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Introduction

Notre étude a pour objectif d’identifier les motivations conduisant à une retraite personnelle dans un monastère. Aujourd’hui, la diversité des formes de retraite spirituelle évolue rapidement, de sorte que plusieurs types de ressourcement sont possibles. Il y a des retraites portant sur le yoga, sur la méditation, sur le silence, sur la croissance personnelle, sur les philosophies, sur les religions orientales, etc. Plusieurs guides ont été publiés précisant les modalités; on y consacre même des sites Web tels que Retreats International et Canadian Retreat Guide. Partout aux États-Unis et au Canada, les monastères sont grandement fréquentés par des gens intéressés dans une retraite. Les chambres disponibles sont parfois réservées une année à l’avance (Edwards, 1998). Comme le souligne Hillery (1992), un monastère attire un grand nombre de visiteurs, parmi lesquels des dignitaires, des relations d’affaires, des touristes ou des fidèles de la messe quotidienne. Malgré cette popularité, peu d’écrits ont été publiés sur le sujet. Dans le cadre de cette recherche, neuf banques de données ont été consultées, avec de maigres résultats :

  1. Web of Science;

  2. Francis;

  3. Repère;

  4. Eric;

  5. PsychInfo;

  6. ProQuest;

  7. SportDiscus;

  8. Humanities Index;

  9. Dialogue.

Dans un reportage publié dans le populaire magazine canadien Maclean’s, un moine de l’Abbaye Saint-Benoît (ASBL), souvent à l’écoute des hôtes, explique le retour à la pratique des retraites par une authentique soif spirituelle ou un état de crise personnelle (Driedger 2001). En effet, plusieurs sont à la recherche de réconfort spirituel à la suite d’un divorce, d’une perte d’emploi, d’un cancer ou d’une dépression; par ailleurs, d’autres viennent spécifiquement pour recevoir le sacrement du pardon. Riche de sa longue expérience d’hôtelier à l’ASBL, Dom Jean-Marie Cyr (2003) répond à la question du pourquoi des hôtelleries monastiques en disant qu’on y recherche d’abord le silence et, bien souvent, une présence divine.

Que les individus se sentent plus calmes et moins stressés à la fin d’un séjour dans un monastère est sûrement dans l’ordre des choses. Plusieurs ont certainement pris l’occasion de réfléchir aux épreuves difficiles de leur vie, même s’il est souvent déstabilisant d’être confronté à des questions d’ordre existentiel. Ainsi, ils ont probablement développé une meilleure perspective de leur vie, de leur travail ou de leur famille.

La présente étude a pour objectif de déterminer les motivations à faire une retraite[1]. D’une part, l’originalité de cette étude réside dans le fait qu’elle abordera le phénomène peu étudié des retraites non dirigées dans les monastères bénédictins. D’autre part, au-delà de la recherche purement quantitative, notre étude tend à se distinguer en intégrant les commentaires des hôtes, dans la mesure du possible.

L’Abbaye Saint-Benoît

Fondée en 1912, l’ASBL est située à Saint-Benoît-du-Lac, près du petit village d’Austin, à environ 40 kilomètres de la ville de Sherbrooke. Construit en granite gris sur le bord du magnifique lac Memphrémagog, ce monastère comprend une église pouvant accueillir quatre cent cinquante fidèles ainsi qu’une hôtellerie de trente-cinq chambres. Il attire non seulement des hôtes désirant y faire une retraite, mais également de nombreux touristes. L’horaire monastique comporte sept offices quotidiens. En latin, les laudes et les vêpres sont toujours psalmodiées et la messe est chantée en grégorien.

Chaque année, l’hôtellerie accueille en moyenne deux mille cinq cents hôtes, dans des chambres simples, mais confortables, munies d’un lit, d’une commode, d’une chaise, d’un pupitre et d’un lavabo. Le prix d’un séjour au monastère fait rarement obstacle; on suggère 40 $ par jour pour le coucher et les trois repas. En fait, les gens contribuent toujours selon leurs moyens. Les repas sont toujours pris en silence, soit avec les moines, soit dans une cafétéria spécialement aménagée pour les hôtes.

Selon la tradition bénédictine, les ateliers de réflexion, ou encore les conférences spirituelles, sont rarement organisés. Cela a l’avantage d’offrir aux hôtes le choix entre plusieurs activités personnelles allant de la promenade à l’extérieur jusqu’à la prière, personnelle ou communautaire. Les hôtes ont toujours accès à l’église abbatiale, à un petit oratoire, à une bibliothèque. Pour en connaître davantage sur l’Abbaye Saint-Benoît, on peut visiter son site Web : http://www.st-benoit-du-lac.com

La spiritualité bénédictine

Une retraite dans un monastère bénédictin est-elle une démarche spirituelle ou religieuse? La clientèle des abbayes est pour le moins éclectique : des croyants, des incroyants, des pratiquants, des non-pratiquants ainsi que de personnes tout simplement en quête d’un sens à leur vie (Descouleurs et Vernette 2002 : 202). Dans les faits, il s’agit donc ou bien de spiritualité, ou bien de religion ou encore, des deux à la fois.

Depuis plusieurs années, la spiritualité est fort populaire alors que la religion est en perte de vitesse. Toutefois, ces deux concepts sont loin d’être précis. Ils sont souvent perçus comme étant des réalités identiques ou opposées. Bien entendu, ils se prêtent aussi à plusieurs chevauchements. Certains relient la spiritualité aux expériences transcendantes, à la religion, à ses dogmes et à son caractère institutionnel. Tantôt, la spiritualité est un aspect essentiel d’une religion; tantôt, la spiritualité est une série de pratiques spirituelles sans référence à Dieu. Dans le domaine de l’intervention sociale, plusieurs envisagent la spiritualité de la façon suivante : « a way of being and experiencing that comes about through awareness of a transcendent dimension and that is characterized by certain identifiable values in regard to self, others, nature, life, and whatever one considers to be the Ultimate » (Elkins et al. 1988 : 10).

Il n’en demeure pas moins que l’absence de consensus sur la formulation théorique de la religion et de la spiritualité fait souvent entrave à l’avancement de la recherche. C’est ainsi que certains auteurs (Hill et al. 2000) ont récemment proposé des critères permettant de mieux circonscrire ces deux notions. En outre, la spiritualité possède une histoire vieille de plusieurs siècles. Conséquemment, sa signification a énormément varié en fonction des époques et des cultures (Principe 1983). Il existe également plusieurs concepts voisins, entre autres, le bien-être spirituel (voir entre autres Isaia et al. 1999).

Waaijman (2002 : 6) a le mérite de prendre en compte les dimensions pratiques de la spiritualité vécue et d’en faire le lien avec une étude plus traditionnelle. Il en résulte une monumentale étude, d’environ mille pages, portant sur cinquante-six formes de spiritualité lesquelles, il convient de le souligner, sont regroupées en trois grandes catégories : les spiritualités laïques, les écoles de spiritualité et les contre-mouvements. Les spiritualités laïques se retrouvent surtout dans la vie de tous les jours. Les écoles de spiritualité sont davantage connues puisqu’il s’agit en fait des grands ordres religieux tels les bénédictins, les franciscains ou les dominicains. Les contre-mouvements sont notamment des mouvements sociologiques se situant en dehors des cadres traditionnels de la société. Aumann (1987 : 16) explique l’émergence des écoles de spiritualité catholiques par des facteurs tels que le charisme de certains saints.

Quant à eux, les moines bénédictins s’inspirent d’une spiritualité vieille de quinze siècles, découlant en grande partie de la Règle de saint Benoît dont l’une des principales caractéristiques est la modération. Entre autres éléments clés de cette approche spirituelle, on retrouve le silence, la liturgie, la lectio divina, la stabilité, la vie communautaire, la présence de Dieu, la conversion, l’équilibre et le détachement (Chittister 1991; Pratt et Homan 2001).

La pratique millénaire de l’accueil des hôtes par les moines repose sur une authentique théologie de l’hospitalité, élaborée dans la Règle de St-Benoit. Elle constitue même un charisme fondamental de la spiritualité bénédictine (Bockmann 1984; Huerre 1993; Kardong 1984). Son principe est le suivant : « Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ. En effet, lui-même dira : “J’étais un hôte et vous m’avez reçu” (Matthieu 25, 35) […] On les reçoit tous avec le respect dû à chacun, surtout les frères chrétiens et les étrangers (Galates 6, 10) » (Règle de St-Benoit 53, 1-2).

La théorie de la restauration de l’attention dirigée

Au cours des dernières années, plusieurs études se sont penchées sur les bénéfices des environnements restaurateurs. Bien que S. Kaplan (2001 : 500) souligne que les monastères de toutes les allégeances semblent posséder de nombreuses qualités pouvant faciliter la restauration psychologique, aucune recherche n’a jamais été réalisée dans un contexte monastique.

La théorie de la restauration de l’attention postule qu’un effort mental prolongé produit une fatigue mentale nommée « attention dirigée » (Kaplan et Kaplan 1996 : 180). Il en résulte plusieurs symptômes tels que l’impatience, l’irritabilité, la distraction et l’incompétence. Cette théorie s’inspire de la distinction établie par le célèbre psychologue William James (1892) entre les concepts de l’attention dirigée et de la fascination. L’attention dirigée exige beaucoup d’efforts menant vite à la fatigue, alors que la fascination demande peu d’efforts et a pour objet des sujets intéressants ou captivants. Les environnements fortifiants possèdent généralement quatre grandes propriétés nommées respectivement :

  1. étant parti;

  2. environnement d’ampleur;

  3. fascination;

  4. compatibilité.

Le facteur « étant parti » est défini comme une transformation conceptuelle qui libère de l’activité mentale exigée par l’attention dirigée. Le nouvel environnement doit être non seulement différent du milieu stressant, mais il doit aussi permettre aux individus de ressentir un profond sentiment d’évasion. L’« environnement d’ampleur » est un environnement riche et logique par lequel on est relié à un plus grand monde, non nécessairement défini par la grandeur physique. Pour certains, un jardin pourrait suffire. C’est surtout la « fascination » qui permet l’attention non dirigée, le renouvellement de l’intérêt et la restauration en profondeur. Enfin, le dernier facteur, la « compatibilité », est un environnement qui incite à la réalisation de ses intentions profondes et l’atteinte de ses buts personnels.

Cette théorie a déjà fait l’objet de plusieurs recherches en psychologie environnementale. Les résultats obtenus sont fort encourageants, en particulier dans les domaines de la santé (Frumkin 2001), du plein air (Altman et Wohlwill 1983), de l’habitation (Hartig et al. 1997), de l’urbanisation (Kuo 2001), du design des lieux de travail (Tennessen et Cimprich 1995), de la prise de décisions (S. Kaplan 1991) et des musées ou bibliothèques (Herzog et al. 1997).

Bien que R. Kaplan et S. Kaplan (1996) expliquent surtout le phénomène de la revitalisation du fonctionnement cognitif, la restauration de l’attention n’est pas sans implications pour les diverses démarches de croissance spirituelle. En effet, certains environnements fortifiants favorisent la réflexion et la quête de signification. Heintzman (2002) invoque ce même concept de restauration pour expliquer les processus qui relient le loisir et le bien-être spirituel. D’ailleurs, ses travaux subséquents confirment le mérite de cette approche théorique (Heintzman et Mannell 2003).

En somme, le monastère semble satisfaire aux exigences de la composante « être parti » dans le sens qu’il constitue un endroit suffisamment éloigné des environnements de tous les jours; il a toujours été, au cours des siècles, un milieu où se réfugier pour se ressourcer physiquement, psychologiquement et spirituellement. C’est un « environnement d’ampleur » parce qu’il est conceptuellement riche et constitue en soi un tout autre monde. Les moines portent le traditionnel habit monastique noir, une partie de la liturgique est chantée en grégorien, les repas sont pris en silence et l’architecture inspire le recueillement. D’ailleurs, toute la littérature religieuse fait référence au monastère comme étant la « maison de Dieu ». La composante « fascination », notamment celle jugée « douce », prédispose à la réflexion personnelle, à la prière et à la méditation. Enfin, la composante « compatibilité » requiert que les intentions et les objectifs personnels s’accordent avec les caractéristiques ou les propriétés de l’environnement. Les personnes séjournant à l’hôtellerie savent d’avance que le silence du monastère leur permettra de s’adonner à la réflexion ou à la prière personnelle. Même ceux qui n’en sont qu’à leur toute première visite ont probablement déjà entendu parler de la beauté de la liturgie à laquelle ils pourront assister. Les nouveaux venus n’ignorent pas, non plus, qu’ils ne participeront jamais à des ateliers structurés. De ce fait, la compatibilité entre les ententes et l’environnement risque d’être élevée. Il y a donc tout lieu de croire qu’une retraite dans un monastère permet la récupération de la fatigue mentale ainsi que la réflexion sur des questions personnelles ou spirituelles.

Le déroulement de l’étude

La présentation générale du questionnaire a été vérifiée auprès du responsable de l’hôtellerie, puis d’une dizaine d’hôtes au moyen d’un prétest. La section portant sur les caractéristiques personnelles comprenait, entre autres, les questions usuelles rattachées à l’âge, au niveau de scolarité et à la situation de famille. Les « motivations » comme telles étaient précédées de l’énoncé suivant : « Il y a plusieurs raisons pourquoi les gens décident de faire une retraite. Jusqu’à quel point les énoncés ci-dessous ont-ils été un facteur de votre décision de venir au monastère faire une retraite? » Les choix de motivations étaient accompagnés d’une échelle de type Likert, de 1 à 5, où 1 signifiait « totalement en désaccord » et 5 « totalement en accord ».

Afin de préserver la paix monastique, la cueillette des données s’est déroulée de façon particulièrement discrète au cours de l’été de 2003. C’est ainsi que le responsable de l’hôtellerie glissait sous les portes des hôtes, le jour de leur départ, une enveloppe comprenant à la fois une lettre d’explication et le questionnaire. L’échantillon comprenait 521 hôtes, tous des hommes. On aura compris que généralement les moines accueillent dans leurs monastères des hommes alors que les moniales reçoivent des femmes. Toutefois, 15 femmes peuvent loger à la Villa Sainte-Scholastique, une maison d’accueil située à proximité du monastère. Dans un premier temps, nous avons jugé préférable de nous en tenir à un échantillon masculin, quitte à répéter la présente étude dans un monastère de moniales bénédictines, donnant de ce fait accès à un plus vaste échantillon d’hôtes féminines.

Les caractéristiques individuelles

L’âge moyen des répondants se situe à 49,4 ans alors que leur état matrimonial se répartit de la façon suivante : célibataires (39,2 %), mariés (29,0 %) et unions de fait (16,5 %). En ce qui a trait à la scolarité, 76,2 % ont complété des études postsecondaires, soit au niveau du CEGEP (15,0 %), du certificat universitaire (9,0 %), du baccalauréat (26,1 %) ou encore de la maîtrise/doctorat (26,1 %). L’ensemble des hôtes (67,1 %) dispose d’un revenu annuel brut inférieur à 49 999 $ alors que 18,5 % bénéficient de revenus se situant entre 50 000 $ et 74 999 $.

C’est surtout grâce à la recommandation favorable d’une autre personne que 320 hôtes (61,9 %) ont appris l’existence de l’ASBL. La plupart des retraitants (59,8 %) arrivent seuls au monastère pour un séjour moyen de 3,01 jours. Le pourcentage de ceux qui en sont à leur premier séjour est de 33 %. Près de la moitié (42,3 %) affirment que leur retraite n’a pas fait l’objet d’une préparation particulière; par contre, 22,1 % s’y sont préparés par la lecture d’un livre. Seulement 7,5 % sont des prêtres et 13,1 % sont membres d’un ordre religieux. La moyenne de l’état santé est de 3,86 sur une échelle de 1 à 5, où 1 signifie « très mauvais » et 5 « très bon ». Seuls 24 hôtes (4,6 %) ont répondu à la version anglaise du questionnaire.

Parmi les principaux problèmes vécus par les hôtes au cours des derniers mois, en tête de liste, on retrouve le sentiment d’avoir trop à faire (M = 2,72), suivi de près par l’épuisement professionnel (M = 2,50) et l’angoisse face à la situation mondiale (M = 2,49). En revanche, les inquiétudes les moins importantes sont les problèmes avec les enfants (M= 1,54) et la dépendance à l’alcool (M = 1,53). Ces problèmes personnels étaient accompagnés d’une échelle de 1 à 5 où 1 signifie « pas du tout » et 5 « extrêmement ».

Pendant la retraite, assister à la messe (M = 4,06) est l’activité religieuse la plus importante, suivie par le repos (M = 3,98) et la méditation (M = 3,87). Il va sans dire que la participation aux offices monastiques, les vêpres entre autres, est particulièrement appréciée (M = 3,81).

Certains adjectifs, positifs ou négatifs, ont permis de mesurer les effets de la retraite. Tout d’abord, il convient de souligner que les moyennes varient considérablement, allant de 4,54 à 1,36. Parmi les adjectifs positifs importants, on retrouve « détendu » (M = 4,24), « positif » (M = 4,20) et « reposé » (M = 4,18). Dans l’ensemble, le degré de satisfaction est particulièrement élevé (M = 4, 57) sur une échelle allant de 1 à 5 (1= insatisfait et 5= satisfait). Ce résultat est tout à fait conforme aux nombreux témoignages de gratitude exprimés par les hôtes ayant séjourné à l’ASBL au cours des 75 dernières années.

Les motivations à faire une retraite

Le tableau 1 présente chacune des moyennes des 30 motivations ainsi que leur écart type. Parmi les plus populaires, on retrouve les énoncés rattachés à l’atmosphère de recueillement, au silence, à l’apport à la spiritualité et à la chance de méditer. Par contre, les motivations les moins invoquées sont la rencontre d’un moine, le désir de faire quelque chose de fascinant, la prière pour des proches, l’appartenance communautaire et le fait de n’être responsable de personne.

Une analyse factorielle en composantes principales à quatre facteurs, suivie d’une rotation varimax, a été effectuée sur les 30 énoncés mesurant les motivations. Soulignons que le poids sur les facteurs a été limité à 0,50. Il en résulte quatre facteurs qui semblent particulièrement bien correspondre aux dimensions de la théorie de la restauration de l’attention. Le pourcentage de la variance cumulative est de 53,71 %; les facteurs obtiennent respectivement des coefficients de fidélité alpha d’environ 0,87, 0,85, 0,83 et 0,73. Compte tenu du caractère largement spirituel de cette étude, les facteurs ont été renommés :

  1. spiritualité;

  2. beauté;

  3. réflexion;

  4. réceptivité.

Tableau 1

Les moyennes et les écarts types des motivations

Les moyennes et les écarts types des motivations

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Plusieurs hôtes ont répondu favorablement à l’invitation de formuler des commentaires sur leur expérience de retraite. Dans ce texte, nous reprenons uniquement des extraits reliés aux quatre composantes de la théorie de la restauration. Bref, ces commentaires servent à illustrer ou à compléter les résultats obtenus.

Tableau 2

Analyse factorielle des motivations à faire une retraite

Analyse factorielle des motivations à faire une retraite

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Spiritualité

Le facteur « spirituel » comprenait les énoncés suivants :

  1. contribue à ma spiritualité;

  2. me ressourcer spirituellement;

  3. approfondir ma foi;

  4. consacrer du temps à la prière;

  5. sentir la présence de Dieu;

  6. avoir la chance de méditer.

Entre autres, plusieurs commentaires portent sur la présence de Dieu. C’est ainsi qu’un hôte de 46 ans affirme se sentir particulièrement proche de Dieu : « Venir au monastère c’est vivre à un rythme plus lent et se reposer dans les bras de Dieu. » Par contre, un vendeur de 33 ans recherche une communion spirituelle avec son créateur : « Séjourner à l’Abbaye me resitue vis-à-vis mon intérieur. Je ne fais plus qu’un avec Dieu. » Enfin, un commis âgé de 24 ans revient depuis deux ans faire une retraite non seulement pour entrer en lui-même, mais aussi pour faire la rencontre de Dieu : « Il s’agit de s’éloigner du bruit, passer du temps avec mon père (mon vrai Père) ».

Un prêtre de 70 ans, ayant une longue expérience des séjours au monastère, déclare : « J’y trouve la paix, le calme et la prière; j’aime beaucoup prier avec les moines. Ici, dans cette belle nature, je me sens près de Dieu. » Dans le même sens, un sacristain de 40 ans soutient ressentir vivement la présence de Dieu : « Dans le silence et ce lieu de prière nous le voyons [Dieu] dans chaque coin du monastère, dans chaque événement, silence, office, repas, nature, accueil des moines; voilà clairement le visage du Christ partout. »

Une autre motivation est incontestablement l’approfondissement de la foi par la fréquentation des sacrements : « Entre autres, j’aime venir au monastère pour obtenir le sacrement du pardon. Même si je me prépare avant de venir, je trouve que ce lieu facilite le recueillement, le retour sur soi nécessaire à la préparation de ce sacrement que je considère comme très important à mon équilibre et à ma vie chrétienne » (un technologue, 42 ans).

Bien évidemment, plusieurs recherchent des temps privilégiés de prière. C’est notamment le cas de ce prêtre de 52 ans : « À mon rythme, je peux méditer, prier, me ressourcer et prendre un repos pour mieux donner par la suite […] Faire le plein pour poursuivre ma vocation qui demande de plus en plus. »

Pour sa part, un cuisinier à la veille de la retraite recherche surtout l’occasion de se ressourcer spirituellement et d’approfondir sa foi. En conséquence, il prie, médite et rend grâce des bienfaits reçus :

« Pour moi, je suis très content et heureux d’avoir la chance de venir au moins une fois par année. Trois jours pour me ressourcer auprès de mon divin Maître et lui rendre grâce pour tous les bienfaits reçus. Pour lui dire merci pour toutes les choses difficiles que j’ai dû passer à travers. Pour grandir et pardonner aux autres et surtout aimer et être aimé de mon prochain et de mes semblables. Je veux lui rendre grâce à chaque instant. »

Beauté

Le facteur « beauté » comportait les énoncés suivants :

  1. explorer un endroit merveilleux;

  2. fasciné par le mode de vie des moines;

  3. sentiment d’appartenance communautaire;

  4. être près de la nature;

  5. entendre le chant grégorien;

  6. la beauté des lieux;

  7. faire quelque chose de fascinant.

Plusieurs commentaires sont donc rattachés à ces thèmes. Par exemple, un enseignant, 50 ans, semble percevoir son séjour au monastère comme une expérience fascinante dans laquelle il retrouve le sens du mystère : « C’est un séjour où je m’arrête de vouloir tout comprendre […] je me permets de me laisser aller […] et aussi de laisser entrer un certain mystère. »

Un curé de 76 ans, membre d’une communauté religieuse, décrit ce qui constitue pour lui sa fascination à l’égard de la vie monastique à savoir le silence, le chant grégorien, la démarche lente des moines et la beauté des lieux.

« […] les moines m’ont vraiment édifié et appris que le silence est d’or, comme le dit l’adage. La lenteur de leurs mouvements, de leur chant, de leur prière n’ont rien de monotone et d’agaçant. Au contraire, cette attitude des moines me rappelle qu’il ne sert à rien de courir, mais qu’il faut partir à temps et marcher à pas lents pour en arriver à vivre ma vie intérieure, mon attachement au Christ et garder un bon équilibre dans la recherche du plus parfait. Au monastère Saint-Benoît-du-Lac, tout me parle en ce sens : la tranquillité et la beauté des lieux, le calme et la paix, la vie des moines, la belle nature. Que de choses merveilleuses pour nous faire avancer toujours plus vers le mieux-être! Vive saint Benoît et vive les moines! »

Bien souvent, la fascination de la vie du moine se traduit par son accueil exemplaire. À ce sujet, un consultant, 50 ans, écrit : « La disponibilité des moines à accueillir les problèmes de ce monde rend leur fonction sociale presque indispensable. » Pareillement, un chômeur, à son premier séjour à l’ASBL, pense que la fascination monastique s’exprime aussi par l’hospitalité des moines :

« Les moines sont d’une belle présence. J’en ai rencontré un pour le sacrement du pardon, il m’a bien fait comprendre et sentir ce que Dieu me demandait. Ses paroles étaient pleines de sens pour moi. Ce qui m’a le plus marqué ce sont les repas au réfectoire des moines. Je me suis senti accueilli et enveloppé de Dieu. C’est une très belle expérience que le repas au réfectoire. »

Enfin, un professeur dans la cinquantaine pense que le monastère, par la splendeur de son environnement, préfigure le paradis terrestre :

« Mon expérience de vie au monastère me permet de trouver la paix, vivre intensément ma relation avec le Christ. À certains moments, je vis la plénitude. J’ai l’impression d’être au paradis sur terre tellement mon bonheur est parfois intense. C’est ça que j’ai découvert au monastère et que l’ensemble des chrétiens ne savent pas parce qu’ils sont dans la tourmente de la vie quotidienne. Selon moi, le secret de la vie monastique est que le chrétien commence sur terre à vivre des moments de paradis. On n’a pas besoin d’attendre la mort. Le paradis, on peut commencer à le vivre sur la terre. »

Réflexion

Les énoncés du facteur « réflexion » sont au nombre de six :

  1. trouver la solution à un problème;

  2. prendre des décisions importantes;

  3. faire le point sur ma vie;

  4. apprendre à mieux me connaître;

  5. combattre le stress;

  6. demander une faveur au Seigneur.

Il est bien connu que la prise d’une décision est un processus qui requiert concentration et solitude. Pour certains, le milieu monastique semble favoriser la réflexion nécessaire aux choix difficiles. Parfois, il s’agit d’un homme déjà avancé en âge qui veut reconsidérer de façon urgente sa situation familiale : « Ma vie de couple n’est pas facile et une décision doit être prise. » Pour cet hôte de 47 ans, ce sont les nombreuses tensions familiales qui posent problème : « Je me suis réfugié ici pour fuir le climat familial devenu tyrannique. J’ai besoin d’espace, de paix, besoin de prendre une décision importante. J’ai pris conscience que je devais faire la part des choses. »

Dans le début de la vingtaine, un jeune envisage la vie monastique : « Mon ultime objectif était de découvrir la voie vers une profession bénédictine […] J’espère être à la hauteur pour gravir le prochain échelon. Je compte partager mon expérience avec mes collègues à l’université. »

En raison d’un milieu de travail éprouvant, un hôte de 45 ans se voit dans l’obligation de quitter son emploi et de réorienter radicalement sa vie :

« Bonjour, merci encore de pouvoir venir chez vous et arrêter le temps. Pour moi, le séjour était spécial, car je suis en arrêt de travail en ce moment et je trouvais important de venir ici pour me ressourcer. Après trente ans de travail, il n’est pas facile de prendre la décision de quitter son emploi, mais je l’ai fait, car je n’étais plus heureux et je commençais à avoir des symptômes de maladies physiques, dues au stress, j’imagine. Ma venue ici va m’aider à me recentrer et trouver un autre travail où je serai plus heureux, je l’espère. Et vous contribuez à cette démarche en me permettant de venir passer quelques jours à l’Abbaye Saint-Benoît. »

Un technicien de 58 ans, un habitué de l’ASBL depuis 12 ans, veut faire le point sur son engagement pastoral et sur la véritable nature de ses motivations : « Je suis engagé depuis de nombreuses années dans l’Église au service de ma communauté. Je sens le besoin périodiquement de me retirer pour m’assurer que mon humble contribution n’est pas pour ma propre gloire, mais bien pour la gloire de Dieu. Pour y prendre aussi des décisions importantes. »

Un journalier, 31 ans, désire réexaminer en profondeur ses comportements pour ensuite agir en conséquence : « Comment dois-je aborder ma vie actuelle avec mes bévues? Pardonner ou ne pas pardonner ma bévue ou mes bévues? Dois-je m’éloigner de la société et m’isoler ou me pardonner et continuer de vivre avec mes proches? Ce sont des questionnements qui portent à réflexion et à la prise de décision. »

D’autres veulent tout simplement un antidote au mal du siècle, c’est-à-dire le stress : « Mon but est de saisir l’instant présent et de trouver une paix intérieure. » Certains viennent à l’ASBL depuis vingt-cinq ans, toujours à la recherche d’un remède au stress incessant de la vie moderne. Par exemple, cet agent immobilier, sexagénaire :

« La première fois, il y a vingt-cinq ans, j’y suis venu parce que je venais de perdre mon emploi. Marié, deux enfants, déprime, différents problèmes personnels et monétaires ainsi que le stress imposé par les employeurs (performance) m’ont fait revenir dans cette oasis de paix où j’ai toujours rechargé ma batterie (plein d’énergie, spiritualité, réflexion, prise de décisions, repos dans la nature). Je me sens attiré à l’Abbaye, cependant on me dit que, passé 50 ans, peu de gens restent. »

Réceptivité

Le dernier facteur, « réceptivité », est composé des éléments suivants :

  1. vivre des moments de silence;

  2. me reposer;

  3. me retirer d’un monde d’agitation et de tumulte;

  4. l’atmosphère de recueillement;

  5. prendre du temps pour moi.

Un chercheur universitaire en médecine s’étonne devant sa découverte des nombreux bienfaits du silence : « Lorsque j’apprends qu’un individu est allé au Tibet, je me demande s’il a déjà été à l’Abbaye. Pour moi, c’est un lieu unique. Je me souviens de ma première fois où j’étais totalement surpris du silence dans ma chambre que je suis resté deux heures à écouter le silence sans rien faire. »

Un enseignant dans la quarantaine est surtout impressionné par l’atmosphère de recueillement :

« Au mois d’août, je viens au monastère pour le plaisir de la solitude et les bienfaits des lieux. J’entretiens cette habitude que je fixe au milieu de mes vacances et pendant la semaine de mon anniversaire. »

Par ailleurs, à sa première retraite, un ingénieur considère l’Abbaye comme un lieu pouvant répondre à des besoins liés à la fois au repos et à la spiritualité : « J’espère longue vie à ce type de communauté. Pour ma part, je suis venu pour calmer un stress qui dure depuis plusieurs mois à la suite d’une situation de couple difficile et exigeante. En même temps, je suis venu approfondir la présence de Dieu dans ma vie. »

Conclusion

Les hôtes attirés par une retraite à l’ASBL sont âgés surtout de 30 à 59 ans, mariés ou vivant en union libre et détenteur d’un diplôme universitaire. Ils arrivent habituellement seuls au monastère et y séjournent trois jours, en moyenne. Même si à leur arrivée, la plupart ont un état d’esprit généralement positif, il n’en demeure pas moins que plusieurs ont vécu, au cours des derniers mois, des problèmes importants. Certains se plaignent d’avoir trop à faire, d’épuisement professionnel ou de difficultés personnelles rattachées à leur travail ou à leur vie de couple. D’autres sont malades ou en deuil d’un proche. Enfin, un nombre toujours croissant souffre d’une dépendance à l’alcool ou à d’autres substances. C’est donc dire que la communauté monastique doit faire preuve d’une grande ouverture envers tous, particulièrement à l’endroit des plus dépourvus de nos sociétés. On ne peut recevoir toutes ces personnes d’une manière uniforme, sans tenir compte de besoins particuliers.

Notre étude permet de dégager quelques implications pour l’intervention sociale. Tout d’abord, il convient de reconnaître les nombreux bienfaits de la prière et de la méditation (Hill et al. 2000). De plus, Moberg (2001) énumère les principales préoccupations des aînés, entre autres, des besoins reliés au pardon, à l’expression de la gratitude, à la gestion des pertes et à la sensation d’utilité. Dans la même veine, Koenig (1994) affirme que la conversion religieuse est une inquiétude majeure chez les personnes âgées. Cette préoccupation toucherait près de 40 % des gens âgés de 50 ans et plus. Ce même processus de conversion augmenterait le bien-être spirituel, donnerait un sens à la vie et aurait des effets bénéfiques sur les taux de dépression (Koenig 1995: 73-79). D’ailleurs, les interventions en récréation thérapeutique visent de plus en plus l’atteinte du bien-être spirituel (Heintzman et Van Andel 1995; Van Andel et Heintzman 1996).

Dans certaines situations, il y aurait même lieu d’ajouter la retraite à la liste d’interventions spirituelles proposées en service social, au même titre que les techniques de Gestalt, la tenue d’un journal personnel, la bibliothérapie ou le recours aux métaphores. (Cascio 1998). Bien évidemment, le monastère ne peut répondre à tous les besoins. Par exemple, certains psychologues suggèrent parfois une retraite. Mais, il n’est pas certain que cela soit toujours indiqué, en particulier dans le cas de sérieux problèmes de santé mentale.

Dans un processus de counseling, la familiarisation avec le milieu monastique permettrait de dégager la véritable signification d’une retraite, une expérience vécue aujourd’hui par un nombre croissant d’individus à la recherche de réconfort spirituel. Trop souvent, on reproche aux membres des professions aidantes leur incompréhension face aux expériences spirituelles de leurs bénéficiaires (Gotterer 2001). D’ailleurs, les spécialistes de l’intervention sociale pourraient faire eux-mêmes l’expérience d’un ressourcement dans un monastère ou ailleurs. Chandler, Holden et Kolander (1992) recommandent justement aux thérapeutes l’intégration de certaines pratiques spirituelles à leur vie personnelle.

Il se dégage de cette recherche que les motivations à faire une retraite sont principalement d’ordre spirituel. Qui plus est, les résultats suggèrent que le monastère constitue pour plusieurs un environnement revivifiant ou fortifiant. Hillery (1992 : 65) rapporte justement que les effets les plus souvent ressentis chez les hôtes sont non seulement la paix, mais aussi l’amour. Bien évidemment, la rareté des études sur les hôtes séjournant dans les monastères nous invite à reprendre la présente recherche auprès d’échantillons plus diversifiés comprenant notamment des femmes. Aujourd’hui, la soif de la spiritualité est authentique et demande que l’on soit capable d’y répondre adéquatement. Pour ce faire, il faut connaître les vrais besoins spirituels de ceux qui frappent aux portes des monastères modernes.