plan d’égalité et sans signes distinctifs, six artistes de la scène parisienne du début des années 1830. Le portrait de groupe de la jaquette est un portrait « [d’]actrices » au sens qu’avait le mot au xixe siècle, tous genres théâtraux confondus : y figurent trois cantatrices du Théâtre-Italien et deux comédiennes. White, quant à elle, se borne au personnel de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, les deux compagnies qui, encore sous la Monarchie de Juillet, détenaient le monopole des genres lyriques français. Mais …

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