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Depuis la tenue du Concile Vatican II et plus de quarante années après sa clôture, la réflexion sur l’Église et l’expérience chrétienne demeure une question ouverte et très largement débattue. La crise de la vie ecclésiale dans les sociétés occidentales postmodernes impose analyses, réflexions et remèdes pour venir en aide à l’institution en souffrance. Sans nul doute un phénomène qui ne concerne pas que l’Église. En s’invitant dans le débat, l’auteur — théologien, chercheur chevronné et passionné de Vatican II, son herméneutique et sa réception — propose pour revitaliser l’Église d’envisager son avenir sous la forme du « défi de la transmission ». En d’autres termes, il s’agit de passer le relais de l’héritage ecclésial, s’entend doctrine, rite, culte, structures de gouvernement, etc., à une génération nouvelle qui est appelée non seulement à l’accueillir, l’assimiler et le recevoir comme « son bien propre » (p. 11), mais aussi à lui garantir toute sa richesse, sa vigueur et son actualité pour aujourd’hui. La mission évangélisatrice de l’Église se pose dorénavant en termes de réception avec tous les défis et les enjeux pour inculturer le christianisme dans les aires culturelles nouvelles.

Structurant sa réflexion sur l’Église et l’expérience de la foi chrétienne au Concile Vatican II, et à partir de sources documentées diversifiées (p. 147-155), dans une première démarche l’auteur imagine aujourd’hui l’Église de demain ; et dans la seconde, il poursuit sa réflexion sur « les défis de l’Église du Québec » qu’il appelle vivement à devenir une « communauté qui enfante des croyants et une Église citoyenne ». Telles sont les deux grandes parties du livre.

Dans la première partie (p. 13-92), il est surtout question de l’Église et de son avenir. Penser l’avenir de l’Église, c’est s’inscrire dans la dynamique même de Vatican II, c’est épouser son style, sa méthode, son mode de communication et continuer d’annoncer la même et unique vérité de salut, Jésus-Christ, dans une forme d’expression qui tienne compte des richesses et des spécificités de chaque peuple, de tout destinataire à qui est adressée la Bonne Nouvelle.

Imaginer l’avenir de l’Église implique de renouveler l’expression de la foi et l’expérience de la pratique chrétienne et ecclésiale en se rappelant que la vocation unique et universelle de l’Église est l’annonce du message du salut et le témoignage du service de la charité. Au Concile Vatican II, l’Église, tout en prenant conscience du caractère pastoral constitutif de sa nature, a redécouvert sa vocation de « servante de l’humanité ». Sa doctrine et son enseignement vont donc connaître des réajustements. Il devient désormais difficile de penser le message de l’Église à partir seulement d’une dimension verticale (Révélation, le dépôt de la foi), sans prendre en compte la dimension horizontale, à savoir les appels, les besoins et les situations de l’institution de l’Église elle-même, et ceux des autres confessions religieuses et du monde. De fait, il est question de relever le défi de dire pour aujourd’hui Dieu et son message en tenant compte des cultures diverses et plurielles ; de vivre le défi de la catholicité dans la communion ; de trouver une expression de la foi et de la vie qui répond aux attentes du monde présent ; de repenser l’Église tant dans son organisation, ses institutions, sa théologie, sa liturgie, sa pastorale, sa spiritualité, son droit, de façon à ce qu’elle se sente chez elle, qu’elle trouve un terrain propre dans chaque aire culturelle (p. 13-42).

Un des enjeux de l’avenir de l’Église se pose en termes d’herméneutique des textes de Vatican II, un exercice « à la fois prometteur et risqué » comme l’a souligné Gilles Routhier (p. 91). Le risque est grand de vider les textes du Concile de leur substance, de leur contenu s’ils sont analysés en dehors de leur contexte littéraire, de leur contexte d’élaboration, coupés de l’esprit et du style du Concile qui ont présidé à leur rédaction. Considérant que Vatican II est encore aujourd’hui recommandé comme une « boussole fiable » pour l’Église en ce début du troisième millénaire, l’herméneutique des textes conciliaires demeure une tâche majeure de la théologie et mérite d’être menée avec soin. Nous citons l’auteur : « […] ce qui aujourd’hui est en cause à cette étape de la réception de Vatican II, ce n’est pas simplement la fidélité matérielle aux énoncés du concile, mais la fidélité à la posture énonciatrice adoptée par les pères conciliaires » (p. 89). S’il est un trait par lequel Vatican II se démarque des conciles antérieurs, souligne sa particularité et manifeste son unicité, c’est bien son style — compris comme méthode de travail, langage, expression, vocabulaire, dynamique pastorale et missionnaire (p. 91).

Dans la deuxième partie (p. 93-145), comme un exercice d’application et pour prolonger sa pensée sur Vatican II, l’auteur aborde en conclusion une réflexion sur les défis de l’Église du Québec qu’il situe dans une perspective essentiellement pastorale. Semblablement aux années conciliaires, le problème est de repenser le rapport de l’Église avec le monde. Comment proposer aujourd’hui à l’homme dans son contexte Jésus-Christ et son message de salut ? Analysant le dialogue de salut entre l’Église et le monde, il souligne trois défis à relever pour l’Église du Québec, le « défi d’une Église tout entière confessante », le « défi de la transmission et la réception » et le « défi de l’institutionnalisation de l’Église plus que de son réaménagement » (p. 95-125). Selon l’auteur, l’Église du Québec est appelée à être au coeur du monde par la présence de ses membres laïcs ; ceux-ci sauront recevoir et élaborer une figure nouvelle du christianisme. Une Église semper reformanda et en continuel travail d’institution sous l’action de l’Esprit de sorte qu’elle se sente partout chez elle et soit reçue comme telle ; une Église dont les membres constamment renouvelés en profondeur dans la grâce forment une communauté prophétique et interpellante.

L’ouvrage mérite qu’on y prête attention pour sa contribution à l’herméneutique du Concile et pour sa vision prospective. Il est à souhaiter un développement plus ample des trois défis mentionnés, notamment le défi de l’institutionnalisation, dont l’avenir de l’Église semble dépendre. Dans un monde pluriel, où aucune institution ne semble résister à la culture du temporaire, du momentané, l’Église gagnerait à avancer sur des bases solides, des repères sûrs à la lumière de la Parole de Dieu.

Lu avec des interrogations, des préoccupations, et des visions différentes et spécifiques d’autres Églises régionales et continentales, cet ouvrage déborde de son cadre dans la mesure où il pourrait inviter les jeunes Églises d’Afrique à se faire une idée nette de leur nature et leur mission, afin de vivre sans biaiser un dialogue vrai et un dialogue de salut avec le monde africain en proie à tant de défis sociaux, politiques, économiques, culturels religieux et théologiques. Signalons entre autres les religions diverses présentes sur le continent, les nouvelles cultures hybrides qui naissent dans nos grandes cités, générant de nouveaux comportements religieux, sans oublier l’épineux problème du développement intégral de l’homme africain engagé dans la lutte pour la réconciliation, la justice, la paix.

Penser l’avenir de l’Église n’est pas un exercice facile auquel on se livre régulièrement. Dans cet ouvrage paru en 2008, un des plus récents de sa production, Gilles Routhier s’inscrit dans le débat théologique avec une contribution de qualité dans le domaine de l’ecclésiologie. Bien que l’ouvrage soit une reprise d’essais qui ont fait l’objet de conférences et d’articles parus dans des revues, il est de lecture facile et agréable au regard de la clarté de la pensée, la rigueur, la logique de l’exposé et la justesse de l’expression ; et il est destiné à un large public de personnes désireuses d’approfondir leur connaissance de l’Église en général, et de l’Église du Québec en particulier, depuis Vatican II.