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Les chapitres, judicieusement nommés phases, structurent chronologiquement le récit des événements. Des incises occasionnelles de témoignages particuliers au coeur des « phases » complètent ingénieusement le portrait. Notre compte rendu se présente sous forme de résumé des situations ou des événements marquants de chacune de ces phases.

L’ouvrage dans l’ensemble offre une belle écriture. La prose est habile particulièrement dans l’introduction et dans la phase 1, « Le Québec : Une histoire courte », qui livre une réflexion essentielle de la réalité sociale québécoise et des précédents historiques de contestation et de revendications. On y émet une hypothèse intéressante de la césure identitaire du Québec ayant permis à la grève de se déclencher et de se poursuivre ici.

Dans la phase 2, « L’engrenage syndical », on explique la création par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) d’une machine prête à se mettre en marche ; l’Association fait la promotion d’une méthode par étapes pour faire valoir la position syndicale étudiante, débutant par la mobilisation étudiante et se terminant par la victoire contre le gouvernement (p. 37-51). Le Collectif commence par produire un contre-discours à celui du gouvernement : 1625 dollars n’est « pas seulement une injonction à payer plus, mais aussi à s’endetter plus » (p. 57) !

La phase 3, « La grève commence ici : 13 février-22 mars », marque le déclenchement de la grève à la suite d’une escalade d’actions infructueuses créant l’impression voulue d’inévitabilité de la grève. Le Collectif note que le gouvernement du Parti libéral fait un effort linguistique : « ne faire aucune concession à la grève, en refusant systématiquement de la nommer comme telle » (p. 67).

L’ASSÉ inaugure différents types d’actions : « variations sur le thème du carré rouge », tentative d’occupation du Cégep du Vieux-Montréal, installation d’une Maison de la grève… Il y a « prolifération d’actions très locales simultanément aux actions plus massives et coordonnées » (p. 78). Les « casseurs » commencent à être décrits « comme des parasites infiltrant le corps étudiant » (p. 81) et entamant une polarisation sociale.

La phase 4, « L’effet GGI [grève générale illimitée] : 22 mars-20 avril », débute par l’« immense manifestation du 22 mars » qui dépasse toutes attentes et bouleverse le calendrier prévu des actions. Ce chapitre se termine sur la tenue à Montréal, au milieu du terrain de jeu des manifestants, du Salon Plan Nord. « Une blague de [Jean] Charest [invitant les étudiants à s’en aller dans le Nord] lui coûtera plusieurs manifs de soir sous tension : dans cette grève, les détails font des émeutes. » (p. 104)

L’ouvrage renferme de beaux passages, autant par leur forme que par leur fond, notamment :

[Ce mouvement] invente du neuf en faisant des combinaisons en courtepointe avec du vieux. S’il emprunte au passé, il ne lui doit rien, n’a pas de compte à lui rendre, car ce qu’il reçoit correspond bel et bien à un héritage sans testament, absolument libre d’usage. Suivant la même logique, rien n’empêche que ses amalgames deviennent à leur tour des traditions, elles-mêmes soumises à la loi du remixage.

p. 113

La phase 5, « Négocie, Ostie : 20 avril-10 mai », commence en énonçant la condition imposée par le gouvernement de condamner la « violence » pour pouvoir participer aux négociations. L’ostie de grosse manif de soir survient peu après. « Le 27 avril, Charest a le culot de proposer la concession la plus ridicule qui se puisse imaginer : il s’engage à étaler la hausse des frais de scolarité sur sept ans au lieu de cinq. » Cette arrogance sera un prétexte pour réitérer les manifs de soir qui deviendront quotidiennes (p. 128). L’importance d’Internet pour assurer la rapidité et la variété des initiatives est mentionnée.

La phase 6, « Nous sommes tous fumigènes : 10 mai-14 mai », marque les incidents des fumigènes qui ont perturbé le métro de Montréal. On emploie des mots « délirants », comme le symbole du « terrorisme ». Les personnes sont accusées « à la surprise générale, non pas de terrorisme au sens strict, mais d’avoir ‘incité à craindre des activités terroristes’ » (p. 149).

La phase 7, « L’exception confirme la grève : 14 mai-22 mai », débute avec la démission de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp. Le Collectif affirme que « la vieille chienne de garde qui la remplace, Michelle Courchesne, est autrement plus hargneuse que sa prédécesseure » (p. 155) et qu’« il ne manque nulle part de douchebags pour redemander une injonction » (p. 156).

À la suite du dépôt d’une loi spéciale, que tous avaient vu venir, « la tension est à son comble : une bonne part de la population voit ce qu’elle considérait comme sa démocratie se dérober sous ses pieds […] La loi spéciale apparaît comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase de l’intolérable » (p. 157). La polarisation sociale s’amplifie.

Du côté de la Police de Montréal, les manifestations quotidiennement réprimées causent l’épuisement physique, moral et financier. Du côté du mouvement, craignant qu’un manifestant se fasse tuer, on cherche une alternative qui viendra avec « la déferlante des casseroles ».

La phase 8, « La cacophonie plébéienne : 19 mai-10 juin », décrit la réunion des casseroles, qui amorce parallèlement la fin du mouvement. Derrière cette action ingénieuse et rassembleuse se cache un problème : « les casseroles revendiquent tout et rien à la fois » (p. 188). De plus, le centre du mouvement échappe alors aux grévistes.

La phase 9, « Suspension de la suspension : 22 mai-1er août », commence avec la « plus grande manifestation de l’histoire du Canada ». Les manifestations réussissent par ailleurs à perturber le Grand Prix de formule 1 (p. 212).

C’est ainsi que la grève amorce « sa fin spectaculaire » et que, « parallèlement à sa perte de puissance, tout ce qui touche à la grève étudiante devient une obsession médiatique » (p. 213). La grève devient très tendance et on utilise maintenant l’image populaire du mouvement « aboutissant ultimement au port du carré rouge à l’Assemblée nationale. L’opportunisme ira jusque-là. » (p. 219)

L’argument du ménagement des énergies pour la rentrée en août cache une réalité : « en s’élargissant et en changeant de tactique, le mouvement change foncièrement de nature et ne peut plus simplement revenir en arrière » (p. 226).

La phase 10, « Contre-offensive : 1er août- 4 septembre », est entamée par deux événements : « le déclenchement de la campagne électorale et la centième manif nocturne » (p. 229).

Le moment électoral visait à présenter Charest comme le « garant de l’ordre » tout en peignant le Parti québécois (PQ) comme lié à « la violence et l’intimidation ». Cependant, ce parti tentera d’éviter le sujet :

Léo Bureau-Blouin, nouvellement devenu candidat péquiste, baptisera cette opération d’un nom bien libéral lorsqu’il appellera les associations étudiantes à envisager une « trêve électorale ».

Peu à peu, cette proposition d’une interruption de la grève pour la durée des élections sera portée par pratiquement tous ceux qui ne voient dans cette grève qu’un moyen pour atteindre une fin. La grève considérée comme un simple moyen parmi tant d’autres de bloquer la hausse ne retient dès lors aucune vertu supérieure à l’élection d’un gouvernement plus ou moins honnête promettant de l’annuler. (p. 234)

Le porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), Gabriel Nadeau-Dubois, démissionne. Puis, les médias cessent de parler de la grève pour couvrir la campagne électorale et défendre le vote (p. 239).

Les votes de retour en classe s’enchaînent. « La grève qui devait être l’enjeu principal de cette élection, autour de laquelle se déchiraient tous les partis, n’existe de fait plus le 4 septembre. » (p. 242)

Le Collectif conclut ce récit par une note amère. À la rentrée, un commandement déferle : « Prière de remettre vos casseroles et vos rêves au placard. » (p. 225) Quant au PQ, nouvellement élu, il n’offre aucun espoir : « Si le Parti québécois, quelques mois après avoir porté le carré rouge à l’Assemblée nationale, a pu planter un couteau dans le dos du mouvement avec tant d’insolence, c’est bien parce que le symbole avait préalablement été séparé de ce qu’il devait représenter. » (p. 264)

*

Dans cet ouvrage, le Collectif de débrayage ne cherche pas à se masquer d’un couvert d’impartialité et revendique, au contraire, une position située et partisane. On note une propension à médire les fédérations étudiantes et « l’état-major de la CLASSE ». L’amertume est palpable : « Manifestement, ceux qui ont participé au mouvement du point de vue de sa direction peinent à en voir l’originalité » (p. 256) ; « Si l’état-major de la CLASSE entrevoit le changement de situation et en tient compte dans ses calculs politiques, c’est à l’insu des grévistes qu’elle change de tactiques. » (p. 227) On va jusqu’à hargneusement condamner, en note de bas de page, « l’insipidité » de l’ancien attaché de presse de Gabriel Nadeau-Dubois (p. 256).

Notons pour terminer qu’une série de coquilles devraient être corrigées advenant une réimpression, entre autres : « l’accès axu études » (p. 59) ; « lors du congrès de 22 avril » (p. 119) ; « pour oe régler » (p. 193) ; deux espaces au milieu de paragraphes (p. 195-196) ; « l’occupation de la Tour de la Bouse » (probablement une coquille volontaire qui nous a par ailleurs fait rire, p. 202) ; « ce constant en implique un autre » (p. 247).

Plus qu’un simple compte rendu des événements de la grève, On s’en câlisse : Histoire profane de la grève. Printemps 2012, Québec procure également une lecture peu médiatisée du Québec contemporain. Le Collectif met en lumière l’originalité, la créativité et la spontanéité de la base gréviste. Fort agréable à lire, l’ouvrage restera probablement le plus complet jamais écrit sur le sujet et est, en ce sens, un incontournable.