Où est le « je » dans mes motifs ?

  • Nicholas Kasirer

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  • Nicholas Kasirer
    Chercheur, Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé et juge à la Cour suprême du Canada

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Le constat du caractère multiforme, voire « éclaté », de la jurisprudence est certes une première leçon à tirer de ce superbe numéro spécial portant sur un aspect important de la culture juridique au pays et ailleurs. Malgré la diversité du phénomène recensée par les auteurs réunis ici, il y a une forte tendance chez les juristes à percevoir une certaine unité dans l’activité judiciaire — on parle couramment de la jurisprudence — tout comme dans l’édification de la doctrine, elle aussi souvent évoquée comme un ensemble ou même une « entité ». Or, c’est une évidence que chaque jugement se démarque en ce qu’il est intimement lié à la personne qui le rend et au style qu’elle adopte pour ce faire. Quand on s’attarde au jugement comme acte de communication juridique en mettant l’accent sur la rédaction des motifs, celui qui tient la plume s’efface difficilement devant l’oeuvre accomplie, du moins dans la pratique judiciaire canadienne. Si cela relève en effet d’une évidence, pourquoi les juges se demandent-ils si souvent, en relisant leurs jugements, « où est le je dans mes motifs » ? Peut-être le juge sait-il que « ses » motifs ne lui appartiennent qu’en partie. Quelle que soit son emprise sur les motifs, le jugement est surtout l’oeuvre de sa cour, source ultime de son autorité. Il est vrai que le juge parle au nom de son tribunal et qu’il s’efforce souvent de dire le droit de façon « pure » — c’est-à-dire épurée de son regard personnel — face à une question posée par les parties et un contexte dicté par les contours de l’affaire. Mais comme c’est le cas pour le professeur dans les pages d’une revue scientifique, la figure du juge se profile assurément derrière ses motifs et, au Canada du moins, le juge n’hésite pas, à l’intérieur des balises imposées par sa charge, à se dévoiler un peu. Même lorsqu’il s’astreint au modèle de jugement dominant dans le système juridique qui est le sien, le juge laisse des traces personnelles dans la forme même des jugements qu’il rend. Cela étant, si chaque juge sait que, même s’il tient la plume, il n’a aucunement la pleine souveraineté sur ses motifs, comment peut-il arriver à un juste équilibre entre ces styles « pur » et « impur » ? Rédigeant ses motifs en tant que membre de la cour, le juge doit être conscient qu’en application des règles du stare decisis horizontal, il peut lier ses collègues et sa cour par ses motifs, et ce, qu’il exerce sa fonction au sein d’un tribunal de première instance ou d’appel. Devant cette réalité, quelle place est laissée pour le « je » dans les motifs ? Au moment de trancher la question, les experts ne sont pas unanimes. Une juge qui fait autorité en la matière propose à ses collègues siégeant en première instance d’écrire à la troisième personne, puisque c’est en tant que tribunal que ces juges rendent jugement : « En termes de communication, on voudrait éviter que le public fasse l’amalgame entre la personne du juge et la fonction qu’il exerce comme représentant de la cour. La distance revêt une certaine importance ». Dans un autre ouvrage sur la rédaction des motifs destiné aux juges canadiens, on semble donner le conseil inverse. Constatant une tendance vers un décorum judiciaire moins marqué par le formalisme, le professeur Edward Berry fait état de ce qu’il perçoit comme une pratique judiciaire préconisant l’emploi de la première personne : « most contemporary judges prefer “I” because it acknowledges the human basis of their professional role and engages …

Parties annexes