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Dès le xixe siècle, des ressources pédagogiques comprenant des chansons traditionnelles sont publiées au Québec (Le Chansonnier des collèges 1854 ; Le Chansonnier des écoles 1876 ; Tiersot et Bouchor 1895 ; Frères des Écoles Chrétiennes 1924 ; Allaire 1932 ; Gadbois 1939, 1948 ; Soeur Saint-Théophile, C.N.D. 1940). En 1967, Zoltán Kodály affirme que chaque nation possède un répertoire riche et varié de chansons folkloriques adaptables à des fins pédagogiques (1967, 59[1]) et utilise ces chansons dans son approche pédagogique. En 1969, le rapport de la commission Rioux (Rioux et Deslauriers 1969, ii, 365) fait pourtant le constat de « l’immense vide que la disparition progressive de la culture traditionnelle [...] a fait apparaitre[2] ». Après les séries d’émissions radiophoniques et les documents d’accompagnement Faisons de la musique (Bolduc, Gerber et Christin 1974), deux collections approuvées pour l’enseignement de la musique au Québec sont publiées : Imagine et moi (Aubin 1989) pour le préscolaire et Mon passeport musical (Aubin, Leroux, Paquette et Ouellet 1986), pour le primaire. Nicole Carignan (1994) en a d’ailleurs fait l’analyse critique sous l’angle de l’éducation interculturelle.

Actuellement, le Programme de formation de l’école québécoise (PFÉQ, Québec 2006) propose que l’élève apprécie « un répertoire musical d’hommes et de femmes d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs », qu’il « s’ouvre au monde, en découvre les particularités et les différences », qu’il saisisse « les éléments de sa propre culture », car « cette perception du monde, renouvelée et enrichie, participe à la formation de son identité culturelle » (Québec 2006, 238). Plusieurs concepts de l’éducation interculturelle y sont évoqués : culture, tradition, justice sociale et formation identitaire. C’est sur la problématique qui découle de ce cadre conceptuel que repose toute l’analyse qui suit et qui a pour but de décrire le matériel pédagogique en français adapté à l’enseignement des musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs (MTIA) et à la progression des apprentissages du PFÉQ (Québec 2006).

Cadre conceptuel

L’éducation interculturelle[3] résulte des mouvements migratoires qui ont modifié le paysage scolaire, notamment au Québec (Audet 2006 ; Québec 2019 ; 2020 ; Wihtol de Wenden 2017). À Montréal en 2019, plus de 67 pour cent des élèves étaient issus de l’immigration alors qu’ils étaient environ 45 pour cent en 1998 (Réseau réussite Montréal 2020). Initiée aux États-Unis par James Banks (2004, 2009, 2012), qui l’appelait multicultural education, cette approche vise à développer des habiletés pour vivre dans un contexte multiethnique (Abdallah-Pretceille 2017 ; Grant et Gomez 2001 ; Grant et Portera 2011). Banks préconise cinq moyens pour la mettre en place : intégrer des sources culturelles variées (content integration), construire les connaissances en adoptant les perspectives des cultures étudiées (knowledge construction), éradiquer les préjugés raciaux (prejudice reduction), faciliter la réussite de tous les élèves (equity pedagogy), et enfin remodeler la culture scolaire et la structure sociale pour donner une voix à tous les groupes culturels (empowering school culture) (Banks 2004, 5-8).

Au Québec, le ministère de l’Éducation a adopté une politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle dès 1998 (Québec 1998) ; on y précise que l’école constitue « un lieu privilégié pour apprendre à respecter l’autre dans sa différence, à accueillir la pluralité, à maintenir des rapports égalitaires et à rejeter toute forme d’exclusion » (Québec 2006, 50). Le domaine général de formation Vivre-ensemble et citoyenneté incite l’élève à « développer des attitudes d’ouverture sur le monde et de respect de la diversité » (Québec 2006, 50). L’école donne accès à « un héritage culturel » (Vallières et Raymond 2004, 7-8) et le dialogue interculturel devient un moyen d’intégration (Québec 2014). L’ordre primaire a été retenu, car selon l’étude menée par Fung, Lee et Chung (1999) auprès d’élèves du primaire et du secondaire, plus les élèves sont jeunes, plus ils·elles sont ouvert·e·s à des cultures musicales variées.

L’éducationmusicale interculturelle (ÉMI), fondée sur ces principes, a pour but d’amener les élèves à mieux comprendre la diversité et de favoriser l’intégration des nouveaux arrivants au moyen des musiques traditionnelles (Anderson et Campbell 2009 ; Campbell et Wiggins 2013 ; Countryman et Gould 2009 ; Koza 2001 ; Moore 2012 ; Palmer 2002 ; Wade 2013). Des ethnomusicologues, des porteurs de culture et des pédagogues se sont appuyé·e·s sur cette approche pour produire, en collaboration, des outils pédagogiques appropriés en anglais (Campbell 2004 ; Wade 2013 et les collections Global Music Series[4] et Routledge World Music Pedagogy Series[5]). La figure 1 présente les bases conceptuelles de l’ÉMI, soit la tradition, la culture, la formation identitaire et la justice sociale.

Dans cette étude, la tradition désigne la transmission de la culture, héritage immatériel qui façonne l’identité d’un groupe. Selon Schippers (2006), LA tradition est la conscience collective d’un patrimoine immatériel qui est transmis de façon statique si elle suit des règles immuables, ou dynamique, quand il s’agit de tradition vivante. Le métissage peut alors intervenir en croisant les caractéristiques musicales de cultures ou d’époques différentes. UNE tradition désigne également une simple coutume (Nettl et Béhague 1973 ; Schippers 2006). En musique, la tradition peut être vue comme un ensemble d’oeuvres formant un canon immuable, une norme avec un ensemble de règles, ou une manière d’interpréter et de transmettre la musique (Schippers 2006, 335). La flèche entre hier et aujourd’hui (Québec 2006, 236 ; 242) montre que la tradition s’enracine dans le passé et se transmet jusqu’au temps présent.

Figure 1

Schéma conceptuel de l’éducation musicale interculturelle

Schéma conceptuel de l’éducation musicale interculturelle

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La transmission des musiques traditionnelles s’effectue : 1) surtout oralement, par modelage, imitation et mémorisation des techniques, des mélodies et des rythmes ; 2) de manière informelle, formelle ou autodidacte ; 3) par essais, erreurs et comparaisons avec d’autres musiciens ; 4) par imprégnation sociale, avec ou sans professeur ; 5) parfois avec une notation musicale servant d’aide-mémoire (Campbell et Wiggins 2013 ; Schippers 2006, 2010 ; Wade 2013). Les tutoriels en sont une application technologique.

La culture, susceptible d’adaptation et d’évolution dans le temps, comprend l’ensemble des traits distinctifs qui définissent un groupe social : valeurs, traditions, croyances, arts, modes de vie, etc. Les normes et les coutumes établies constituent ses fonctions ontologiques alors que les échanges, les métissages, les comportements et les attitudes des individus représentent ses fonctions instrumentales (Abdallah-Pretceille 2017 ; Vallières et Raymond 2004 ; Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert 2013). Les flèches entre culture, ici et ailleurs (Québec 2006, 236 ; 242) illustrent les échanges culturels dans l’ÉMI.

La formation identitaire consiste à faire découvrir à chaque élève sa singularité en développant chez lui les caractéristiques de son groupe culturel (Vatz Laaroussi et collab. 2013). L’ÉMI accomplit cette formation sans heurts, de manière ludique, au moyen de la musique. Les principes de justice sociale consistent, dans l’ÉMI, à bannir les clichés et les biais ethnocentriques[6], voire racistes, et à respecter la culture et les valeurs des élèves, spécialement pour les pièces qui pourraient avoir une connotation sacrée (Anderson et Campbell 2009 ; Campbell 2004 ; Carignan 1994 ; Cook Tucker 2018 ; Countryman et Gould 2009 ; Elliott et Silverman 2015 ; Tillman 2017). De plus, les controverses sur l’appropriation culturelle pourraient amener les enseignants à se questionner sur l’opportunité de faire interpréter des oeuvres musicales issues d’autres cultures (Gendron 2016 ; Howard, 2020 ; Vachon 2020).

Le choix du répertoire est déterminant en ÉMI (Anderson et Campbell 2009 ; Campbell 2018 ; Cook Tucker 2018 ; Wade 2013). Dans la description de la compétence Interpréter, le PFÉQ signale que la variété du répertoire « permet de s’ouvrir à la diversité des productions artistiques d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs » et que, pour « chacun des trois cycles, les pièces musicales que l’élève est appelé à interpréter sont tirées du répertoire d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs » (Québec 2006, 242). Les musiques traditionnelles remplissent à merveille ce rôle, puisque leur répertoire d’hier est transmis jusqu’à aujourd’hui et qu’elles proviennent du Québec et de partout dans le monde. Pour la compétence Apprécier, le PFÉQ mentionne le « folklore d’ici et d’ailleurs » et recommande que les extraits étudiés soient « issus de différentes cultures dont, si possible, celles des Premières Nations pour le deuxième cycle [du primaire] » (Québec 2006, 249).

Par ailleurs, les expressions « traces socioculturelles » et « périodes artistiques » (Québec 2006, 244) rappellent la notion de contexte décrite par Elliott et Silvermann (2015), qui le définissent comme le cadre social et historique dans lequel est née une oeuvre musicale. Selon ces auteurs et Schippers (2006 et 2010), quand un·e enseignant·e fait découvrir une oeuvre aux élèves, il devrait les plonger dans les éléments socioculturels de cette oeuvre ou mieux, faire appel à des porteurs de culture (Nethsinghe 2012 ; Schippers 2010). Passeur et guide culturel, l’enseignant est alors « un héritier, un critique et aussi un interprète de la culture[7] » (Martinet, Raymond et Gauthier 2001, 38). Bref, ce cadre implique que les ressources pédagogiques pour enseigner les MTIA doivent correspondre aux principes de l’ÉMI.

Problématique et pertinence

Compte tenu de la diversité culturelle du milieu scolaire québécois, des débats sociaux que l’intégration des nouveaux arrivants suscite (Bouchard et Taylor 2008 ; Québec 2014, 2020 ; Vatz Laaroussi et collab. 2013) et des avantages d’utiliser la musique comme moyen d’intégration (Délisle 2020), l’ÉMI gagnerait à être plus connue. En donnant aux élèves accès à leur patrimoine musical, la pratique des MTIA favorise leur construction identitaire dans le respect et l’ouverture à l’autre (Peters 2009 ; Vatz Laaroussi et collab. 2013). Pour y arriver, les enseignant·e·s devraient avoir accès à des outils appropriés (Anderson et Campbell 2009 ; Cook Tucker 2018 ; Wade 2013). Par conséquent, les concepteur·rice·s de matériel pédagogique devraient être sensibilisés à l’ÉMI et travailler avec des porteurs de culture pour élaborer leurs publications (Anderson et Campbell 2009 ; Campbell et Wiggins 2013 ; Cook Tucker 2018).

La pertinence pédagogique de la présente étude réside dans le fait que les recherches en ÉMI au Québec sont insuffisamment développées et que les ressources semblent mal connues des enseignant·e·s. En somme, le principal objectif consiste à brosser le portrait du matériel pédagogique disponible en français pour l’enseignement des MTIA afin d’en dégager les principales caractéristiques, forces et lacunes. La méthode privilégiée pour ce faire est l’analyse de contenu, qui permettra de discerner les ressources appropriées en ÉMI.

Méthodologie : Analyse de contenu

Pour jauger le contenu d’un corpus de ressources pédagogiques comprenant des textes, des partitions musicales, des images et des bandes sonores, publiés sous forme de guides didactiques, de partitions musicales ou de manuels imprimés, enregistrés ou numérisés, la méthode de l’analyse de contenu (content analysis) définie par Krippendorff (2013) et Bardin (2013) a été considérée comme la plus appropriée. Une approche qualitative a été privilégiée en suivant les étapes de Leray (2008).

Plan d’analyse et catégories

La problématique, l’objet de recherche et la littérature scientifique permettent de déduire « l’ensemble des éléments du contenu que l’on désire retracer dans le corpus retenu » (Leray 2008, 22) sous forme de catégories compilées dans une grille (Bardin 2013). Comme elles doivent permettre de répondre aux questions suscitées par les unités d’information (UI), de nouvelles catégories ont été « induites en cours d’analyse, soit en sus des catégories préexistantes, soit en remplacement de certaines d’entre elles », selon le modèle mixte décrit par L’Écuyer (1990, 66).

Les catégories retenues ont été ordonnées en deux sections. Les catégories générales permettent de référencer la ressource et de la décrire globalement :

  1. Auteur(s) ;

  2. Titre de la ressource ;

  3. Année de publication ;

  4. Éditeur et lieu d’édition ;

  5. Lieu de consultation ;

  6. Cote de la bibliothèque ou code de vente pour les maisons d’édition ;

  7. Support utilisé (texte imprimé, partition, CD, DVD, YouTube, etc.) ;

  8. Structure de la ressource (résumé du contenu) ;

  9. Cycles d’apprentissage visés.

  10. Compétences Apprécier, Interpréter et Inventer ainsi que les Connaissances (PFÉQ, 2006) (catégorie ajoutée en cours d’analyse).

La deuxième section regroupe les catégories spécifiques découlant des principes de l’ÉMI et inventoriées par Cook Tucker (2018) comme critères pour la sélection des ressources pédagogiques en musique du monde (voir tableau 1).

Un guide précisant la signification de ces catégories et un système d’abréviations et de codes pour accélérer la saisie des données ont été élaborés et peaufinés en cours d’analyse.

Constitution du corpus

Selon Leray (2008, 41), il faut que le corpus soit le plus exhaustif possible. À cet effet, les ressources disponibles chez les éditeurs scolaires du Québec ont toutes été répertoriées, les plus anciennes datant de 1994 et les plus récentes, de 2020. Par ailleurs, certains documents édités à compte d’auteur ou autoédités ont certainement échappé au dépouillement ainsi que les ressources en ligne pour lesquelles il est impossible d’être continuellement à jour.

Le corpus, pour être considéré homogène et pertinent (Bardin 2013), a été restreint aux ressources actuellement disponibles au Québec, en français, pouvant servir dans les classes de musique du primaire à l’appréciation, la création ou l’interprétation, avec les instruments les plus courants (chant, ensembles Orff, flute à bec et petites percussions), en excluant les méthodes ou partitions pour les instruments d’harmonie, le piano et les cordes, de même que celles destinées à l’enseignement de la musique en privé.

Tableau 1

Liste des catégories spécifiques[8]

Liste des catégories spécifiques8

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La didacthèque du pavillon Jean-Charles-Bonenfant de l’Université Laval a été privilégiée comme lieu de consultation en raison du très grand nombre de ressources pédagogiques disponibles à proximité de la chercheuse, de leur représentativité de ce qu’on trouve dans le milieu scolaire et des nouveautés qui y sont régulièrement acquises. Environ 650 documents y ont été analysés sur les 850 que forme le corpus de départ. Ensuite, des recherches en ligne ont été effectuées dans les catalogues des maisons d’édition et les sites de matériel scolaire suivants : Éditions de l’Envolée, Éditions Marie-France, Lidec, Chenelière Éducation, Pearson ERPI, Groupe Modulo, La Montagne Secrète, Mieux Enseigner, Arts Vivants, Éditions Nouvelle Ère, Renaud-Bray, Archambault, Classe de Marie Soleil, Livres Ouverts, Ma Boutique Scolaire, Express Boutic Scolaire, Les Éditions Consonance, Services Scolaires SESCO et Carrefour Éducation. Le site de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) a aussi été consulté, surtout pour compléter certaines références[9]. Un test de la grille d’analyse a été effectué sur les 300 premières ressources répertoriées. Il a servi à déterminer les critères de sélection du corpus final, à affiner les catégories et le codage des UI et enfin, à organiser les données pour l’analyse.

Pour sélectionner le corpus final, les documents sans MTIA ou très vaguement inspirés par elles, les doublons (différentes éditions du même ouvrage, guide de l’enseignant et livre de l’élève) et les documents non disponibles ou désuets ont été éliminés. Cela a permis de réduire le corpus à 244 ressources dont les références ont été regroupées dans le logiciel EndNote[10].

Identification des unités d’information

Pouvant se trouver dans les titres, les textes, les images ou les références, l’unité d’information (UI) est une idée ou un thème que l’on identifie, catégorise et évalue (Bardin 2013 ; Krippendorff 2013 ; Leray 2008). Les UI des catégories générales se trouvent habituellement sur la page titre d’un livre ou sur la page de contact d’un site, alors que celles des catégories spécifiques sont disséminées dans les commentaires, les partitions, les titres des oeuvres, les illustrations et les enregistrements. Par exemple, dans la catégorie MTIA, le titre V’là l’bon vent désigne implicitement une chanson traditionnelle, mais on peut trouver aussi la mention « traditionnel » en sous-titre. Parfois, un air ancien peut servir de mélodie à des paroles récentes, en ce cas, c’est la partition ou l’enregistrement de la mélodie qui sert d’UI. Des précisions sur les circonstances de la composition d’une oeuvre ou de son utilisation peuvent être fournies dans une note explicative, ce qui devient une UI pour la catégorie Contexte. Certaines UI ont été difficiles à déterminer en l’absence d’informations concrètes, notamment pour la catégorie Instrumentation où il fallait souvent identifier à l’oreille les instruments des accompagnements.

Évaluation et codage des UI

Cette étape consiste à examiner « chaque unité afin d’en déterminer l’orientation et la neutralité » (Leray 2008, 178) et à discerner les éléments positifs, négatifs ou neutres par rapport aux catégories, tout en évitant de l’entacher de jugements biaisés. La catégorie la plus sujette aux biais est celle intitulée Justice en raison des UI positives ou négatives qui la composent. Une révision périodique de la codification a été effectuée pour corriger les erreurs et réparer les omissions ; l’avis de la directrice de thèse, Valerie Peters, a été sollicité en cas d’hésitation (Leray 2008).

Bardin (2013) indique que les catégories retenues pour le codage doivent présenter cinq qualités : l’exclusivité, l’homogénéité, la pertinence, l’objectivité et la productivité. Comme l’exclusivité implique que chaque UI ne peut être affectée dans plus d’une catégorie, quand les MTIA consistaient en des enregistrements d’instruments traditionnels, leur région d’origine a été placée dans la colonne MTIA et leurs noms, dans la colonne Instrumentation.

C’est la catégorie MTIA qui confère l’homogénéité et la pertinence au codage des diverses ressources, car c’est sur leur présence que repose toute l’analyse. La productivité de certaines catégories a été plus limitée quand les documents n’ont pas pu être consultés directement. Il n’a par ailleurs pas toujours été possible de déterminer l’origine de certaines pièces par manque de références claires, et ce, malgré des recherches supplémentaires en dehors du document. Au début de la compilation des données, deux codes de la catégorie Justice indiquaient les éléments positifs, soit l’Ouverture aux autres cultures (OC) et la Compréhension de la diversité culturelle (DC). Étant donné qu’aucun document répertorié ne présentait explicitement ces distinctions, ces deux éléments ont été regroupés dans un seul code, appelé Ouverture culturelle, attribué quand des pièces de plusieurs cultures étaient présentes dans la ressource. En cours d’analyse, plusieurs ouvrages se concentrant sur une seule culture et comportant toutes les catégories spécifiques (par exemple Beaude 2008 ; Montange, Hyman et Barthelémy 2002) ont conduit au constat que l’Ouverture culturelle n’était pas forcément une UI positive. Elle a donc été considérée comme neutre.

En ce qui a trait à l’évaluation des UI et à l’objectivité du codage, des ajustements ont dû être faits à plusieurs reprises pour les catégories spécifiques. Le plan d’analyse comprenait une dernière colonne présentant une évaluation chiffrée (pour faciliter le tri sur Excel), allant de 0 (valeur nulle, quand aucun élément ne concernait les MTIA) à 7 (valeur excellente, si toutes les catégories spécifiques étaient présentes). En principe, cela aurait dû permettre d’évaluer objectivement la ressource, mais en pratique, la qualité et la quantité des informations fournies pour certaines catégories sont apparues trop inégales. Ainsi, pour la Mise en contexte, il n’y a parfois qu’une date ou une illustration peu explicite, alors que d’autres ressources fournissent des notices musicologiques très complètes, rédigées en collaboration avec des porteurs de culture. Quant aux Sources, une mention telle que « Chant traditionnel d’Auvergne » permet d’identifier une pièce comme authentique, alors que la référence du lieu de l’enregistrement d’une oeuvre ne garantit pas forcément son authenticité. Pour la catégorie Transmission, quand une partition est fournie aux élèves, il a été déterminé que la transmission se fait par ce moyen, particulièrement dans les manuels de solfège, alors que pour les chansons et l’apprentissage instrumental, l’oreille et l’imitation ne sont pas à exclure. Par conséquent, cette évaluation chiffrée, théoriquement « objective », a été délaissée pour une évaluation qualitative faisant intervenir un jugement personnel, certes, mais qui paraissait plus juste.

Essai pilote

Leray (2008) conseille de procéder à un échantillonnage de documents représentatifs et à faire un essai pilote du traitement des données pour lequel Krippendorff (2013, 259) préconise l’utilisation d’un logiciel d’analyse comme ATLAS.ti 8[11]. Un premier codage a donc été fait sur la collection Clac-Sons (Anctil, Giroul, La Belle et Touzin 2001 ; La Belle et Touzin 2002), seul ensemble didactique officiellement approuvé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur[12] pour l’enseignement de la musique pour les deux premiers cycles du primaire. La collection comprend 12 documents : 4 guides pédagogiques, 4 manuels de l’élève et 4 disques compacts. À la suite de l’essai pilote, des modifications ont été apportées aux abréviations des UI pour faciliter le codage et l’analyse.

Traitement des données

Krippendorff (2013, 62-63) énumère cinq indices qui servent généralement de base à l’analyse (voir tableau 2). Le premier montre la présence ou l’absence d’un concept ou d’un symbole et s’appelle la visibilité dans le tableau 2, selon la terminologie de Leray (2008). Le second correspond à la fréquence des mentions de certains codes. Le troisième indice, soit la proportion entre les données favorables ou défavorables au sujet d’un concept ne s’appliquait pas. Le quatrième, l’indice d’orientation, concerne les qualifications qui décrivent le concept (mélioratives ou péjoratives). Enfin, le dernier prend en compte les cooccurrences entre les catégories et leurs associations.

Résultats

La méthode la plus courante pour analyser un contenu est de considérer les catégories une à une à la lumière des indices, puis les cooccurrences des catégories (Bardin 2013). Cette technique a permis de dégager les résultats qui suivent.

Musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs (MTIA)

Le codage de la terminologie concernant les MTIA a permis de constater que les termes tradition, traditionnel·le et trad étaient beaucoup plus fréquemment employés que folklore, folklorique ou folk. Le terme populaire, dans le sens de musique issue du peuple, est souvent appliqué pour les musiques latines[13] (L’Épingle 2003 ; Noclin et Desveronnières 2004). Ce constat renforce le choix des termes « musiques traditionnelles » pour cette étude.

Figure 2

Terminologie des MTIA

Terminologie des MTIA

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En retranchant du corpus final de 244 ressources les 67 documents qui comportent peu ou très peu de MTIA ou qui présentent des lacunes importantes dans les autres catégories, il en reste 177 qui peuvent être employées pour enseigner les MTIA, soit 21 pour cent du corpus de départ qui en comprenait 850.

Tableau 2

Indices pour l’analyse des catégories[14]

Indices pour l’analyse des catégories14

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Le répertoire originaire de France est le plus représenté, avec 132 ressources comportant elles-mêmes de nombreuses pièces, suivi de celui du Royaume-Uni (92) dont les chansons peuvent être traduites en français (par exemple Marie a un petit mouton/Mary Had a Little Lamb) ou non. Les chansons traditionnelles du Québec ont souvent été amenées de France par les premiers colons (Gallat-Morin et collab. 2003 ; Laforte 1977) et ce répertoire s’est transmis simultanément dans les deux nations, avec parfois des variantes. Ainsi, À la claire fontaine comportant le refrain Il y a longtemps que je t’aime est présente dans 15 ressources de France et du Québec (par exemple Grosser 2003 et Lessard 2002), mais la version avec le refrain Fendez le bois, chauffez le four est présentée comme venant du Canada par Grosser (2005) et Yannucci (2020). Pour départager les chansons d’origine française de celles transmises au Québec, celles qui ont été publiées en France ont été considérées comme originaires de ce pays et celles publiées au Québec comme venant de cette province, à moins que l’origine française n’ait été explicitement mentionnée. Le même raisonnement a été appliqué pour les chansons américaines venant du Royaume-Uni. Si le pays d’origine n’était pas identifiable, il a fallu se contenter de la région ou du continent, sans doubler les entrées[15]. Faire l’historique de chaque chanson pour déterminer son origine exacte aurait demandé des recherches beaucoup trop considérables.

Le tableau 3 de la page suivante illustre la répartition du répertoire selon les pays ou les régions d’origine.

Justice

Pour la catégorie Justice, l’indice d’orientation entre en ligne de compte de manière : positive, quand des éléments favorisent la justice sociale dans la ressource ; neutre, selon l’origine des MTIA ; ou négative, s’il y a des clichés racistes, des biais ethnocentriques, des inexactitudes ou des amalgames entre deux cultures (voir tableau 2 et Leray 2008).

Orientation positive. Deux ressources mentionnent explicitement la formation à l’identité culturelle (Association canadienne d’éducation de langue française 2020 ; Ripoll 2007, 2) et une autre nomme la médiation culturelle (CQPV 2020).

Tableau 3

Répartition des ressources selon les pays ou les régions d’origine, en ordre décroissant

Répartition des ressources selon les pays ou les régions d’origine, en ordre décroissant

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Orientation neutre. Dans 165 ressources, le répertoire de plusieurs cultures est proposé, alors que 73 se spécialisent dans une seule.

Orientation négative. Quelques clichés racistes et plusieurs biais ethnocentriques ont été trouvés dans des paroles de chansons, par exemple « C’est moi Lo pi tchoum/Votr’ ami chinois/Je cherche partout/Mon petit siamois… » (Siciliano, Zarco et Beaujard 2005, 14-15). De même, dans les documents publiés en France, le terme Indien est employé pour parler des Premières Nations d’Amérique (Beaude 2008 ; Jollet 2000, 21 ; Saint-James 2007, 15). Le plus souvent, ce sont les dessins qui caricaturent des ethnies, par exemple dans Bachelard, Coulon et Loisy (2010, 27), la chanson Au Texas est accompagnée d’un dessin où deux Italiens se chicanent à côté d’une poussette ; dans Baraud (2004, 21), la chanson des Antilles Adieu foulards est illustrée par une caricature où des Noirs aux lèvres exagérément gonflées chantent le gospel. Les croyances peuvent aussi être malmenées : dans Martin et Bouchard-Vermette (1994) se trouvent des dessins de Noël irrévérencieux ; dans Noclin, Folie et Ouédraogo (2000, no 4) des croyances et des coutumes africaines sont tournées en ridicule par l’illustration de la chanson Le sorcier bantou. Un autre cliché se remarque dans la SAÉ Les bâtons de pluie pour les élèves de 3e année (La Belle et Touzin 2002, 401-413, disque compact plage 22) où la présentation infantilisante et théâtrale des croyances péruviennes est doublée d’un amalgame avec la musique aborigène d’Australie, car le son d’un didgeridoo s’entend clairement dans la bande sonore.

Des inexactitudes, voire des erreurs ou des amalgames, se glissent aussi : la chanson Pitchiwiwi fait cohabiter des habitants d’Amérique du Sud avec un hippopotame d’Afrique (Grosser 2003, vol. 1) et, dans la SAÉ Une visite à Montréal, la Grèce et l’Italie, pays européens, sont mis sur le même pied que le continent africain (La Belle et Touzin 2002, 282-298, 4e année). Quelquefois, d’autres périodes de l’histoire sont jugées d’après les critères de notre propre époque (chronocentrisme), par exemple dans L’histoire des notes : Comptine médiévale (Anctil et collab. 2001, 123-133) et dans les dessins anachroniques de Martin et Bouchard-Vermette (1994).

Contexte

La cadre sociohistorique entourant une musique traditionnelle peut être décrit de manière très complète, avec la collaboration de porteurs de culture, par exemple dans la SAÉ Mashk de Clac-Sons : 2e cycle du primaire (La Belle et Touzin 2002, 80-98) ou dans Rythmes du Brésil (Noclin et Estação 2004). Le plus souvent, ce sont des dessins, parfois des photographies, qui illustrent les paroles des chansons, les instruments de musique traditionnels, l’origine d’une pièce ou les circonstances de son interprétation. Comme le montre la figure 3, les cartes géographiques sont peu nombreuses.

Figure 3

Éléments de mise en contexte

Éléments de mise en contexte

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Sources

Cette catégorie sert à estimer l’authenticité du répertoire proposé pour les MTIA. Le répertoire a été considéré comme authentique soit en raison des références explicites fournies dans la ressource, soit parce qu’il fait partie d’un patrimoine musical connu. Il a été classé comme un arrangement quand la partition est prévue pour la flûte à bec (35), un ensemble Orff (23), une chorale polyphonique (7), ou lorsqu’un orchestre symphonique assure l’accompagnement (69). Dans 51 cas, des styles plus récents (rock, jazz ou autres) sont métissés avec des MTIA, souvent sur la bande sonore où jouent des instruments comme la batterie et la guitare électrique, alors que 29 oeuvres sont seulement inspirées des MTIA. Enfin, dans 116 ressources sur 244, se trouvent aussi des compositions originales des auteurs, sans rapport avec les MTIA.

Figure 4

Sources du répertoire

Sources du répertoire

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Transmission

À l’école primaire, les MTIA ne sont pas forcément apprises et transmises à l’oreille et par imitation, comme elles le seraient dans un groupe culturel. En effet, sur les 244 ressources du corpus final, 172 comprennent des partitions, parfois destinées à l’enseignant seulement, tandis que 170 préconisent, surtout pour les chansons, l’apprentissage à l’oreille. Pour que les élèves apprennent par imitation, 53 suggèrent une forme d’enseignement explicite avec modelage, particulièrement pour l’apprentissage instrumental. L’imitation se combine souvent à l’apprentissage à l’oreille, mais aussi à la lecture de la partition. Les ressources exclusivement électroniques sont au nombre de 6, dont 5 avec des partitions en ligne. Seulement 2 ressources proposent des activités d’improvisation (Anctil et collab. 2001 ; Blaise, Laboissière et Folie 2004).

Figure 5

Modes de transmission des MTIA

Modes de transmission des MTIA

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Instrumentation

Pour cette catégorie, trois sortes d’instrumentation sont possibles : les instruments de musique suggérés pour les activités d’interprétation par les élèves, ceux étudiés lors des activités d’appréciation et ceux que l’on entend sur les bandes sonores d’accompagnement (voir figure 6). L’instrumentation prévue pour les élèves est généralement adaptée à ce qui est disponible dans la plupart des écoles : voix, petites percussions, xylophones, métallophones ou flutes à bec. Cependant, il apparaît discutable de faire interpréter une musique autochtone avec des xylophones, comme La Belle et Touzin le suggèrent (2002, 80-98). Certaines bandes sonores sont d’excellente qualité, notamment celles des éditions québécoises de la Montagne secrète (par exemple Aubry, Faubert et Pratt 2015 ; Campagne et Tremblay 2018 ; Lacoursière et Bourbonnière 2008) ou celles des éditions françaises Actes Sud junior (telles Montange, Hyman et Barthelémy 2002 ; Montange, Orhun, Perez et Peris 2007), Fuzeau (Haas 2004, 2012 ; Saint-James 2006) et Jazzimuth Création (Faure 2003 ; Séguin 2002). En revanche, d’autres laissent à désirer en raison de sons MIDI de piètre qualité (Gendron 1998, 2000 ; Patry 2016) ou du fait que les voix entendues ne sont pas toujours justes (Grosser 2003-2010 ; Siciliano, Zarco et Beaujard 2005).

Figure 6

Instruments de musique employés

Instruments de musique employés

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Explications

Cette catégorie comprend les éléments destinés à faciliter la tâche de l’enseignant. Sauf dans la collection Clac-sons, dont les guides d’enseignement sont composés entièrement de SAÉ détaillées, peu nombreux sont les ouvrages qui proposent ce type de présentation. La plupart des auteurs se contentent de fournir quelques directives aux enseignants ou d’annoter brièvement les partitions, au moyen d’indications de tempo ou de conseils sur l’interprétation d’un passage (voir figure 7).

Figure 7

Explications pédagogiques

Explications pédagogiques

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Niveaux scolaires

Les documents analysés couvrent tous les niveaux scolaires, répartis de la façon suivante :

Tableau 4

Niveaux scolaires, ressources et apprentissages

Niveaux scolaires, ressources et apprentissages

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Compétences

Les ressources en MTIA sont principalement conçues pour développer les compétences Interpréter et Apprécier du PFÉQ (Québec 2006). Un certain nombre d’entre elles combinent la danse avec le chant ou le jeu instrumental, d’autres visent l’acquisition de connaissances ou la formation auditive (lecture de notes, solfège, théorie). Il y a relativement peu d’activités de création.

Figure 8

Compétences et savoirs visés

Compétences et savoirs visés

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Dates de publication des MTIA

Les publications recensées dans le corpus final s’échelonnent de 1994 à 2020, leur nombre augmentant entre 2003 et 2005, ainsi qu’en 2010, dans une moindre mesure. Les données de 2020 comprennent les sites internet régulièrement mis à jour, ce qui explique la recrudescence de publications après la moins grande activité de la dernière décennie.

Figure 9

Nombre de publications de MTIA par année depuis 1994

Nombre de publications de MTIA par année depuis 1994

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Discussion

Pour résumer ce portrait du matériel pédagogique actuel en ÉMI disponible au Québec, il est constaté que, parmi les 244 ressources du corpus final, 150 comportent les sept catégories spécifiques et 75 d’entre elles les présentent de façon explicite et complète, de telle sorte qu’elles peuvent être considérées comme très bonnes, voire excellentes, pour enseigner les MTIA[16]. Par ailleurs, parmi ces 150 ressources, 27 sont adaptées pour le préscolaire, 91 pour le 1er cycle, 117 pour le 2e cycle et 105 pour le 3e cycle, certaines s’adressant à plusieurs cycles. Les activités d’appréciation et d’interprétation sont présentes en nombre égal, soit dans 109 publications, alors que 32 sont conçues pour la formation auditive et pour les notions théoriques qui font partie de la progression des apprentissages du PFÉQ (Québec 2006). La compétence Inventer est la moins représentée, avec seulement 19 activités.

Grâce aux sites très fournis de Yannucci (1996-2020) et de Voinet (2020), où les contributions des internautes diversifient continuellement les MTIA provenant du monde entier, la plupart des pays sont représentés. Cependant, alors que 15 pour cent du répertoire provient de France et 11,8 pour cent du Royaume-Uni, les ressources pédagogiques offertes pour les musiques traditionnelles du Québec comptent pour seulement 5 pour cent, ce qui est relativement peu. En considérant que la plupart des pièces musicales qu’on y trouve sont originaires de France, les publications de musique typiquement québécoise se réduisent comme peau de chagrin : quatre seulement concernent la podorythmie (Aubry et collab. 2015 ; CQPV 2020 ; Hébert et Martel 2012 ; Salin et collab. 2020), la chanson très connue L’arbre est dans ses feuilles n’apparaît que dans Campagne et Lafrance (2007) et aucune ressource ne montre comment jouer de la cuillère musicale. Les musiques des Premières Nations et celles des autres provinces canadiennes (chacune 2,82 pour cent des ressources totales), de même que celles de l’Acadie (0,47 pour cent) pourraient également être mieux représentées. Cette sous-représentation des musiques d’ici nous amène à conclure que les enseignants ont peu de ressources pour les transmettre et qu’ils doivent élaborer leur propre matériel.

Quoique les maisons d’éditions françaises proposent des livres variés de bonne qualité, ils ne sont pas toujours adaptés à la progression des apprentissages décrite dans le programme (Québec 2006). L’approche pédagogique y est souvent très théorique (Haas 2004, 2012 ; Siciliano et collab. 2005) et les pièces, à la flute notamment (Séguin 2002 ; Faure 2003 ; Saint-James 2006), sont souvent difficiles à interpréter ou à apprécier pour des élèves du primaire qui ont une heure ou moins de musique par semaine. En outre, le coût des livres imprimés en France est notablement plus élevé que celui des ouvrages du Québec et cela peut limiter leur acquisition pour les écoles à petit budget. Dans ce contexte, les ressources gratuites en ligne sont beaucoup plus accessibles.

En conséquence, la principale recommandation qui découle de cette analyse est de favoriser l’édition d’outils didactiques tenant compte des principes de l’ÉMI, du contexte scolaire et du PFÉQ (Québec 2006), tout en présentant du répertoire varié de MTIA, mais prioritairement celui des musiques traditionnelles d’ici. Cela pourrait aussi prendre la forme d’une communauté collaborative d’enseignants et de porteurs de cultures, les membres étant invités à partager en ligne leurs réalisations.

Limites

La multiplication exponentielle des ressources en ligne — tutoriels, vidéos, documents à télécharger, gratuits ou payants — les rend pratiquement impossibles à répertorier de façon exhaustive. De plus, les sites de Voinet (2020) et de Yannucci (2020) sont tellement vastes qu’il était utopique de vouloir analyser dans le détail la totalité des musiques traditionnelles qu’ils proposent. La consultation directe dans les maisons d’édition, pour compléter la centaine d’ouvrages qui n’étaient pas à la didacthèque de l’Université Laval, n’a pu être faite sur place en raison de la pandémie de COVID-19. Leur analyse s’est donc basée sur les renseignements obtenus dans les catalogues en ligne des éditeurs, complétés par ceux de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Des contraintes de personnel et de temps ont empêché une triangulation de l’analyse pour en augmenter la fiabilité. Cependant, la professeure Valerie Peters a été consultée en cas d’hésitation lorsqu’il s’agissait de catégoriser certains documents. L’absence d’études sur le même sujet au Québec ne permet guère les comparaisons, son contexte sociohistorique et éducatif étant particulier.

Conclusion

En résumé, au Québec, le matériel pédagogique disponible en français pour enseigner les musiques traditionnelles représente un peu plus du quart des 850 ressources du corpus de départ. Toutefois, il n’y en a qu’une sur dix qui permette réellement une meilleure compréhension de la diversité culturelle en respectant les critères de l’ÉMI sur la mise en contexte, l’authenticité du répertoire, le mode de transmission, le choix de l’instrumentation et les explications fournies aux enseignants. En effet, les autres ressources nécessitent un travail de préparation et de recherche supplémentaire avant de pouvoir s’en servir, les SAÉ complètes étant rares. Des ressources pour tous les niveaux du primaire et pour l’apprentissage de toutes les compétences sont disponibles, quoique la compétence Inventer soit plutôt négligée. Le constat le plus préoccupant concerne l’insuffisance des ressources pour transmettre le répertoire des musiques traditionnelles d’ici. Il est souhaitable que les maisons d’éditions québécoises élargissent leur offre dans le domaine et que des organismes comme le Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV 2020) intensifient leur collaboration avec les enseignants pour promouvoir le patrimoine musical d’ici et le transmettre aux générations futures. Qui le fera si l’école ne le fait pas ?