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Introduction

Le sommeil est un mécanisme de régulation essentiel pour favoriser le développement et le fonctionnement physique, cognitif et émotionnel pendant l’adolescence (Galvan, 2020). Les problèmes de sommeil, y compris les troubles de sommeil, le sommeil inadéquat et la somnolence diurne, augmentent en prévalence pendant cette période développementale (Owens, 2014). Des preuves empiriques indiquent que les enfants et les adolescents ayant un sommeil inadéquat ou perturbé rapportent de la somnolence diurne (Fallone et coll., 2014 ; Patte et coll., 2017). La somnolence diurne, quant à elle, est définie comme étant l’incapacité à maintenir un niveau de vigilance adéquate durant la principale période d’éveil. D’ailleurs, les adolescents ayant de la somnolence diurne rapportent davantage de problèmes physiques, des troubles de santé mentale, des performances scolaires diminuées et un risque plus élevé d’avoir des comportements à risque (Millman et coll., 2005 ; Shochat et coll., 2014). La somnolence diurne est observable et mesurable pendant la journée et peut être ainsi utilisée comme un levier d’intervention pour conscientiser les adolescents à effectuer des changements dans leurs habitudes de vie afin de rectifier les facteurs associés au manque de sommeil. Le modèle de la « tornade parfaite » de Mary Carskadon (2011) est un modèle théorique illustrant la difficulté des adolescents à se lever le matin et leur somnolence diurne pendant la semaine. La forte prévalence de somnolence diurne auprès de cette population est expliquée par le phénomène du délai du cycle éveil-sommeil lié à leur stade développemental et à un entraînement social (Moore et Meltzer, 2008). La somnolence diurne des adolescents passe régulièrement inaperçue, pouvant être camouflée par une consommation abusive de substances stimulantes réputée pour être dommageable pour leur cerveau (Curran et Marczinski, 2017). Selon différentes études, 25 % à 78 % des adolescents rapportent de la somnolence diurne (Gibson et coll., 2006 ; Merdad et coll., 2017). Cette variabilité s’explique notamment par l’utilisation variée d’outils de dépistage pour évaluer la somnolence. Le chapitre de Philip et Sagaspe (2019) explique bien cette variabilité en présentant des outils subjectifs, des questionnaires autorapportés, et des outils objectifs de la somnolence diurne, reposant sur des mesures physiologiques de l’enfant à la personne âgée.

Le délai du cycle éveil-sommeil : un phénomène normal observé chez les adolescents

À l’adolescence, des associations entre la maturation pubertaire et le délai du cycle éveil-sommeil ont été confirmées par des mesures en laboratoire (Carskadon et coll., 1993 ; Carskadon et coll., 1999). Ces mesures en laboratoire ont montré que les adolescents présentent une résistance dans l’accumulation de la pression de sommeil ce qui se traduit par une tolérance accrue à l’éveil en fin de journée. Cependant, le taux de dissipation de la pression de sommeil pendant la nuit ne serait pas modifié durant le développement donc, la vitesse de récupération demeure pratiquement la même (Jenni et coll., 2005). Ces résultats sont cohérents avec le fait que le besoin de sommeil demeure stable pendant l’adolescence. L’exposition à la lumière en soirée est reconnue pour retarder la fenêtre d’endormissement (Hagenauer et coll., 2009). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la physiologie de l’horloge biologique endogène des adolescents pubères fonctionne de façon semblable à celle de l’adulte, soit une période de 24,2 à 24,3 heures (Crowley et Eastman, 2018). Des chercheurs ont vérifié si la courbe de sensibilité à la lumière serait plus intense chez les adolescents pubères. La réponse est non puisqu’en comparant des groupes d’adolescents prépubères et postpubères, les résultats ont montré que la sensibilité de l’horloge à la lumière entre 23 h et minuit était moins importante chez les adolescents postpubères comparativement aux adolescents prépubères (Crowley et coll., 2015). Ainsi, le délai du cycle éveil-sommeil chez les adolescents pourrait être davantage expliqué par le ralentissement de l’accumulation de la pression de sommeil pendant la journée en leur offrant une plus grande opportunité d’exposition à la lumière entraînant une suppression de mélatonine plus tardive (Jenni et coll., 2005). Le fait que la plupart des adolescents se couchent tard tout en ayant des obligations les forçant à se lever tôt le lendemain, comme celle d’aller à ses cours, augmente le risque d’accumuler une dette de sommeil pendant la semaine, donc de la somnolence diurne, qu’il cherchera à récupérer la fin de semaine. Ce délai du cycle éveil-sommeil est un phénomène normal qui est rapporté comme étant davantage prononcé chez les adolescents âgés de plus de 15 ans (Urner et coll., 2009).

Le délai du cycle éveil-sommeil exacerbé par les facteurs psychosociaux

La revue systématique de Matricciani et son équipe (2012) a rapporté un déclin moyen d’environ 1 heure de sommeil chez les enfants et les adolescents depuis le dernier siècle (1905-2008). La recension de Davidson-Urbain et son équipe (2022) résume les facteurs psychosociaux du délai du cycle veille-sommeil plus marqué chez les adolescents, tels que la consommation de substances stimulantes dont la caféine (Reichert et coll., 2020), la nicotine (Wiener et coll., 2016), de boissons énergisantes (Veselska et coll., 2021), le nombre croissant d’activités extrascolaires (Voulgaris et coll., 2017), une plus grande consommation d’exposition aux écrans avant le coucher (Gamble et coll., 2014) ainsi que le travail rémunéré à temps partiel en soirée (Gaudreault et coll., 2019).

La somnolence diurne et ses conséquences multifactorielles et substantielles sur la santé mentale

Or, une somnolence diurne peut être lourde de conséquences puisqu’elle peut nuire à court et à long terme à leur santé physique et psychologique dont une altération des fonctions cognitives, une détérioration de la régulation émotionnelle et une diminution des habiletés attentionnelles (Millman et coll., 2005 ; Moore et Meltzer, 2008). Le manque de sommeil et la somnolence diurne sont associés à des conséquences sur la résolution de problèmes, l’attention, la prise de décision, la mémoire et la créativité (Short et Chee, 2019). La somnolence diurne des adolescents a aussi un impact négatif au niveau de la réussite académique (Minges et Redeker, 2016). Les adolescents qui sont en manque de sommeil sont à risque de souffrir d’obésité (Chaput et Dutil, 2016). Également, les adolescents somnolents sont à risque de souffrir de problèmes de santé mentale, dont notamment, des symptômes de dépression, d’anxiété et des plaintes somatiques (Moore et coll., 2009). La somnolence diurne altère également l’attention, le temps de réaction et l’habileté à prendre des décisions, ce qui engendre un nombre accru d’accidents de voiture (Tefft et coll., 2013).

La somnolence diurne et les troubles de sommeil associés

Selon la classification internationale des troubles de sommeil (American Academy of Sleep Medicine. 2014), il est reconnu que la somnolence diurne est un symptôme parmi plusieurs catégories de troubles de sommeil comme l’insomnie, les troubles de sommeil liés aux problèmes respiratoires (p. ex. l’apnée du sommeil), à l’hypersomnie (p. ex. la narcolepsie), aux rythmes circadiens et à l’agitation motrice. Les adolescents ayant un diagnostic d’insomnie ont des difficultés à initier et/ou à maintenir le sommeil et rapportent des répercussions négatives pendant la journée, dont celle de souffrir de somnolence diurne (AASM, 2014). Un échantillon de 1 036 adolescents tout-venant français, scolarisés ayant une moyenne d’âge de 15 ans (12 à 20 ans) rapporte que les adolescentes ayant une tendance à se coucher tardivement augmentent leur risque de présenter une insomnie (Julian et coll., 2021). Le syndrome d’apnée du sommeil se produit quand les voies aériennes supérieures s’obstruent pendant le sommeil (Chevin et coll., 2000). De plus, les adolescents souffrant du syndrome d’apnée du sommeil rapportent fréquemment de la somnolence diurne (Kirsch et Chervin, 2011). L’hypersomnie idiopathique se traduit par de grandes difficultés pour se réveiller le matin, puis se caractérise par une sensation de ne pas être tout à fait éveillé (AASM, 2014). La narcolepsie fait partie de la catégorie de l’hypersomnie ; c’est un trouble du sommeil associé à une condition médicale qui explique la somnolence diurne marquée par un besoin de dormir irrésistible associé à des épisodes de faiblesse musculaire (Komada et coll., 2005). Les troubles de sommeil liés aux rythmes circadiens proviennent d’un désalignement persistant ou récurrent avec le rythme souhaité par la norme sociétale (AASM, 2014). L’adolescent ayant un problème de retard de phase se plaint régulièrement d’insomnie ou de somnolence diurne. Enfin, le trouble du sommeil lié à l’agitation motrice implique des mouvements musculaires provenant de tout le corps, des bras, des jambes ou de la tête qui perturbent le sommeil et augmentent la somnolence diurne (Chervin, 2001 ; DelRosso et coll., 2020).

Évaluer la somnolence diurne : un incontournable pour les intervenants en santé mentale

La somnolence diurne peut être représentée comme la partie immergée de l’iceberg de la santé mentale. Une grande prévalence d’adolescents (25 % à 78 %) ayant ou non des problèmes de santé mental rapportent de la somnolence diurne (Gibson et coll., 2006 ; Merdad et coll., 2017 ; Hein et coll., 2020). D’ailleurs, l’adolescent est plus à risque de développer des habitudes néfastes pour contrecarrer sa somnolence diurne, comme boire des boissons caféinées (Reichert et coll., 2020), la nicotine (Wiener et coll., 2016) ou consommer des boissons énergisantes (Veselska et coll., 2021). De plus, il existe une association bidirectionnelle entre un sommeil inadéquat ou altéré et l’apparition des troubles de santé mentale (Tesler et coll., 2013). Une revue systématique incluant 115 540 d’enfants et d’adolescents provenant de 12 pays (Sampasa-Kanyinga et coll., 2020) a mis en exergue qu’une combinaison de bonnes habitudes de vie : 1) faire de l’activité physique de > 60 minutes de niveau modéré à élevé ; 2) < 2 heures de temps d’écran récréatif ; 3) avoir un sommeil suffisant (8-10 heures pour les adolescents) était associée à de meilleurs indicateurs de santé mentale comparativement aux enfants et aux adolescents ne suivant aucune des recommandations. Les intervenants en santé mentale pourront travailler sur des pistes d’intervention concrètes afin de favoriser une quantité et une qualité de sommeil adéquates et ainsi, améliorer sa santé mentale. Évaluer la somnolence de l’adolescent est pertinent et donc un incontournable. Ainsi, le but de cette recension est d’identifier les articles scientifiques mesurant la somnolence chez les adolescents afin de répertorier les différents outils de mesure de la somnolence spécialisés auprès de cette population, d’en détailler les caractéristiques ainsi que les forces et les limites, dans le but de fournir aux intervenants un regard éclairé à l’égard de la somnolence diurne et de son impact sur la santé mentale.

Méthodologie

La présente recension a été effectuée sur la plateforme internet de Medline (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/). Les articles sélectionnés devaient inclure des adolescents âgés de 13 à 18 ans ou le mot-clé « adolescent* ». Les mots-clés utilisés pour la recherche étaient les suivants : «  sleepiness test » AND « questionnaire* ». Les articles devaient être écrits en français ou en anglais et publiés jusqu’au 9 janvier 2023. Un total de 277 articles scientifiques a été recensé. Un deuxième processus de sélection a été amorcé par une lecture du titre, pour retenir uniquement les titres incluant le mot-clé « sleepiness ». Lors de ce processus, 209 articles ont été exclus manuellement en consultant le titre de l’article. Ensuite, des 68 articles retenus, 33 ont été exclus parce que ces derniers étaient issus de la population adulte. Au final, 35 articles ont été sélectionnés, rapportant des outils de mesure de somnolence auprès de la population adolescente. Ensuite, tous les articles ont été lus afin d’identifier les outils utilisés pour mesurer la somnolence auprès des adolescents. Un outil en français évaluant la somnolence diurne chez les adolescents ayant des troubles de sommeil a été récemment publié et a été ajouté au manuscrit. Un total de 7 outils de mesure de somnolence diurne a été répertorié, soient 4 outils de mesure de nature subjective, ainsi que 3 de nature objective. Ces 7 outils seront décrits dans le cadre de cette recension.

Résultats

Une synthèse des outils subjectifs pour mesurer la somnolence auprès des adolescents est présentée au Tableau 1 en décrivant les forces et les limites.

Description des mesures subjectives de somnolence pour les adolescents

Chez les adolescents, l’expérience subjective de la somnolence diurne est considérée comme un indicateur déterminant d’un sommeil insuffisant, puisqu’elle reflète la perception des déficits entraînés par un sommeil sous-optimal (Owens et coll., 2016). Des questionnaires sont communément utilisés en contexte clinique, comme outils de dépistage, et dans le cadre de projets de recherche. Plusieurs questionnaires ont été élaborés pour apprécier la somnolence diurne chez les enfants et les adolescents, en tenant compte des particularités propres à la biologie et au contexte psychosocial de ces derniers (Ji et Liu, 2016). Dans le cadre de cette recension, 4 questionnaires ont été répertoriés comme évaluant la somnolence diurne chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans : 1) l’Epworth Sleepiness Scale for Children and Adolescents (Johns, 2015) ; 2) le Pediatric Daytime Sleepiness Scale (Drake et coll., 2003) ; 3) le Cleveland Adolescent Sleepiness Questionnaire (Spilsbury et coll., 2007) ; 4) French Sleepiness Scale for Adolescents (Gustin et coll., 2023).

Epworth Sleepiness Scale for Children and Adolescents

En 2015, une version adaptée aux enfants et aux adolescents a été développée par l’auteur de l’Epworth Sleepiness Scale (ESS) (Johns, 2015). L’Epworth Sleepiness Scale for Children and Adolescents (ESS-CHAD) a été validé auprès d’une population d’enfants et d’adolescents souffrant de narcolepsie (Wang et coll., 2022), auprès d’adolescents australiens âgés de 12 à 18 ans, mais non dans la population canadienne (Van Meter et Anderson, 2020). Les qualités psychométriques évaluées ont démontré que l’échelle mesure un construit unidimensionnel valide dont les résultats sont comparables à ceux de l’ESS originale. Le coefficient de corrélation intracrasse était de 0,89, indiquant une forte fidélité test-retest. L’alpha de Cronbach est de 0,73, indiquant une cohérence interne acceptable (Van Meter et Anderson, 2020). L’ESS-CHAD est un questionnaire autorapporté de 8 items qui demande à l’adolescent de quantifier son risque d’assoupissement ou sa probabilité de somnoler dans différentes situations de la vie quotidienne. Il peut être rempli dès l’âge de 9 ans (Johns, 2015). Lors de la cotation, l’évaluateur doit faire la somme des scores à chacun des 8 items, le score total varie de 0 à 24. Le seuil clinique utilisé chez les adolescents est basé sur celui de la population adulte, bien qu’aucune étude n’ait investigué s’il est adapté aux caractéristiques des adolescents. Selon les recommandations de l’auteur, un score de 0 à 10 est décrit comme « normal », un score de 11 à 12 témoigne d’une « somnolence excessive légère », un score de 13 à 15 réfère à une « somnolence excessive modérée » et un score de 16 à 24 est interprété comme une « somnolence excessive sévère ». Les scores d’adolescents à l’ESS (version originale) ont été associés à leurs performances académiques, leur niveau d’anxiété, leur perception de leur état de santé, ainsi qu’à la dépression, la suicidalité et l’utilisation excessive d’Internet (Van Meter et Anderson, 2020). Selon ce qu’il est souhaité documenter, une utilisation jumelée de l’ESS-CHAD à d’autres outils d’évaluation comme l’agenda de sommeil (Kothare et Kaleyais, 2008) est souhaitable afin de dresser un portrait plus complet des facteurs associés à la somnolence et des difficultés de sommeil vécues par les adolescents. La version originale du questionnaire est en anglais, mais le test est disponible en plusieurs langues, dont le français canadien (eProvide, 2020). L’ESS-CHAD est disponible en ligne, mais une licence est requise pour son utilisation. Celle-ci est gratuite pour les étudiants, les cliniciens, et pour ceux qui l’utilisent dans le cadre d’activités de recherche non financées (eProvide, 2020).

Pediatric Daytime Sleepiness Scale

Le Pediatric Daytime Sleepiness Scale (PDSS) est un outil d’évaluation de la somnolence chez les adolescents, adapté à leurs particularités de sommeil et à leur contexte social, ce dont les questionnaires adultes ne tenaient pas compte (Drake et coll., 2003). Il vise à évaluer la fréquence de comportements ou de perceptions associées au niveau de somnolence ou de vigilance. Depuis sa création, il a été utilisé à maintes reprises auprès de populations d’âges variés, notamment chez des adolescents âgés de 16 à 19 ans, tant dans des populations non cliniques d’adolescents, que dans des populations d’adolescents atteints d’épilepsie, de narcolepsie, d’apnée du sommeil et de trouble de déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH) (Meyer et coll., 2018 ; Van Meter et Anderson, 2020). Le questionnaire a été validé chez les adolescents brésiliens (Felden et coll., 2016) ainsi qu’auprès des adolescents américains âgés de 11 à 15 ans (Drake et coll., 2003). Les auteurs ont rapporté un alpha de Cronbach de 0,80, indiquant une cohérence interne de bon niveau (Drake et coll., 2003 ; Van Meter et Anderson, 2020). Le PDSS est composé de 8 questions, destinées aux moins de 18 ans, sans précision de l’âge (Drake et coll., 2003). Les scores totaux varient de 0 à 32. Un score plus élevé indique une somnolence plus importante. Il n’existe pas de seuil clinique validé par les auteurs, mais plusieurs études ont suggéré un score de 15 pour identifier les adolescents atteints de somnolence excessive (Van Meter et Anderson, 2020). Dans la littérature, les scores ont été corrélés à plusieurs facteurs contribuant à la somnolence et aux conséquences qui y sont associées : temps total de sommeil rapporté, temps passé au lit, consommation de caféine, utilisation excessive du cellulaire, décalage horaire social, perception de la qualité de vie et de la santé, tristesse et performances académiques (Van Meter et Anderson, 2020). Toutefois, les études jumelant des mesures objectives de somnolence au PDSS n’ont pu démontrer d’association significative entre ces instruments (Van Meter et Anderson, 2020). Contrairement à l’ESS-CHAD, le PDSS considère plusieurs dimensions du sommeil associées à la somnolence (plutôt que de quantifier la propension à l’endormissement dans différents contextes), comme l’inertie du sommeil, le besoin de sommeil et la vigilance. Les informations recueillies par le PDSS sont intéressantes, mais le nombre de questions demeure limité pour évaluer plusieurs construits. L’interprétation des résultats auprès d’adolescents âgés de plus de 15 ans doit être faite avec réserve, puisque le test n’a pas été validé au-delà de la population de base (11 à 15 ans), ni dans la population canadienne, ni dans sa version francophone. La version originale du questionnaire est en anglais, mais le test est disponible en plusieurs langues, dont le français. Il est possible de se procurer le PDSS gratuitement en contactant l’auteur. L’utilisation est gratuite dans les contextes cliniques pour des études d’envergures modérées. Une permission est requise si le questionnaire est utilisé notamment dans le cadre d’une recherche pharmaceutique (AlNabhani et Shapiro, 2021).

Cleveland Adolescent Sleepiness Questionnaire

Le Cleveland Adolescent Sleepiness Questionnaire (CASQ) a été créé dans le but de fournir un instrument d’évaluation de la somnolence adapté aux réalités des adolescents alors que l’ESS s’adressait aux adultes et que le PDSS ciblait les adolescents âgés de 15 ans et moins (Spilsbury et coll., 2007). Il vise à quantifier la fréquence de comportements et de sensations associés à leur niveau de somnolence ou de vigilance dans différentes situations de la vie quotidienne. Le questionnaire a été validé dans une population d’adolescents américains âgés de 11 à 17 ans (Spilsbury et coll., 2007). L’alpha de Cronbach est de 0,89, indiquant une bonne cohérence interne. Le test a un bon niveau de validité de construit, puisque ses résultats sont corrélés avec le PDSS et le School Sleep Habits Survey (Spilsbury et coll., 2007). Le CASQ est un questionnaire autorapporté composé de 16 questions, destiné aux adolescents de 11 à 17 ans. Les scores totaux varient de 16 à 80. Un score élevé est associé à une somnolence plus importante, mais il n’y a pas de seuil clinique (Van Meter et Anderson, 2020). Des valeurs moyennes « normales » sont disponibles dans la littérature et permettent d’interpréter les résultats du questionnaire. La moyenne des scores obtenus dans l’échantillon normatif de l’étude initiale (adolescents américains de 11 à 17 ans, sans maladie ou trouble du sommeil connu) était de 35,2 (écart-type de 11) (Spilsbury et coll., 2007). Dans l’étude originale de Spilsbury et ses collaborateurs (2007), les scores étaient corrélés avec des mesures objectives du sommeil obtenues par polysomnographie, comme l’efficacité du sommeil. Les scores sont aussi associés à l’utilisation des réseaux sociaux en soirée, au décalage horaire social, à la durée de sommeil rapportée et au Sleep Hygiene Index, un questionnaire de 13 questions sur des comportements associés à l’hygiène du sommeil (Van Meter et Anderson, 2020). Toutefois, son utilisation est moins répandue, il n’offre pas de seuil clinique et il n’a pas été validé dans la population canadienne. Dans le cadre d’une étude, il serait préférable de jumeler son utilisation avec celle d’outils évaluant d’autres mesures, comme la durée de sommeil ou un questionnaire sur l’hygiène de sommeil (p. ex. le Sleep Hygiene Index). À ce jour, il n’y a pas de version française disponible (de Souza Vilela et coll., 2016). Une autorisation pour libérer les droits d’auteurs doit être obtenue en contactant l’auteur.

French Sleepiness Scale for Adolescents

Le French Sleepiness Scale for Adolescents (FSSA) a été créé en vue de discriminer la somnolence diurne normale et pathologique chez les adolescents âgés de 12 et 18 ans. Ce questionnaire permet d’évaluer les chances de l’adolescent à s’endormir dans 8 situations différentes en estimant sur une échelle de 4 points variant de 0 à 3. Le seuil pathologique est de 7. L’alpha de Cronbach est de 0,92, indiquant une excellente cohérence interne. La théorie de la réponse aux items a confirmé une structure unifactorielle de l’échelle. L’échelle FSSA présente une bonne sensibilité (0,90) et spécificité (0,90) particulièrement pour les sujets cliniques bien qu’elle soit faiblement corrélée avec les mesures objectives de la somnolence (MSLT). Le FSSA est peu fiable chez les adolescents ne présentant aucun trouble du sommeil.

Une synthèse des outils objectifs pour mesurer la somnolence diurne auprès des adolescents est présentée au Tableau 2 en décrivant les forces et les limites.

Description des mesures objectives de somnolence pour les adolescents

Trois mesures objectives ont été recensées pour mesurer la somnolence diurne des adolescents : 1) le test itératif de latence d’endormissement, Multiple Sleep Latency Test (MSLT) (Richardson et coll., 1978) ; 2) le test de maintien de l’éveil, Maintenance Wakefulness Test (MWT) (Mitler et coll., 1982) ; 3) la pupillométrie, utilisée dans le test de somnolence pupillographique (PST) (Lowenstein et Loewenfeld, 1958). Les 2 premiers tests reposent sur la polysomnographie (PSG). La PSG est « l’étalon d’or ou de référence » des mesures utilisées dans les études sur le sommeil (Morin, 2021). La PSG prend place en laboratoire ou en clinique spécialisée puisqu’elle nécessite l’installation d’électrodes sur plusieurs parties du corps de l’individu. Elle permet de mesurer simultanément plusieurs paramètres du sommeil en collectant différentes mesures physiologiques, à l’aide principalement de l’électroencéphalogramme (EEG), l’électrooculogramme (EOG) et l’électromyogramme (EMG). L’EEG enregistre l’activité électrique cérébrale, l’EOG les mouvements des yeux et l’EMG capte les signaux électriques musculaires (Rundo et Downey, 2019). C’est la seule mesure qui permet d’analyser l’architecture du sommeil, c’est-à-dire les différentes phases qui le constituent. La PSG n’évalue pas directement la somnolence, mais plutôt la durée nécessaire à l’endormissement (latence d’endormissement) ou la capacité à résister à l’endormissement. Une latence d’endormissement plus courte est associée à un niveau de somnolence plus élevé (Carskadon, 1986).

Test itératif de latence d’endormissement

Le test itératif de latence d’endormissement (TILE) est considéré comme l’examen de référence pour évaluer la somnolence. Il permet de mettre en évidence la somnolence diurne excessive en mesurant à quelle vitesse l’individu s’endort, dans un environnement calme, pendant la journée. C’est une mesure sensible et reproductible, utilisée dans l’évaluation du manque de sommeil et dans l’évaluation de la narcolepsie chez l’adolescent (Aurora et coll., 2012). Le test se déroule en laboratoire et mesure le temps minimal requis pour s’endormir, à différents moments de la journée. Il est précédé d’une nuit de sommeil en laboratoire, afin de s’assurer que le participant n’a pas manqué de sommeil durant la nuit précédant le test. Sa durée varie de 9 à 18 heures. Le premier test est réalisé au moins 1 h 30 après le réveil, puis, toutes les 2 heures. On demande au participant de s’étendre confortablement dans une pièce tamisée avec la consigne de ne pas résister au sommeil. S’il ne s’endort pas après une période de 20 minutes, la session en cours est interrompue et la latence est documentée comme étant de 20 minutes. Si le sujet s’endort, le temps de latence est calculé et on laisse le sujet dormir maximum 15 minutes. Le processus est répété pour un total de 5 périodes de sieste. La moyenne des latences d’endormissement est calculée, puis interprétée. À titre indicatif, chez les adolescents atteints de narcolepsie, la latence d’endormissement est de moins de 8 minutes et lorsque la narcolepsie est contrôlée, la latence d’endormissement est supérieure ou égale à 20 minutes (Aurora et coll., 2012). Le TILE est un test coûteux, long à exécuter et qui exige une implication importante des participants, ce qui limite son utilisation à de petits échantillons. Il requiert aussi l’implication d’un technicien expérimenté. Le protocole d’utilisation est strict, car les conditions du test sont standardisées (Littner et coll., 2005). Il est recommandé d’interrompre l’usage de certaines substances stimulantes et de médicaments pouvant interagir avec le sommeil dans les journées précédant le test. La consommation de caféine et de nicotine, les repas et les activités doivent être encadrés avant et durant le test. Il est d’ailleurs recommandé de remplir un journal de sommeil dans la semaine précédant le test. Des études ont démontré que l’utilisation du TILE chez les moins de 18 ans permettait une évaluation fiable de la somnolence diurne pour les adolescents atteints ou non de la narcolepsie (Pizza et coll., 2019).

Test de maintien de l’éveil

Le test de maintien de l’éveil (TME) se déroule dans des conditions similaires au TILE, soit durant le jour. Au lieu de mesurer le temps nécessaire à l’endormissement, le TME mesure la capacité à y résister (Mitler et coll., 1982). En laboratoire, l’adolescent doit s’asseoir dans un lit ou un fauteuil et tenter de rester éveillé le plus longtemps possible. La latence d’endormissement est calculée lorsque le sujet s’endort ou lorsqu’une période de 40 minutes est écoulée (temps maximal accordé). Le sujet est réveillé aussitôt qu’il s’endort, contrairement au TILE. Le processus est répété pour un total de 4 périodes de 40 minutes, séparées de 2 heures entre elles. L’utilisation du TME est moins répandue que celle du TILE. Il existe très peu de données issues d’échantillons d’adolescents (Zandieh et coll., 2013). La pertinence de son utilisation a pourtant été démontrée, notamment pour vérifier la réponse au traitement chez 13 adolescents âgés en moyenne de 15,8 ans, souffrant de narcolepsie (Zandieh et coll., 2013), ainsi que chez 53 adolescents de 17,3 ans aux prises avec de l’hypersomnie (Jaroenying et coll., 2020). Les limites et contraintes liées à l’utilisation du TME sont similaires à celles du TILE, puisque les protocoles sont semblables.

Test de somnolence pupillographique

La pupillométrie est l’une des premières mesures objectives inventées pour évaluer la somnolence diurne excessive (Lowenstein et Loewenfeld, 1958). Le test de somnolence pupillographique se déroule en laboratoire (Wilhelm et coll., 1998). L’individu est assis dans le noir total et il porte des lunettes qui ne laissent passer qu’une lumière infrarouge qu’il doit observer. Les variations naturelles du diamètre de ses pupilles sont enregistrées à l’aide d’une caméra infrarouge placée devant lui, pendant 11 minutes, et ce, à plusieurs reprises durant une demi-journée ou une journée complète (Manousakis et coll., 2021). Une variation plus importante du diamètre des pupilles est associée avec un niveau de somnolence plus élevé (Wilhelm et coll., 1998). En effet, la variation du diamètre des pupilles reflète l’activité du système nerveux autonome et les modifications de l’état de vigilance, méthode très utilisée en neurosciences (Manousakis et coll., 2021). Bien que le test soit plus rapide et moins dispendieux que les mesures par PSG, il demande tout de même au participant de se présenter dans un laboratoire pendant plusieurs heures. Les appareils utilisés requièrent également une expertise précise et ils sont moins utilisés dans les études récentes. Bien que cette méthode soit prometteuse, il existe pour l’instant très peu de données dans la population adolescente (Urschitz et coll., Wilhelm, 2013). Néanmoins, son utilité et sa capacité à témoigner de leur somnolence ont été démontrées et validées auprès des enfants et des adolescents (von Lukowicz et coll., 2021).

Discussion

De prime à bord, la somnolence diurne est un signe clinique reflétant la qualité et la quantité de sommeil. Il est reconnu que la qualité et la quantité de sommeil sont fortement corrélées à la santé mentale de l’adolescent (Tarokh et coll., 2016). La mesure de la somnolence diurne est indispensable et devrait faire partie systématiquement de la démarche d’évaluation clinique de la santé de l’adolescent. L’évaluation de la somnolence diurne chez les adolescents a 2 visées principales : 1) dépister cliniquement une variété de troubles de sommeil de nature médicale requérant une investigation en laboratoire (p. ex. la narcolepsie, le trouble du sommeil lié à l’agitation motrice, l’apnée du sommeil) ; 2) mesurer l’intensité de la somnolence diurne en lien avec un manque de sommeil (particulièrement fréquent à l’adolescence) sans qu’existent des troubles de sommeil associés. En d’autres mots, la deuxième visée de la somnolence diurne est la plus commune, celle de cibler les mauvaises habitudes associées au manque de sommeil, afin que les adolescents puissent y remédier et en retour, puissent ainsi améliorer leur santé mentale. Conséquemment, le journal de sommeil devrait toujours faire partie de l’évaluation de la somnolence diurne puisque cet outil permet de comprendre les mauvaises habitudes associées au manque de sommeil. Les outils subjectifs ou les questionnaires autorapportés pour mesurer la somnolence diurne auprès des adolescents ont l’avantage d’être peu coûteux et de pouvoir être utilisés par les professionnels de santé mentale comparativement aux outils objectifs. Ils évaluent aussi l’expérience subjective du sommeil et les conséquences des difficultés qui y sont associées. Les évaluations subjectives permettent de qualifier les perceptions ressenties par les adolescents par rapport à leur manque de sommeil, et ainsi les sensibiliser à l’impact que ce manque de sommeil peut avoir sur leur santé mentale.

Concernant le choix entre les mesures subjectives de somnolence diurne, le Cleveland Adolescent Sleepiness Questionnaire (CASQ) couvre toute la période de l’adolescence et mesure un éventail plus large d’items liés à la somnolence diurne (16 items) comparativement au Epworth Sleepiness Scale for Children and Adolescents (ESS-CHAD) (8 items), Pediatric Daytime Sleepiness Scale (PDSS) (8 items) et le French Sleepiness Scale for Adolescents (FSSA) (8 items). De futures recherches devront être effectuées pour que le CASQ puisse obtenir une version francophone validée. Concernant le choix entre le fait d’utiliser l’ESS-CHAD, le PDSS ou le FSSA, ces outils subjectifs d’évaluation de la somnolence diurne sont relativement équivalents en termes de nombre d’items à coter. L’ESS-CHAD possède une version validée si l’évaluation de l’adolescent provient d’un milieu francophone. Le FSSA est un outil fiable pour discriminer la somnolence diurne pathologique auprès des adolescents souffrant de troubles de sommeil.

En somme, ce ne sont pas tous les adolescents qui doivent se soumettre à une mesure objective de la somnolence diurne dans un second temps. Les professionnels de santé mentale doivent être en mesure d’en suggérer l’utilisation lorsque la présence de troubles de sommeil d’origine médicale est suspectée ou lorsqu’aucune mauvaise habitude de sommeil ne semble expliquer la somnolence diurne de l’adolescent. À cet égard, il est donc pertinent de recommander l’utilisation d’une mesure objective de somnolence diurne au médecin de l’adolescent puisque pour l’instant, seuls les médecins peuvent mesurer objectivement la somnolence diurne avec des méthodes électrophysiologiques. L’adolescent pourra être recommandé à un laboratoire de sommeil afin de passer une polysomnographie, suivie d’un test itératif de latence d’endormissement ou d’un test de maintien de l’éveil. L’évaluation de la somnolence diurne par pupillographie ne requiert pas de polysomnographie et peut être choisie lorsque la présence des troubles de sommeil est écartée, mais qu’il est tout de même pertinent de mesurer la somnolence diurne de façon objective.

Concernant les limites de cette recension, il existe d’autres questionnaires plus extensifs mesurant d’autres dimensions du sommeil autre que la somnolence, telles que les problèmes de sommeil ou les conséquences de la privation de sommeil chez l’adolescent (p. ex. PROMIS Sleep Related Impairment [Buysse et coll., 2010], Chronic Sleep Reduction Questionnaire [Meijer, 2008], Sleep Reduction Screening Questionnaire [Mannen et coll., 2014], Pediatric Sleep Questionnaire-Sleep related disordered breathing scale [Chevin et coll., 2000]). Or, ces derniers n’ont pas fait l’objet d’une description dans le cadre de cette recension ce qui peut être relevé comme une critique. La base de données Medline a été sélectionnée étant donné que les études scientifiques sur le sommeil sont publiées majoritairement dans les revues de médecine.

Conclusion

Avec l’arrivée de la puberté, les adolescents sont particulièrement à risque de souffrir de somnolence diurne étant donné leur plus grande tolérance à résister à la pression au sommeil de fin de journée ce qui leur offre une plus grande opportunité d’exposition à la lumière. En plus d’évoluer dans un écosystème considéré comme « stimulant », des facteurs externes ont tendance à exacerber leur délai du cycle éveil-sommeil vers une heure de coucher plus tardive. La somnolence diurne n’est pas sans conséquence sur le développement de l’adolescent, elle touche directement ou indirectement à une myriade de domaines, dont celui de la santé mentale. Les intervenants en santé mentale doivent rester à l’affût en incluant l’évaluation de la somnolence de l’adolescent dans l’anamnèse étant donné que la somnolence est régulièrement masquée par une consommation de substances stimulantes pour pallier le manque de sommeil ou la somnolence diurne. L’outil de mesure de somnolence diurne choisi doit être jumelé à un agenda de sommeil et les intervenants doivent se référer à leur jugement professionnel dans leur interprétation. Enfin, les professionnels de santé mentale se doivent d’être bien outillés pour mesurer systématiquement la somnolence diurne de façon subjective (les questionnaires peuvent être remplis par les parents, les amis et/ou l’adolescent lui-même) et de documenter les mauvaises habitudes associées au manque de sommeil grâce au journal de sommeil. Lorsque le manque de sommeil et la somnolence diurne sont expliqués par un trouble du sommeil de nature médicale comme la narcolepsie, le trouble du sommeil lié à l’agitation motrice ou l’apnée du sommeil, il est suggéré de travailler de concert avec le médecin traitant, afin que ce dernier oriente l’adolescent vers un laboratoire de sommeil pour évaluer objectivement les difficultés. Les différentes méthodes d’évaluation de la somnolence sont donc complémentaires, et leur sélection doit reposer sur une connaissance approfondie des pathologies de sommeil et des mauvaises habitudes associées au manque de sommeil. Puisqu’il est fortement conseillé aux professionnels de santé mentale de dépister systématiquement la somnolence diurne chez les adolescents, cette recension a mis en exergue qu’il existait des outils fiables et validés en français, comme le FSSA et l’ESS-CHAD.